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Théories de l'organisation: Personnes, groupes, systèmes et environnement : Tome 3
Théories de l'organisation: Personnes, groupes, systèmes et environnement : Tome 3
Théories de l'organisation: Personnes, groupes, systèmes et environnement : Tome 3
Livre électronique676 pages8 heures

Théories de l'organisation: Personnes, groupes, systèmes et environnement : Tome 3

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À propos de ce livre électronique

Les variables fondamentales du changement planifié : personnes, groupes, systèmes et environnements - Les différentes approches : humaniste, institutionnelle, logico-cognitive et écologique.
LangueFrançais
Date de sortie22 avr. 2011
ISBN9782760527157
Théories de l'organisation: Personnes, groupes, systèmes et environnement : Tome 3

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    Théories de l'organisation - Roger Tessier

    Sociology

    Introduction

    Être connecté à diverses autres choses,

    c’est ou bien produire ces choses

    ou bien être produit par elles.

    (Spinoza)

    Ce tome, consacré aux grands courants théoriques sur les organisations formelles, présente trois catégories d’oeuvres : 1) les classiques, 2) les points de vue théoriques faisant école sur la scène contemporaine, 3) d’autres points de vue théoriques pertinents, apports en émergence offrant dès maintenant des critiques utiles et des visions alternatives, et pour un avenir qu’il faut souhaiter prochain, des ferments de renouveau où les acquis se conjuguent à certaines innovations radicales.

    Le carrefour multidisciplinaire des théories de l’organisation fait se rencontrer plusieurs courants, étrangers il y a trente ans, intimement liés maintenant, chacun de ces courants comptant des pionniers ; un Frédéric Taylor ou un John Dewey pour l’école néo-rationaliste ; Douglas McGregor ou Kurt Lewin pour l’école des relations humaines, et qui sait, peut être bien un Nicolo Machiavelli ou un John Von Neumann (le père de la théorie des jeux) pour le courant de l’analyse stratégique.

    Personne, autant que Max Weber, le grand sociologue, économiste et philosophe allemand de la fin du XIXe siècle, n’aura marqué la problématique naissante de la bureaucratie et de l’organisation formelle. En plus d’être à l’origine directe de l’école institutionnelle fonctionnaliste (Talcott Parsons l’a traduit en américain et deux des grands sociologues structuro-fonctionnalistes s’étant intéressés à la bureaucratie sont ses disciples immédiats, soit Robert K. Merton et Philip Zelznick), il a été le premier à situer le débat sur la bureaucratie au niveau de la logique instrumentale : l’organisation est d’abord un agencement de moyens au service d’une fin. Chacune à sa manière, les quatre grandes tendances détenant, dans ces pages, le statut de véritables écoles, tireront profit de la brèche pratiquée par Weber au cœur des idéologies sur la politique, le management et le travail, pour adopter une attitude épistémologique où la description détachée prime sur les injonctions, moralistes ou pratiques. L’école des relations humaines a fait grand cas de sa célèbre typologie des formes du pouvoir (au moyen de la révision proposée par French et Raven), mais c’est surtout la « domination légale », ses vicissitudes et ses avatars, qui offriront son point d’entrée historique à l’école institutionnelle fonctionnaliste. Le jeu des moyens et des fins, des règles et des pratiques réelles, échappe à la rationalité, si légitime soit-elle, par la réinterprétation incluse dans certaines fonctions latentes.

    Même si c’est la rationalité légale (plutôt que technicienne) que propose l’idéal type de la « domination légale » de Max Weber, c’est la prétention d’appuyer les règles sur des constatations scientifiques qui animera la recherche opérationnelle, de Taylor jusqu’à l’informatique de gestion, de March et Simon, A Churchman et aux systémistes modernes.

    Si la théorie du pouvoir de Weber s’en tient aux statuts d’autorité, elle désigne quand même plusieurs dynamiques (ex. : le charisme et l’expertise) qui préfigurent une véritable conception relationnelle du pouvoir, dont l’école stratégique présentera plusieurs versions, celle de Michel Crozier et du contrôle des zones d’incertitude étant la plus explicite, et aussi la plus fameuse.

    Dans La domination légale à direction administrative bureaucratique, Max Weber (3.2)¹ propose trois types de domination légitime : légale, traditionnelle et charismatique. Dans le premier cas, la légitimité de la domination est rationnelle (ou statutaire) et c’est à la loi et aux règlements qu’est dévolue la soumission.

    Un groupe peut imposer sa loi à ses membres, et toute loi est un « cosmos » de règles. Le détenteur du statut est d’ailleurs le premier à obéir à l’ordre impersonnel des lois et des règlements : ceux qui lui obéissent le font à l’intérieur des limites rationnelles des règles, et non selon la fantaisie du ou des chefs.

    Les divers domaines d’autorité sont organisés en hiérarchies. À chaque palier, la direction est séparée des moyens pratiques. Les directeurs ne sont pas propriétaires de leurs postes. Ils doivent rendre compte de leur gestion.

    Dans les cas les plus purs de bureaucratie, fait remarquer Weber, les détenteurs de statuts sont nommés ; normalement à cause de leurs qualifications. De telles qualifications supposent d’ailleurs un savoir spécialisé et un certain niveau de maîtrise empirique des faits. Historiquement, la forme monocratique de la bureaucratie a eu tendance à se substituer à la forme collégiale.

    L’administration de masse rend inévitable la mise en place de systèmes bureaucratiques : même les révolutions, une fois au pouvoir, se dotent d’administrations bureaucratiques. La seule manière laissée aux travailleurs de leur faire contrepoids, aura été d’en constituer de nouvelles, (les syndicats), elles aussi impersonnelles à la base, monocratiques au sommet.

    S’il est relativement facile d’accorder un statut très particulier à Max Weber, seul grand classique du domaine, la typologie des écoles théoriques représente une tâche très ardue. Les cas le plus manifestes, et qui ont déjà une assez longue histoire, se prêtent à des partitions presque devenues des idées reçues à la portée de tous les manuels ; ainsi, l’école de l’organisation scientifique (Taylor, Fayol, et cie) ; l’école des relations humaines ; l’école institutionnelle fonctionnaliste.

    Même si son propos est foncièrement critique, surtout à l’endroit du fonctionnalisme et du courant des relations humaines, Francine Séguin (3.1) dans Les organisations. De l’analyse fonctionnaliste à l’analyse critique prend bien soin, jusque dans sa très utile bibliographie, de bien marquer les diverses approches théoriques évoluant sur la scène des organisations formelles. Il n’y a pas encore de discipline scientifique de l’organisation, affirme-t-elle. Les disciplines s’intéressant aux organisations sont à des stades multiparadigmatiques. En sociologie, s’affrontent les paradigmes fonctionnaliste et critique.

    Deux grands postulats soutiennent l’analyse fonctionnaliste : 1) l’unité fonctionnelle : un tout est composé de parties bien intégrées ; 2) la tendance de tout système à sa propre autoconservation. D’où le modèle des structures en équilibre et de l’intégration harmonieuse entre les individus et les organisations. Toute organisation comporte trois grandes propriétés fondamentales : les buts, la technologie, la structure. Continuant sa critique, Francine Séguin voit dans sa conception de la structure, le pire des défauts du fonctionnalisme. En ceci qu’il ramène le pouvoir à l’autorité, en s’appropriant l’essentiel de l’idéologie manageriale élitiste.

    Aux yeux des analystes fonctionnalistes, une culture organisationnelle est homogène ; elle est de toute façon décodée en termes strictement utilitaires, en tant que pur moyen d’intégration ’du système de production.

    Un point de vue critique postule que l’homme des organisations est plus que l’homo economicus, enrichi de quelques sentiments. Il appartient à une classe sociale, et à une sous-culture de la société globale. Les acteurs sociaux ne sont pas complètement déterminés par leurs attaches sociales, mais leurs rapports à l’intérieur de l’organisation sont fort loin du consensus. L’organisation est un lieu d’affrontement entre plusieurs rationalités.

    Un changement radical de paradigme, ajoute Francine Séguin, en arriverait à décentrer radicalement l’attention, l’éloignant de « l’homme organisationnel » pour la porter plutôt sur l’organisation elle-même. À l’intérieur de l’organisation se jouent essentiellement des relations de pouvoir. Elles expriment une multiplicité de points de vue (hétérogénéité des valeurs : plusieurs sous-cultures), car plusieurs acteurs (groupes et individus) s’y adonnent à des compétitions, autour des ressources, mais encore plus des définitions et des priorités à faire prévaloir. Une telle vision polémologique de la nature des organisations (et de la société) devient rapidement porteuse de pièges paranoïdes ou manichéens (les mauvais patrons contre les bons ouvriers).

    Les formes connues de l’organisation sont des « possibles » parmi d’autres, une région seulement de l’espace (c’est-à-dire du produit maximal des relations actuelles entre toutes les parties, et avec le tout). Autrement dit, les faits liés aux hiérarchies et aux disparités de salaire ne sont pas « naturels ». Il s’agit là de « constructions ». Et d’autres constructions sont toujours imaginables !

    À conflit et hétérogénéité, il faudrait ajouter un troisième maître-mot : incertitude. Sur ce point, c’est plutôt l’école néo-rationaliste que rejoint Francine Séguin. Si la logique instrumentale est le mode de fonctionnement premier de toute organisation, la gestion des incertitudes, en particulier la prise de décision, devient le nouveau processus central se substituant à une vision plus sociale du contrôle où le pur exercice de l’autorité légitime suffit à intégrer la bureaucratie classique.

    À côté des trois classiques (Taylor, le fonctionnalisme et les relations humaines), nous accordons un statut d’école aux analyses stratégiques (qui combinent action intentionnelle et contraintes structurelles) et à l’approche logico-cognitive ou néo-rationaliste (particulièrement à la théorie de la décision assistée par ordinateur).

    Nous n’avons pas voulu accorder un statut d’école à quatre groupes d’apports théoriques : les apports critiques (néo-marxistes, actionnalistes au sens de Touraine, et autres) ; l’approche systémique ; le néo-structuralisme et l’écologie humaine. Il n’y a pas à proprement parler de théorie critique de l’organisation formelle, mais plutôt une critique des théories de l’organisation, dont feraient bien de tenir compte les théories à venir. Il n’y a pas non plus de théorie « systémique des organisations » au sens strict du terme théorie. Les idées de base de la théorie des systèmes font partie des a priori « paradigmatiques » de toutes les théories (de l’organisation ou de quoi que ce soit !).

    Les apports néo-structuralistes, très particulièrement ceux de Danny Miller et Henry Mintzberg (3.12) (les configurations) et de Paul Lawrence et Jay Lorsch (le modèle de contingence) sont très prometteurs, mais leur visibilité n’est pas assez grande en date de 1990 pour leur conférer statut d’école. Il en va de même de l’écologie humaine, même si l’écologie du travail à la Trist et Emery, ou l’écologie des populations d’organisations (Hannan et Freeman 3.11) sont très probablement porteuses d’un important renouveau dans le paradigme même, derrière la théorie des organisations formelles.

    Si nous avons choisi L’école institutionnelle de Charles Perrow (3.3) pour représenter le fonctionnalisme, c’est que ce texte décrit abondamment plusieurs monographies parmi les plus typiques de cette manière de penser, en particulier les travaux de Philip Selznick.

    Pour l’école institutionnelle, comme pour toutes les autres théories structuro-fonctionnalistes, ce sont les fonctions qui déterminent les structures. Par contre, des fonctions particulières (ex. : le leadership ou les communications), ne peuvent être comprises que d’une manière organique, par référence au tout de l’organisation. Ce qui fonde la primauté méthodologique de l’étude de cas et de l’analyse comparative entre les cas.

    À travers son histoire naturelle, l’organisation s’adapte de manière non planifiée à certains besoins, certaines fonctions fondamentales. Des actions, adaptatives à première vue, peuvent avoir des conséquences non anticipées et non adaptatives, qui peuvent impliquer jusqu’à la réinterprétation de la mission même de l’organisation. L’explication des formes particulières de telle organisation ne se trouve pas d’abord dans sa structure formelle, mais dans une myriade de processus sous-jacents.

    L’école institutionnelle s’intéresse aux valeurs, en toute priorité, à l’affaiblissement ou au détournement des valeurs inhérentes aux processus de fonctionnement et de développement des organisations. Selon Charles Perrow, elle révèle le fait que, bien souvent, l’organisation trahit sa mission pour survivre ou assurer sa croissance. De plus, elle contribue de trois manières principales à la théorie des organisations formelles. En considérant l’organisation, d’une manière globale et organique, elle nous la fait voir comme unique par rapport à de nombreuses variables. Deuxième contribution, elle dissocie et met en valeur la vie propre de l’organisation par rapport aux intentions de ses divers acteurs. Enfin, elle accorde une place considérable à l’environnement (ce que ne faisait ni l’école classique, ni le mouvement des relations humaines).

    Au cœur de la théorie institutionnelle se tient la distinction entre l’organisation comme mécanisme rationnel et l’institution, investie de valeurs et de besoins. Les gens construisent leur vie à partir de telles institutions. Les organisations sont plus ou moins flexibles, selon qu’elles se laissent influencer par des facteurs externes ou tirent toute leur identité de l’intérieur d’elles-mêmes.

    Pour rendre compte des effets latents débilitants, les analyses, nous rappelle Perrow, font très souvent référence au manque d’information ou aux lacunes du leadership. Ce qui est peu convaincant. Se trouve là une sorte d’ambiguïté morale : le même facteur (ex. : le leadership) recevant une valeur double, bénéfique et maléfique, à la fois.

    Les mécanismes de la décision en gestion (3.4) par Herbert A. Simon, demeure l’un des grands textes de la tradition logico-cognitive ou néo-rationaliste. À toutes fins utiles, gérer, c’est prendre des décisions. Décider, c’est adopter une route alternative à partir d’un carrefour de routes possibles. Un tel choix vient clore un long processus comportant mise en alerte, exploration des possibilités, analyse de leurs mérites respectifs. Après le fait de l’exécution, vient s’ajouter l’évaluation des choix antérieurs. Le cycle complet de la décision inclut donc quatre grandes phases : renseignements, design, choix, révision.

    Dans les faits, le processus de décision, inclus dans un processus plus vaste de résolution des problèmes, est plus complexe que le déroulement linéaire des quatre phases mentionnées précédemment. Ainsi, le design requiert à l’occasion de nouveaux renseignements et, à chaque niveau, les problèmes engendrent des sous-problèmes exigeant des prises de décisions plus microscopiques. On y fait constamment du dessin dans le dessin.

    Les habiletés requises par la conception et l’entretien des systèmes de prise de décisions que sont les organisations, ne sont ni intuitives, ni innées : il faut se soumettre à l’apprentissage pour arriver à la maîtrise.

    Selon Herbert Simon, on peut distinguer les décisions sur un continuum, des très programmées aux très peu programmées, de la routine à la résolution de problèmes. Les décisions très peu programmées sont généralement nouvelles et elles sont souvent très importantes. Le système ne possède, dans de tels cas, aucune procédure fixe : il doit faire appel à ses capacités d’adaptation, en particulier à son intelligence.

    L’habitude et la procédure sont les deux visages de la décision programmée traditionnelle. La structure même de l’organisation est en partie un programme décisionnel. Dans la réalité moderne, la recherche opérationnelle vient les compléter, elle qui s’appuie sur des instruments mathématiques tels que la programmation linéaire, dynamique ou intégrale, la théorie des jeux et des queues, etc. C’est ici que l’ordinateur entre en scène, lui qui permet le traitement de systèmes trop grands ou trop complexes pour convenir aux analyses classiques.

    Les décisions non programmées, remarque Simon, commencent, elles aussi, à connaître un développement théorique fondamental. Deux voies s’ouvrent ici : mieux comprendre comment fonctionnent les êtres humains en situation non programmée et adapter l’ordinateur à la recherche heuristique en vue d’établir un programme général de la résolution de problèmes. En admettant que de tels problèmes puissent être réductibles à un schéma de relations entre fins et moyens, trois types d’objet s’imposent si l’on prétend résoudre un problème en ordonnant des moyens à des fins : 1) transformer mentalement la situation A pour en faire une situation B ; 2) envisager la réduction des différences ainsi conçues ; 3) appliquer un opérateur apte à effectuer la trans-formation de A et B.

    Chris Argyris est un héritier typique de la tradition humaniste, en ce sens que sa réflexion sur les organisations accorde la priorité aux grands besoins de l’individu, tels que l’autonomie et le sens de sa propre compétence.

    Dans L’individu et l’organisation. Quelques problèmes d’ajustement mutuel (3.5), il soutient que notre manière prévalante de définir l’organisation (ligne d’autorité, domaine de contrôle, etc.) fait des employés des êtres dépendants et passifs. Il faut repenser les rapports entre l’organisation et la personnalité et tenir compte des dimensions fondamentales autant de l’une que de l’autre.

    Le développement ontogénétique de personnes humaines inclut un passage de plus de passivité vers plus d’activité ; de plus de dépendance vers plus d’autonomie, en même temps aussi qu’un approfondissement des intérêts et des investissements dans les choses du monde. Le statut d’adulte, dans beaucoup de cultures, enjoint une certaine indépendance face aux autres, surtout les figures parentales.

    En allant aussi loin qu’il faut, au bout de ses possibilités personnelles, l’individu humain s’ajuste, fait des compromis avec les normes de sa culture d’appartenance comme avec les exigences d’organisations diverses, elles-mêmes des sous-cultures auxquelles il « appartient » à des degrés divers.

    Quelles sont les données de base de l’organisation formelle ?, se demande Chris Argyris. Sa propriété fondamentale est sans aucun doute sa rationalité intrinsèque, obtenue par voie de design et de construction a priori. Les individus singuliers peuvent réinterpréter, et de fait réinterprètent, les définitions formelles et les prescriptions. Il n’en subsiste pas moins que l’organisation est, en grande partie, une résultante de contrats (règles) fixés a priori en vue d’atteindre certains buts. L’instrumentalité (moyens -3 fins) est au coeur de l’organisation. Même si difficiles à contester dans l’abstrait, les grands traits de l’organisation bureaucratique (spécialités, hiérarchies, division du travail) sont très souvent extrêmement dysfonctionnels dans les faits. La spécialisation entraîne le rétrécissement, les ornières, l’ennui. Les hiérarchies du pouvoir engendrent la passivité et l’irresponsabilité. Le manque d’accord entre les principaux besoins des individus et l’essentiel des préalables fonctionnels de l’organisation, conclut Argyris, est une source de pertes, autant pour les acteurs singuliers que pour l’organisation proprement dite. Un tel désaccord rend encore plus problématique toute volonté d’adopter une orientation de gestion démocratique et participative.

    Lewis Coser (3.6) n’a pas attendu, pour exorciser la notion de conflit social, que se constitue un point de vue théorique « stratégique » accordant beaucoup de poids au pouvoir, aux conflits et aux jeux stratégiques interpersonnels comme chez Paul Watzlawick et ses paradoxes, intragroupes et intergroupes, ou interorganisations, comme chez les Michel Crozier et Erhard Friedberg (3.7) ou dans le Caplow de Two against one ou encore, les Lawler et Bacharach (3.8) des coalitions et des groupes d’intérêts.

    Dans La fonction des conflits sociaux, il affirme que tous les conflits sociaux, spécialement ceux ayant cours dans les groupes et les organisations ne sont pas forcément dysfonctionnels. Ils servent souvent à refaire la cohésion des groupes : rien de plus créateur de solidarités que la présence d’un ennemi commun ! C’est souvent par le conflit que les principaux acteurs sociaux passent pour renouveler leurs visions des buts. Il existe de fortes différences, selon que le conflit oppose des personnels régis par des loyautés communes (in-group) ou qu’il les oppose à des groupes externes (out-group).

    La classique dichotomie groupe d’appartenance/groupe de non-appartenance (in-group, out-group) ne suffit pas à donner toute leur complexité aux arènes multilatérales où s’affrontent les rivaux et où conspirent, et entrent en compétition à la fois, les acteurs contrôlant leur zone d’incertitude comme chez Michel Crozier et Erhard Friedberg, dans Le pouvoir comme fondement de l’action organisée (3.7).

    L’organisation est faite de relations, et ces relations sont d’abord des relations de pouvoir. Les individus et les groupes peuvent agir les uns sur les autres, quelles que soient les bases de la légitimité d’une telle action. Le pouvoir est une relation, et non l’attribut d’une personne. Cette relation possède une fonction instrumentale. Les acteurs s’y engagent pour atteindre des buts. De plus, la relation de pouvoir est transitive, réciproque et déséquilibrée. Les effets de A sur B ne correspondent pas à ceux de B sur A (transitivité). Bien que réciproque, la relation de pouvoir n’est pas forcément égalitaire. A peut avoir plus de pouvoir sur B (que l’inverse), mais A n’est pas sans pouvoir dans cette relation.

    Plus précisément, suggèrent Crozier et Friedberg, le pouvoir réside dans la marge de manœuvre ou de liberté dont disposent les partenaires de la relation l’un sur l’autre (ou les uns sur les autres, s’il s’agit de pouvoirs collectifs où les termes A et B désignent des groupes). Les zones d’incertitude ou la capacité de les garder imprévisibles pour les autres, et plus grandes que petites, sont au cœur du processus de pouvoir, et cela dans toute perspective d’analyse qui aborde les relations de pouvoir sous l’angle des échanges et des stratégies. Analyser une relation de pouvoir, c’est répondre à deux questions. De quels atouts jouissent les acteurs ? Selon quels critères peuvent-ils juger de la pertinence d’atouts en fonction de gains recherchés (de déficits évités) ? Compte tenu des contraintes systémiques (qui par définition préorganisent les jeux), un atout important demeure le nombre et la diversité des investissements des acteurs dans l’organisation. Le nombre des relations représente en lui-même un atout très important, dans le jeu étendu et complexe des relations de pouvoir dans les bureaucraties. Le facteur temps est une dimension importante de la marge de manœuvre et la capacité d’envisager un horizon temporel lointain est un atout majeur.

    L’organisation, par ses contraintes, spécifie et limite les marges de manoeuvre des acteurs (individus comme groupes). La structure permet et empêche l’extension du pouvoir des divers intervenants (l’organigramme est en soi une tentative pour organiser et régler les relations de pouvoir). Michel Crozier et Erhard Friedberg concluent leur analyse en notant que la plupart des enjeux mettent en cause plusieurs catégories d’acteurs, mais toutes les zones d’incertitude ne sont pas également pertinentes pour tous les intervenants. Les statuts représentent des quotas de pouvoir inégaux, dont les bases de légitimité sont variables (compétence, accès aux ressources dans l’environnement de l’organisation, information, utilisation et manipulation des règles de l’institution).

    L’idée même de coalition fait allusion à au moins trois termes : les fameux Two against one de Caplow font, bel et bien, trois ! Mais sur la scène des grandes organisations, les coalitions peuvent utiliser un bien plus grand nombre de groupes d’intérêts.

    Intérêts de groupe et politiques de coalition, par Edward J. Lawler et James Bacharach, offre une synthèse des principaux travaux de recherche effectués dans une perspective stratégique.

    Toutes les organisations sont des réseaux de groupes d’intérêts. Certaines organisations sont dominées par des groupes d’intérêts isolés, d’autres par des coalitions entre groupes d’intérêts. Or, tout groupe d’intérêts tend à maximiser ses gains, encore plus, à augmenter l’écart entre ses gains et ceux des autres groupes d’intérêts. Pour la plupart des organisations, la maximisation des gains et la maximisation des écarts jouent simultanément. Dans une approche de maximisation des gains (et non pas, des écarts) les groupes vont coopérer ou entrer en compétition, selon les conjonctures.

    L’importance des conséquences d’une option, et la probabilité qu’elle se réalise, influencent conjointement l’utilité subjective espérée. Les groupes d’intérêts forment coalition quand la grandeur de l’avantage recherché et la probabilité de l’obtention augmentent en fonction de l’appartenance à la coalition.

    La grandeur des avantages espérés, suggèrent Lawler et Bacharach, tient au montant des ressources engagées. Plus les ressources sont limitées (dans l’environnement), plus forte sera la tendance des groupes d’intérêts à faire des coalitions. Ils s’allient pour protéger leur contrôle sur les ressources. Plus un groupe contrôle les ressources dont il a besoin, moins il a tendance à faire alliance avec d’autres groupes. Plus un groupe d’intérêts perçoit grande la quantité de ressources qu’il contrôlerait de l’intérieur d’une coalition, plus forte sera sa tendance à se joindre à une telle coalition. Plus un groupe d’intérêts contrôle de nombreuses ressources, plus grande est son influence sur le processus de décision au sein de l’organisation.

    Contrairement aux idées reçues au sujet de la bureaucratie, la technologie et l’environnement (de même que les autres dimensions fondamentales) engendrent d’importantes sources d’incertitude, affectant ainsi le fonctionnement des décideurs aux divers niveaux des opérations de l’organisation. Quand la technique est non routinière, le travailleur contrôle un plus grand flot de ressources. Si la technique est routinière, les travailleurs ne contrôlent pas les ressources et ils ont tendance à faire des coalitions.

    L’environnement d’une organisation est plein d’incertitudes de toutes sortes, ce qui nécessite de constantes adaptations, y compris dans la définition même de sa mission. Les tâches sont difficilement routinières dans une organisation dont l’environnement est incertain, surtout celles confiées avec acteurs qui ont à franchir les frontières entre l’organisation et l’environnement.

    Enfin, Edward Lawler et James Bacharach réfléchissent sur la convergence et sur la divergence. Plus les groupes ont des intérêts en commun (par opposition à des divergences) plus forte est leur propension à se retrouver ensemble dans des coalitions. Or, deux sources principales accroissent les conflits d’intérêts : l’idéologie et les buts concrets poursuivis. Face à des conflits trop vifs, ou concernant des problèmes trop complexes, une certaine augmentation des communications risque d’envenimer les choses. Si des contre-coalitions sont en vue, et qu’elles représentent une grande force de représailles, lattrait d’une coalition baisse d’autant.

    Les apports qui suivent, sont les cinq derniers textes du tome 3 ; ils trouvent leur place dans l’ouvrage pour deux raisons surtout. Ils sont tantôt porteurs d’innovations théoriques prometteuses, tantôt susceptibles de bien servir une fonction intégratrice, à l’occasion d’un deuxième moment théorique où la plupart des modèles de l’organisation déposés jusqu’ici dans l’histoire seraient appelés à une certaine contribution.

    L’infléchissement actionnaliste (volonté, création, projet) du schéma d’analyse de Bernard Poisson (3.9) lui donne une nette signification innovatrice (on pense, par exemple, à une certaine revalorisation de la dimension « tradition »). Malgré tout, c’est par l’amplitude du cadre conceptuel et sa capacité d’assumer plusieurs processus (décrits par maintes écoles ou cernés pour la première fois) qu’il se distingue.

    Schéma d’analyse de l’organisation. Une perspective actionnaliste se présente comme une magnifique synthèse apportant beaucoup à l’immense tâche de proposer une théorie extensive des organisations formelles (qui concerne tous les types d’organisations formelles et décrit tous les grands processus majeurs constitutifs).

    Une organisation est un ensemble particulier au sein de la société globale ; c’est le produit de la volonté créatrice d’acteurs en vue de la poursuite d’un objectif. Cet ensemble acquiert une structure plus ou moins stable par le jeu des processus qui agencent entre eux les composantes de l’organisation. Quelles sont ces composantes ? D’abord, les acteurs envisagés en termes d’engagement dans l’organisation ; ensuite, la tradition (les expériences vécues instituées en histoire et sa vision créatrice) ; enfin, l’appareil qui gouverne et exécute (ce qui inclut sa technologie). Ces trois composantes maîtresses sont, entre elles, dans des relations variables d’interdépendance et d’autonomie. La présence simultanée de ces deux termes protège ce modèle actionnaliste de tout mécanisme.

    De plus, ces composantes sont ouvertes sur divers environnements, par conséquent susceptibles d’évolution. En même temps, des initiatives d’acteurs particuliers peuvent conduire à divers changements.

    Sans doute est-ce là un phénomène d’époque, constate Bernard Poisson, mais les études sur les organisations accordent une nette préséance à l’appareil sur les autres composantes. Une fois qu’il a dépassé certains seuils de développement qui mettent en cause la taille, la durée, la complexité, un appareil se détache pour assurer la coordination de l’ensemble. Pour ce faire, il engage des processus stabilisateurs de maintien de la structure (formalisation, contrôle, interprétation), d’autres processus étant plutôt rénovateurs (élaboration, stimulation, découverte).

    Que se passerait-il dans des organisations que leur appareil ne dominerait pas ? Si les acteurs dominaient, l’appareil s’apparenterait au réseau informel des relations spontanées. Si c’était la tradition, l’organisation pourrait s’enliser dans sa propre idéologie.

    C’est nettement du côté des apports innovateurs qu’il faut ranger les essais de Vincent Lemieux (3.10), de Michael T. Hannan et John H. Freeman (3.11) et de Danny Miller et Henry Mintzberg (3.12).

    Le premier de ces textes renouvelle la problématique des relations entre les aspects formel (appareil) et informel (réseau) de l’organisation. Le second entend remplacer l’idée d’un environnement singulier à chaque organisation, par celle, révolutionnaire, d’un environnement commun à une population d’organisations. Au troisième, nous trouvons surtout des mérites épistémologiques : ce texte pose les assises d’une méthodologie de recherche apte à soulager les études quasi expérimentales classiques de ce qui les voue aux corrélations faibles et inconstantes.

    Dans Réseaux et appareils. Logique des systèmes et langage des graphes, Vincent Lemieux propose d’entrée de jeu qu’une organisation soit située par référence à son public (à ses publics, très souvent). Les acteurs au sein des deux — membres de l’organisation et participants des divers publics — font également partie de réseaux sociaux (parenté, voisinage, générations, associations, occupations, etc.). La sociabilité au sein de ces réseaux représente une qualité élevée dans le développement social. Bien entendu, les mêmes acteurs sont également conduits par des finalités extrinsèques, et la sociétalisation et ses appareils envahissent la sociabilité et ses réseaux.

    Les réseaux sont des organisations non constituées (par opposition aux appareils). Cependant, autant réseaux qu’appareils doivent être définis selon une approche systémique : les actions de diverses catégories d’acteurs sont interdépendantes à l’intérieur d’un ensemble qui les englobe.

    En quoi diffèrent réseaux et appareils ? La frontière est moins précise dans les réseaux et les acteurs y jouent plusieurs rôles. Le hasard intervient davantage dans l’établissement des connexions. Plus important encore, un réseau ne possède pas de système de métacoordination, bien qu’on trouve des systèmes intermédiaires (à mi-chemin entre réseaux et appareils, c’est-à-dire des quasi-appareils) où la métacoordination est officieuse.

    Les réseaux sociaux varient en fonction de substrats représentant divers genres de relations entre les éléments (acteurs). La configuration du réseau peut être reconstituée à partir de transactions réelles (c’est-à-dire observées) ou des statuts formels des acteurs. Les finalités et les mécanismes de contrôle constituent aussi deux substrats à même lesquels on peut dessiner des réseaux.

    Les acteurs, remarque Vincent Lemieux, sont souvent reliés par plus d’un substrat à la fois (ex. : le statut et les transactions de fait). De plus, selon la perspective adoptée, on peut produire le réseau personnel (les liens autour d’un individu central) ou le réseau social (les liens parmi les membres d’un groupe ou d’une organisation).

    L’écologie des populations d’organisation par Michel T. Hannan et John H. Freeman constitue un essai remarquable, présentant une pensée à divers types d’implications. Sur le problème des rapports entre l’environnement et l’organisation, il faut aller plus loin que ce qui s’est fait jusqu’ici dans l’histoire de la pensée sur les organisations formelles. Ce qui peut être fait par l’adoption du point de vue de l’écologie des populations. En écologie, la perspective dominante accorde la prime à la sélection : les formes qui existent dans la nature sont l’effet de la sélection. Dans les théories de l’organisation, l’attention s’est plutôt portée sur l’adaptation : les gestionnaires scrutent l’environnement et proposent des stratégies adaptatives. Le fonctionnalisme doit beaucoup s’intéresser aux impératifs liés à la survie des organisations, mais assez peu à la sélection naturelle. Pourtant, la grande diversité des formes d’organisations ne reflète pas d’abord leur adaptation, si celle-ci est définie synchroniquement, à vue sur nez, à assez court terme.

    Plusieurs facteurs intrinsèques maintiennent les organisations inertes (investissements déjà consentis, pauvreté de l’information, contraintes politiques, histoire de l’organisation). D’autres facteurs d’inertie sont externes, situés dans l’environnement (barrières légales, difficultés d’accès à l’information, légitimité aux yeux du public, différences de perspectives entre le cas unique et l’ensemble). Un point de vue adaptatif ne suffit pas à rendre compte de l’inertie : il faut le compléter par un autre, insistant sur la sélection naturelle.

    L’analyse écologique des organisations, aux dires de Hannan et Freeman, doit prendre en considération cinq niveaux d’analyse : 1) les membres de l’organisation ; 2) les sous-unités ; 3) les organisations proprement dites ; 4) les populations d’organisations ; et 5) les communautés d’organisations. Pour faire face à tant de complexité, il faut considérer des populations d’organisations, plutôt que chacune d’elles dans son environnement propre.

    Pour étudier les populations, on doit inventer un analogue de l’espèce en zoologie, soit une forme d’organisation. Une forme est un plan de transformation des entrants en extrants. Elle peut être inférée de la structure formelle, des types d’activités ou des normes en vigueur dans l’organisation. Une population sera constituée de toutes les organisations de même forme, à l’intérieur d’une frontière particulière.

    L’analyse écologique des organisations pose plusieurs défis. D’abord, il n’y a pas ici l’équilibre de la transmission génétique pour rendre compte de la quasi-invariance de la forme. De plus, les organisations sociales peuvent changer radicalement de forme au cours de leur existence. Enfin, il n’y a pas de limite au développement des organisations.

    Pourquoi observe-t-on autant de diversité dans les formes des organisations ? En adoptant le point de vue de Hawley (le fondateur de l’école de Chicago d’écologie humaine), on peut attribuer une aussi forte diversité au fait que les environnements sont eux-mêmes très diversifiés. Les organisations sont des isomorphes des environnements. Bien sûr, c’est le fait que maintes organisations ont à transiger avec plusieurs environnements simultanément qui arrive à assouplir quelque peu une thèse aussi rectiligne.

    Plus profondément, d’où provient l’optimisation des organisations ? De l’environnement. C’est lui qui sélectionne les combinaisons optimales d’organisations qui apparaissent et se maintiennent, là où d’autres régressent et tombent dans l’oubli. Ce qui implique la concurrence. La nature ne fait pas de cadeaux. Tant que les ressources sont limitées et la capacité de croissance de chaque organisation théoriquement illimitée, la conjoncture entraîne forcément la nécessité de la concurrence.

    Si le principe de l’isomorphisme entre organisation et environnement semble plutôt probant, qu’en est-il si l’environnement est instable, s’interrogent Michael Hannan et John Freeman ? Les organisations sont-elles généralistes dans des environnements instables et spécialistes dans le cas inverse ? Dans les environnements stables, les spécialistes ont tendance à éliminer les généralistes.

    La recherche sur les organisations est en crise ; c’est ainsi que Danny Miller et Henry Mintzberg commencent leur écrit intitulé Pour l’idée de configuration. Le paradigme analytique en vigueur jusqu’ici et qui consiste à lier un nombre limité de variables échappe à la richesse du phénomène concret. Il faut adopter une vision synthétique : les organisations sont mieux décrites en termes de configurations.

    Une typologie de configurations comme celle de Mintzberg (simple structure, bureaucratie mécanique, bureaucratie professionnelle, forme divisionnelle et adhocratie) permet de poser tout autrement maints problèmes classiques, comme par exemple le rapport entre la taille de l’organisation et la quantité de cadres qu’elle emploie. Parce qu’elles s’en remettent exclusivement à une méthode analytique, les recherches classiques abondent en données alors que les théories significatives sont rares.

    On arriverait à mieux en étudiant un grand nombre de qualités (concernant les états, les processus et les situations), de façon à rendre une image détaillée, holistique, intégrée de la réalité. La recherche de causalité ne doit pas se limiter à des liens unidirectionnels : il faut surtout se préoccuper de réseaux de causalité complexe. Il faut donner la prime, concluent Miller et Mintzberg, à des recherches longitudinales qui tiennent compte à la fois des processus et des états. Toute tentative pour intégrer et dépasser les théories contemporaines de l’organisation formelle devra prendre le cadre conceptuel systémique comme quelque chose d’acquis.

    Dans Le point de vue moderne. Une approche systémique, Fremont E. Kast et James E. Rosenzweig (3.13) soutiennent qu’un tel devoir épistémologique est devenu un préalable, de rigueur dans tous les champs théoriques contemporains. Érigée en paradigme, la théorie des systèmes tient un rôle intégrateur à plusieurs niveaux (de la cellule au système planétaire ou cosmique).

    Il existe des systèmes fermés, ceux privilégiés par les sciences physiques, mais encore plus de systèmes ouverts, les vivants étant manifestement capables des deux postures, et la gestion, du degré d’ouverture / fermeture, constitue une fonction centrale de tout système, lieu d’affrontements et de conjugaisons intra et extrasystèmes. Si l’on doit à Talcott Parsons d’avoir le premier utilisé et théorisé la notion de système ouvert en sciences humaines, il ne fait pas partie de la pléiade de théoriciens de l’organisation qui ont adopté une perspective systémique (Scott, Selznick, Churchman, Simon, le Tavistok Institute et Trist, Katz et Kahn, Lawrence et Lorch et bien d’autres).

    L’approche sociotechnique (telle qu’elle est apparue au Tavistok Institute de Londres) est utilisée de manière fort créatrice par plusieurs spécialistes scandinaves et américains, mais aussi japonais, canadiens (notamment québécois). Le postulat est posé à savoir que trois sous-systèmes centraux sont au cœur de toute organisation : le sous-système technique (y compris les procédés sans technologie matérielle), le sous-système économique (profits, salaires, formes de compétition) et le sous-système social (groupes et cultures, à divers niveaux).

    Le sous-système social a été défini de manière très variable au sein de trois grandes traditions (théorie du management, théorie des relations humaines et recherche opérationnelle). Les organisations sont des « constructions », affirment Kast et Rosenzweig (rejoignant en cela Francine Séguin en 3.1 et Bernard Poisson en 3.9). Il est possible d’imaginer des solutions de remplacement et d’adopter une posture favorisant le changement continu, effort d’optimisation des rendements et de la beauté intrinsèque du phénomène, toujours perfectible.


    1 Le premier chiffre désigne le tome, le second, le chapitre du présent ouvrage.

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    Les organisations

    De l’analyse fonctionnaliste à

    l’analyse critique

    Francine SÉGUIN

    Les sociétés industrielles sont d’abord et avant tout des sociétés d’organisations formelles, c’est-à-dire des sociétés à l’intérieur desquelles la vie politique, économique, culturelle et sociale se déroule presque essentiellement dans des organisations formelles. Ce qui est paradoxal, c’est que cette omniprésence du phénomène organisationnel n’ait pas suscité de vastes programmes de recherche et n’ait pas réussi à sortir les théories de l’organisation de l’état de confusion dans lequel elles se trouvent.

    En fait, les théories de l’organisation nous semblent actuellement dans un cul-de-sac. Une des raisons principales réside dans le fait que plusieurs disciplines aident les chercheurs à comprendre les organisations (sociologie, psychologie, économique, etc.), mais que ces disciplines sont ce que Kuhn appelle dans La structure des révolutions scientifiques des disciplines « inachevées ». Non seulement y a-t-il, plutôt qu’une science de l’organisation, des sciences de l’organisation, mais encore ces sciences sont dans un stade multiparadigmatique ou de dualité paradigmatique. La sociologie des organisations en est un exemple frappant. Deux paradigmes s’affrontent : le paradigme fonctionnaliste et le paradigme critique. Chacun avec ses grandeurs et ses misères, ses contributions et ses lacunes¹.

    L’analyse fonctionnaliste

    Dans leur livre Sociological Paradigms and Organizational Analysis², Burrell et Morgan font remonter la tradition intellectuelle fonctionnaliste à Auguste Comte, Herbert Spencer et Émile Durkheim, trois sociologues qui, chacun à sa manière, ont été préoccupés par l’explication des phénomènes d’ordre social et de régulation au sein des sociétés. C’est par ailleurs à travers l’anthropologie de la première moitié du XXe siècle, et en particulier sous l’influence de Malinowski et de Radcliffe Brown, que le fonctionnalisme va s’élaborer. C’est à Malinowski³ que l’on doit le mot « fonctionnalisme » et à Radcliffe Brown⁴ que l’on doit une première systématisation du fonctionnalisme. Le fonctionnalisme, comme façon d’organiser le réel, est en affinité avec la pensée cartésienne et les schémas classificatoires, très souvent dichotomiques, qui caractérisent notre pensée occidentale. Le fonctionnalisme est aussi très sécurisant puisque, d’une part, il cherche à établir des relations claires et linéaires entre certains facteurs et leurs conséquences et que, d’autre part, il s’intéresse davantage à la situation actuelle qu’aux situations possibles. Le fonctionnalisme n’est nullement tourné vers l’analyse causale qui oblige très souvent le chercheur à remettre en cause l’ordre établi ; il n’est pas non plus tourné vers la définition de situations de remplacement toujours menaçantes pour les tenants du statu quo.

    Si, au cours de son histoire, le fonctionnalisme a pris différents visages qui ont donné lieu à certains débats parmi les fonctionnalistes eux-mêmes, il n’en reste pas moins qu’il présente, dans ses caractéristiques fondamentales, une unité profonde. L’analyse fonctionnaliste repose en effet sur deux postulats fondamentaux. D’une part, le postulat de l’unité fonctionnelle, c’est-à-dire que tout système qui survit, que ce soit la société dans son ensemble ou une de ses parties constituantes comme les organisations, est considéré comme un tout dont les parties sont bien intégrées les unes aux autres ; d’autre part, on fait le postulat que le système est en équilibre quasi stationnaire, ce qui signifie qu’au-delà de certains ajustements, le caractère du système demeure fondamentalement le même et ne change pas. Certains mécanismes rendent possibles cette intégration et ce quasi-équilibre. Il y a tout d’abord le processus de socialisation, qui transmet les valeurs fondamentales du système aux individus et qui implique sanctions ou récompenses selon que les comportements sont déviants ou conformes. La socialisation permet ainsi la création d’un consensus qui est indispensable à l’intégration des individus au système. Il y a ensuite les mécanismes de coordination fonctionnelle, qui relient les actions des individus les unes aux autres et empêchent une « variance » trop importante entre les comportements. Pour Durkheim par exemple, l’intégration des individus à la société industrielle, et la solidarité qui la caractérise, ne sont plus fonction des liens du sang comme c’était le cas dans les sociétés préindustrielles, mais découlent de la division du travail. Il y a aussi les mécanismes de différenciation fonctionnelle qui impliquent spécialisation et permettent au système de s’ajuster, tout en se maintenant en équilibre, lorsque changent les conditions internes ou externes au système. Il y a enfin les mécanismes de feed-back ou de rétroaction qui permettent à ce dernier de s’ajuster et de se corriger en fonction de ses erreurs.

    Le fonctionnalisme est donc fortement orienté vers le maintien du statu quo et il laisse peu de place au changement social, si ce n’est par le biais de certains ajustements rendus nécessaires par l’existence de. dysfonctions. C’est donc une théorie de l’ordre social, tant dans ses postulats que dans ses implications au niveau de l’action.

    L’analyse des organisations va devenir, dans la deuxième moitié du xxe siècle, un terrain privilégié d’application du fonctionnalisme. Le structuro-fonctionnalisme de Parsons, Merton, Blau, Selznick et Gouldner va rapidement s’imposer comme théorie et comme méthode d’analyse. Philip Selznick, dans « Foundations of the Theory of Organization », affirme ceci :

    Un système empirique donné a des besoins fondamentaux, liés essentiellement à sa conservation : le système développe des moyens répétitifs d’autodéfense [...]. L’approche structurelle fonctionnelle repose sur le postulat suivant : le besoin fondamental de tous les systèmes empiriques est le maintien de leur intégrité et leur autoconservation.

    Avec le fonctionnalisme, les organisations sont alors considérées comme des systèmes caractérisés par un besoin fondamental, celui de leur survie. Et quand on regarde de près plusieurs théories de l’organisation, chacune à sa façon a comme préoccupation première d’identifier les arrangements capables d’assurer la survie de l’organisation. C’est ce que fait la théorie classique pour qui la survie de l’organisation repose sur la découverte d’un one-best-way, tant au plan de la production qu’à celui de la gestion. C’est aussi ce que fait l’école des

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