Découvrez des millions d'e-books, de livres audio et bien plus encore avec un essai gratuit

Seulement $11.99/mois après la période d'essai. Annulez à tout moment.

Priorités actuelles et futures : Tome 2
Priorités actuelles et futures : Tome 2
Priorités actuelles et futures : Tome 2
Livre électronique489 pages5 heures

Priorités actuelles et futures : Tome 2

Évaluation : 3 sur 5 étoiles

3/5

()

Lire l'aperçu

À propos de ce livre électronique

La qualité des ressources humaines - La place des femmes dans les organisations - L'environnement - La diversification des mentalités et des cultures d'entreprise - Les nouvelles techniques d'information et de communication.
LangueFrançais
Date de sortie22 avr. 2011
ISBN9782760527140
Priorités actuelles et futures : Tome 2

En savoir plus sur Roger Tessier

Auteurs associés

Lié à Priorités actuelles et futures

Livres électroniques liés

Gestion des ressources humaines et du personnel pour vous

Voir plus

Articles associés

Catégories liées

Avis sur Priorités actuelles et futures

Évaluation : 3 sur 5 étoiles
3/5

1 notation0 avis

Qu'avez-vous pensé ?

Appuyer pour évaluer

L'avis doit comporter au moins 10 mots

    Aperçu du livre

    Priorités actuelles et futures - Roger Tessier

    Québec

    Introduction

    Nous sommes en 1990 et quiconque voudra prendre la relève de ceux et celles qui ont assumé la responsabilité d’intervenir auprès des organisations et des communautés en vue d’en améliorer le fonctionnement, tout en favorisant un système de valeurs démocratique et humaniste, fera bien d’accorder attention à quatre problématiques prioritaires :

    La forme même des organisations est à repenser. Une matrice ouverte au changement constant devra se substituer à une structure fixe et rigide, trop bien définie.

    Les institutions devenant plus fluides, le facteur humain sera dorénavant plus déterminant que jamais. D’où la très grande importance d’assurer leur pleine mesure de développement aux ressources humaines. Les organisations — devant tant de turbulences et face à un processus continu d’innovation — ne pourront que compter plus que jamais sur des ressources humaines de grande qualité, motivées et polyvalentes. Parmi ces ressources humaines, une attention très particulière devra être apportée aux femmes. Elles sont de plus en plus nombreuses sur le marché du travail, et il faudra faire justice à leurs talents, en faisant reculer des mentalités archaïques et rétrogrades, qui tardent à leur reconnaître une véritable égalité avec leurs collègues masculins.

    Au plan des valeurs, les sociétés postmodernes connaîtront d’importantes mutations. Souvent aux dépens de mentalités traditionnelles donnant beaucoup de poids aux institutions et aux communautés, les nouvelles valeurs accorderont la préséance au cheminement de l’individu et à l’acceptation de l’incertitude. L’idée d’autorité aura tendance à régresser, de même que les différences trop marquées entre les genres, masculin et féminin.

    Les nouvelles techniques d’information et de communication offrent un important potentiel de développement social. Pour les organisations, sans doute, mais pour la vie sociale dans son ensemble. Il faudra prendre la véritable mesure de telles promesses, dans un effort d’imagination qui transcende la pensée magique et se montre capable d’identifier les éléments proprement sociaux qui serviront de conditions essentielles à une véritable mise en valeur des techniques aux bénéfices des sociétés.

    Pour Robert Schneider et Pierre Collerette, l’histoire avance par crises, et l’histoire des formes de l’organisation moderne a dû en traverser trois depuis le début de ce siècle. Le début du XXe siècle marque, en réalité, la disparition, ou mieux la marginalisation de l’artisanat comme mode de production et d’organisation du travail. L’industrialisation suppose la standardisation, et sur ce point le « facteur humain » a été soumis à rude épreuve par le taylorisme. Autour de 1960 se fait jour une seconde crise, culturelle, celle-là. À la première crise, l’organisation a répondu en se bureaucratisant. Et c’est contre la bureaucratie et ses dysfonctions que s’exprimeront de fortes revendications participatives. Graduellement, ces revendications seront elles-mêmes marginalisées. Elles n’auront pas influencé de manière très palpable l’essentiel de la figure bureaucratique ni dans les formes ni dans la culture des organisations.

    Au tournant des années 80 apparaît une troisième crise économique et globale. Devant cette crise, trois réponses possibles : sauver les meubles, s’en tenir à la tradition ou projeter dans l’avenir des solutions de rechange au modèle bureaucratique.

    Il faut inventer un modèle d’organisation dynamique et polyvalent où la variable lourde sera l’interface entre l’organisation et l’environnement (plutôt que la technologie comme jadis) et qui donnera des rapports fonctionnels souvent de plus courte durée et qui compteront plus que des rapports hiérarchiques classiques.

    Il existe, selon Jean-Paul Lafrance, un véritable mythe du « réseau ». Le modèle organisationnel est allégé — qu’il s’agisse de réseaux de personnes, horizontaux et verticaux, internes ou externes. Il existe également des réseaux de réseaux. À l’intérieur de tels réseaux se pratiquent d’innombrables communications : point à point, point à masse, multipoints à groupes.

    Avec le knowledge navigator dans la chaise du patron, l’organisation se développe en interconnectant des systèmes de communication, hommes-hommes ou hommes-machines. La multilatéralité et la multiplexité des échanges sont, au moins en théorie, garantes d’une plus grande adaptabilité. Par contre, dans l’organisation-réseau, pourront se manifester des aliénations plus subtiles, « parce que camouflées dans la machine et les procédures d’asservissement » .

    C’est devenu un truisme, selon Roger Tessier, d’affirmer que le monde où nous vivons se complexifie sans cesse et que la complexité est un trait caractéristique majeur de notre époque. Bien que sur certaines scènes les choses soient appelées aussi à se simplifier. L’inventivité technique tout entière court à la simplicité. Les robots simplifient le processus de production, en dépit de leur complexité interne.

    À l’échelle de l’organisation, on peut poser le problème de la complexité à trois niveaux : le rapport entre l’organisation et l’environnement, la structure interne de l’organisation, la motivation des participants. Le rapport avec l’environnement va dans le sens d’une complexité sans cesse accrue (réglementation, diversité des publics, approvisionnements, transports et communications). La structure interne s’est complexifiée bien qu’on puisse aussi citer des cas de véritable simplification (ex. : la décentralisation d’un grand complexe simplifie les procédures). Pour une majorité des acteurs et des actrices, la motivation s’est également beaucoup complexifiée. Les enjeux de carrière et de développement mettent en cause des ajustements psychologiques très subtils et faciles à déséquilibrer.

    Jean Pasquero fait observer que l’importance de la stratégie de l’organisation face à son environnement n’est pas une innovation récente. Ce qui est nouveau c’est la grande importance acquise par la société politique au sein de cet environnement. La carte complexe des réseaux de pouvoir (services et systèmes gouvernementaux, mais aussi opinion publique, groupes de pression, mouvements sociopolitiques divers) crée d’énormes pressions sur les entreprises. Elles sont de plus en plus soumises à une constante surveillance, à laquelle elles réagissent en devenant extraverties. Elles se perçoivent de plus en plus liées à la société et elles doivent se munir de systèmes (ex : division des affaires publiques) leur permettant de bien identifier les transformations sociales, changements dans les mentalités, apparitions de mouvements sociaux et de groupes sociaux divers, de manière à y assumer des fonctions dans un respect plus efficace des intérêts collectifs et des valeurs communes de la population.

    Les femmes ont fait beaucoup de chemin et leur présence sur le marché du travail est de plus en plus perceptible. Mais, comme le fait remarquer Simone Landry, la discrimination contre l’élément féminin de la main-d’œuvre demeure un trait marquant de la vie au travail, à tous les niveaux des hiérarchies. Dans beaucoup d’entreprises, les femmes sont confinées à des emplois inférieurs. On les trouve sous-représentées dans les postes les plus élevés. On commence à peine à leur confier des responsabilités de tout premier plan. À d’autres égards, on observe plutôt de véritables ghettos d’emplois féminins (emplois de type col rose, sans débouchés, tâches semi-bureaucratiques ou semi-professionnelles). Le double statut de mère et de travailleuse complique la vie des femmes — et sur ce point, les politiques sociales sont plutôt hésitantes. De toute façon, la norme demeure à travail égal, salaire inégal, dans un grand nombre de secteurs. Il n’est pas facile de briser les préjugés sexistes, et de ne pas cantonner les femmes dans des rôles sexuels, ce qui serait une manière sournoise de leur barrer l’accès à une vraie parité.

    Un des paradoxes de notre époque paraît à la lecture successive de Simone Landry et de Richard Berkhard. Un certain recul des hommes de classe moyenne élevée coïncide avec un investissement accru de la part des femmes. À maints égards, le « nouvel homme » décrit par Berkhard a refait son système de valeurs en atténuant les accents travail, action, organisation, au profit de valeurs affectives, plus passives, soit une vie familiale plus soutenue. Autant que 70 % des cadres aspirent à une retraite anticipée. Parmi les valeurs qui ont chuté, une certaine conception de la loyauté cadre-entreprise. Les « cadres » sont très mobiles. Ces dernières années, la mobilité s’est multipliée de beaucoup et a pris la forme de mutations professionnelles, souvent inattendues, dans une même carrière de vingt à trente ans. Les modèles de réussite se pluralisent. Mais il y a aussi des « recallés », malheureux et improductifs ne se branchant pas dans le nouveau modèle pluraliste.

    C’est du pluralisme des valeurs dont justement nous entretient Yvan Corbeil. Celui que constate à travers le monde (vingt pays membres du RISC) l’interrogation par questionnaire d’échantillons représentatifs d’hommes et de femmes, de manière à avoir accès à leurs valeurs concernant de multiples . aspects de leur vie (santé, consommation, loisirs, sensibilité esthétique, idéologie, etc.), à leurs valeurs, et aux diverses manières dont elles se structurent en systèmes. Dans les sociétés industrielles, il existe une tendance marquée vers l’apparition de plusieurs sous-cultures. Au Canada et au Québec, on peut distinguer trois grands sous-groupes : les conformistes, les critiques et les « informels ». C’est le troisième groupe qui a progressé le plus dans toutes les sociétés où l’on a pratiqué ce genre d’enquête — le suivi socioculturel.

    Dans ce type de contexte pluraliste, tolérant et légèrement anomique, l’individu est conduit à s’approprier ses valeurs. L’intégration de l’incertitude, la valorisation du cheminement personnel sont des valeurs à la hausse. L’idée d’autorité, quant à elle, est en nette régression.

    Bien des entreprises perdent pied, l’écart s’agrandissant entre les exigences et les rigidités bureaucratiques du « système » et certains des traits principaux de la nouvelle culture émergeante, libertaire et anti-conformiste. Samir Kodsi a observé avec quelle désillusion apparaît aux travailleurs et travailleuses qui viennent d’accéder à une mentalité où la jouissance et l’expression tiennent beaucoup de place, le monde frustrant et incolore des contraintes économiques et des systèmes de contrôle et de régulation dont doivent se munir les entreprises ayant à subir des phases de contraction économique. Compte tenu des défis posés par le nouvel environnement économique (mondialisation, libre-échange, etc.), il faudra que l’entreprise et la main-d’œuvre concluent un pacte (le syndicalisme y trouvera-t-il une seconde mission ?) où se conjugue une marge accrue d’autogestion individuelle et de discipline collective. Une telle discipline ne peut relever que de la responsabilisation des individus. Il faut aussi apprendre à gérer par anticipation, proposer une vision intégrée des opérations et des ressources humaines.

    Si le point de vue de consultation en développement organisationnel (Samir Kodsi, ci-haut) préconise une vision intégrée des opérations et des ressources humaines, le niveau macroscopique d’analyse proposé par le sociologue Serge Proulx veut lui aussi que les ressources humaines s’adaptent créativement au développement technique. Un tel développement peut se faire de manière telle, au plan politique et économique, qu’il favorise l’auto-appropriation de la technique, au lieu de contribuer à accroître l’aliénation du public au profit des technocrates. L’informatique domestique représente un échec, en matière de pénétration du marché et de différenciation fonctionnelle. Par contre, l’informatique a connu une montée fulgurante dans le secteur tertiaire. Nul doute que l’informatisation — dans tous les secteurs de l’économie — est partie intégrante des stratégies de développement économique. La forme de la technique informatique est porteuse d’une réforme sociale égalitariste. Ce qui renforce l’urgence d’une démocratisation de l’accès aux techniques et du recul de l’analphabétisme informatique.

    Le mythe de la société de l’information, selon Jean-Pierre Boyer et Danielle Lafontaine, renvoie au besoin de donner un sens en rassemblant les situations. Le changement est partout perceptible et le vocabulaire de l’époque en parle nettement : virage, crise, révolution, sortie de crise, voies nouvelles, etc.

    Les systèmes sociaux contemporains sont extrêmement vulnérables ; les projets des acteurs sont polyvalents, il n’est pas facile de maîtriser leurs orientations. Ceci introduit un net désarroi dans le contrat social classique. Au moment où l’informatique légitimise une mise à distance des acteurs, ce sont les représentations mêmes de la vie en société, des règles qu’elle suppose, qui sont en train d’être repensées.

    Au plan des modèles conceptuels et des théories sur lesquelles voudraient s’appuyer les héritiers de la recherche-action, pour faire face à un monde plus complexe et allant de plus en plus vers une certaine globalisation, Robert Sévigny propose que la psychosociologie s’ouvre beaucoup plus aux environnements — sociaux, économiques, culturels, naturels — des organisations. Dans les modèles actuels, les références à l’environnement sont implicites (ex. : aux appartenances sociales extra-organisationnelles des participants des systèmes clients). La prime est accordée à la distinction entre le formel et l’informel à l’intérieur de l’organisation, et l’environnement, particulièrement sociétal, est gardé implicite dans la presque totalité des analyses, aussi bien celles des théoriciens du domaine que celles, plus intuitives, inhérentes aux diagnostics des praticiens.

    Aucun des trois grands points d’entrée classique : la technique, la structure, la culture ne détient — ni en théorie ni dans les faits — un statut de variable souveraine. Roger Tessier montre les limites des modèles simples. Une organisation est à la fois une culture, un système technique et une structure de pouvoir (et, pour égaler la complexité des organisations concrètes, une écologie). Des organisations formelles auraient à prendre la relève de la psychosociologie en articulant dynamiquement les rapports de l’organisation à divers niveaux et types d’environnements : sociétaux, culturels, naturels, économiques. Les événements sont toujours, à la fois, locaux et globaux, et la psychosociologie est en attente d’assumer véritablement l’environnement, à l’intérieur d’une écologie organisationnelle complexe.

    1

    Les modèles organisationnels

    en mutation

    Robert SCHNEIDER

    Pierre COLLERETTE

    Introduction

    Comme toutes les démarches qui tentent d’apprivoiser le futur, notre entreprise est à la fois audacieuse et ambitieuse. Surtout à une époque où se conjuguent simultanément autant de variables conflictuelles. Mais rassurons-nous, notre discours n’a rien d’un évangile sur les nouvelles vérités du jour. Il propose beaucoup plus modestement une réflexion qui s’aventure sur le terrain glissant de l’avenir, une réflexion qui cherche à comprendre la portée des difficultés fondamentales que posent aujourd’hui les modèles organisationnels courants et qui propose un certain nombre de propriétés mieux adaptées au contexte des organisations dites du futur. C’est donc un effort pour définir les particularités d’un modèle organisationnel que l’on pourrait qualifier en quelque sorte d’alternatif...

    Le début difficile des années 80 a incité nombre d’auteurs à s’engager dans une démarche semblable à celle-ci. Un climat de morosité s’était installé au sein de plusieurs organisations, alimenté non seulement par la récession économique et ses conséquences, mais également par l’absence de perspectives ou d’issues par rapport aux diverses tensions en présence.

    L’envergure des déficits publics, la disproportion des coûts de production dans plusieurs secteurs, le niveau généralisé de démobilisation, la persistance d’un taux de chômage élevé, le drame des jeunes sans emploi, la marginalisation persistante des femmes, l’échec relatif de plusieurs tentatives de décentralisation et de distribution économique, la croissance constante des technostructures, la contagion de l’épuisement professionnel et la vétusté de certains équipements constituaient autant d’éléments susceptibles d’engendrer une véritable moisson d’efforts et de tentatives pour répondre aux indices de la nouvelle crise qui s’amorçait. En ce sens, notre démarche n’a rien d’original.

    Par contre, la plupart de ces contributions nous posent un problème. Pour n’en citer que les plus populaires, les modèles qui cherchent à bonifier les pratiques de communication, ceux qui tentent d’enrichir les systèmes de gestion de l’information, ceux, encore, qui proposent une responsabilisation accrue des gestionnaires (imputabilité) ou ceux, finalement, qui cherchent à recoudre le tissu des relations intergroupes ne sont pas, du moins selon notre expérience de la pratique organisationnelle, des mesures qui s’adressent aux fondements du malaise qu’éprouvent actuellement bon nombre de nos grandes entreprises.

    Selon notre analyse, ce sont des prescriptions qui ne peuvent, au mieux, qu’atténuer les tensions. La rupture qui s’est produite au début des années 80 résulte d’une confusion de facteurs qui mettent en cause les fondements mêmes de nos conceptions et de nos orientations face aux organisations. Les malaises que connaissent présentement les organisations n’originent pas nécessairement d’une gestion inadéquate ; ce sont les conséquences engendrées par un régime organisationnel devenu inadapté, qui n’arrive plus à produire de véritables moyens correctifs.

    En effet, beaucoup d’indices portent à croire que les organisations font face depuis peu à une conjoncture tout à fait particulière à laquelle les solutions du passé ne peuvent plus répondre. Il ne suffit plus de rechercher de nouveaux « vernis » organisationnels, c’est au plan du paradigme que la dynamique est en train de se dérouler.

    L’incapacité des modèles traditionnels à générer des pistes susceptibles de mobiliser les organisations fait en sorte qu’il faut se détourner de l’héritage du passé et chercher plutôt des visions novatrices, en accord avec les données de la conjoncture actuelle.

    C’est un début de recherche dans cette voie que nous proposons. Par ailleurs, il fallait rester en contact avec la réalité actuelle afin d’éviter le fantastique et l’imaginaire. Jusqu’à un certain point, il fallait que notre démarche réussisse à conjuguer la rupture et la continuité. C’est le défi de la réflexion que nous proposons.

    Regardons d’abord comment on peut circonscrire plusieurs des malaises qu’éprouvent actuellement les organisations.

    La crise actuelle des organisations

    Pour la troisième fois en moins de 100 ans, les entreprises nord-américaines vivent une crise qui les invite à repenser complètement les fondements de leurs orientations, de même que les bases de leurs fonctionnements.

    Pour bien saisir cette troisième crise, examinons brièvement la nature des deux crises précédentes.

    La première s’est produite au début du siècle, à la suite de la transformation des procédés de fabrication. Avant la révolution industrielle, les organisations fonctionnaient essentiellement selon un modèle artisanal. L’ajustement mutuel constituait le mécanisme privilégié d’intégration au sein des entreprises et l’expérience, la principale ressource pour formuler les décisions et résoudre les problèmes.

    Ces pratiques sont évidemment désuètes aujourd’hui ; mais il faut comprendre que les entreprises traditionnelles étaient conçues en fonction de références et de modèles profondément différents de ceux d’aujourd’hui. Le marché des entreprises était surtout local, les sources d’approvisionnement également ; les ressources humaines provenaient du milieu immédiat, les sources de financement et même les procédés de fabrication étaient habituellement locaux. Les entreprises œuvraient à l’intérieur d’un environnement « connu », très personnifié, où la demande était plutôt stable ; il s’établissait donc des rapports de continuité dans les relations avec les usagers et les fournisseurs. Jusqu’à un certain point, les entreprises traditionnelles constituaient des pôles qui venaient soutenir et remplir la vie des petites collectivités.

    La révolution industrielle a modifié sérieusement cet équilibre. En introduisant des méthodes de production plus économiques, elle a contribué à réduire de façon très marquée les coûts unitaires et, ainsi, à augmenter considérablement les niveaux de l’offre et de la demande. Par contre, étant donné que les infrastructures « industrielles » nécessaires supposaient des investissements très importants, les petits propriétaires locaux ont été graduellement (et parfois rapidement) déclassés par les grands complexes qui réussissaient à produire des biens en qualité comparable à des prix inférieurs.

    Petit à petit, il s’est donc produit une concentration des lieux de production et le caractère très personnalisé des organisations locales est disparu progressivement au profit de rapports impersonnels. On est passé en quelques années du « marteau de Philias » aux « pièces de la Dominion Bridge », des « étoffes de Germaine » aux draps de la « Tex Made » !

    Les nouvelles entreprises de l’époque, quant à elles, ont dû composer avec des contraintes mal connues. Conçu à l’origine dans un contexte de rapports personnels continus, le management devait désormais s’exercer dans un cadre de grands groupes, en fonction de clientèles avec lesquelles on entretenait peu de rapports directs et, finalement, en devant recourir à des technologies plus lourdes.

    L’incertitude a alors remplacé la certitude caractéristique des entreprises traditionnelles. Il fallait réagir et un des principaux éléments de réponse fut de remplacer l’ajustement mutuel par la standardisation. L’intégration se réaliserait désormais par le biais de protocoles standardisés qui allaient spécifier de façon très précise le contenu des fonctions et les modes de fonctionnement. Ce faisant, on pouvait alors intégrer avec un minimum d’efforts les contributions d’un grand groupe, prédire les comportements, réduire les risques d’interprétation discrétionnaire, incorporer les principales contraintes de la technologie sans qu’aucun des acteurs n’ait à « transiger » avec les autres (les protocoles tenant lieu de relations).

    Avec le temps, ce phénomène de dépersonnalisation s’est étendu aux diverses composantes organisationnelles, incluant la relation entre les travailleurs et leurs produits. Entre autres, on s’employa à décomposer la production du bien en petits segments très définis, pour confier à chaque travailleur la réalisation de ces segments. Les caractéristiques de la technologie ainsi que la croissance dans la taille des entreprises faisaient en sorte que cette segmentation apparaissait comme la seule garantie d’efficacité et de contrôle.

    Ainsi, les organisations ont réagi à cette première crise en réorientant complètement le sens et la forme des transactions autant internes qu’externes. Pour la première fois de l’histoire, les organisations sont devenues des centres de production coupés de leurs milieux et conçus selon des règles d’impersonnalisation dans leurs rapports avec les clientèles, les autres membres du système et le produit fini lui-même.

    Ce modèle de management a marqué profondément l’histoire des organisations et, aujourd’hui encore, la majorité des systèmes fonctionnent selon ces prescriptions. Les modifications apportées par la suite n’ont pas modifié l’essentiel de cette architecture.

    Les plus importantes modifications originent de la deuxième crise qu’ont connue les organisations. Elle a vu le jour au début des années 50 et a véritablement pris forme dans les années 60. Alors que la première crise était d’origine technologique, cette deuxième fut de nature culturelle avant tout. Plusieurs facteurs expliquent son émergence. Si on se limite à ceux qui ont affecté le plus directement la dynamique concrète des organisations, il faut traiter, selon nous, des transformations qui sont survenues dans l’information.

    C’était une époque d’ouverture sur l’extérieur (notamment au Québec) et la nouveauté était souvent valorisée en soi. Que ce soit sur le plan commercial, politique ou même cognitif, les portes commençaient à s’ouvrir.

    C’était également une époque où l’environnement interne des organisations subissait d’importantes pressions au changement. En effet, les bébés de l’après-guerre entraient dans le marché du travail : ils étaient instruits, politisés et affirmatifs. On leur avait appris la fonction critique, ils étaient nationalistes et connaissaient la recherche opérationnelle. En d’autres termes, pour la première fois depuis longtemps, les travailleurs disposaient de ressources qui leur permettaient désormais de participer directement à la formulation des contenus et des stratégies... et ils réclamaient ce privilège !

    Les organisations, par contre, étaient complètement démunies devant ce phénomène. Elles fonctionnaient depuis plusieurs années à l’intérieur de cadres prévisibles, en fonction de modèles standard ou stéréotypés. Elles devaient donc apprendre à composer rapidement avec un environnement de plus en plus complexe, avec une main-d’œuvre dont les habitudes et l’appartenance n’étaient plus acquises, désormais, et avec un marché de plus en plus exigeant et critique.

    En d’autres circonstances, cette inadaptation des modèles classiques aurait pu se solder par une désintégration des organisations. Pourtant, elle n’a pas eu lieu ; la demande connaissait une telle croissance que les organisations n’ont pas eu à remettre en cause les bases de leur fonctionnement et de leurs orientations.

    L’abondance de l’époque permettait d’absorber plus facilement les heurts.

    Les organisations se sont contentées de réviser leurs processus. Elles ont entre autres introduit des pratiques permettant au travailleur d’être associé plus directement à l’orientation des choix organisationnels, d’opérer dans des conditions jugées moins aliénantes et, parfois, de participer aux bénéfices de l’entreprise.

    En d’autres termes, les réponses à la deuxième crise ont consisté essentiellement à mettre en œuvre des conditions de travail qui permettaient de concilier de façon plus satisfaisante les attentes des travailleurs et la logique des organisations. Cette dernière, toutefois, faut-il le répéter, en est sortie relativement inchangée. En effet, les organisations sont demeurées des lieux de production standardisée, œuvrant à partir de lieux concentrés et conçus selon des pratiques de maximisation. Les efforts mis de l’avant au cours de cette crise ont consisté essentiellement à bonifier le tissu social et à consolider les sentiments d’appartenance.

    D’une certaine façon, la crise actuelle montre l’insuffisance des mesures adoptées vers la fin des années 60. En effet, en cherchant à restabiliser l’environnement interne, on a d’une certaine façon négligé d’agir sur la relation avec l’environnement externe et sur les postulats à la base de leurs modes de fonctionnement.

    Avec le recul des années, il devient plus évident que la crise des années 60 comportait plusieurs indices qui mettaient en cause non seulement la nature des moyens de production, mais également la structure de la demande. Les identités commençaient à s’affirmer, les différences commençaient à s’exprimer et les inégalités commençaient à être dénoncées. On parlait de régionalisation, de décentralisation et de prise en charge par les collectivités. On commençait, en d’autres termes, à remettre en cause le concept et la structure des comportements de masse au profit de normes beaucoup plus individualisées. On remettait également en cause les concentrations de pouvoir favorisées par la mise en place des structures industrielles et, finalement, les fondements mêmes de l’orientation managériale : le principe de maximisation.

    Mais pourquoi ces mouvements de fond n’ont-ils pas créé plus de perturbations ? Pourquoi les organisations n’ont-elles pas été obligées, par la force des choses, de repenser beaucoup plus fondamentalement toute l’orientation de leur organisation stratégique ? Deux facteurs y ont joué un rôle déterminant et ce sont deux facteurs économiques.

    Le premier porte sur le rythme de l’économie à cette époque. Il faut se rappeler qu’au courant des années 60 l’intervention gouvernementale au sein de l’économie s’est accentuée considérablement. L’injection massive de fonds publics a contribué à accélérer rapidement le débit de la demande en stimulant notamment la création de mégaprojets dont la réalisation nécessitait la contribution de plusieurs technologies nouvelles (ingénierie, chimie, électronique, sciences nucléaires, etc.). Cette pression s’est reflétée d’une façon presque immédiate par une stimulation de l’offre et une croissance rapide des niveaux de production, des agents producteurs et des modèles de production. Certains économistes diront que cette croissance était maquillée ; il demeure cependant que, dans les faits, les entreprises n’ont pas été incitées à remettre en cause leur contenu ni leurs modes de production. La prospérité de l’époque permettait de tolérer les déficiences.

    Deuxièmement, les principaux revendicateurs de changement au cours des années 60 opéraient dans des cadres relativement ambigus. La plupart d’entre eux faisaient partie d’organisations ou de groupes financés directement ou indirectement par l’État, de sorte qu’ils étaient à la fois les délégués et les contestataires d’une même source. Leurs revendications de base s’exprimaient au nom de groupes ou de clientèles dont ils ne faisaient plus partie. Les contenus de leurs aspirations étant à contre-courant, ils furent rapidement marginalisés et, d’une certaine façon, les organisations furent protégées.

    Par contre, ces deux phénomènes, c’est-à-dire l’injection de fonds publics et la marginalisation des revendications, n’ont fait que retarder l’expression inévitable de l’inadaptation entre l’architecture dominante dans les organisations et les nouvelles conditions qui commençaient à s’exprimer. Une troisième crise devait survenir pour que nous en prenions conscience.

    Cette troisième crise est apparue vers le début des années 80 et elle est toujours présente.

    On l’associe le plus souvent à la hausse subite des prix du pétrole et, selon une prétention fort populaire, on croit qu’elle est en régression depuis 1984. Selon notre analyse, le prix du pétrole n’a joué qu’un rôle bien secondaire dans l’émergence de cette rupture et la crise n’est pas du tout en régression. Même si la situation économique générale s’est redressée, les grandes organisations n’ont pas pour autant retrouvé la « santé organisationnelle ».

    La convalescence économique est imputable à la performance d’acteurs et d’entreprises qui ont complètement modifié leur approche pour mieux s’adapter au « nouveau réel », et parmi celles-ci on compte un grand nombre de petites et moyennes entreprises.

    Certes, la crise du pétrole a contribué à déstabiliser l’équilibre que semblait connaître l’économie, mais il faut reconnaître que plusieurs autres facteurs entropiques étaient en présence bien avant le geste des pays arabes.

    Les nations industrielles avaient déjà commencé à s’affaiblir au profit de nouveaux acteurs (le Japon, le Brésil, la Chine et certains pays d’Afrique) ; plusieurs équipements industriels, notamment au Québec, étaient désuets ; la recherche de nouveaux produits et de nouveaux procédés était très déficiente ; la plupart des stratégies commerciales reposaient sur une conception captive des clientèles et l’État interférait de plus en plus directement dans la dynamique du marché (création de cartels, protections douanières, réglementations, production de biens, etc.). Chacun de ces facteurs était susceptible d’alimenter une décroissance éventuelle des activités économiques. Somme toute, il est probable que la crise du pétrole n’a été qu’un déclencheur et un accélérateur d’une crise qui de toute façon était en gestation.

    Afin de comprendre pourquoi cette troisième crise n’est pas en régression, il importe de savoir comment elle se manifeste dans les organisations, comment on tente d’y répondre actuellement et quels

    Vous aimez cet aperçu ?
    Page 1 sur 1