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La prise de décision en éthique clinique: Perspectives micro, méso et macro
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Livre électronique424 pages4 heures

La prise de décision en éthique clinique: Perspectives micro, méso et macro

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À propos de ce livre électronique

Afin d’aider les professionnels de la santé à prendre des décisions éthiques éclairées, cet ouvrage fournit des outils théoriques et pratiques. Réunissant les contributions de plusieurs experts reconnus travaillant dans le système de santé, il est fondé sur l’étude collective d’un cas complexe : doit-on ou non administrer un médicament coûteux pour le traitement d’un cancer au stade avancé ?
LangueFrançais
Date de sortie4 déc. 2013
ISBN9782760539075
La prise de décision en éthique clinique: Perspectives micro, méso et macro

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    Aperçu du livre

    La prise de décision en éthique clinique - Yanick Farmer

    Montréal

    Yanick FARMER

    Marie-Ève BOUTHILLIER

    Delphine ROIGT

    1. CONTEXTE

    La santé est un état de bien-être général qui permet aux individus d’affirmer leur statut d’agents rationnels et autonomes et de profiter des occasions qu’offre la vie en société. Elle est donc l’un des piliers d’une société libérale fondée sur la poursuite du bonheur individuel. C’est pourquoi, depuis quelques décennies, les gouvernements y investissent des sommes considérables. Cette situation explique en grande partie la pression croissante qui s’exerce sur tous les professionnels de la santé pour un usage optimal des ressources dans l’exercice de leur travail. Chaque jour, ceux-ci doivent prendre des décisions dans des environnements complexes où s’affrontent une pluralité de normes (cliniques, scientifiques, économiques, légales, culturelles, éthiques, etc.) qu’il n’est pas toujours facile de départager et d’élucider afin de prendre une décision éclairée. Ces conflits de normes engendrent des incertitudes ou des dilemmes pratiques qui sont parfois renvoyés aux éthiciens cliniques ou aux comités de bioéthique. Face aux défis éthiques vécus dans un contexte de prestation de soins, les modèles d’aide à la décision dont disposent actuellement les éthiciens et les cliniciens sont relativement nombreux, mais ils comportent des lacunes évidentes, notamment lorsqu’il s’agit d’aborder des problèmes à plusieurs niveaux (micro, méso et macro). Leur champ d’application est limité par leur incapacité à traiter une variété d’informations et à formaliser le processus de décision.

    À l’intérieur de ces modèles, la rationalité d’une décision repose trop souvent sur l’« intuition » des acteurs, plutôt que sur une démarche systématique, rigoureuse et facilement reproductible. Ces difficultés expliquent les besoins exprimés par de nombreux acteurs du milieu de la santé pour une réflexion interdisciplinaire de haut niveau apte à fournir des outils théoriques et pratiques facilitant la prise de décision des professionnels de la santé, des éthiciens, des gestionnaires ou des décideurs politiques. Cet ouvrage collectif résulte donc d’un constat récurrent dans les milieux de soins sur l’insuffisance des outils existants pour la prise de décision éthique. Ainsi, certains outils d’aide à la décision utilisés par les éthiciens cliniques, comme la méthode des scénarios pour ne nommer qu’elle, peuvent être jugés efficaces pour la résolution de problèmes à l’échelle micro, mais se révéler par ailleurs insatisfaisants pour d’autres problèmes ayant une portée plus large. De ce constat sur la nécessité de penser les problèmes d’éthique clinique dans une perspective plus globale est née l’idée d’organiser un atelier favorisant un dialogue soutenu entre des acteurs œuvrant aux principaux niveaux de décision dans le milieu de la santé. Cet ouvrage contient toutes les présentations faites lors de cet atelier.

    2. CHOIX DU THÈME ET DÉROULEMENT DE L’ATELIER

    Pour atteindre cet objectif général visant à faire émerger une vision plus large des problèmes liés à la prise de décision en éthique clinique, nous avons décidé de convier, pendant deux journées complètes, plusieurs experts reconnus dans le domaine de la prise de décision éthique afin de tester la limite des modèles existants et de proposer de nouveaux modèles ou des modifications à ceux-ci. La méthode choisie pour y arriver fut l’analyse de cas. Ainsi, en prévision de l’atelier, tous les participants (et pas seulement les présentateurs) étaient invités à prendre connaissance d’un cas complexe d’éthique clinique. Ce cas est présenté après l’introduction. En l’occurrence, nous avons choisi d’examiner la question du choix, par un clinicien, d’administrer ou non un médicament coûteux pour le traitement d’un cancer. Cet exemple touchant la dimension tragique des choix éthiques en fin de vie nous semblait propice à la mise en place d’une réflexion collective touchant de façon essentielle aux niveaux micro, méso et macro de la prise de décision. À partir de là, tous les experts présents lors de l’atelier ont été invités à proposer une analyse du cas à partir de leur propre champ d’expertise en détaillant leur démarche sous la forme d’un modèle. Dans ce processus, nous souhaitions que ces experts soient amenés à imaginer les limites de leur modèle : par exemple les enjeux méso pour un modèle micro ou les enjeux micro pour un modèle macro, etc. De ce travail devaient ressortir des pistes permettant de voir comment les modèles peuvent « s’emboîter » les uns dans les autres pour offrir une vision plus riche du problème. Afin d’éviter le simple parallélisme des perspectives, des espaces importants de synthèse, de discussion et de rétroaction entre les participants ont été prévus lors de l’atelier. Ce choix fut pertinent, car les présentateurs ont pu approfondir le contenu de leurs exposés au contact des autres participants. Nous croyons que le fruit de cet effort collectif de réflexion transparaît dans la qualité des contributions rassemblées dans les différents chapitres de cet ouvrage.

    3. RETOMBÉES ATTENDUES

    En tant qu’organisateurs et participants, nous partageons la conviction que les résultats de cet atelier auront une incidence significative à tous les niveaux de notre système de santé. Au niveau clinique, les éthiciens devraient être équipés d’un outil plus performant qui les aidera à voir plus clair lorsqu’ils seront aux prises avec des problèmes dont les répercussions débordent les seules considérations éthiques ou cliniques. Au niveau de la gestion des établissements, nous pensons également que l’allocation des ressources, enjeu central des années à venir dans le système de santé, profitera de ce dialogue interdisciplinaire. En effet, les principes qui guident l’allocation des ressources doivent pouvoir s’appuyer sur une prise en compte de toutes les contraintes qui s’exercent sur la décision (besoins cliniques, restrictions budgétaires, culture organisationnelle, lois et règlements, etc.). Or, c’est précisément à cet exercice que se sont livrés les participants à l’atelier. Quant au niveau de l’État, qui est celui des décideurs publics, il est permis de croire que la somme des compétences réunies lors de l’atelier aura une influence directe sur l’élaboration des politiques publiques applicables entre autres au choix des médicaments couverts par le régime public d’assurance. Plus largement, et puisque les Presses de l’Université du Québec publieront et diffuseront internationalement cet ouvrage collectif, nous souhaitons ardemment que les étudiants, les enseignants et le grand public francophones, profitent de l’accès à un ouvrage de référence important dans le champ de l’éthique biomédicale.

    La prescription d’un médicament contre le cancer

    non remboursé par le régime

    d’assurance médicaments du Québec

    Monsieur Côté est atteint d’un cancer colorectal à un stade avancé (métastases disséminées). N’ayant que 49 ans, il craint que sa vie ne soit abrégée alors qu’il est encore dans la fleur de l’âge. Son médecin, le docteur Bataille, veut tout faire pour l’aider dans sa lutte. Pour y arriver, il souhaite utiliser l’Angaspin (nom fictif) en le combinant à un autre médicament non spécifié dans le protocole d’utilisation de l’Angaspin défini par le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS). Pour cette raison, et parce que rien dans les études actuelles n’indique que la vie du patient sera prolongée ni que sa qualité de vie sera accrue, le traitement ne sera pas remboursé par le régime d’assurance médicaments du Québec. L’établissement devra donc en assumer les coûts. En outre, le patient, monsieur Côté, ne répond plus au protocole standard de traitement, ce qui indique que ses chances de survie sont faibles. Pourtant, madame Côté, son épouse, ainsi que ses deux enfants, Julie et Mathieu, gardent espoir que le dernier traitement proposé par le docteur Bataille portera ses fruits. Il faut savoir qu’un traitement d’Angaspin coûte annuellement 50 000$. Le docteur Bataille adresse donc sa demande au directeur des services professionnels (DSP) de son établissement. Entre-temps, alors que les discussions se poursuivent, le médecin obtient, par mesure préventive, le transfert de son patient vers un autre hôpital de la région, qui accepte de la prendre en charge, de payer et de lui administrer le traitement à l’Angaspin hors protocole.

    Selon vous, comment peut-on analyser le cas du point de vue de la famille, de l’éthicien, du médecin, du DSP ou du Ministère ?

    PRENDRE UNE DÉCISION

    Plusieurs modèles à disposition…

    Sylvie BOULIANNE

    Pierre FIRKET

    1. PRÉLIMINAIRES

    L’angle que nous proposerons à l’analyse est tout d’abord « rétrospectif ». C’est notre « métier » de médecin de première ligne qui nous donne cette possibilité de voir la situation dans un rétroviseur, bien en amont de « l’incident critique » qui consiste à prescrire ou pas un traitement singulier.

    Simultanément, nous veillerons ensuite à remettre de la temporalité et du « lieu ». Une prise de décision s’inscrit en effet à la fois sur une ligne de temps et dans un espace approprié. Elle ne se réduit pas à l’instant présent. C’est aussi notre « métier » qui nous donne cette faculté d’accompagner le patient « tout au long de sa vie ».

    Partant de ce regard porté en arrière, remontant parfois bien loin dans l’histoire singulière du patient, plusieurs réflexions viennent à l’esprit.

    Elles se situeront sur deux plans :

    le colloque singulier patient-médecin, avec la place de la famille, dans le processus de décision ;

    la gestion collégiale, en équipe, de la prise de décision en regard des responsabilités.

    Dans l’exercice de la médecine, face au patient, dans l’intimité de l’échange, ou dans la confrontation avec le regard des pairs, empreint parfois de jugements ou d’a priori, il s’agit bien de prendre une décision diagnostique et thérapeutique. Mais la complexité des situations présentées suscite parfois un sentiment d’impuissance voire d’échec devant les multiples déterminants qui la composent et dont il faudrait tenir compte. L’écheveau paraît inextricable ne donnant pas envie de commencer à le démêler… certains médecins finissant même par ne plus se poser de questions…

    Nous avons voulu apprendre à clarifier une situation complexe, en se posant les « bonnes » questions tout en acceptant de ne pas nécessairement pouvoir y répondre. Dans ce but, nous avons construit un modèle pédagogique d’apprentissage au raisonnement éthique qui devrait aider le clinicien à « rentrer dans la complexité » pour prendre une décision dont le caractère éthique tient à la fois dans la conformité et la prise en compte « des normes, des règles, et des valeurs admises d’une part, et dans son adéquation (adaptabilité) à la situation réelle toujours singulière » (Grassin et Pochard, 2000).

    Pour prendre une décision, il faut 1) créer un temps (une histoire singulière), un lieu (un espace délibératif critique) et 2) au moins (se) poser les questions que la situation suscite.

    2. QUELQUES COMMENTAIRES SUR LA BASE DES PRÉLIMINAIRES

    2.1. « PENSER LE CAS… » OU « PANSER MONSIEUR CÔTÉ ET SON HISTOIRE… » OU LE MODÈLE DE L’ÉTHIQUE NARRATIVE

    Le cas présenté ne nous dit rien de monsieur Côté. Il semble bien porter son nom… C’est un cas. Les médecins inscrivent parfois K dans leurs notes, comme signifiant de cancer. C’est peut-être moins connoté.

    Au moment où « l’incident critique » (prescrire) est proposé à notre analyse, pour le patient et son médecin de famille, « décider » sera sans doute plus aisé. Bien avant les prodromes de la maladie, antérieurement, il y aura eu la mise en place d’une relation de confiance, au gré des rencontres pour des motifs divers, pour lui, pour sa femme et ses enfants. Au fil du temps, aux différents moments du cycle de vie, lors de temps forts, progressivement, une qualité relationnelle, implicite, se sera tissée, faite de « bien entendu », de « comme convenu », de non-dits, de confidences, de secrets partagés. Un récit se sera construit, insidieusement, « en dessinant un univers commun à partir duquel on peut parler, […] introduis[ant] ainsi une relation de réciprocité entre deux récits qui se rencontrent » (Bolly et Grandjean, 2004, p. 47).

    Pour le médecin de famille, c’est l’histoire de monsieur Côté qui bifurque brutalement le jour où les résultats sont revenus « positifs ». (Drôle de terme…) « Je le savais. » Bien sûr qu’il le savait. Qu’il ne voulait pas le savoir, mais il y avait pensé, lors de la première consultation quand il avait dit « j’ai du sang… » et qu’il avait tenté de croiser le regard du médecin pour y déceler ses propres doutes, ses propres inquiétudes. C’est dans ce moment d’intimité, d’humanité, éphémère, d’une « inquiétante étrangeté de l’être » où l’on se dit que l’on verra bien.

    Les décisions se prennent déjà à ce moment-là… dans la relation singulière, ancrée sur la confiance et le respect de l’autre. Décider de dire la vérité (un droit et un devoir), de mettre en place la suite à donner, d’en parler ou pas à l’épouse, aux enfants, d’en mesurer les perspectives… à court terme ? Décider aussi de ne pas prêter attention aux questions sans réponse, et cela combien de temps ?

    Le processus thérapeutique s’est mis en route…

    Rien n’est dit, ici, sur ce qu’il sait. « N’ayant que 49 ans, il craint que sa vie ne soit abrégée alors qu’il est encore dans la fleur de l’âge. » Mais que sait-il, au fond ? La question est… éthique. Mourir ? Souffrir ? Espérer ? Traiter ? Apaiser ou guérir ? C’est le Dr Bataille qui « veut tout faire pour l’aider dans sa lutte ». L’épouse aussi veut garder espoir. Et lui ? Qu’est-ce qu’il veut ?

    La question de « l’incident critique », prescrire un médicament « hors-la-loi », se pose avec acuité. Peut-être cependant qu’elle n’aurait pas lieu d’être. Peut-être que les médecins ne sont pas tenus de faire l’impossible ? Peut-être que le patient pourrait évoquer son désir de continuer ou pas. « Je ne désire pas m’acharner… » pourrait être entendu. Peut-être l’avait-il déjà dit à son médecin de famille ? « Mais pour ma femme et mes enfants, je suis d’accord… »

    « Panser M. Côté » revient à inscrire toutes ces questions dans son histoire, par une « approche narrative [qui] vise à réhabiliter le patient dans son rôle de sujet et de personne à part entière » (Bolly et Grandjean, 2004, p. 46). C’est « prendre soin » de lui en privilégiant la parole dans le but de créer une « alliance entre le savoir du soignant et le récit du patient, pour coélaborer une suite à son histoire, une histoire qui ait du sens » (p. 46).

    La casuistique permet beaucoup de choses. Sûrement. Au départ de contexte singulier, elle aide à construire, en décontextualisant, des processus décisionnels « universels » qui pourraient s’appliquer à des situations similaires.

    L’éthique narrative va au-delà et exige de se centrer sur le patient comme auteur de sa propre histoire, sur la famille et tous ceux qui sont proches qui peuvent faire entendre leurs paroles, avec le sentiment d’être respectés, de créer une éthique de la relation avec le médecin « au sein de laquelle le médecin est coauteur d’un nouveau récit à construire » (Bolly et Grandjean, 2004, p. 48). Elle met à l’avant-plan la reconnaissance de la compétence du patient à décider, à exprimer ses valeurs, ses croyances, à développer le sens qu’il donne à ses choix, à ses priorités.

    Prendre une décision passe par la référence à l’éthique narrative, dans la singularité de la relation patient-médecin, dans une position d’écoute, avant tout.

    2.2. PENSER À LA SITUATION DE M. CÔTÉ, ENSEMBLE OU CONCILIER « RESPONSABILITÉ ET COLLÉGIALITÉ » OU LE MODÈLE DE L’ÉTHIQUE DE LA DISCUSSION (HABERMAS, 1992)

    « Son médecin, le Dr Bataille, veut tout faire pour l’aider dans sa lutte. » Un nom prédestiné…

    Le médecin décide et le patient dispose…

    Pas vraiment, naturellement. Il revient au médecin de partager avec les autres intervenants les différents déterminants de la prise de décision dans le cadre d’un processus de discussion. Il ne s’agit pas seulement d’un simple débat d’opinions ou de convictions, mais bien d’une confrontation d’arguments à justifier sur la base de repères moraux (déontologiques), scientifiques, légaux et éthiques d’où pourra émerger le commun dénominateur d’une action consensuelle, après avoir évoqué différentes options.

    Un « accord critique » obtenu en délibération interdisciplinaire permettra ainsi de valider les raisons pour lesquelles une décision sera prise.

    La décision médiale s’enracine dans une histoire complexe, celle du patient avec ses valeurs, son trajet de vie, ses croyances, sa situation familiale, sociale. Cette histoire ne peut se concevoir qu’en traversant le prisme des compétences des différents intervenants qui, à leur endroit respectif, agissent avec leur propre expertise.

    Ces regards croisés impliquent une démarche collégiale au cours de laquelle les différents points de vue seront partagés. En effet, une décision ne constitue jamais que l’aboutissement d’un processus réflexif en « mettant du temps » entre la question et la décision, seule manière d’éviter la tentation d’un certain pragmatisme réducteur qui privilégierait les arguments normatifs et les ambiguïtés morales. Créer un espace-temps de la discussion, réunissant tout acteur responsable à son niveau, de la situation, est essentielle pour permettre la confrontation des arguments et des contre-arguments entre plusieurs acteurs de soins « qui acceptent de se plier à l’argument plus fort ou supposé comme tel. Chacun [… fera valoir ses] arguments susceptibles d’éclairer la situation en fonction de son rôle et de ses compétences propres » (Grassin et Pochard, 2000).

    Tout au long des échanges entre pairs se dessineront les contours d’un consensus qui s’affranchira du risque de l’expression d’une « idéologie de groupe, [du] produit de la domination hiérarchique ou charismatique d’un ou de plusieurs membres du groupe » (Grassin et Pochard, 2000). Restera à appliquer la décision prise de manière collégiale. La responsabilité morale de chacun se trouvera engagée dans la collégialité de la décision, mais elle restera in fine l’apanage de celui qui a, institutionnellement, la charge de décider si « oui ou non, je prescris de l’Angaspin à M. Côté ».

    Le Dr Bataille a-t-il appliqué les modalités de « l’éthique de la discussion » ? En a-t-il parlé à ses collègues ? A-t-il pris le temps et mis en place un espace pour la discussion argumentée ? Monsieur Côté a-t-il été informé que ce processus avait bien eu lieu ?

    2.3. APPRENDRE À POSER LES BONNES QUESTIONS AU DÉPART DE SITUATIONS COMPLEXES, CELLE DE M. CÔTÉ, APPRENDRE LE RAISONNEMENT ÉTHIQUE OU LE MODÈLE DE L’ÉTHIQUE CLINIQUE

    « L’éthique clinique constitue l’art de discerner l’action la plus humanisante parmi toutes les actions possibles dans une situation donnée » (Malherbe, 1996, p. 60). Utiliser cette définition implique de poser la question du « comment faire pour bien faire ? ».

    L’histoire de monsieur Côté illustre bien cette question de « comment faire pour bien faire ? ».

    Le modèle qui suit a été développé dans cet esprit du raisonnement éthique à avoir en soi, au moment de la rencontre avec le patient. Comment garder la bonne distance pour laisser la place, au questionnement, au doute, à l’incertitude face à la situation et à la décision à prendre : « Il faut faire quelque chose… »

    Peut-être pas, finalement… Il n’est peut-être pas nécessaire de « faire quelque chose… »

    3. PROPOSITION D’UN GUIDE D’AIDE À LA DÉCISION CLINIQUE (D’APRÈS BOULIANE ET FIRKET, 2013)

    Le modèle proposé comporte deux moyens : un premier sous forme de trois questions types, et un second imagé par un triangle formé des trois déterminants au centre de la décision que sont le médecin, le patient et le contexte. Ces deux approches peuvent être utilisées indépendamment ou en complémentarité selon la situation clinique ou les affinités et préférences du clinicien.

    3.1. LES TROIS QUESTIONS

    Trois questions clés, faciles à retenir et à se poser au moment de prendre une décision.

    Quel est le sens de mon action ?

    En consultation avec ce patient, l’acte médical que je m’apprête à poser, la décision médicale que je vais partager avec ce patient ont-ils du sens pour lui, pour moi, pour les autres et pour la société à laquelle j’appartiens ? Par exemple : Est-ce que l’antihypertenseur que je m’apprête à prescrire à ce patient de 80 ans a du sens pour lui à ce moment de sa vie ? Quels sont mes objectifs thérapeutiques ? Quels sont ceux du patient ? Sur quels principes ces objectifs sont-ils fondés : la littérature scientifique, mes croyances personnelles, les désirs du patient ? Et pour la société qui en assume le coût ?

    Cette question vise à comprendre les enjeux de la décision clinique, les attentes du médecin et du patient, les facteurs qui influencent la décision, etc.

    Qu’est-ce qui ne va pas ?

    Par exemple : Pourquoi n’arrivons-nous pas à nous entendre le patient et moi ? D’où vient le malaise que je ressens devant ce patient ? Pourquoi suis-je si réticent à acquiescer à la demande de ce patient alors que cela me semble plus facile dans d’autres circonstances ? En réfléchissant à ce qui se passe lors de cette consultation, quelles valeurs et quels pouvoirs entrent en opposition ?

    Cette question permet d’identifier, de nommer le malaise dans une situation clinique donnée, d’en trouver l’origine, et donc de formuler le problème pour tenter de venir à bout de la difficulté.

    Quelles sont mes limites ?

    Par exemple : Jusqu’où dois-je aller dans cette situation clinique, avec ce patient ? Quel investissement est souhaitable, raisonnable ? Comment se soucier du patient tout en se respectant soi-même ? Comment tenir compte de ses valeurs, de ses contraintes de temps et de disponibilité ?

    Poser cette question, c’est se questionner sur ce qu’il est possible de faire, c’est aussi se confronter à son idéal professionnel. Cette réflexion sur ses limites peut permettre au clinicien concerné une prise de conscience d’une tendance à ne pas s’engager dans la prise en charge d’un problème qui lui paraît trop lourd ou encore à en faire trop.

    3.2. LE TRIANGLE

    Une autre approche pour susciter la dimension éthique s’inspire des travaux de R. Brian Haynes et al. (2002, 2007) et a pour point de départ un triangle élaboré par Bolly et Grandjean (1996, 2002, 2004, 2007) qui schématise les trois pôles de la décision clinique que sont

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