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Théorie U – Changement émergent et innovation: Modèles, applications et critique
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Livre électronique447 pages4 heures

Théorie U – Changement émergent et innovation: Modèles, applications et critique

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À propos de ce livre électronique

Les turbulences du monde contemporain nous conduisent à explorer les phénomènes de changement émergent, ceux qui portent en eux un potentiel d’innovation. Le changement organisationnel dont il est question dans ce livre ne découle pas d’une planification linéaire, mais plutôt d’un déplacement de posture et de regard : le changement en U, basé sur la théorie U de Scharmer.
LangueFrançais
Date de sortie12 nov. 2012
ISBN9782760534391
Théorie U – Changement émergent et innovation: Modèles, applications et critique

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    Aperçu du livre

    Théorie U – Changement émergent et innovation - Isabelle Mahy

    Canada

    LA NÉCESSITÉ D’INNOVER

    Si l’innovation est un thème connu, elle est aujourd’hui devenue un véritable enjeu car, depuis une dizaine d’années, la valeur des connaissances et de la créativité au sein des économies capitalistes a augmenté, plaçant ainsi les industries créatives au premier plan. D’ailleurs, la survie de l’organisation étant liée à sa capacité de renouveler ses produits et ses services pour faire face à la concurrence, apprendre à innover est devenu une priorité. La pression est réelle en Occident : s’ajoutant aux départs à la retraite massifs, les délocalisations, les décisions d’attrition et l’augmentation du taux de burnout mettent à risque un nombre croissant d’entreprises occidentales. Le vieillissement de la population ainsi que les turbulences du monde marchand mondialisé permettent de prévoir que les capacités d’innovation de nos organisations sont en train de devenir un véritable enjeu de société. Au Canada, par exemple, on aura ainsi perdu presque un million de travailleurs qualifiés en 2020. Déjà, en 2005, 40 à 60% des travailleurs de la génération des bébé-boumeurs avaient pris leur retraite. De ce fait, le savoir se fragmente et disparaît avec les personnes qui quittent les organisations, mettant ainsi celles-ci à risque.

    D’une part, diverses sources toxiques se retrouvent aujourd’hui au sein des organisations : l’économie comme valeur phare et point de repère unique pour la prise de décision, la fragmentation du travail, l’isolement, la disparition des espaces de parole et d’échange, la pression du court terme, l’absence de vision, le manque de reconnaissance, etc. Ces réalités déshumanisantes provoquent de la souffrance au travail qui se traduit, entre autres, par la perte de confiance aux autres et en soi, la disparition des solidarités, la perte de sens, le cynisme et la dépression. D’autre part, les impératifs de développement économiques, sociaux et culturels de l’organisation l’incitent à s’adapter et, dans un environnement mondialisé des plus turbulents, à devoir se redéfinir par ses produits, ses services, sa culture, donc ses pratiques, ce qui repose sur une créativité soutenue et une intelligence collective bien vivante. S’affrontent ici une sérieuse invitation à la transformation et une sclérose organisationnelle parfois sévère. Pour nous frotter souvent à la réalité organisationnelle, il nous apparaît que les ravages de la déshumanisation se poursuivent, ce qui nous pousse à suggérer que la créativité et l’humanisme essentiels à un réenchantement du monde semblent encore loin d’avoir irrigué nos institutions. Il s’agit donc ici d’interroger ensemble l’éthique et l’esthétique qui sous-tendent ce monde organisé et organisant.

    Dans le but de reconstruire cette humanité en effritement, afin de constituer des leviers permettant de retrouver les sources du plaisir au travail, divers processus créatifs d’accompagnement de ces changements ont donc été élaborés dans les dernières années. Le changement dont il est question ici est celui qui émerge d’une réflexion collective ou personnelle, et non celui dont on connaît déjà l’issue ou le résultat et qui, de ce fait, appelle une planification pour arriver au but. Le changement qui émerge est par définition inconnu a priori. Il découle d’un changement de regard, d’un déplacement de posture intérieure, d’une réflexion profonde qui constitue le cœur d’une transformation. Un tel changement n’est pas une simple adaptation à des fluctuations légères de l’environnement. Il s’agit plutôt d’une évolution – et parfois même d’une révolution – personnelle ou collective qui donne lieu à une nouvelle mobilisation et à un élan vers l’action.

    LE CHANGEMENT EN U

    Ce type de changement est souvent représenté dans la littérature par une forme de courbe en U. En effet, le U permet de situer facilement le début du changement (le haut de la branche à gauche) ; le creux de la courbe, au centre, correspond au moment crucial du changement de perception et donc du changement de regard sur sa propre vie ; le haut de la branche, à droite, représente la fin du processus de transformation. Ce simple trait rapidement esquissé permet donc de représenter un processus de changement d’ordre transformationnel que l’on nomme « courbe en U ».

    Nous proposons ici un état des lieux concernant ces divers processus de changement. Ils sont présentés sous divers angles. D’abord, par l’intermédiaire d’un relevé des modèles de changement transformationnel, le lecteur est amené à parcourir des univers très différents, du changement social au changement personnel, en passant par le changement organisationnel et groupal. Les processus et les modes d’accompagnement du changement sont abordés, tout comme les fondements qui sous-tendent les modèles. Ensuite, les caractéristiques de ce qui constitue ces modèles sont mises en relief et différents modes d’intervention sont présentés. Une fois cette mise en place effectuée, le changement, toujours considéré en tant que phénomène complexe, est abordé du point de vue de l’intervenant et des pratiques novatrices qu’il est invité à intégrer à ses propres façons de faire. En effet, constatant que de nombreux modes d’intervention n’étaient pas adaptés à la complexité des situations de changement collectif et d’innovation, nous avons développé et adapté, par la recherche-action, des approches d’accompagnement directement utiles en tant que révélateurs et catalyseurs de cette complexité. Enfin, nous présentons un regard critique sur les apports d’un modèle phare, la Théorie U de Scharmer.

    U, ÉTHIQUE ET ESTHÉTIQUE

    La perspective sensible et expérientielle est d’abord présente en tant que rapport esthétique au monde, autrement dit, dans ses propriétés de saisie, de traduction et de synthèse de la complexité d’une situation de changement transformationnel. Établi sur la base de ce qui est ressenti avant d’être objectivé et rationalisé, ce rapport s’incarne très concrètement dans l’intervention par diverses approches qui sont décrites à travers leurs fondements et à travers plusieurs études de cas. Le lecteur est ainsi amené à considérer un processus de changement en U par différents moyens d’intervention qui permettent d’accompagner les participants pendant l’expérience en agissant comme hôte ou semeur, ainsi que de capter, de recueillir et de diffuser la mémoire de l’expérience en agissant comme moissonneur, suivant une métaphore pastorale qui est dans l’esprit de l’émergence. Cette forme d’art social que constitue l’intervention – cet art de l’orchestration des conditions qui favorisent le changement – invite donc à la créativité, tout comme il redéfinit les rôles en présentant un véritable paradigme qui s’inspire à la fois du travail des artistes et de la nature organique du phénomène, tout en situant ses ancrages dans un humanisme renouvelé et une posture critique affirmée.

    Souhaitant proposer au lecteur une véritable oasis d’innovation sociale en matière d’intervention, nous proposons des contributions qui font découvrir une solide alternative aux modèles dominants hérités des années 1960, encore aujourd’hui largement focalisés sur le changement planifié, la gestion de conflit, la dynamique de groupe et les rapports de pouvoir, le tout dans une perspective productiviste aux effets toxiques évoqués plus haut. Loin de nous l’idée de rejeter la pertinence de ces études mais ici, la focale se déplace vers un paradigme alternatif, fondamentalement positif, centré sur l’émergence, donc sur ce que l’énergie, la volonté, l’émotion et la créativité d’un groupe ou d’une communauté peuvent accomplir pour favoriser une intelligence collective éclairée. Le lecteur est invité à découvrir pourquoi et comment une personne ou une communauté s’engage avec cœur, de manière responsable et durable, à changer le monde en changeant d’abord elle-même.

    Autrement dit, l’innovation sociale est possible mais aucun apprentissage n’évite le voyage. En d’autres termes, c’est un impératif de cohérence qui nous est rappelé ici : on ne peut espérer changer le monde sans changer soi-même. Si une telle affirmation peut sembler ridicule de prime abord, elle traduit néanmoins très bien l’état actuel des pratiques sur le terrain. Nous avons croisé de nombreux cas d’organisations qui, une fois engagées dans un changement présenté comme profond, freinent des quatre fers dès l’instant où ledit changement commence à les toucher réellement. Quand on mise non pas sur le contrôle mais sur l’émergence, il faut accueillir ce qui émerge car c’est le matériau initial de la transformation. Ne pas le faire équivaut à s’esquiver dans le déni. Le changement dont il est question ici n’est donc pas cosmétique ou décoratif, il engage et mobilise, il fait éclater les certitudes et redirige l’esprit, il éveille et transforme. Cessons donc d’affirmer que l’on ne sait pas comment transformer le monde, on le sait, c’est la peur qui nous immobilise, que l’on évite d’affronter, comme la littérature héroïque nous l’enseigne depuis des millénaires. Croire en quelque chose et ne pas le vivre, c’est malhonnête, disait Gandhi. Qu’on se le tienne pour dit.

    Le voyage que nous proposons ici est en fait une expérience dont la nature est sensible, aussi subtile que son ontologie est fragile, qui prend l’allure ordinaire des petites choses sans importance, des déplacements imperceptibles de la pensée qui, pourtant, au bout du chemin, ont des effets colossaux.

    Certes, je n’ai rien appris que je ne sois parti ni enseigné autrui sans l’inviter à quitter son nid… Aucun apprentissage n’évite le voyage. Sous la conduite d’un guide, l’éducation pousse à l’extérieur… Partir. Sortir. Se laisser un jour séduire. Devenir plusieurs, braver l’extérieur, bifurquer ailleurs… Je ne saurai jamais plus qui je suis, où je suis, d’où je viens, où je vais, par où passer (Serres, 1991, p. 27-29).

    Comme le dirait Michel Serres, comment convaincre une personne, un groupe de personnes, une organisation à quitter son nid, même si celui-ci est devenu insalubre ou trop petit, ou s’il a été en partie détruit pas la tempête ? Est-ce en promettant que la vie saura mettre sur notre chemin, le moment venu, le lieu et les ressources pour se reconstruire quelque chose de mieux adapté et de plus agréable ? La question est déstabilisante, comme le sont la plupart des situations complexes auxquelles nous faisons face aujourd’hui. L’anxiété que provoque cette complexité peut nous immobiliser, au point où tout est bon pour ne pas aller de l’avant car ça serait perçu par l’entourage organisationnel comme une manifestation de perte de contrôle, un dérapage du système, une perte d’efficacité, de rendement, de productivité. C’est donc sur le seuil que nous restons souvent à piétiner, hésitant à le franchir et à affronter la peur, le jugement et le cynisme. Pourtant, ceux qui font le voyage le savent ; au-delà, plus rien n’est pareil.

    Ce texte est une espèce de collage de divers bouts de papier, de petits textes, de pensées éparses que j’ai formulées au cours des 20 dernières années autour de la question des processus non linéaires d’intervention, bouts de texte que j’ai surtout rédigés dans ma pratique d’enseignant en créativité.

    La vie nous réserve parfois de drôles de surprises ; après 25 années d’enseignement et d’intervention sociale, après 40 années de recherches consacrées essentiellement aux comportements humains, je me suis aperçu que j’avais retenu près de moi (dans des notes, des photocopies, des plans de session, des notes de cours, sur mon disque dur, dans ma bibliothèque, dans mes souvenirs) un certain nombre de modèles, d’auteurs, de lectures qui avaient la curieuse propriété de décrire des processus humains qui étaient de nature non linéaire et qui pouvaient s’illustrer sous la forme de courbes en U. Puis il y a eu plusieurs expériences personnelles et en groupe (de création, de pertes significatives, de changement, d’apprentissage) qui ne pouvaient être décrites adéquatement que sur des lignes en U. Et il faut ajouter à cela les personnes que j’ai rencontrées dans des séries d’entrevues, menées au cours des six dernières années, qui avaient vécu ou vivaient encore l’instabilité, la marginalisation, et qui, pour plusieurs, avaient réussi à trouver une nouvelle place dans ce monde, dont la vie même constituait une suite d’aventures en U.

    Ces modèles ne sont jamais apparus d’une façon planifiée dans ma vie, sauf dans les derniers mois où mon travail sur les courbes en U est devenu plus systématique. Par exemple, j’ai découvert le modèle du deuil et de la mort annoncée de Kübler-Ross lorsque j’étais responsable du Centre d’études sur la mort de l’Université du Québec à Montréal (vers 1994) ; le modèle du rite de passage de Turner lors d’une conférence de mon collègue Gilles Coutlée et de la direction d’un mémoire de maîtrise quelques années plus tard ; le modèle du processus créateur lors de la création d’un cours sur la créativité et l’intervention sociale, vers 1999 ; le modèle du pèlerinage mis au point avec Roger Tessier en 1996 pour la préparation d’une session intensive sur les processus non linéaires de résolution de problèmes ; le « choc amoureux » d’Alberoni, lors de la préparation d’un premier cours sur les relations amoureuses vers 2005 ; le modèle de Joseph Campbell lors de la préparation d’une étude sur Ulysse et le mythe fondateur de la recherche vers 1988. La découverte de la structure des révolutions scientifiques de Kuhn est probablement la plus ancienne remontant à mes études doctorales vers 1984. Certains des textes et des auteurs m’ont été recommandés par des professeurs ou des collègues, d’autres ont été découverts en glanant ou en cherchant.

    Mais ces textes, de par leur seule dimension théorique, n’auraient pas suscité, ravivé, retenu mon intérêt pendant toutes ces années. Comme je l’ai mentionné, ces modèles, qui portent essentiellement sur des processus d’apprentissage et de changement, m’ont amené à revoir, à restructurer mes enseignements ; ils m’ont amené à revoir de fond en comble mon rôle d’enseignant et d’intervenant, et mon rôle de chercheur, à la fois dans ses dimensions sociales et éthiques. J’espère que le texte qui suit saura refléter l’importance que les processus en U ont eu sur ma vie, leurs liens avec tout le courant humaniste de la fin du XXe siècle, un humanisme qui, s’il n’est pas explicitement formulé dans ces visions des grands processus humains, demeure la trame de fond de toute possibilité d’y vivre et d’y grandir.

    Et puis je dois aussi avouer que si ces modèles « traînaient » un peu partout autour de moi, c’est vraiment ces dernières années, après ma rencontre avec ma collègue Isabelle Mahy, que j’ai commencé à y mettre un peu d’ordre, que j’ai décidé d’élargir mon regard sur les processus en U. C’est vraiment par Isabelle que j’ai découvert l’intérêt que ce genre de processus suscitait actuellement, intérêt qui m’est aussi confirmé par des étudiants et anciens étudiants qui m’ont interpelé à ce sujet. C’est aussi Isabelle qui m’a suggéré d’étirer ce qui, au premier abord, n’était qu’un collage théorique de quelques dessins en U ; elle m’a proposé d’y joindre une dimension fieldbook, dimension qui devait permettre de mieux saisir les questionnements, les pratiques d’intervention sur le terrain (aussi bien chez les individus que dans les groupes ou les organisations) qui sont générées par des modèles de processus en U. J’ai facilement réuni plus de 600 pages sur ces modèles en U ; la bibliographie présente des liens avec des sites et des textes qui permettent de consulter ces pages.

    Une première mouture de l’« inventaire » des courbes en U ou des processus non linéaires, qui regroupe une soixantaine de modèles ou de courbes, est présentée en annexe avec une liste de ces processus. Une quarantaine de ces processus sont également illustrés en annexe.

    On remarquera que certains des processus évoqués ici n’ont jamais été, à ma connaissance, illustrés auparavant par des courbes en U (je pense ici à Kuhn, à Campbell et à quelques autres). Plusieurs processus ont été illustrés par des cercles ou des boucles, d’autres par des spirales, d’autres encore par des espèces d’escaliers dont les marches représentent des périodes de stabilité et les contremarches des périodes rapides et révolutionnaires de changement ; mais je crois que tous les lecteurs prenant connaissance de la description de ces processus seront d’accord pour leur reconnaître la même nature humaine, la même structure et le même passage que ceux proposés dans les courbes en U.

    Finalement, la vie n’est-elle que la suite ininterrompue de nos pertes, de nos victoires, de nos transitions, de nos transformations, de nos passages, de nos rencontres, comme l’illustre ici dans la figure 1.1 cette rapide courbe de vie formée essentiellement d’une suite de passages en U ?

    Pratiquement tous les processus en U que nous avons répertoriés ont été décrits dans la seconde moitié du XXe siècle, la plupart après les années 1970, donc après les grandes remises en question épistémologiques dans les sciences humaines et physiques (notamment les nouvelles sociologies, les nouvelles psychologies, les approches éthiques à l’intervention et à la recherche, la non-linéarité et le chaos, l’écologie et les systèmes ouverts…) ; nous reviendrons plus loin sur le caractère « moderne » de ces modèles.

    Les courbes les plus récentes, quand même assez nombreuses, semblent liées à diverses tentatives pour mettre en place de nouvelles pratiques d’intervention dans les organisations ; preuve peut-être que ces approches nouvelles arrivent « enfin » dans l’univers organisationnel qui a toujours de la difficulté à se sortir de cette réputation d’être construit sur le contrôle, la rationalité, la prévisibilité, l’efficience…

    Autre élément d’importance pour moi : ces diverses courbes viennent à peu près également des univers de la pratique de l’intervention et de la recherche ; certaines sont apparues après des études sur d’anciennes civilisations, d’autres sur des processus humains contemporains ; certaines décrivent des processus d’intervention qui viennent de naître, d’autres des rituels qui existent depuis des millénaires. On reviendra sur le caractère universel du processus.

    Et puis je ne puis fermer cette introduction sans mentionner ces personnes que j’ai rencontrées, que j’ai écoutées, dans mon travail d’enseignant, d’intervenant, de chercheur ; ces personnes qui m’ont parlé de leur vie, de leur mort, de leurs expériences, de leurs souffrances et de leurs plaisirs. Il y a dans ces courbes en U une façon, une approche nouvelle à la mise en place de processus d’apprentissage et de changement, beaucoup plus respectueuse, beaucoup plus profonde, beaucoup plus valorisante pour tous les êtres humains, une façon qui demande de sortir des modèles traditionnels de formateur et d’intervenant.

    Certes, je n’ai rien appris que je ne sois parti ni enseigné autrui sans l’inviter à quitter son nid… Aucun apprentissage n’évite le voyage. Sous la conduite d’un guide, l’éducation pousse à l’extérieur… Partir. Sortir. Se laisser un jour séduire. Devenir plusieurs, braver l’extérieur, bifurquer ailleurs… Je ne saurai jamais plus qui je suis, où je suis, d’où je viens, où je vais, par où passer (Serres, 1991, p. 27-29).

    Espérant, en toute modestie, que les pages qui suivent sauront participer au changement et à l’amélioration « réelle » de ce qui se passe autour de moi, de nous, je vous présente ici, sous forme d’un collage sans hiérarchie (ni d’importance, ni d’âge, ni de complexité) ce que j’ai pu glaner et collectionner jusqu’ici sur ces processus.

    Je désire vivement enrichir ma collection et vous invite à me contacter (<carle.paul@uqam.ca>) pour me faire connaître vos propres découvertes, vos propres pratiques.

    1 L’ANALYSE DES COURBES EN U

    1.1. QUELQUES CARACTÉRISTIQUES COMMUNES AUX DIVERSES COURBES

    L’examen des courbes proposées dans les annexes de ce chapitre permet de dégager un certain nombre de caractéristiques qui semblent communes aux divers processus ou qui se dégagent de l’ensemble. Je les présente ici sans hiérarchie ou ordre d’importance :

    L’ensemble des courbes démontre le caractère universel des processus en U ; tous les êtres humains et les groupes humains vivent à plusieurs reprises dans leur existence ce genre de processus (rites de passage, rencontres, pertes, ruptures, chocs). Ces passages peuvent parfois être difficiles, notre vie ou notre santé peuvent même en dépendre. Ces processus structurent nos mythes, nos contes, nos histoires, même nos pathologies (les histoires que nous écrivons sur nous-mêmes) ; on pourrait même aller jusqu’à dire qu’ils constituent une réponse humaine « normale » à une situation de la vie.

    Habituellement, ces processus se mettent en place dans une situation de changement : les courbes en U en constituent en quelque sorte la carte ; la situation de changement ou de transformation peut être déclenchée par un événement externe (perte, choc, traumatisme) ou par un événement interne (décision, appel, ouverture, arrêt, suspension de quelque chose), ou par un mélange des deux (le choc amoureux) ; l’interne et l’externe en viennent d’ailleurs à se confondre au moment de la transformation ou après celle-ci, les gestes de communication entre les deux étant au cœur des activités de changement.

    Les processus sont habituellement marqués par des émotions fortes, vécues par les participants, émotions qui sont généralement jugées négatives (colère, honte, culpabilité, peur) dans nos groupes, familles, sociétés.

    L’expérience du passage entraîne la plupart du temps le ou les participants dans une ou plusieurs formes de souffrance (physique, mentale, émotive, spirituelle, symbolique), si bien que cette souffrance, ou l’énergie qui y est associée, semble nécessaire à la possibilité de transformation.

    Les processus sont aussi marqués par ce qu’on peut généralement appeler une période plus ou moins longue d’ambiguïté, de déstructuration, de chaos, de désorganisation…, ce que certains appellent la « période liminaire ».

    La plupart des façons de sortir de cette désorganisation et des émotions qui y sont liées impliquent deux réflexes fondamentaux : la pratique de l’écoute (de soi et des autres) et le laisser-aller dans le monde de l’image, de l’intuition, du symbole, de la création… provoquant les miracles, insights, illuminations nécessaires au retour.

    Tous ces processus en U retrouvent en fin de parcours des personnes et des organisations nouvelles, avec une nouvelle image de ce qu’elles sont, une nouvelle image du monde dans lequel elles évoluent, une nouvelle image du rôle qu’elles ont à y jouer, une nouvelle idée des règles qu’elles entendent suivre ; on peut alors parler du caractère « révolutionnaire » du processus.

    Les processus en U sont marqués par le caractère d’imprévisibilité des changements ; on se situe ici complètement en dehors de ce qu’on a appelé le « changement planifié » ; les processus sont aussi marqués par l’incommensurabilité des changements ; même si les individus ou groupes peuvent sentir le ou les changements, on ne peut les évaluer quantitativement par rapport à la situation de départ.

    Malgré l’imprévisibilité mentionnée au point 8, on note que les passages sont marqués par la complexification des personnes, des organisations, des actions, des règles ; la plupart des processus démontrent la capacité plus grande des participants à gérer la complexité de leur vie après le passage ; des grilles de connaissance et d’interprétation plus complexes de la réalité sont mises en place après le passage. Les processus en U sont aussi des processus d’adaptation à des situations nouvelles, plus complexes.

    Les processus en U semblent toujours impliquer la mise en place d’activités d’apprentissage pour alimenter le changement, donc impliquent transformation, apprentissage et adaptation au monde. Plusieurs auteurs n’hésiteraient probablement pas à dire que les processus en U sont les processus de la vie, ou à l’opposé, qu’il n’y a pas de vie ou de survie possible dans des processus autres qu’en U.

    Ces processus en U s’harmonisent avec des approches récentes en sciences humaines ou ils en découlent : le discours humaniste et éthique sur les valeurs, l’écoute (Rogers, Sartre), le discours constructiviste sur la cocréation de diverses choses dont les relations, l’identité, les rôles sociaux, le discours épistémologique sur la complexité et la complexification (Morin), la réflexion sur les systèmes ouverts, la théorie du chaos et l’évolution des systèmes vivants (Bateson, Maturana et Varela), le discours phénoménologique sur la construction et l’analyse de l’expérience humaine, l’analyse des systèmes ouverts… en fait, tout ce que l’on a qualifié de nouvelle science.

    Les processus en U sont marqués, lors du passage ou du changement, par la redéfinition des liens interpersonnels et des liens sociaux (entre autres, par la reconnaissance des véritables alliés et des véritables ennemis), par l’établissement de nouvelles pratiques de

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