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Changement planifié et évolution spontanée : Tome 6
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Changement planifié et évolution spontanée : Tome 6
Livre électronique890 pages9 heures

Changement planifié et évolution spontanée : Tome 6

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Les changements que l'on subit échappent à l'attention et prennent la forme de crises - Les changements institutionnels ne sont pas toujours souhaités par les interpellés - La conjugaison d'une évolution correctement anticipée avec des tactiques intentionnelles.
LangueFrançais
Date de sortie22 avr. 2011
ISBN9782760527188
Changement planifié et évolution spontanée : Tome 6

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    Aperçu du livre

    Changement planifié et évolution spontanée - Roger Tessier

    Books

    Introduction

    Le terme « stratégie de changement », aux dires de Jean-Jacques Noreau, Roger Tessier et Mire-ô B. Tremblay, possède trois connotations principales. Dans « La notion de stratégie de changement » (chapitre 5), ils distinguent clairement entre la stratégie comme programme d’activités ou ensemble de méthodes de travail, et la stratégie considérée comme une approche du changement, soit une théorie générale, ou une philosophie, du changement planifié.

    De programmes d’activités et de méthodes de travail, il sera abondamment question dans les tomes 7 et 8 de Changement planifié et développement des organisations¹.

    Le tome 5, Théories du changement social intentionnel : participation, expertise et contrainte, avait comme objectif de situer et de caractériser le changement planifié à côté d’approches différentes. Ce jeu de comparaison entre le changement planifié et des théories autres, rivales ou complémentaires, s’effectue selon divers critères pertinents à plusieurs dimensions théoriques, parmi lesquelles, les plus importantes et les plus explicitement formulées sont les suivantes :

    Quels types de mécanismes psychologiques individuels atteignent les processus normatifs qui proviennent des collectivités ? Sur quels leviers motivationnels individuels (exemple : le besoin d’appartenance ou la peur des sanctions négatives) agissent les fonctionnements psychologiques individuels touchés par les diverses stratégies d’incitation au changement (participative, coercitive et empirico-rationnelle) ?

    Les stratégies dont l’idéologie est la plus soucieuse d’égaliser les pouvoirs entre les acteurs au sein de l’organisation sont-elles différentes des stratégies manipulatrices ? L’égalisation psychosociale, dans le cadre des transactions microscopiques entre détenteurs de statuts hiérarchiques adjacents, suffit-elle à recadrer les rapports de pouvoir, sans que des modifications structurelles aient à être envisagées ?

    Le point d’entrée traditionnel de l’école des relations humaines, du « côté humain » de McGregor² aux cultures de groupe à la Bion³, à la culture organisationnelle (de Lewin aux versions plus sophistiquées apparues sur la scène contemporaine), a été, et continu d’être, la communauté humaine qui porte le projet et la responsabilité de l’organisation, et qui réunit des acteurs sociaux de provenance socio-économique variable (exemples : cols bleus, cols blancs, professionnels, gestionnaires) de cultures diverses (la culture ouvrière, les valeurs des classes moyennes, la culture techno-scientifique) par des liens formels (fonctionnels et hiérarchiques) et informels (jeu des affinités et des relations officieuses, sous-groupes spontanés) qui parviennent à représenter pour tous les participants un ordre nouveau de références communes, soit une culture organisationnelle propre, particulière, qui se distingue d’autres perspectives culturelles pertinentes (de classe, d’ethnie et de religion), chaque groupe de référence représentant une sous-culture à l’intérieur d’un système socioculturel défini.

    Peut-on échapper à la domination bureaucratique, ou à toute autre forme d’oppression, par une stratégie qui postule la convergence des intérêts à long terme des divers groupes d’acteurs, et qui tend à supprimer le commandement vertical au profit de la négociation et de la gestion d’une véritable opinion publique ? De quelle nature sont les conflits qui opposent les acteurs sociaux au coeur même du fonctionnement des institutions ? La coopération ou la compétition, la lutte et l’affrontement paraîtront des choix stratégiques différents, selon qu’on les considérera dans une perspective de convergence ou de divergence. On peut croire que le système global est récupérable ; on peut envisager un partage plus équitable des coûts et des bénéfices entre les acteurs vitalement engagés dans l’organisation. Les conflits sont résolubles sans qu’on ait à changer radicalement le système. Par contre, on peut entretenir des croyances inverses : les conflits et les tensions fonctionnelles expriment manifestement un conflit fondamental, la lutte des classes. Seul un changement macrosociétal, mettant en cause les rapports de pouvoir entre les diverses classes, modifiera en profondeur le fonctionnement des institutions.

    Ces quatre grandes questions, 1) la motivation psychosociale du changement, 2) l’égalisation du pouvoir, 3) la pertinence de la culture groupale et organisationnelle comme point d’entrée des stratégies humanistes, 4) la manière de situer et de traiter les conflits sociaux, sont abordées explicitement dans le tome 6, Changement planifié et évolution spontanée. C’est le cas, en particulier, pour la question des conflits, qui reçoit une attention particulière débordant sa stricte incidence sur la problématique de la stratégie du changement intentionnel. Une telle prédilection entend refléter la grande importance pragmatique de la question des conflits et de leur gestion. Une telle importance s’est exprimée dans l’abondance de la documentation sur le sujet, en même temps que par la montée en faveur du thème de la gestion des conflits dans les programmes d’études universitaires pertinents et dans les programmes de formation offerts aux cadres. Enfin, principale originalité du tome 6 comparativement au tome 5, le changement social à tous ses niveaux, de l’intrapersonnel au sociétal en passant par le groupal et l’organisationnel, n’est pas strictement traité sous l’angle des stratégies intentionnelles (réformistes ou radicales) : une importante perspective s’ajoute : l’évolution. Le paradigme écologique, où s’inscrit cette perspective évolutive, est appelé, dans les années 90, à prendre la relève de la critique marxiste comme principale théorie de remplacement des présupposés rationalistes (mettant l’accent sur l’intentionnalité, la résolution rationnelle des problèmes, la poursuite contrôlée d’objectifs par la planification) et des valeurs démocratiques, qui ont quelque peu tendance à considérer les groupes et les organisations comme des systèmes clos.

    « Conduite, connaissance et acceptation de nouvelles valeurs » (chapitre 1) est, sans contredit, l’un des textes fondamentaux de la tradition du changement planifié. Même s’il écrit en 1948, Kurt Lewin peut déjà percevoir la place importante de la rééducation au sein des sociétés modernes. On y a souvent recours pour traiter divers types de déviance. Mais de quelle nature au juste est ce processus ? Qu’il s’agisse de ramener des déviants à la norme ou de faire reprendre contact avec la réalité à des personnes ou à des groupes qui l’auraient perdu, peu importe les divergences, les processus perceptuels qui gouvernent l’acquisition du normal et de l’anormal sont fondamentalement les mêmes.

    Kurt Lewin soutient que la réalité, telle que l’individu la perçoit, est fortement déterminée par ce que la société considère être la réalité. Une telle dépendance de l’individu par rapport au groupe sera proportionnelle à la confiance qu’il aura en ce groupe, et à l’intensité des pressions émanant de celui-ci pour maintenir ou rétablir un maximum de convergence entre les diverses perceptions individuelles. C’est une telle prépondérance du groupe qui voue tout effort de changement à tenir compte de la culture. Du point de vue de l’individu, les valeurs exprimées dans la conduite sont ancrées dans une culture groupale. Les changer, ces valeurs, c’est changer la relation entre l’individu et le groupe où elles sont ancrées. La rééducation est un processus fonctionnellement apparenté à un changement culturel.

    Des changements simultanés dans les connaissances et les croyances, les valeurs et les standards, les liens émotifs et les besoins, les conduites de tous les jours, surviennent les uns en fonction des autres, dans le cadre de la vie totale de l’individu. Apprendre un métier, c’est acquérir des valeurs autant que des habiletés. La rééducation rejoint la personne, à la fois dans ses connaissances, ses appétences, ses valeurs et son action motrice.

    Commencé sous le signe du conformisme, l’essai de Kurt Lewin se termine par un discours autonomiste. Seuls les standards vraiment acceptés par l’individu, c’est-à-dire librement, deviendront de nouvelles conduites stables.

    « Décisions personnelles et implantation du changement social » (chapitre 2) est à lire comme un prolongement de l’essai classique de Kurt Lewin. Roger Tessier fait grand cas de l’opposition entre conformisme et personnalisation dans l’implantation d’un changement social. Il relie, en particulier, l’idée d’autonomie à celle d’abstraction. Les innovations reçues comme des idées abstraites, interprétables et aptes à être changées requièrent l’autonomie du destinataire. Celles qu’on transmet à titre de rituels concrets, fixes, font plus facilement le jeu de la conformité. Ce type de distinction (conformiste/autonome) s’appuie plus sur la typologie de Kelman⁴ (compliance et internalization, conformity) que sur la dichotomie conformisme/autonomie de Lewin. Par contre, les neuf recommandations pratiques à la fin de l’essai s’accordent aux grands préceptes lewiniens (exemples : engagement collectif, caractère public des décisions, expression ouverte des résistances), en les complétant sur deux fronts : cognitif (exemples : clarifier les circonstances, maintenir un flot d’information après la rééducation) et structurel (exemple : renforcement par des personnes significatives).

    Les stratégies participatives se distinguent des coercitives en substituant des décisions de groupe (dans le meilleur cas consensuelles) à des décisions individuelles selon les statuts formels. Une telle substitution représente une véritable démocratisation seulement si deux écueils sont évités. Le conformisme de groupe ne doit pas remplacer une coercition verticale par une toujours possible coercition horizontale. La démocratie veut réconcilier l’autonomie des individus et la cohésion du groupe. Autre piège possible, la manipulation. La technocratie fait appel aux troupes : elle favorise l’expression momentanée du groupe, ce qui la fait paraître bon prince. Une véritable égalisation des pouvoirs n’a jamais été envisagée. Il s’agit de manoeuvres de surface dont les répercussions possibles à moyen ou à long terme, échappent, souvent, même à ceux ou celles qui en ont eu l’idée.

    Aux yeux de Robert Poupart, dans « Participation et changement planifié » (chapitre 3), ce qui distingue les stratégies de changement les unes des autres, c’est le type de partage du contrôle de l’ensemble de la démarche du changement que ces stratégies incarnent, le partage se faisant entre l’agent de changement et le groupe-client. On peut imaginer des cas extrêmes où l’ensemble du contrôle est aux mains de l’agent de changement, ce qui relègue le groupe-client à un rôle purement passif. On peut également imaginer, à l’autre extrême, des stratégies absolument centrées sur le groupe, où le système-client contrôle entièrement toutes les étapes de la démarche par laquelle s’effectue le changement. Robert Poupart présente une typologie de stratégies de changement dont les quatre types se situent à des niveaux variables de partage du pouvoir avec le groupe-client. Dans les stratégies de diffusion, l’agent contrôle entièrement la démarche ; le client n’a qu’à adopter ou à refuser, souvent par des formes passives de résistance, l’incitation au changement en provenance de l’agent. Dans les formes consultatives de stratégies, l’agent se laisse influencer à certaines des étapes du processus, par exemple au niveau de l’inventaire des solutions possibles d’un problème. Dans les stratégies de co-planification, l’agent contrôle toute la démarche, excepté à l’étape de la planification de l’exécution d’une solution. Enfin, dans les stratégies de cogestion, la démarche de changement épouse la forme d’un processus rationnel de solution de problème en quatre étapes : première étape, position du problème ; deuxième étape, inventaire des solutions ; troisième étape, évaluation et choix d’une solution ; quatrième étape, planification de l’implantation de la solution. En conclusion, Robert Poupart propose d’envisager la résolution du problème et l’implantation de la solution, comme deux processus de solution de problème distincts, l’un menant à l’autre dans un cycle complet d’actions à l’intérieur de l’organisation.

    En situation de résolution en commun des problèmes (la cogestion demeurant la figure idéale en matière d’égalisation des pouvoirs), la question des échanges de savoir doit, elle aussi, être délestée des a priori hiérarchiques propres à l’expertise hétéronome. (Le système, en même temps qu’il tend à égaliser les statuts, tend à revaloriser toutes les sources de savoirs pertinents.) Là où l’ingénieur taylorien impose des prototypes, des normes d’opération conçus à l’extérieur de l’unité de production, dans une stratégie participative (qualité de vie au travail ou approche sociotechnique), on commence par faire s’exprimer tous les acteurs sociaux pertinents. Ce sont très souvent des observations faites par les travailleurs de première ligne qui redéfinissent les paramètres du système global. De toute façon dans plusieurs champs de compétence, le comportement concret des acteurs n’obéit pas à des règles fermées. Il représente un effort original de résolution du problème, en même temps que la traduction des principes abstraits en dispositions concrètes adaptées à une situation inédite.

    Dans « L’utilisation du savoir : de la notion d’échange à la notion d’intégration » (chapitre 4), Robert Poupart, démontre comment il est possible d’imaginer un système intégré où le savoir serait situé dans une relation réciproque avec l’univers de l’action, en ce sens que l’information dérivée des structures de savoir serait acheminée vers les structures utilisant ce savoir aux fins d’action, mais que, réciproquement, ceux qui s’adonnent à la recherche utiliseraient l’information en retour (feed-back) du monde de l’action pour modifier leur approche et enrichir la synthèse de leurs connaissances.

    Depuis son émergence au début des années 50, à une époque où la méthode du laboratoire (donc des stratégies misant beaucoup sur la formation et le changement des attitudes) faisait figure de moyen d’action privilégié, jusque dans sa consolidation méthodologique sous le vocable de développement organisationnel, pendant les années 60 et 70, le changement planifié, tout en faisant la critique des modes autoritaires et bureaucratiques d’organisation (et des styles de comportements de gestion qui leur conviennent) a été soumis à une critique radicale, d’inspiration néo-marxiste ou anarchiste, qui lui a reproché de lancer les enjeux du changement social au mauvais niveau. La réparation orthopédique du système au plan local masque le fait de conflits plus fondamentaux. Seul un réaménagement de la structure sociétale fera échapper les opprimés à des arrangements inéquitables, dont les tensions et dysfonctionnements ne doivent pas se prêter à une stricte lecture fonctionnaliste, qui se soucie de résorber les frustrations sans repenser les rapports de pouvoir dans le sens d’un partage plus égalitaire. Les polémiques autour de ces priorités politiques et stratégiques ont opposé deux manières d’envisager les conflits sociaux et de les traiter au niveau de l’action.

    « La gestion des conflits » (chapitre 6) de Roland Foucher, Robert Poupart et Kenneth W. Thomas entend, au tout premier chef, clarifier la notion de conflit. Elle qui est tout, sauf univoque, aussi bien dans la pratique que dans les écrits théoriques, puisque s’y trouvent plusieurs types de conflits (interpersonnels et intergroupes, conflits de travail, conflits entre organisations), plusieurs niveaux d’analyse (dyadique, structurel et même intrapersonnel), les uns et les autres envisageables selon des perspectives fort différentes. Faut-il gérer les conflits en vue de régulariser les fonctionnements ? Faut-il y voir plutôt les signes avant-coureurs d’un éclatement éventuel du système en place, donnant ainsi prise à des tactiques contestataires, voire révolutionnaires ? Deux tâches s’imposent d’entrée de jeu : la clarification des approches selon lesquelles la notion de conflit est conçue, et la précision du concept même de conflit.

    Burrell et Morgan⁵ font jouer un rôle fondamental à la notion de conflit dans leur typologie des théories de l’organisation. Les tenants du paradigme du radicalisme structurel voient dans les structures existantes l’expression d’antagonismes de type « jeu à somme nulle ». Chez Marx, les classes socio-économiques sont en lutte ; chez Weber, les conflits de pouvoir tendent à la domination d’un statut sur les autres. L’approche marxiste pense la société dans la vision d’une catastrophe ; l’approche wébérienne, elle, la conçoit comme un fractionnement. Roland Foucher, Robert Poupart et Kenneth W. Thomas mettent en relief l’incompatibilité entre le radicalisme structurel et le fonctionnalisme : pour le premier il ne s’agit pas de favoriser l’évolution de l’organisation vers un fonctionnement plus adéquat. Poussée au bout de ses contradictions, la totalité se brise, en fait émerger une autre, radicalement différente de la première.

    Même relation d’incompatibilité entre la réforme graduelle à saveur fonctionnaliste et l’humanisme radical à la Dickson⁶, à la Illich⁷, pour lequel l’organisation formelle est aliénante. Elle est le lieu de la domination d’individus hétéronomes, où seuls certains débats sont légitimes, ceux justement qui ignorent les principes essentiels internes de la vie personnelle des acteurs. Une seule solution : inventer d’autres formes, à taille humaine.

    Bien démarquée sur sa gauche des deux familles radicales, l’approche fonctionnaliste n’est pourtant pas uniforme. Roland Foucher, Robert Poupart et Kenneth W. Thomas en identifient trois variétés. Les théories rationnelles de gestion ne font aucune place au conflit. L’approche psychosociale, pour sa part, a tendance à adopter une vision déterministe simple des conflits. Un meilleur style de gestion les réduirait considérablement. Une troisième variété, systémique (elle-même subdivisée en école institutionnelle et en approche sociotechnique) serait plus en mesure d’adopter une vision pluraliste, par laquelle seraient mieux reconnus les jeux de pouvoir et les conflits d’intérêts. Un tel pluralisme fait figure de condition préalable à des analyses sociopolitiques à la Crozier et Friedberg⁸.

    Si les conflits naissent tous de divergences, de celles-ci existent plusieurs formes (divergences d’intérêts, problèmes à résoudre, conflits émotifs, etc.). Objectives ou subjectives, les divergences peuvent survenir entre personnes détenant des statuts hiérarchiques différents, entre des groupes constitués, entre des représentants de l’organisation et des clients, entre l’organisation et des entités externes fort diverses.

    Comme pour plusieurs autres fonctions de direction, la gestion des conflits ne constitue pas une stratégie univoque. Des gestionnaires différents, à l’oeuvre dans des situations différentes, choisiront parmi plusieurs approches : compétition et domination, collaboration et intégration, partage et compromis, évitement et retrait, accommodement et apaisement. Les méthodes d’intervention varient aussi selon qu’il s’agit de prévenir les conflits ou de traiter ceux qui surgissent.

    Dans « Le phénomène du conflit : une perspective microéconomique » (chapitre 7), Alain C. Lapointe poursuit une démarche en trois temps. Il présente la très importante théorie de l’économiste Kenneth E. Boulding. Comme l’interdépendance des comportements des protagonistes constitue une des caractéristiques les plus essentielles des situations de conflit, il explore la contribution possible de la théorie des jeux à la compréhension de telles situations. Pour conclure, l’auteur dégage quelques pistes que les modèles utilisés paraissent ouvrir, en ce qui a trait à la gestion des conflits.

    Pour Kenneth E. Boulding, les conflits comportent tous trois ingrédients de base. L’affrontement suppose au moins deux protagonistes (individus, organisations, nations) capables de décisions autonomes. Chacun des protagonistes évolue dans un espace fini et délimité, qui englobe l’ensemble des positions occupées dans son passé, en même temps que l’éventail des positions futures possibles. Un tel éventail est forcément limité : il existe plusieurs futurs possibles, mais ils ne constituent pas un domaine infini. Pour les systèmes humains les plus complexes, une frontière délimitant l’éventail des possibilités futures existe bel et bien, ce qui n’empêche pas les positions futures des protagonistes d’échapper à toute prévision simple. Enfin, troisième ingrédient, une situation de compétition, préalable au conflit, empêche que les protagonistes accèdent tous les deux à la position qu’ils désirent. Si l’un gagne, l’autre perd nécessairement.

    Alain C. Lapointe fait remarquer, ici, qu’une telle incompatibilité des gains des protagonistes n’est pas forcément caractéristique de tout conflit. Il en existe où la solution s’avère avantageuse pour les deux parties en opposition. Ce qui n’empêche pas, par contre, qu’une certaine incompatibilité perçue des désirs de chacun se retrouve au coeur de tout conflit, en même temps que la volonté d’avancer malgré tout en zone d’incompatibilité, là où la présence de l’un implique nécessairement que l’autre contracte sa propre frontière de possibilités. En plus d’une telle zone d’incompatibilité, deux autres conditions sont nécessaires à l’éclosion d’un conflit : l’intensité des désirs incompatibles et l’absence de positions de repli.

    Si Alain C. Lapointe rappelle ensuite le postulat rationaliste de la théorie microéconomique (chaque acteur est capable d’ordonner ses préférences), c’est pour mieux en marquer l’arbitraire : les évaluations réciproques de la satisfaction par les deux protagonistes vont souvent varier, et les choix de positions ne sont pas toujours reliés de manière symétrique. Par contre, avant de s’affronter dans la zone de conflit, les protagonistes disposent d’une zone de transaction où ils peuvent améliorer leur position sans détériorer celle de l’autre.

    Au plan dynamique, toute situation de conflit peut évoluer vers l’équilibre ou tendre vers l’explosion. Dans beaucoup de cas, l’escalade de l’hostilité atteint un point E, d’équilibre stable, où la réaction en chaîne (A réagit avec hostilité à B, qui réagit avec hostilité à A) en arrive à s’épuiser.

    À l’inverse, dans la dynamique de l’éclatement, ce plateau d’équilibre n’est jamais atteint, soit que l’un des protagonistes présente un faible taux de tolérance à l’hostilité, soit que le plateau d’équilibre se situe au-delà de niveaux extrêmement élevés d’hostilité. Ces deux modèles — équilibre et éclatement — n’épuisent cependant pas la diversité des figures de conflit. Alain C. Lapointe suggère qu’en supprimant le postulat misanthropique de Boulding, il est loisible d’invoquer d’autres scénarios. Exemple : Que se passe-t-il entre deux adversaires dont l’un est pacifiste ?

    Le comportement de A ne dépend pas seulement de ses propres actions, mais également de celles des autres participants. Cette constatation conduit Boulding à avoir recours à la théorie des jeux, elle qui propose une règle de décision optimale, même dans la situation où les participants ne connaissent pas les intentions des autres protagonistes. Les deux concepts de base de la théorie des jeux sont ceux de stratégie et de matrice des gains. Le jeu le plus simple est un jeu à somme nulle, à deux participants, dans lequel chacun fait un choix confidentiel parmi un nombre fini de stratégies possibles. Mais il existe aussi des jeux à somme variable, beaucoup plus fréquents dans la réalité des choses humaines. Certains d’entre eux, à dynamique perverse, ne prémunissent pas les protagonistes contre les dysfonctions typiques de vues à trop court terme.

    Alain C. Lapointe se demande, enfin, ce que l’on peut tirer de ces deux grands apports théoriques (théorie des conflits et théorie des jeux) au plan de la résolution et de la gestion des conflits. Certes pas l’application pure et simple de la logique aux situations humaines ! Mais quoi alors ? Certains éléments de sagesse qui dissuaderaient les protagonistes d’interpréter plus négativement le comportement de l’adversaire qu’il ne le ferait lui-même. Il faut sans doute éviter la dynamique de l’éclatement, parce que sa progression est exponentielle. Il est impérieux de garder les conflits à l’intérieur de limites de tolérance qui évitent l’éclatement, de ne pas oublier, enfin, que la capacité d’envisager une perspective à long terme rapprochera le conflit d’une dynamique d’équilibre, en augmentant la qualité des informations disponibles, à l’avantage respectif des protagonistes.

    Changement intentionnel et évolution : des perspectives complémentaires

    C’est le paradigme classique de la science — causaliste et linéaire — qui s’exprime dans certains modèles de l’action intentionnelle, dans le domaine des communications comme dans celui du changement planifié.

    En communication, les termes clés « émetteur » et « récepteur » désignaient, à l’origine, des dispositifs techniques : les deux fonctions du téléphone, ou le complexe technique émettant des messages radiophoniques à des appareils de réception domestiques. Le premier modèle de la communication (E → R) a voulu décrire et expliquer les phénomènes de la persuasion dans le contexte des communications de masse. Il présente la communication⁹, du point de vue de l’émetteur. C’est à lui qu’il accorde un rôle actif et ce sont ses intentions persuasives qu’il met en valeur. Une communication réussit quand l’émetteur produit les effets qu’il recherche sur le comportement du récepteur. Il faudra attendre le modèle de la « convergence » proposé par Everett Rogers et Lawrence Kincaid¹⁰ pour voir apparaître un modèle évolutionniste de la communication. La communication comme partage et création de significations présente trois différences principales par rapport au modèle linéaire :

    La dyade émetteur-récepteur est remplacée par une représentation spatiale beaucoup plus ample et complexe, soit le réseau de communication. Ce réseau est constitué d’un nombre beaucoup plus grand d’éléments, rebaptisés transmetteurs pour éviter la dualité activité-passivité suggérée par le couple émetteur-récepteur.

    L’intentionnalité n’est plus identifiée à l’initiative de l’émetteur. Tous les transmetteurs du réseau sont porteurs d’intentions et peuvent assumer un rôle actif pour exprimer et faire valoir ces intentions. L’analyste saisira mieux les phénomènes de communication au sein du réseau s’il renonce à une trop stricte identification au point de vue d’un des transmetteurs.

    Dans le modèle du même nom, la convergence est un phénomène émergent. Elle naît de l’évolution des échanges entre les transmetteurs du réseau. Même les représentations entretenues par ceux-ci sur l’objet ou l’enjeu de ces échanges évoluent avec le temps. Les conversations et les débats n’ont pas de foyer très précis : c’est en cours de processus, à même les échanges, que les objets et les enjeux se précisent ou se transforment, en même temps aussi qu’ils se déplacent, disparaissent ou reviennent à la surface après une éclipse, plus ou moins complète, plus ou moins longue.

    L’observateur comprendra mieux les communications en cours dans le réseau s’il renonce à la fiction selon laquelle les intentions d’un protagoniste actif — l’émetteur — ont à contrôler celles d’un récepteur passif, un tel contrôle linéaire assurant le succès de la communication, par le jeu d’une causalité simple : les modifications dans l’entendement et la conduite du récepteur passif étant entièrement les effets de l’action intentionnelle de l’émetteur.

    Jusqu’ici, la théorie du changement planifié s’est, elle aussi, enfermée dans une conception dyadique et linéaire plutôt étroite. L’intervenant externe (dans le rôle actif) face à un système-client passif. L’intervenant externe est porteur d’une stratégie de changement, elle-même sanctionnée par une base de pouvoir suffisamment ample, à divers échelons de l’organisation. Le système-client — en situation de développement organisationnel ou communautaire — est généralement constitué d’un ou de plusieurs sous-systèmes d’une organisation complexe — rarement du système en son entier. Les transactions directes entre l’intervenant externe et l’un ou l’autre des sous-systèmes concernés (divisions opérationnelles, centres de services, associations et groupes divers) ont une signification importante dans tout effort d’autoredéfinition organisationnelle. La rentabilité d’associer de nombreux consultants externes aux organisations, est, de toute façon, évidente. Il ne faut pas cependant en faire le seul niveau de lecture des phénomènes de changement intentionnel. En matière de diagnostic aussi bien que de plans d’action, un dépassement écologique de mécanismes linéaires du type « processus rationnel de résolution des problèmes » supposerait que tous les fonctionnements individuels et groupaux, comme tous les « devenirs » personnels et collectifs, soient pensés en référence à des dimensions constitutives d’un environnement humain situées à plusieurs niveaux : individuel, groupai, organisationnel, sociétal.

    Les déterminants d’événements microscopiques et locaux sont nombreux, et parmi eux s’en trouvent certains dans des environnements plus englobants et de plus grande taille. Certains environnements constituent des sous-cultures institutionnelles (le monde de la médecine, le milieu des artistes, les institutions financières). D’autres sont socioculturels, ethnoculturels (4 000 000 des 7 000 000 de Québécois regardent les Filles de Caleb à la télévision). Certains grands événements sociétaux, certaines tendances importantes du devenir des sociétés modernes, connaissent des répercussions considérables sur des fonctionnements plus microscopiques. De toute manière, cette distinction entre micro et macro est surtout une distinction de perspective. Toute lecture écologique de conjonctures locales (même à l’échelle d’une grande organisation) suppose l’inclusion du système dans plusieurs systèmes plus englobants (le marché, l’écosystème, les figures de la différenciation sociétale). On comprend mieux un système vivant si l’on peut repérer ses principaux environnements.

    De véritables tentatives pour donner un point de vue écologique à l’intervention psychologique ne sont apparues que très récemment dans la documentation sur le changement intentionnel. Par contre, certaines conceptualisations, dans un passé somme toute récent, témoignent de préoccupations, souvent importantes, pour certaines variables clés dont l’apparition annonce l’élargissement des références spatiales et temporelles, préalable indispensable au dépassement d’une perspective étroitement dyadique et linéaire, isolant deux partenaires, l’intervenant-e et le système-client, et examinant leur rapport sous l’angle exclusif de l’influence du premier sur le second.

    Ainsi, Roger Tessier dans « Conditions psychosociologiques du changement planifié dans le milieu de l’éducation » (chapitre 8) démontre que le taux d’adoption de divers changements pédagogiques et organisationnels n’est pas déterminé exclusivement par les aléas de la relation entre intervenants-es externes et destinataires appartenant au système-client conçu comme un système clos. Des pressions émanant de l’environnement ont une fonction non négligeable : elles peuvent autant soutenir qu’entraver les résolutions de changement provenant de groupes restreints d’enseignants-es. Son analyse requiert celle, plus théorique, proposée par Alain C. Lapointe, qui montre le caractère arbitraire de l’opération par laquelle l’organisation est enfermée dans certaines frontières fixes : plusieurs processus vitaux pour l’organisation la mettent en relation continue d’interinfluence réciproque avec plusieurs entités situées hors de ses frontières formelles (tels les fournisseurs, les clients, diverses instances gouvernementales, sans mentionner des systèmes englobants plus abstraits comme la société globale, le marché ou l’opinion publique)¹¹.

    Dans « Un modèle d’analyse des entreprises de changement planifié » (chapitre 9), Roger Tessier, Jean-Jacques Noreau et Mire-ô B. Tremblay adoptent un point de vue diachronique pour cerner l’évolution d’une entreprise de changement. Ils ne vont pas jusqu’à proposer une théorie cybernétique de l’action, mais la catégorie Interactions dynamiques entre moyens et objectifs de leur modèle identifie des processus (la réinterprétation et la récupération) où le passage du temps transforme la fonction de certains moyens d’action à la suite des effets émergents, imprévisibles, d’une action qui voulait les utiliser à des fins sensiblement différentes des résultats obtenus concrètement. Ce même modèle ouvre également des perspectives spatiales plus amples par sa catégorie Rapports structuraux entre acteurs et objectifs. Les effets d’une action sont examinés plus avant que dans leur impact premier sur le système cible. Les liens entretenus par celui-ci avec des sous-systèmes adjacents, verticaux et horizontaux, sont pris en considération. Ces sous-systèmes constituent l’environnement interne du sous-système cible, dont l’évolution est fortement conditionnée par diverses réactions de la part d’acteurs qui sont fonctionnellement ou psychologiquement interdépendants des destinataires explicites de la stratégie de changement.

    « Un modèle d’analyse des entreprises de changement planifié » reprend les trois dimensions fondamentales : approche, programme d’action et méthodes d’intervention de la définition de la stratégie de changement proposée par les auteurs (dans « La notion de stratégie de changement »). Ces trois termes clés sont composites et chacun d’eux combine des termes primitifs encore plus fondamentaux : objectifs, moyens, acteurs.

    Une approche du changement est en premier lieu une théorie générale (et une idéologie) sur la nature des moyens d’action et la nature des acteurs. Un programme d’actions réunit des moyens d’action et des objectifs en les organisant logiquement et chronologiquement. Enfin, les méthodes d’intervention entendent adapter des moyens d’action à certaines caractéristiques des acteurs concernés.

    Chacune des trois dimensions fondamentales (objectifs, moyens, acteurs) est subdivisée en plusieurs catégories analytiques : ainsi la dimension objectifs, en catégories de contenu, de séquence, de complexité ou simplicité, etc. ; la dimension moyens d’action, en catégories d’intentionnalité, de distance, de rationalité, et plusieurs autres encore ; la dimension acteurs, en catégories d’identité, de rôle, etc.

    Le strict déploiement de l’ensemble des catégories évoquées jusqu’ici représente un fort degré de complexité. Ce qui n’arrête pas Roger Tessier, Jean-Jacques Noreau et Mire-ô B. Tremblay dans leur volonté de dépasser la rigidité statique d’un pur catalogue. D’où l’intérêt de combiner deux à deux les dimensions originelles, proposant ainsi trois nouvelles dimensions secondaires (ce qui ne signifie pas moins importantes, mais plutôt dérivées de dimensions préalables).

    La dimension des interactions dynamiques entre moyens et objectifs contient plusieurs catégories : la réinterprétation, la récupération et les effets seconds. Les rapports structuraux entre acteurs et objectifs se subdivisent en points d’entrée, liens entre points d’entrée et cibles, liens entre cibles et autres sous-systèmes pertinents. La dimension des interactions dynamiques entre moyens et acteurs, en adaptation en cours d’action des moyens aux acteurs, transformation des acteurs par le recours aux moyens, etc.

    Il va sans dire que l’utilisation du modèle d’analyse ne suppose pas le recours systématique à toutes les catégories d’analyse à la fois. Un peu à la manière d’un kaléidoscope, ce modèle d’assez grande taille en contient une multitude, dont l’ampleur et l’autonomie relatives dépendent des choix de l’analyste, et des conditions entourant son travail.

    Dans « Phénomènes de l’organisé : changement planifié et spontané » (chapitre 10), Jean Brunet situe la notion d’organisation dans un contexte théorique cybernétique en l’associant au paradigme de l’auto-organisation. Il fait valoir que l’organisation découle à la fois de l’ordre des contraintes et du désordre des perturbations. L’organisation est une caractéristique des systèmes (par opposition aux agrégats), en ce sens que seuls les systèmes présentent les deux principes de l’organisation : présence d’entités différenciées l’une de l’autre, mais reliées les unes aux autres. Deux concepts partagent cette définition minimale : autant les réseaux que les appareils sont faits d’entités différentes, mais reliées. Cependant, les appareils (ce terme est synonyme d’« organisations » en sociologie et en science politique) se distinguent des réseaux de deux manières : ils sont constitués de sous-systèmes et certains d’entre eux ont des fonctions de contrôle vertical sur certaines actions.

    Toutes les organisations sont des systèmes, différenciés entre eux surtout par le degré de leur complexité, de la passivité à l’autofinalisation. Il y a auto-organisation si des changements de structure sont conséquents aux échanges d’énergie¹². S’agit-il d’autre chose que d’autonomie ? D’une certaine manière, oui ! La différence exacte entre l’automate et l’autonome, c’est que le second type de système peut s’autoproduire. Ce qui suppose d’abord une différenciation fondatrice entre des entités et leur milieu.

    Ayant clarifié le paradigme de l’auto-organisation comme autonomie du social, Jean Brunet se tourne vers le champ du développement organisationnel et du changement planifié. Ce qui l’amène à réfléchir sur la genèse de l’organisé, spontané aussi bien que planifié (intentionnel). En croisant deux problématiques étrangères mais compatibles, on peut les enrichir l’une l’autre. Qu’apprend-on à l’exercice de rapprocher le processus de changement planifié, d’une part, et deux processus fondamentaux en cybernétique et en auto-organisation, l’autonomie et la cohérence, d’autre part ?

    On ne peut penser changement sans penser constance, et l’on doit mettre en parallèle plusieurs autres idées : celles de continuité, d’homogénéité et d’instabilité. Le problème de fond s’avère alors celui de la différence. La problématique de l’auto-organisation repose sur une différence fondamentale, celle entre entité et milieu. L’établissement des distinctions s’opère selon deux logiques (impact et perturbations). Le couplage par clôture permet que l’objet manifeste des comportements qui lui soient particuliers. Dans le modèle de la distinction par intrant, les formes de ces comportements proviennent de la forme de l’intrant même. Avec Varela et plusieurs autres, Jean Brunet reconnaît la nature autopoïétique du processus par lequel les systèmes vivants maintiennent leur identité en s’opposant au changement, contre un environnement turbulent. Qu’en est-il de l’opposition entre changement planifié et spontané ? Le processus véritable en cause sous le terme de changement planifié, c’est la planification de son effort de rationalisation. Alors que le changement spontané semble aller de soi comme « mise en action » de ce qui est naturel. Le changement spontané est autonome, le changement planifié, suscité ou contraint, est forcément hétéronome. Seule la distinction par « clôture » est autonome. La distinction par intrant asservit la cohérence à un facteur externe. La distinction par états est également hétéronome, le système tirant sa cohérence de l’intérieur comme de l’extérieur. Le changement intentionnel peut être plus ou moins autonome. Il sera d’autant plus autonome que tous les acteurs pourront influencer les références selon lesquelles les modèles descriptif, idéal et causal sont constitués et utilisés (disposeront d’autorité, d’expertise et de leadership). Quels pouvoirs vont faire valoir quels référentiels ? Comment le système peut-il gérer sa diversité interne ? Une stratégie non directive est sans doute susceptible de favoriser une telle diversité.

    Le changement planifié fait appel à un effort délibéré et rationnel de changement et suppose que maints changements organisationnels surviendront simultanément. Les ordres sociaux spontanés se produisent, fruits d’actes individuels non concertés. Les préférences internes prévalent sur les références externes.

    Dans « L’interaction comme source de changement de la pratique éducative » (chapitre II), Jean-Claude Hétu poursuit comme objectif le développement d’un modèle de changement des organisations conjuguant le changement intentionnel et le changement émergent. Un sous-système (entité) est autonome s’il se maintient dans le changement. L’autonomie du sous-système ne signifie pas sa capacité de fonctionner de manière indépendante.

    L’organisation, du point de vue écologique, réunit des sous-systèmes vivants, autonomes. La pratique de toute intervention — pédagogique singulièrement — doit être interactive à partir du moment où sont pleinement reconnues les dynamiques autonomes du vivant. L’animateur de l’émergence veut tenir compte dans son intervention de transformations autonomes, survenant spontanément, indépendamment des intentions de changement des divers acteurs sociaux.

    Tous les sous-systèmes (enfants, adultes, éducateurs, classe, directeur, etc.) sont des sous-systèmes vivants ouverts à des environnements déjà partiellement organisés. L’éducation change de cap, par rapport à l’autonomie, si elle essaie de conjuguer l’intentionnalité des interventions éducatives et le surgissement d’événements, en partie aléatoires, produits de transformations spontanées, du type de celles connues par les systèmes ouverts.

    En acceptant de subordonner ses intentions ou du moins de les conjuguer aux ordres spontanés surgissant d’apparents désordres, l’éducateur se campe dans une position d’autoformation continue. Il ne connaît pas d’avance les possibilités diverses qui surgissent de l’interaction.

    Vers une écologie de l’intervention psychosociologique

    La première partie de « Vers une écologie de l’intervention psychosociologique » (chapitre 12) est une esquisse de l’arrière-plan théorique et idéologique des modèles de l’intervention psychosociologique. Quelles idées a priori ont fonction de cadre de référence fixe, objets d’un consensus de la part des chercheurs-euses du domaine par delà les divergences d’opinions et les problèmes théoriques ? Roger Tessier y soutient que, peu importe les variations dans la population totale, certains traits stables assurent le repérage d’une classe particulière de phénomènes sociaux, les interventions psychosociologiques.

    Dans la très forte majorité des interventions, trois protagonistes principaux se retrouvent à l’avant-scène : l’intervenant-e, le groupe-destinataire, certains relais formels. Il faut en ajouter quelques autres (dont l’action en cours de route est imprévisible au départ) : on arrive alors à constituer un réseau IDRX. Il est plus utile d’envisager l’intervention comme ayant cours dans un tel réseau que de la cloisonner dans le modèle constitué par le couple intervenant-destinataires.

    Au plan stratégique, selon Roger Tessier, toute intervention psychosociologique reprend deux grands processus : la résolution en groupe de problèmes sociaux divers (premier processus), par l’entremise de discussions (second processus). Ces deux processus, pour être vraiment typiques de la tradition psychosociologique, doivent se dérouler dans un climat éthique marqué par la liberté d’expression, le partage égalitaire des impressions, et une certaine priorité des décisions de groupe sur les résolutions individuelles.

    Dans la seconde partie du texte, « Les principaux traits du paradigme écologique », le paradigme écologique est décrit sans référence explicite à la question du changement social intentionnel. Quatre grands traits lui sont ainsi attribués : systémisme, évolutionnisme, autonomisme et relativisme.

    Roger Tessier, dans la troisième partie du texte, « L’intervention psychosociologique écologisée », soutient qu’une théorie écologique (au sens de Bateson) de l’intervention psychosociologique doit repenser la résolution de problème et la discussion en groupe, et ce, dans quatre directions complémentaires.

    Au plan structurel, le réseau IDRX devra inclure (dans R et X) certains termes extrasystémiques, tirés de l’environnement.

    Au plan temporel, le déroulement linéaire de l’action doit céder la place à une conception cybernétique et évolutive.

    Au plan stratégique, les destinataires doivent être envisagés comme des systèmes auto-organisateurs : ils transforment à leur manière les incitations au changement proposées par les intervenants-es.

    Au plan épistémologique, une théorie écologisée renoncera à toute distinction rigide entre l’ordre des problèmes et celui des solutions.

    Les incitations au changement — provenant d’un sous-système temporaire groupant l’intervenant-e externe et quelques représentants-es de l’organisation-cliente — acquièrent un sens bien différent selon qu’elles sont entrevues comme des impacts ou des perturbations, du point de vue du sous-système cible. Ce sous-système, dans le paradigme de l’auto-organisation, est un système vivant autofinalisé. Une part importante de sa forme sera définie dans le cours de son développement. La trajectoire de ce développement réconcilie le maintien de l’identité et l’adaptation à des conjonctures environnementales. Un tel sous-système autonome est capable de s’autoproduire, et de s’autoreproduire. L’animateur de l’émergence s’attend à voir ses apports transformés et réinterprétés. Lui-même se sait en constante transformation. L’action n’applique pas le plan, elle le transforme. Une action intentionnelle cybernétique compte avec plusieurs boucles récursives. Elle sait allier la vigueur de la perspective à long terme, la précision des circonstances à court terme, à une importante flexibilité quant aux formes précises des stratégies et à une meilleure saisie des enjeux, à moyen terme. La convergence des intentions, comme reprise écologique du thème de la planification démocratique, commence par favoriser l’expression des intentions le plus nombreuses, claires et explicites possible à propos des enjeux pertinents au sein de l’organisation. Elle est beaucoup plus autonomiste que démocratique. La conjugaison des intentions de tous les acteurs est le plus facile des deux grands problèmes qui guettent toute organisation. L’autre lui est systématiquement opposé : c’est l’absence d’intentions de la part d’un nombre important d’acteurs sociaux directement concernés.


    1 Tome 7, Méthodes d’intervention : consultation et formation. Tome 8, Méthodes d’intervention : développement organisationnel.

    2 D. MCGREGOR (1971). La dimension humaine de l’entreprise, Gauthier-Villars, Paris.

    3 W.R. BION (1959). Experiences in Groups, New York, Basic Books.

    4 H.C. KELMAN (1969). « Processes of Opinion Change », dans K.D. BENNE, W.G. BENNIS et R. CRIN, The Planning of Change, 2e édition, New York, Holt.

    5 G. BURRELL et G. MORGAN (1979). Sociological Paradigms and Organizational Analysis, Londres, Heinemann.

    6 D. DICKSON, (1974). Alternative Technology and the Politics of Technical Change, Londres, Fontana.

    7 I. ILLICH, (1973). Tools for Conviviality, Londres, Fontana.

    8 M. CROZIER et E. FRIEOBERG (1977). L’acteur et le système, Paris, Seuil.

    9 David BERLO (1960). The Process of Communication, New York, Holt, Rinehart and Winston.

    10 E. ROGERS et L. KINCAID (1981). Communication Networks : Toward a New Paradigm for Research, New York, Free Press.

    11 Alain C. LAPOINTE (1991). « Le concept d’environnement organisationnel : ancrages et considérations épistémologiques », Changement planifié et développement des organisations, Sillery, Presses de l’Université du Québec, tome 4, chapitre 12.

    12 G. JUMARIE (1980). Subjectivité, information, système : synthèse pour une cybernétique relativiste, Montréal, Les Éditions Univers Inc.

    1

    Conduite, connaissance et acceptation

    de nouvelles valeurs

    ¹

    Kurt LEWIN

    Quelle est la nature du processus de rééducation² ? Qu’est-ce qui fait qu’il « prend » ? Quelles résistances se manifesteront probablement ? Le besoin de rééducation apparaît lorsqu’un individu ou un groupe est déphasé par rapport à la société en général. Si l’individu s’adonne à l’alcool, par exemple, ou est devenu un criminel, le processus de rééducation tente de le ramener aux valeurs et à la conduite acceptées dans la société où il vit.

    La définition du but de la rééducation pourrait s’arrêter là, si la société comme totalité était toujours en accord avec la réalité. Puisqu’il n’en va pas ainsi, nous devons ajouter : la rééducation est aussi désirable lorsqu’un individu ou un groupe a perdu contact avec la réalité. Nous avons ici affaire à ce qui peut être appelé une divergence par rapport à la norme, ou par rapport à la réalité des faits objectifs. La question que nous devons nous poser, en considérant ce problème, est la suivante : Que doit-il se passer chez l’individu pour qu’il renonce à la divergence et redevienne orienté selon la norme, ou, comme il est possible, pour qu’il se rapproche d’un contact avec la réalité ?

    L’origine de la divergence

    Les spécialistes des sciences sociales sont d’accord pour dire que les différences qui existent aujourd’hui entre les hommes, Blancs, Noirs ou Jaunes, ne sont pas innées ; elles sont acquises. Les déviations par rapport à la norme sociale sont aussi acquises. Les tentatives d’explications de telles divergences par des différences de « personnalités de base » ont été infructueuses. Il est probablement juste de proposer l’hypothèse suivante, plus précise :

    1. Les processus gouvernant l’acquisition du normal et de l’anormal sont fondamentalement les mêmes.

    La nature des processus par lesquels l’individu devient un criminel, par exemple, semblent être, à la base, les mêmes que ceux par lesquels un individu non déviant est amené à une conduite considérée comme honnête. Ce qui importe c’est l’effet exercé sur l’individu par les circonstances de sa vie, l’influence du groupe dans lequel il a grandi. La normalité de cette influence est évidente dans le cas de l’alcoolique et du délinquant, et demeure apparemment vraie pour plusieurs autres types de divergences par rapport à la norme sociale : celle de la prostituée, par exemple, ou même de l’autocrate.

    Il en va sans aucun doute de même pour ces divergences dans lesquelles les croyances et la conduite vont à l’encontre de la réalité. Les processus qui font naître celles-ci — par exemple, la croyance d’un superpatriote que tous les « étrangers » sont des « rouges » — sont fondamentalement de même nature que ceux qui font que cet individu acquiert une vision suffisamment réaliste de la famille et des amis pour se débrouiller dans la communauté. Sa fausse opinion des étrangers est une forme d’illusion sociale. Pour en comprendre l’origine, notons la conclusion à laquelle sont parvenus des psychologues dans le domaine de la perception spatiale : les processus qui sont responsables de la création d’images visuelles « inadéquates » (les illusions) et ceux qui donnent naissance à des images visuelles « adéquates » (la « réalité ») sont de nature identique.

    Des expériences faites sur la mémoire et sur la pression que le groupe exerce sur l’individu, montrent que ce qui existe comme « réalité » pour l’individu est fortement déterminé par ce que sa société appelle la réalité. Cela est vrai même dans le domaine du fait matériel : pour l’insulaire des mers du Sud, la Terre peut être plate ; pour l’Européen, elle est ronde. La « réalité », donc, n’est pas un absolu. Elle varie selon le groupe auquel l’individu appartient.

    Cette dépendance de l’individu à l’égard du groupe, dans la détermination de ce qui constitue et de ce qui ne constitue pas la « réalité », est moins surprenante si nous nous rappelons que l’expérience propre de l’individu est nécessairement limitée. En d’autres mots, la probabilité que son jugement soit juste s’accroît si l’individu fait une grande confiance à l’expérience du groupe, que l’expérience du groupe s’accorde ou non avec la sienne. C’est là une raison pour l’acceptation du jugement du groupe, mais il y en a encore une autre. Dans n’importe quel domaine de comportement et de croyance, le groupe exerce une forte pression pour le conformisme sur ses membres individuels. Nous sommes soumis à cette pression dans tous les domaines — politique, religieux, social — y compris dans nos croyances sur ce qui est vrai ou faux, bien ou mal, juste ou injuste, réel ou irréel.

    Dans ces conditions, il n’est pas difficile de comprendre que l’acceptation générale d’un fait ou d’une croyance puisse être la véritable cause qui empêche cette croyance ou ce fait d’être jamais remis en question.

    La rééducation, en tant que changement dans la culture

    Si les processus qui mènent aux préjugés et aux illusions et ceux qui mènent à une perception et à des concepts sociaux réalistes sont essentiellement les mêmes, alors la rééducation doit être un processus fonctionnellement semblable à un changement de culture. C’est un processus dans lequel des changements dans la connaissance et dans les croyances, les changements de valeurs et de standards, les changements de liens émotifs et de besoins, et les changements dans la conduite de tous les jours, surviennent non pas un à un et indépendamment les uns des autres, mais dans le cadre de la vie totale de l’individu dans le groupe.

    De ce point de vue, même la rééducation d’un menuisier qui s’apprête à devenir horloger n’est pas le simple problème d’enseigner au charpentier le nouvel ensemble d’habiletés de l’horlogerie. Avant qu’il puisse devenir horloger, le menuisier, en plus d’apprendre un ensemble de nouvelles techniques, devra acquérir un nouveau système d’habitudes, de standards et de valeurs — standards et valeurs qui caractérisent la réflexion et le comportement des horlogers. Pour le moins, c’est ce qu’il devra faire avant de pouvoir exercer avec succès le rôle d’horloger.

    Dans ce sens, la rééducation est l’équivalent du processus par lequel l’individu, grandissant dans la culture dans laquelle il se trouve, acquiert le système de valeurs et l’ensemble de faits qui finiront plus tard par gouverner sa pensée et sa conduite. En conséquence, il semble que :

    2. Le processus rééducatif doit remplir une tâche qui est essentiellement l’équivalent d’un changement de culture.

    Nous pouvons maintenant comprendre plus aisément pourquoi la plus totale absence de formalisme se voit attribuer une si grande importance dans la rééducation du délinquant ; pourquoi l’on dit que l’atmosphère englobante, caractéristique de la vie dans et par un groupe comme celui des Alcooliques anonymes, est beaucoup plus efficace, pour aider le buveur à renoncer à l’alcool, que ne l’est le long et exigeant apprentissage d’habitudes particulières auquel l’alcoolique s’astreint comme patient d’un traitement médical.

    Ce n’est qu’en enracinant sa propre conduite dans quelque chose d’aussi grand, substantiel et supraindividuel que la culture d’un groupe, que l’individu parvient à stabiliser suffisamment ses nouvelles croyances et à les immuniser contre les fluctuations quotidiennes d’humeurs et d’influences dont lui, comme individu, est le sujet.

    C’est une intuition fondamentale et précieuse, croyons-nous, que de voir la rééducation comme une tâche d’acculturation. Cependant, ce n’est qu’un cadre de référence. Pour assurer une rééducation réelle nous avons besoin en outre d’une compréhension de la dynamique du processus, la constellation particulière de forces avec lesquelles il nous faut traiter dans des conditions variables.

    Les contradictions inhérentes à la rééducation

    Le processus de rééducation touche l’individu de trois façons. Il modifie sa structure cognitive, sa manière de voir les mondes physique et social, y compris tous les faits, concepts, croyances et attentes. Il modifie ses appétences et valeurs, et celles-ci embrassent à la fois ses attirances et ses aversions pour les groupes et les standards de groupe, ses sentiments à l’égard des différences de statuts sociaux, et ses réactions aux sources d’approbation et de désapprobation. Et cela affecte son action motrice, impliquant l’ampleur de sa maîtrise sur ses mouvements physiques et sociaux.

    Si tous les trois effets (et les processus qui les font naître) étaient régis par les mêmes lois, la tâche pratique de la rééducation serait beaucoup plus simple. Malheureusement ils ne le sont pas, et en conséquence le rééducateur est confronté à certaines contradictions. Par exemple, le traitement d’un enfant

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