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Former à l'éthique en organisation: Une approche pragmatiste
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Livre électronique291 pages3 heures

Former à l'éthique en organisation: Une approche pragmatiste

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À propos de ce livre électronique

La formation en éthique soulève des questions importantes et nous oblige à revisiter nos classiques, ne serait-ce que pour savoir qui on forme : forme-t-on la personne ou le professionnel ? Forme-t-on cette personne en fonction de son milieu de travail et du type d’organisation où elle travaille ? La forme-t-on en fonction d’un idéal type de personne et de professionnel ? Peut-on proposer un modèle de formation à l’éthique clés en main, transposable au sein de toutes les organisations ? C’est à ce genre de difficultés que les formateurs en éthique se butent et c’est en voulant répondre à ces questions que les auteurs de cet ouvrage en ont entrepris la rédaction.

Ils y proposent non pas un modèle de formation élaboré en fonction d’un idéal type, mais plutôt une démarche de formation à l’éthique ancrée dans une approche pragmatiste. Afin de bien clarifier les enjeux que recouvre la formation à l’éthique, ils rappellent d’abord la source des besoins de formation en éthique pour ensuite développer une approche inspirée par la philosophie pragmatiste de Dewey. Partant de ce cadre d’analyse, ils revisitent la notion de compétence éthique et insistent sur la nécessité de revoir la conception du pouvoir au sein des organisations.

La proposition qu’avancent les trois auteurs est elle-même élaborée de manière pragmatiste : elle table sur leur expérience d’intervention et de formation, tout autant que sur leurs plus récentes recherches. En ce sens, ils ont cherché la cohérence, autant dans leur démarche que dans leur proposition.
LangueFrançais
Date de sortie1 févr. 2017
ISBN9782760544291
Former à l'éthique en organisation: Une approche pragmatiste

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    Aperçu du livre

    Former à l'éthique en organisation - André Lacroix

    enseignements.

    Introduction

    Toute vie en société implique de réguler et de policer les comportements afin d’éviter les décisions intempestives, les choix aléatoires et les actions plus ou moins justifiées des uns et des autres. De la même manière, et pour les mêmes raisons, toute organisation, toute entreprise ou tout regroupement professionnel se doit de décréter certains comportements comme étant acceptables et d’établir des normes de conformité afin de bien identifier ce qui relève des « bonnes pratiques » et ainsi prévenir les mauvaises pratiques. En même temps que cette obligation de réguler s’impose, tous les professionnels, gestionnaires et travailleurs sont confrontés à des situations singulières qui ne peuvent être prévues par les codes de bonnes pratiques, échappant ainsi à l’ordre normatif préétabli. Cette singularité des situations suppose par conséquent la reconnaissance d’une autonomie (plus ou moins grande) aux professionnels et travailleurs de première ligne, tout autant qu’aux gestionnaires, cadres et employés pour « imaginer » les meilleures pratiques et prendre les décisions qui s’imposent dans ces contextes d’action singuliers, des décisions qui devront concilier les prescriptions du manuel de bonnes pratiques et le contexte de la situation.

    Une telle singularité des actions jumelée à une obligation de réguler ne peut aller sans soulever d’importants enjeux éthiques en ce qui concerne les conflits et les tensions de valeurs de toutes sortes (Lacroix, 2014). En effet, comment reconnaître l’autonomie des travailleurs et professionnels tout en encadrant cette autonomie par un cadre normatif qui se voudra le plus large possible, mais aussi le plus précis possible afin d’éviter les éventuels dérapages ? Comment, en d’autres termes, reconnaître l’autonomie d’une personne tout en subordonnant cette dernière à des mesures normatives qui risquent, finalement, de nier cette même autonomie que l’on souhaite reconnaître et promulguer ? C’est ce type de difficulté que rencontre toute personne ayant des velléités de former des travailleurs et des professionnels à l’éthique : forme-t-on les personnes en encourageant le respect d’un modèle d’autonomie déjà déterminé, mais qui n’est pas conçu pour rendre compte de la singularité des situations ? Forme-t-on les personnes en encourageant chez elle des comportements vertueux qui renvoient à un idéal type de travailleur, de professionnel ou de gestionnaire déjà déterminé ? Forme-t-on plutôt à partir des exigences propres aux diverses entreprises et organisations en fonction des valeurs qu’elles privilégient ? Pour le dire autrement, comment forme-t-on les travailleurs à l’éthique ? C’est à cette question que nous chercherons à répondre dans le présent ouvrage.

    Nous y répondrons en prenant en compte cette singularité et refuserons les objections voulant que les manières de faire que l’on remet en question fassent partie d’une culture et d’une tradition qui ne saurait être remise en cause. Toutefois, même si l’éthique a plus à voir avec la singularité que nous venons d’évoquer qu’avec un monde idéalisé, il n’en reste pas moins que la capacité des acteurs, et leur pouvoir à gérer correctement la dimension éthique des situations dans leur singularité, passe nécessairement par la prise en compte d’un cadre normatif dans lequel s’inscrit la situation. Selon la manière dont on aborde la situation, nous pouvons agir sur les contextes, soit sur les processus et la contrainte, ou sur la capacité des agents à intégrer la dimension éthique dans leur délibération. Cette façon de faire nécessitera alors d’agir sur la formation et l’aménagement de contextes de vie, de travail et de gouvernance où la réflexion devient possible au point de s’installer en amont de toute décision et analyse. Toute formation à l’éthique ne pourra donc faire l’économie de ces deux réalités : l’importance de prendre en considération l’existence d’un ensemble de normes qui balisent les bonnes pratiques et de les enseigner, en même temps que d’outiller les professionnels et travailleurs à pouvoir réfléchir ces pratiques en situation et penser leur action en fonction de cette réalité à laquelle ils sont confrontés.

    La gestion organisationnelle est habituellement entendue comme l’art de gérer et de conduire une personne (soi-même), un ensemble de personnes (un service ou une unité administrative d’une organisation) ou une organisation. En ce sens, elle fait traditionnellement appel à une conception du pouvoir assez classique qui est celle du pouvoir qu’exerce le gestionnaire sur les autres afin de contrôler ou d’orienter les comportements aux fins recherchées. En vertu d’un tel pouvoir, les gestionnaires seront ensuite invités à utiliser divers types de modèles de gestion pour amener leurs employés, par une contrainte explicite ou par une contrainte plus psychologique et subtile, à adopter les valeurs et les choix prescrits pour obtenir les résultats recherchés de manière efficiente. Dans ce contexte, et puisque conduire implique le pouvoir d’orienter et de diriger des personnes, que ce soit fait scientifiquement ou artistiquement (Mintzberg, 2009), et implique aussi de se donner le pouvoir d’agir sur l’autre, de le contraindre, les formations en éthique traditionnellement privilégiées par les spécialistes de la gestion vont davantage miser sur l’adoption de normes qui encadrent les comportements et contraignent les employés, les professionnels, les citoyens et les agents publics à agir dans le sens recherché afin de garantir l’intégrité de leurs décisions et comportements plutôt que de miser sur l’adoption de diverses mesures incitatives à la réflexion et à la critique afin de pouvoir arbitrer au mieux les situations auxquelles chacun est confronté. Cela se traduit par l’adoption de codes de conduites (chartes éthiques, codes de déontologie) ; et de normes comportementales ; de normes ISO visant à standardiser les comportements et les pratiques ; et de standards (normes, procédures, règles ou modèles de leadership) auxquels on pourra se référer et sur lesquels on pourra calquer les comportements recherchés. De tels modèles sont bien sûr fondés sur la recherche, avouée et assumée ou non, d’un contrôle des comportements et d’une gestion des risques (Alter, 2012 ; Clegg, Harris et Höpfl, 2013 ; Le Texier, 2016).

    À l’opposé de cette première acception de la gestion organisationnelle, cette notion peut aussi être entendue comme l’art d’accompagner un groupe de personnes ou une organisation afin de produire des biens ou d’offrir un ensemble de services dans le respect de la mission de l’institution et la prise en compte des réalités auxquelles cette organisation est confrontée (Follett, 1924). Des chercheurs parleront dans de tels cas de modèles managériaux d’organisation apprenante (Senge, 1990). Une telle conception implique que le gestionnaire se perçoive alors davantage comme un accompagnateur, un conseiller et un catalyseur plutôt que comme un modèle ou un « chef » contrôlant ses subalternes. Le formateur devra alors aussi se présenter comme un accompagnateur ayant pour principale tâche d’aider ce gestionnaire et tout autre professionnel à développer une compétence éthique, laquelle passe par une meilleure compréhension de l’action en situation, de son contexte, et des différents interlocuteurs impliqués dans la situation, tout autant que par la mise en place de conditions propices à cette prise en compte des facteurs susceptibles d’influencer l’action. Cette manière de concevoir l’éthique et la gestion implique ainsi qu’on reconnaisse l’importance des employés, des professionnels, des cadres dirigeants et des cadres intermédiaires dans la réalisation de ses objectifs et dans l’atteinte de ses buts tout autant que celle de l’environnement dans lequel ces personnes sont appelées à agir. Cela signifie aussi implicitement une reconnaissance de l’autonomie des personnes et de leur professionnalisme, c’est-à-dire une reconnaissance de leur capacité de reconnaître, d’analyser et de s’ajuster à la singularité des situations pour interpréter la norme en fonction des contextes. Ce modèle managérial comporte également la reconnaissance de l’importance du dialogue conçu, non pas comme un simple échange de civilité, mais comme une véritable co-construction de sens résultant de transactions entre les personnes. Enfin, il suppose l’acceptation implicite de la cohabitation de la norme et du jugement au sein de l’organisation et de ce qui en découle en matière de formation, soit une formation à l’éthique qui se construit à partir de l’action plutôt qu’à partir de la seule transmission de savoirs et du respect de l’autorité normative.

    Comme on le voit, nos hypothèses de travail sont chargées de conséquences. En même temps que nous défendons l’importance d’un cadre normatif prescrivant un ensemble de comportements, nous défendons l’importance que ce cadre normatif soit de nature réflexive, c’est-à-dire qu’il renvoie davantage à un cadre procédural permettant le déploiement d’espaces réflexifs au sein de l’organisation qu’à un ensemble de mesures disciplinaires susceptibles d’imposer la norme par la crainte de la sanction. Certains parleraient d’un « contrôle éclairé » et d’une cohabitation de l’ordre… et du désordre, ou encore d’une gestion plus « artistique que scientifique » des ressources humaines et techniques, sans renoncer à l’imputabilité. Tout en laissant à chacun le soin de nommer cette réalité, il est important de mentionner qu’une telle compréhension des choses nous renvoie à une compréhension du pouvoir qui est celle du « pouvoir–autorité », par opposition au « pouvoir–domination » identifié par Weber (2013), davantage utilisé dans les milieux de travail. La mise en place d’un tel pouvoir et le recours à une démarche éthique qui s’inscrit dans une telle conception du pouvoir impliquent l’implantation d’une gestion « décentralisée » qui fait cohabiter le respect de la norme avec la reconnaissance du pouvoir d’y déroger.

    En réalité, si, comme nous le croyons, l’éthique est d’abord une question de réflexion et d’analyse des valeurs (Lacroix, 2006), l’appel à la réflexion auprès des professionnels, que suppose une formation en éthique, va inévitablement interpeller leur conception de l’autorité au sein de l’organisation de même que la manière dont les gestionnaires et les dirigeants conçoivent la gestion du travail. Puisque les travailleurs et les professionnels sont invités à discuter de l’application des normes et à prendre part, même modestement, à la gestion du pouvoir au sein de leur organisation, la façon dont les membres de celle-ci envisageront le respect des normes, de même que leur représentation de l’autorité et du pouvoir, devront être analysés. Les notions d’autorité et de pouvoir en milieu de travail doivent donc être abordées dans le cadre d’une formation en éthique. Il nous faut également insister sur la singularité du questionnement éthique, sur les variables que doit intégrer le formateur en éthique et surtout, sur l’incidence que ne manquera pas d’avoir une formation en éthique au sein même de l’organisation, sur ses formes et sur la gestion du travail. Pour parvenir à créer une formation à l’éthique qui prenne en compte ces différents éléments de la vie en milieu de travail, nous privilégierons une approche pragmatiste qui propose de partir des contextes pour favoriser le développement d’une compétence éthique forcément décentrée. Cette formation ne serait pas essentiellement tributaire de la personne, mais tiendrait compte de la situation et de l’action générée dans la situation. Notre objectif n’est pas de masquer les difficultés que représente l’élaboration d’une formation à l’éthique en prônant un pragmatisme de bon aloi et un bricolage mercantile trop souvent mis en œuvre au sein de boîtes de consultants. Nous avons plutôt à l’esprit de nous en remettre à un programme de recherche qui s’est déployé tout au long du XXe siècle à partir des travaux de John Dewey.

    C’est à un tel programme que nous convions le lecteur en ouvrant le premier chapitre par un état des lieux de la formation en éthique. Ce travail de recension de l’offre et de la demande en matière de formation en éthique nous permettra de faire saillir les tensions existant entre la demande de formation exprimée par les entreprises, l’offre de formation offerte par les boîtes de consultants et la plupart des universités, et les besoins réels des travailleurs, professionnels et gestionnaires œuvrant au sein de ces entreprises. La démonstration faite, nous proposerons ensuite une typologie des modèles de formation en éthique. Cette classification nous permettra d’identifier les principaux modes de formation et de proposer celui qui nous semble être le plus à même de répondre aux besoins exprimés. Cette approche nous obligera enfin à clarifier notre compréhension de l’éthique et à la distinguer d’autres modes de régulation avec lesquels on la confond trop souvent. Trois objectifs sont donc poursuivis dans ce premier chapitre : 1) identifier l’offre et la demande de formation avant de faire voir que celles-ci découlent d’un ensemble de confusions ayant trait à l’éthique, au droit et à la déontologie ; 2) procéder à quelques clarifications conceptuelles autour de l’éthique ; 3) identifier un mode de formation.

    Ce mode de formation identifié, nous en exposerons les principales articulations dans le chapitre 2. Cette définition nous permettra de bien camper notre compréhension de l’éthique dans une approche pragmatiste et de faire voir les principales variables qui doivent être prises en considération pour qu’une formation à l’éthique puisse prétendre au succès ou, à tout le moins, bien prendre en compte la réalité des milieux de travail dans lesquels les travailleurs et les professionnels évoluent. Nous verrons alors que toute formation à l’éthique passe par le développement de la compétence éthique. Encore faut-il bien s’entendre sur ce que cette compétence recouvre. C’est ce que nous tâcherons de clarifier dans le chapitre 3. La compétence éthique bien campée, de même que le cadre conceptuel qui favorise son déploiement, il nous restera à identifier les principales contraintes pouvant freiner son déploiement au sein des organisations ou, à l’inverse, le faciliter. C’est l’objet du chapitre 4 où la démonstration est faite qu’une formation à l’éthique suppose nécessairement une remise en question de notre conception habituelle du pouvoir et, a fortiori, de la manière de concevoir l’organisation du travail et de la gestion en milieu de travail.

    À la fin de ce livre, ce n’est pas tant un vade-mecum de la formation en éthique que le lecteur découvrira, mais bien une propédeutique à l’élaboration d’une formation à l’éthique. Parce que nous croyons que l’éthique doit se penser à partir des réalités auxquelles sont confrontées les personnes et que ces réalités sont non seulement changeantes, mais qu’elles obéissent aussi à diverses contraintes normatives, il ne nous semble pas souhaitable d’enfermer la formation à l’éthique dans un modèle préfabriqué qui dicterait les bonnes pratiques et discriminerait les comportements afin de nous aider à distinguer les bons comportements des mauvais. L’éthique va au-delà d’une simple prise de décision et comprend la remise en question des approches essentiellement décisionnistes qui ramène cette dernière à la seule prise de décision. Il nous est donc apparu normal de baliser le chemin de la formation à l’éthique plutôt que d’en prescrire un modèle.

    C’est en prenant acte de ce parcours balisé que le formateur à l’éthique pourra, et devra, concevoir des formations propres à chaque milieu de pratique, à chaque demande. Il s’agit, par conséquent, davantage d’un guide pour le formateur à l’éthique que d’un modèle de formation à l’éthique. Plutôt que de relever d’un modèle prescriptif, la formation à l’éthique relève davantage d’une propédeutique réflexive. Elle devient tout autant une intervention et un accompagnement qu’un transfert de savoir.

    PARTIE 1

    FORMATION EN ÉTHIQUE

    Réconcilier la demande et l’offre avec la réalité du monde du travail

    CHAPITRE 1

    L’état des lieux de la formation en éthique

    1.1 Le contexte social

    Les années 1960 et 1970 ont été la source de nombreux bouleversements au sein des sociétés occidentales, engendrant notamment le « retour de l’éthique » comme mode de régulation et de réflexion des comportements et des pratiques au sein de l’espace public (Genard, 1992 et 2000) face aux insuffisances du droit (Lacroix, 2011a). Cette réintroduction de l’éthique dans le discours public ne se fait toutefois pas sans heurts et sans générer un certain nombre de confusions puisque, tant dans l’opinion publique que dans les textes législatifs (Thiel, 2014) et chez les décideurs (Boisvert, 2007), on persiste encore très souvent à assimiler éthique et morale, voire éthique morale et droit. Cette résistance de la population et des décideurs à opérer ces distinctions peut s’expliquer par le fait que la modernité a beaucoup réduit la pertinence de l’éthique en fusionnant les idéaux moraux et juridiques dans le seul langage juridique, comme le souligne Danilo Martuccelli (2010). Le droit serait ainsi devenu le principal réceptacle des préceptes moraux servant de guide à la vie citoyenne dans l’espace public. En ce sens, la modernité a consacré la subordination de l’éthique et de la morale au droit. Elle a pour ainsi dire inféodé la discussion de la plupart des problèmes éthiques à la seule dimension juridique. C’est dans un tel contexte que le retour de l’éthique dans l’espace public est souvent associé à une évolution du droit, ou à une prise en compte des problèmes éthiques par le droit.

    D’une manière assez paradoxale, cette subordination de l’éthique au droit se produit au moment même où le droit traverse une crise et que la prédominance du droit est remise en question par plusieurs théoriciens. Dans la foulée de cette crise ont émergé des éthiques dites « appliquées » (Ryberg, Petersen et Wolf, 2007 ; Lacroix, 2006) telles la bioéthique (Durand, 2005), l’éthique organisationnelle (Trevino et al., 2003 ; Bégin, Langlois et Rondeau, 2015), l’éthique du care (Brugère, 2011 ; Paperman et Laugier, 2011), l’éthique clinique (Farmer Bouthillier et Roigt, 2013) et l’éthique professionnelle (Legault, 1999). Ces nouvelles formes d’éthique se présentent tout à la fois comme de nouveaux modes de délibération professionnelle et citoyenne et de régulation venant pallier les insuffisances du droit.

    L’avènement de ces nouvelles disciplines que sont ces éthiques appliquées pose toutefois la question de leur légitimité, de leur fondement et de leur déploiement dans l’espace public, qu’il s’agisse d’espaces d’ordre politique, institutionnel ou organisationnel. S’agit-il de nouvelles formes de régulation sociale fonctionnant selon les mêmes modalités que le droit ou s’agit-il de disciplines répondant à de nouveaux impératifs méthodologiques et obéissant à des logiques qui leur sont propres ? Les réponses apportées par les chercheurs sont évidemment plurielles et elles reflètent les confusions que nous venons d’évoquer quant aux fonctions du droit, de l’éthique et de la morale. Bref, si l’on constate que la plupart des sociétés, de même que les spécialistes de la gestion, les dirigeants d’entreprise et les gestionnaires, ont évolué et favorisent désormais la prise en compte et l’intégration de la dimension éthique de l’agir dans la gestion du travail (Menzel, 2007), il faut aussi être pleinement conscient du fait que cette réintroduction de l’éthique dans l’espace public et dans les milieux de travail ne va pas forcément de soi quant à la manière de concevoir et de déployer l’éthique. En fait, comme le souligne Thiel, l’éthique est encore trop souvent laissée au bon vouloir de chacune de ces différentes parties :

    […] qui ont consenti à entrer dans ce champ tant bien que mal, en interrogeant les dilemmes de la pratique, à partir des ressources qu’elles pouvaient trouver dans la philosophie, la théologie ou les sciences humaines

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