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Éthique de la communication appliquée aux relations publiques
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Livre électronique456 pages5 heures

Éthique de la communication appliquée aux relations publiques

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À propos de ce livre électronique

Cet ouvrage permettra aux étudiants et aux professionnels des relations publiques et de la communication marketing de comprendre les exigences éthiques de leur profession. Il présente le concept de l’éthique, tout en exposant des dilemmes professionnels concrets qui se posent dans la pratique des relations publiques.
LangueFrançais
Date de sortie27 févr. 2013
ISBN9782760536609
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    Aperçu du livre

    Éthique de la communication appliquée aux relations publiques - Ritha Cossette

    Le présent ouvrage porte sur l’éthique de la communication telle qu’elle s’applique au domaine professionnel des relations publiques. Toute éthique, pour appliquée qu’elle soit, reste cependant implicitement rivée à la philosophie morale. Aussi nous occuperons-nous dans un premier temps de la question éthique fondamentale du Comment doit-on vivre ? Que serait pour nous, humains, une vie digne d’être vécue ? Double formulation de la belle et grande question socratique qui rebondit jusqu’à nous !

    Préciser ce qu’il en est de l’éthique en général constituera le premier des sept chapitres qui composent cet ouvrage. Cet examen sommaire de la spécificité de la sphère éthique et de ce qui la différencie des autres modes de régulation sociale s’explique par le fait d’une remarquable mécompréhension sinon une confusion dans l’esprit général. Le mot éthique s’insinue en effet partout, évoqué à tout propos et servi à toutes les sauces. Nous assimilons souvent à cet égard la question morale à la dimension légale des actions et nous la réduisons aussi souvent étroitement à des stratégies de contrôle social ou à la déontologie professionnelle. Nous rappellerons en quoi la moralité ou l’éthique a tout à voir avec la valeur des fins poursuivies. Nous verrons alors que la pensée éthique transporte avec elle ses propres catégories : le double sens de la liberté et de la responsabilité, le respect conscient de soi-même et des autres, les efforts consentis de bienveillance sinon de bienfaisance à leur égard. Nous indiquerons par ailleurs, ce qui distingue la morale de l’ordre du droit et ce qui lie l’éthique et la politique à travers notamment l’organisation des règles de vie commune et la valeur centrale de la justice sur laquelle repose pour nous aujourd’hui la légitimité des règles et des normes.

    Nous examinerons, dans le chapitre 2, les principaux repères de la philosophie morale contemporaine à commencer par le rôle de la rationalité dans l’agir humain, laquelle structure la délibération et les décisions morales. Il s’agit alors de la fameuse raison pratique, faculté intellectuelle chargée d’évaluer les intentions et les actions dans leur dimension morale. Cette faculté propre à la vie éthique ouvre la question complémentaire du jugement dont nous verrons qu’il assume la fonction structurante du sensus communis et qu’il se décline en différentes modalités : jugement moral reposant sur des valeurs, jugement légal adossé à l’ordre contraignant des faits, jugement politique confronté à la contingence des événements. Aussi évoquerons-nous au passage les deux principaux critères du jugement moral, critères correspondant à deux approches classiques des dilemmes moraux. D’une part, le raisonnement utilitariste qui consacre le primat de la sensibilité dans la vie morale et la valeur suprême du bonheur ; d’autre part, le raisonnement déontologique qui insiste sur le principe de la rationalité et mise sur la valeur du respect absolu de la dignité humaine. Conséquentialisme et déontologisme, autant de tentatives historiques pour fonder la morale et asseoir la réflexion et la décision sur un socle rassurant. D’autres approches de la vie morale contestent aujourd’hui et la pertinence et la possibilité de fonder la morale et plaident pour une approche minimaliste. Nous en ferons état. De même que de la tentative théoriquement plus substantielle de réconciliation de l’éthique déontologique et de l’éthique des vertus, cette fameuse quête de l’excellence héritée du monde grec.

    Le chapitre 3 prépare la réflexion sur les enjeux éthiques et pragmatiques de la communication, une communication toujours potentiellement conflictuelle. Conflictualité qui coiffe tout en l’appelant l’idéal délibératif et l’éthique de la discussion démocratique. Difficile communication. La parole est d’autant plus violente d’ailleurs que des valeurs et des intérêts sont mis en cause. Nous ferons donc le point sur cette question centrale des valeurs, une catégorie fondamentale de la vie éthique. Valeurs de toutes sortes, grilles d’analyse et échelle des valeurs. Valeurs dont certaines sont plus fondamentales que d’autres, valeurs qui nous définissent, que nous élisons et auxquelles nous tenons tous spontanément. Matière à débat et valeurs au combat tant il est vrai que nous sommes jusqu’à un certain point les valeurs que nous défendons. Défense douce ou agressive des valeurs qu’il ne faut d’ailleurs pas confondre avec les normes qui opèrent selon une logique qui leur est propre – une logique contraignante – et qui scellent le sort de nos arrangements sociaux, économiques et politiques.

    Le chapitre 4 traitera précisément de la dynamique discursive devant conduire des intérêts aux valeurs, puis aux normes. Cette dynamique de transformation repose sur le principe de la discussion et sur la promotion des intérêts universalisables, de même que sur les possibilités intrinsèques de l’argumentation publique. Nous verrons que le discours argumenté – registre profondément différent bien que complémentaire de la narration et de l’interprétation – ne doit pas tant viser l’ultime adhésion aux mêmes croyances ou valeurs, mais une entente sur ce qui peut apparaître comme le plus équitable ou juste possible, responsable et conséquent, adéquat voire bénéfique. Nous parlerons alors des promesses de la discussion pratique dans la mesure où cette dernière vise un consensus sur des normes de vie communes et le règlement de situations problématiques concrètes que l’adoption de normes a précisément vocation de résoudre. Et comme la discussion pratique ne porte pas sur des enjeux théoriques ou des visions métaphysiques du monde, les valeurs, même si elles fournissent une substance à l’argumentation des protagonistes, seront ramenées au statut d’arguments parmi d’autres arguments possibles.

    Le chapitre 5 portera sur les exigences éthiques du métier de relationniste. Aussi bien reconnaître d’ailleurs que ce difficile métier s’exerce dans un espace public aujourd’hui bigarré, confus du point de vue de ce qui relève de l’intime, du privé et du public. Aussi tâcherons-nous de voir un peu plus clair dans cette cartographie confuse des espaces intimes, privés et publics dans lesquels les professionnels de la communication publique doivent évoluer, avec lesquels ils doivent composer ; comprendre ce qui se joue ici et maintenant dans la sphère publique par-delà l’articulation de l’intime et de la démocratie, deux instances fragiles et aujourd’hui menacées. La reconnaissance sociale du métier de relationniste repose, comme pour toutes les autres professions, sur l’adoption et le respect de normes éthiques bien précises. La première de ces exigences éthiques concerne tous les professionnels de la communication publique : le parler vrai, celui-là même qui rend le discours fiable et les interlocuteurs dignes de confiance. Quête de la vérité, sens éthique et relation de confiance sont en effet inséparables, à la fois théoriquement et pratiquement. Vérité attendue et toujours souhaitable mais vérité refoulée dans le discours mensonger. Nous cernerons dans ses grandes lignes cette problématique de la vérité en dégageant au passage quelques éléments clés d’une phénoménologie du mensonge. Aussi discuterons-nous du devoir et du droit à la vérité et des deux vertus cardinales de la vérité que sont l’exactitude et la sincérité. Nous traiterons de la problématique de la manipulation qu’il faut savoir distinguer du processus interactif normal de l’influence ; de la double problématique de la transparence et du secret qui exige chez tout professionnel de la communication publique une attitude de prudence et un jugement avisé. Comme d’ailleurs l’exigence éthique du respect des réputations souvent malmenées sinon brutalement détruites. La psychologie viendra aussi à la rescousse d’une présentation des enjeux liés à la gestion des crises et des scandales. Crises dont il faut pouvoir se relever comme professionnels, crises qui mettent toujours au défi les capacités de résilience et même de courage propres à chacun.

    Nous approfondirons dans le chapitre 6 l’éthique générale de la confiance inscrite au cœur même de l’exercice professionnel des relations publiques. Confiance primitive, pratiques et discours de confiance, rôle et conditions de la relation de confiance. Nous verrons alors en quoi cette éthique de la fiabilité a partie liée de manière générale, et dirions-nous fondamentale, avec le respect des promesses et de la parole donnée. Confiance politique, confiance dans les organisations, confiance, enfin, dans les échanges économiques.

    Cet ouvrage serait incomplet sans le rappel dans le chapitre 7 des deux éthiques classiques de la conviction et de la responsabilité. Pas de moralité, en effet, sans le sens des responsabilités. Aussi départagerons-nous ce qui relève pour nous aujourd’hui de la responsabilité légale limitée et de la responsabilité morale à plus longue portée.

    Les étudiants et les relationnistes professionnels à qui s’adresse le présent ouvrage œuvrent à différents niveaux et dans différentes organisations : directions ministérielles et gouvernementales, partis politiques, institutions publiques, groupes sociaux et associations de tout ordre. Du point de vue de l’approche, nous tâcherons d’illustrer les concepts, de présenter des cas concrets dont certains seront directement concernés par la pratique professionnelle en cause et d’autres puisés dans l’actualité sans lien direct avec elle. Nous émaillerons aussi notre texte d’extraits ou de citations plus longues et plus substantielles d’auteurs de façon à sauvegarder le caractère polémique de la réflexion morale dont les questions restent, par définition, toujours ouvertes.

    Il est exigé de nous que nous voulions réaliser ce qui est bon et que nous le voulions de la bonne façon… Cette citation inaugurale résume l’essentiel de l’éthique : intégration des valeurs sous la douce pression de l’éducation et volonté de bien faire. Ces deux éléments principaux composent et animent à l’évidence la vie morale des hommes. Ou plutôt, les hommes devront apprendre à composer avec eux ; ils devront assumer tout le poids de la liberté et de la responsabilité qui accompagne le fait de naître humain. Nous illustrons les enjeux marquants de la vie morale par un exemple qui peut sembler n’avoir aucun rapport avec la communication publique, mais qui fera voir ce qui est fondamentalement en jeu, bien en deçà de nos rôles sociaux et de nos métiers respectifs. Difficile métier d’homme tant il est vrai que les défaillances sont nombreuses, tragiques et parfois même dévastatrices.

    1. QUE LUI EST-IL PASSÉ PAR LA TÊTE ?

    1.1. UN DRAME SANGLANT

    Un soir d’hiver 2009, un médecin reconnu pour sa compétence par ses collègues et aimé pour son dévouement par ses patients massacre, à coups de couteau, ses deux jeunes enfants de 3 et 5 ans. C’est la consternation dans tout le Québec. La rupture conjugale qui avait précédé ce geste irréparable venait de basculer dans l’horreur. Les médias s’activent, sollicitent les entrevues avec les proches, avec les spécialistes en santé mentale et les juristes ; la vox populi et les tribunes téléphoniques surchauffent de colère et d’indignation. Tout le monde s’en mêle, tout le monde s’emmêle. Que comprendre de ses motivations ou de son degré de préméditation ? Comment, questionnent plusieurs, peut-on être à ce point démoralisé pour s’attaquer ainsi, contre toute attente, à des êtres aussi vulnérables, des enfants apparemment chéris par lui jusqu’aux derniers instants ? Était-il fou ou trop jaloux ? A-t-il été submergé par la colère et par un esprit vengeur ? Peut-il et doit-il être tenu criminellement responsable de ses actes ? Quel sort légal, la froide loi des hommes, est alors réservé au meurtrier infanticide ?

    « Ni rire ni pleurer mais comprendre », disait Spinoza. Mais qu’y a-t-il à comprendre ? Suffit-il de s’en tenir à la fragilité psychologique du personnage pour neutraliser le désir de justice à l’égard des jeunes victimes et de la mère à jamais privée d’eux ? Assurément non, justice doit être rendue. Un procès s’ouvre donc qui fera entendre les protagonistes de ce drame sanglant. Le moment est venu de s’en tenir aux faits, de les regarder et de les évaluer objectivement, raisonnablement, affranchis surtout de la vindicte populaire. La cause sera donc entendue.

    1.2. LE PROCÈS

    Les familles prennent place dans la salle d’audience qu’elles ne quitteront pas avant la fin ; elles assisteront au récit méticuleux de la séquence des événements. Une mer de souffrance, commentera un psychiatre. L’accusé ex-cardiologue est requis de s’expliquer, de reprendre par le détail ce geste insoutenable. Ce qu’il fait de manière lente, laborieuse mais contenue. Précédant ce récit pathétique, ceux de la mère et des amis du couple, des familles proches et des spécialistes de tout acabit. Puis le croisement dialectique bien sûr des objections des avocats de la défense et de la Couronne. Dans un ultime effort d’argumentation, il faut convaincre les maîtres des faits – les membres du jury – de la justesse des thèses soutenues. Ces deux protagonistes doivent à l’évidence maîtriser cette grammaire de l’affrontement tant il est vrai que le tribunal est, en démocratie, le lieu d’une institutionnalisation sophistiquée des débats. Et c’est bien sûr le juge lui-même qui verra au respect scrupuleux des règles de procédure. Ainsi les avocats de la Couronne et ceux de la défense croiseront-ils le fer sur la preuve de bonne réputation que veut faire valoir ce dernier.

    1.3. LE VERDICT

    Après deux mois et demi de procès et six jours de délibération du jury, un verdict tombe enfin : le docteur sera déclaré non criminellement responsable. Telle est la conclusion à laquelle en sont arrivés ses pairs, 11 jurés. Le sort en est jeté : il sera soigné et non puni pour ce geste odieux qu’il a commis. Le verdict indigne une population qui s’active et se déchaîne de nouveau. Le bon sens s’égare dans toutes les directions ; les idées reçues, nombreuses en pareille matière, reprennent du service : on ne fait pas ça à des enfants ; il a eu de trop bons avocats ; il a attendri ou manipulé les jurés qui se sont trop facilement laissé émouvoir ou impressionner par son statut professionnel ; les futurs « assassins d’enfants » s’en sortiront dorénavant plus facilement n’ayant qu’à évoquer cette macabre jurisprudence, etc. Les juristes, psychiatres et psychologues s’entendent pour reconnaître le caractère exceptionnel de ce procès et la place qu’il occupera à jamais dans les annales judiciaires et peut-être même psychiatriques.

    Mais outre la dimension juridique de ce cas, exceptionnel par sa dureté et par la complexité indiscernable des mobiles, il y a un enchevêtrement inextricable de plusieurs dimensions. La dimension psychologique d’abord : qu’est-ce qui lui est passé par la tête ? Avait-il perdu contact avec la réalité ? S’agit-il, ainsi que l’a prétendu un expert, d’une forme de suicide élargi ? Était-il dans un état modifié de conscience, un sujet dissocié devenu étranger à lui-même, atteint en quelque sorte de mélancolie délirante ? Comment expliquer, plus largement, le fonctionnement psychique d’un être humain sans verser dans une explication réductrice ? Apparaît ici l’extrême complexité de l’être humain, dont on dit qu’il est ni ange ni bête. Quelque part entre les deux, jamais complètement l’un, jamais complètement l’autre. Et que de paradoxes dans ce drame bouleversant : comment un sauveur de vies, par définition empathique à la souffrance des autres et généralement pacifique a-t-il pu défaillir ainsi ? Pourquoi, à distance de son désespoir, ne pas avoir mobilisé toutes ses ressources, exceptionnelles dans son cas ? Intellectuelles, sociales, professionnelles, financières.

    Force est d’admettre ici le caractère impénétrable d’une bonne partie, la partie irrationnelle, de la psyché humaine. Puis la dimension relationnelle ou familiale : peut-on en vouloir à ce point à son ex-conjointe pour lui ravir de la sorte ses enfants en toute conscience ? Pour les instrumentaliser jusqu’à la mort ? Les proches si cruellement endeuillés pourront-ils un jour lui pardonner ? Le doivent-ils ? Et pardonner dans ce cas, cela ne reviendrait-il pas à l’excuser ?

    Dimension morale, enfin, qui soulève la question du mal ou du préjudice fait à autrui et qui rappelle les exigences de la responsabilité, du devoir de répondre de ses actes, de s’en rendre imputable ; devoir de bienveillance aussi bien à l’endroit des enfants ou des êtres vulnérables. Devoir de contrôle, surtout, des pulsions meurtrières auquel est convié tout être humain obligé, par définition, de vivre en société. Devoir de respect enfin sur quoi repose notre statut ontologique d’être humain : « Serait-il vraiment humain, l’homme qui ne respecterait rien ni personne ? » (Kirscher, 2004, p. 1675). Tiennent ainsi dans une toute petite phrase les enjeux fondamentaux de la vie morale : le souci qu’il doit humainement avoir de lui-même et des autres. L’homme est précisément celui à qui on demande d’être le sujet responsable de ses actes, capable donc d’en répondre et d’en assumer les conséquences. Sujet de qui on exige une certaine qualité de rapports affectifs aux autres, des efforts d’accomplissement de soi et de respect de la dignité et de l’intégrité d’autrui.

    La morale s’est manifestement développée pour l’ensemble de ces motifs, pour humaniser la vie et lui conférer un sens, pour protéger les plus faibles contre l’assaut destructeur des plus forts ; pour convenir aussi de l’imputabilité des offenses commises, juger et rendre justice correctement. Mais qu’en est-il au juste de la morale ou de l’éthique dont nous ne saurions faire l’économie dans une société civilisée ? Qu’est-ce qui a poussé l’humanité dans le sens d’une moralisation progressive des conduites ? Quel rapport l’éthique entretient-elle avec les autres formes de régulation sociale, et notamment, la dimension juridique ou politique de la vie en société ?

    Ce premier chapitre entend clarifier le sens de ces questions et rappeler, bien que brièvement, les réponses possibles léguées par ceux et celles qui, en psychologues, sociologues ou philosophes, s’y sont radicalement confrontés. Des réponses multidisciplinaires qui s’inscrivent désormais dans une longue et riche tradition de pensée et d’action dont nous sommes les héritiers. Un héritage qu’il nous faut reconnaître et assumer.

    2. L’ÉTHIQUE, CONDITION ET ABOUTISSEMENT D’UN PROCESSUS ÉVOLUTIF

    Souci fondamental depuis Socrate : Comment doit-on vivre ? Qui prétend traiter sérieusement de l’existence humaine ne peut passer à côté de cette difficile question. Platon a prétendu que seule la philosophie, et en outre la philosophie morale, pouvait y répondre de manière décisive. Mais une prétention contestable aujourd’hui. Cette question en effet, affirmeront certains, peut être affrontée sans devoir s’en remettre à la pensée éthique qui se serait malheureusement alourdie de théories morales inutilement sophistiquées. Ce fut le cas notamment pour Bernard Williams, philosophe anglo-saxon du XXe siècle, qui, tout en reconnaissant que la philosophie fait un usage particulier de la réflexivité, ne peut en revendiquer le monopole :

    La philosophie part de questions qu’elle peut et devrait poser sur les chances que nous avons de découvrir la meilleure façon de vivre. En chemin, elle découvre comment elle peut y contribuer au moyen de méthodes discursives d’analyse et d’argumentation, de l’insatisfaction critique, et d’une comparaison imaginative des possibilités : toutes choses dont elle tente, le plus spécifiquement, d’enrichir nos ressources ordinaires de connaissance historique et personnelle (Williams, 1990, p. 10).

    Retour ou réhabilitation moderne du sens commun apte à traiter des enjeux propres à la moralité. La question morale est redevenue l’affaire de tous. Cette question venue de Socrate réfère, nous le voyons bien, à une vie généralement bonne, à une manière de vivre qui échappe à la perspective étroite d’un ici et d’un maintenant autrement plus accessibles et rassurants.

    L’éthique ou la morale (pour autant que nous les confondions) entend répondre à cette question fameuse de « la vie digne d’être vécue » ; elle suppose une rupture, sinon un dépassement de notre être naturel dans sa logique pulsionnelle, celle-là toujours égoïste et autocentrée. Spinoza parlera de ce dynamisme primaire comme de la tendance fondamentale pour tout être vivant à persévérer dans son être, à soumettre les autres à sa volonté particulière et cela dans le sens primitif de ses propres intérêts. Cette destructibilité potentielle, en partie explicable par la loi de la survie et donc soumise à la logique implacable des besoins vitaux, inscrit tout naturellement la vie de relation dans des rapports de méfiance et d’affrontement. Aussi la moralité naîtra-t-elle dans l’esprit humain du désir de transcender cette redoutable naturalité et de la nécessité anthropologique de maîtriser le déchaînement des pulsions¹.

    Et si nous regardons la chose d’un point de vue psychologique, il est possible de voir jusqu’à quel point tout être humain, à l’origine trempé dans la croyance primitive et magique en son omnipotence, sera appelé à surmonter ce narcissisme primaire (Winnicott, 2004). Le bébé humain manifeste bien sûr, des capacités d’amour et d’attachement, mais tout son potentiel fait fond sur une destructibilité naturelle qui sera cependant sublimée à la faveur d’une transformation en désir de protéger ceux qu’il aime, de réparer, de construire et d’être responsable (Winnicott, 2004).

    Ce psychanalyste évoque un processus mental de maturation affective qui, à la faveur d’un environnement adéquat, offre à l’enfant une alternative à la destruction et donne lieu à un élan constructif :

    L’édification de la personnalité a pour objectif, entre autres, de donner à l’individu la possibilité d’exploiter au mieux ses pulsions. Cela implique qu’il soit capable de reconnaître sa propre cruauté et sa propre avidité, lesquelles peuvent à ce moment-là, et à ce moment-là seulement, être utilisées en vue d’une activité de sublimation (Winnicott, 2004, p. 20).

    On reconnaîtra l’empreinte théorique de Freud qui a pensé le processus civilisateur sur la base d’un remaniement salutaire de l’énergie pulsionnelle, narcissique et antisociale à l’origine. Ici, l’ontogénèse (le développement physique, psychologique, intellectuel et moral de l’individu) récapitulera les évolutions phylogénétiques. Nous ne saurions douter que l’éthique impliquant un processus intrinsèque de sublimation de la violence ou d’une pulsionnalité sauvage soumet la personnalité à l’effet structurant de l’obligation ou de la contrainte morale.

    La mise en place de la prescription morale apparaît alors comme condition et comme aboutissement d’un processus évolutif : il faut être minimalement moralisé pour évoluer vers plus d’humanité, et l’humanisation des conduites résulte de cette moralisation même. Il y a toujours en effet ce besoin ou cette nécessité anthropologique de canaliser l’agressivité, de neutraliser cette destructibilité potentielle. Éducabilité donc de l’humain chevillée, par essence, à la relation d’autorité : « Le rôle des parents et des enseignants est de veiller à ce que les enfants ne soient jamais confrontés à une autorité si faible qu’elle les pousse à faire n’importe quoi ou les incite, parce qu’ils ont peur, à assumer eux-mêmes l’autorité » (Winnicott, 2004, p. 25).

    C’est elle la fameuse et parfois lassante prescription morale, qui fait entrer l’esprit dans l’univers symbolique des normes toujours déjà sociales et donc contraignantes :

    L’homme en tant qu’être moral, c’est-à-dire au sens strict se trouve toujours pourvu de règles ; bien plus, il est incapable de s’imaginer dans un état sans règles. Seul l’homme suit des règles parce que seul l’homme peut ne pas les suivre. Et, en fait assez souvent, ne les suit pas. C’est en tant qu’être violent qu’il est moral, en tant que transgresseur qu’il a conscience des règles (Weil, 1987, p. 20-21).

    Ainsi faut-il comprendre le développement de la compétence éthique de l’homme comme un effort pour construire un monde plus rationnel, plus convivial et plus coopératif dont les fins seraient liées à l’exercice de la liberté et au sens des responsabilités. Processus naturel qui, chez l’homme en tant qu’être conscient de lui-même et des autres, devient processus culturel (Rousseau, 1997). Mais qu’est-ce que la culture, cette fameuse seconde nature de l’homme ?

    Ducat et Montenot la présentent en ces termes :

    […] l’ensemble des activités de l’homme en tant que celles-ci supposent la réflexion. La culture commence donc dès qu’un être vivant commence à aménager son milieu environnant selon les intentions qui ne sont pas fixées seulement par des déterminismes naturels… L’ensemble des activités par lesquelles l’homme s’est donné les moyens d’instaurer avec la nature et lui-même une relation réfléchie et libre… C’est en apprenant peu à peu à maîtriser diverses sortes d’activités que s’est formée la culture humaine. Tout au long du processus d’hominisation, l’homme a vu s’affiner ses modes de communication pour en venir finalement à inventer le langage. Chaque individu doit, à son tour, dès les premiers mois de sa vie, passer par l’apprentissage d’une langue, c’est-à-dire, réaliser cette fonction du langage qui est condition d’accès à la dimension symbolique de l’existence humaine. C’est parce que l’homme est susceptible de vivre son rapport à la réalité en lui donnant un sens symbolique que l’humanité accède à la dimension productrice de formes symboliques qu’on appelle culture (Ducat et Montenot, 2006, p. 162-163).

    Aussi la société humaine doit-elle être éthiquement reproduite : « La vie éthique n’est pas une chose donnée de façon unitaire. Elle comporte diverses possibilités d’éducation, de décision sociale, et même peut-être de régénération personnelle » (Williams, 1990, p. 58). Vie et pensée éthiques, vie et action morale, quelle différence ? Faut-il isoler ou départager ce qui relève de la normativité et des attentes sociales et ce qui relèverait des dispositions et des convictions personnelles ? Convient-il alors de distinguer éthique et morale ? Si oui, sur quelle base ? Questions ouvertes, réponses controversées.

    3. DE LA DIFFÉRENCE ENTRE LA MORALE ET L’ÉTHIQUE

    L’éthique au regard de plusieurs philosophes se définit comme un art de vivre et comme l’effort réflexif soutenu sur les moyens de parvenir au bonheur. Elle a une dimension à la fois théorique portant sur des principes et pratique dans la mesure où elle renvoie à des réalités concrètes ; elle est, selon le style particulier de chacun, une sorte de science des manières d’être avec les autres et de faire les choses. L’éthique s’affirme par ailleurs comme le creuset des valeurs intellectuelles et morales ; elle est l’expression de la vertu, la manifestation des forces de l’âme et des qualités du cœur. Émanant de l’intériorité de la conscience, elle en appellerait toujours à la véridicité et à la rectitude morale. L’exigence éthique est d’abord vécue sur le mode subjectif puis intersubjectif dans la mesure où, comme le souligne Morin, tout regard sur l’éthique « doit percevoir que l’acte moral est un acte individuel de reliance : reliance avec autrui, reliance avec une communauté, reliance avec une société et, à la limite, reliance avec l’espèce humaine » (Morin, 2004, p. 16).

    Voici une première définition possible de l’éthique ou de la morale :

    La morale s’adresse aussi à l’individu dans son intériorité la plus radicale (le secret de sa conscience) et exige beaucoup de lui, prescrivant à la foi comment il faut agir (suivant quels principes) et dans quel but (défini comme étant le bien, rapportable au bonheur). Elle lui enjoint de faire bon usage de sa liberté, de remplir ses devoirs, non parce que c’est là un gage de tranquillité voire d’estime d’autrui mais parce que telle est la voie unique pour que l’homme s’éprouve comme autre chose qu’un sac d’organes à nourrir, bref pour qu’il dépasse son animalité foncière (Ducat et Montenot, 2006, p. 565).

    Ruwen Ogien résume assez bien par ailleurs la tension – factice et obscure selon lui – entre les deux concepts d’éthique et de morale :

    Tantôt l’éthique concerne le rapport à soi et la morale le rapport à l’autre. Tantôt l’éthique est du côté du désirable, et la morale du côté de l’interdit et de l’obligatoire. Tantôt l’éthique est du côté de la critique et de l’invention, et la morale du côté de la conformité. Mais que serait une éthique qui ne serait nullement concernée par le rapport aux autres ou qui se passerait complètement des notions d’interdiction ou d’obligation ? Que serait une morale qui n’aurait aucune dimension créatrice et critique ou qui n’aurait rien de désirable ? (Ogien, 2011, p. 312).

    Bruno Giuliani maintient au contraire qu’il existe une différence essentielle entre morale et éthique. Celle-ci relève d’un esprit libre, critique et raisonnablement accordé au réel, celle-là d’un certain conformisme moral ou idéologique (Giuliani, 2000). La réflexion éthique s’oppose ici au respect dogmatique d’une morale codifiée ou d’un devoir-être potentiellement étrangers au réel ou au bonheur individuel. Voilà bien d’ailleurs le danger du moralisme et des donneurs de leçons ! Le moraliste en effet veut changer ce monde qu’il n’aime pas. Remarquable par sa haine du réel, son esprit intolérant et culpabilisateur, il ne supporte pas le caractère tragique et incertain de l’existence. Le moraliste est celui qui condamne et cherche à plier le monde réel à l’ordre de ses principes ou de ses valeurs idéales. Trempé dans l’idéologie, il pourrait être décrit comme ce fanatique monomaniaque dont le tueur norvégien, Anders Breivik, offre la version la plus radicale et la plus pathétique, l’exemplification de ce que serait un esprit borné et trop obsédé par une seule idée. Vincent Descombes associe d’ailleurs l’idée d’une focalisation mentale excessive à une forme de débilité :

    […] la concentration d’une passion sur un seul but particulier (paternité, richesse, puissance, art, etc.) ne produit une intensification de l’énergie qu’au prix d’un rétrécissement de l’horizon intellectuel et moral du personnage et qu’elle conduit finalement à une forme de débilité et d’idiotie (Descombes, 1998, p. 122).

    Quiconque veut aborder les choses avec un peu plus de philosophie opte à l’inverse pour un effort de compréhension plus affinée et mieux avisée du monde. D’où la nécessité d’une critique lucide de toutes les morales constituées. Telle est d’ailleurs la redoutable posture nietzschéenne.

    André Comte-Sponville annexant d’entrée de jeu la morale à l’idée de liberté et au principe d’autonomie aborde la question de la morale (ou de l’éthique) sous un angle différent :

    On se trompe sur la morale. Elle n’est pas là d’abord pour punir, pour réprimer, pour condamner. Il y a des tribunaux pour ça, des policiers pour ça, et nul n’y verrait une morale. Socrate est mort en prison, et plus libre que ses juges. C’est là où la philosophie commence, peut-être. C’est où la morale commence, pour chacun, et toujours recommence : là aucune punition n’est possible, là aucune répression n’est efficace, là où aucune condamnation, en tout cas extérieure, n’est nécessaire. La morale commence où nous sommes libres ; elle est cette liberté même, quand elle se juge et se commande (Comte-Sponville, 2000, p. 17).

    La morale, poursuit-il, est ce que chacun exige de lui-même, indépendamment du regard des autres ou d’une sanction éventuelle. La morale s’exerce en fonction d’une certaine conception du bien et du mal, du devoir et de l’interdit : « Concrètement : l’ensemble des règles auxquelles tu te soumettrais, même si tu étais invisible et invincible » (Comte-Sponville, 2000, p. 19). La morale est dans cette perspective tout entière suspendue à la question centrale du Que dois-je faire ? et non pas à la question qui seule intéresse le moraliste du Que doivent faire les autres ? Et la vie morale, tout bien considéré, repose sur le socle du sentiment de la dignité :

    C’est respecter l’humanité en soi et en l’autre. Cela ne va pas sans refus. Cela ne va pas sans combat. Il s’agit de refuser la part de toi qui ne pense pas, ou qui ne pense qu’à toi. Il s’agit de refuser, ou en tout cas de surmonter, ta propre violence, ton propre égoïsme, ta propre bassesse. C’est te vouloir homme ou femme, et digne de l’être (Comte-Sponville, 2000, p. 25).

    Bernard Williams présente pour sa part la moralité impliquant l’idée d’obligation

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