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Analyse et pilotage des politiques publiques: France, Suisse, Canada
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Analyse et pilotage des politiques publiques: France, Suisse, Canada
Livre électronique701 pages5 heures

Analyse et pilotage des politiques publiques: France, Suisse, Canada

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À propos de ce livre électronique

Le projet de la modernisation de l’État entraîne de nombreux défis qui demandent une réflexion en profondeur sur la légitimité des actions publiques. Pour pouvoir juger de leur pertinence, de leur efficacité et de leur efficience par rapport à une situation sociale jugée politiquement problématique et inacceptable, un modèle d’analyse des politiques publiques est nécessaire. Il s’agit de distinguer une logique d’action, de discuter de sa cohérence et de -considérer sa mise en œuvre.

Cet ouvrage présente, après une rapide revue de la littérature, les clés de l’analyse de politiques publiques, fondées sur le jeu des acteurs impliqués, les ressources que ceux-ci parviennent à mobiliser et les contraintes et les possibilités amenées par les règles institutionnelles. Tenant compte des processus liés à la mise à l’agenda des problèmes publics, à la programmation des actions publiques, à la mise en œuvre de ces actions et à l’évaluation des politiques publiques, un modèle d’analyse est ensuite proposé et illustré par des exemples français, suisses et canadiens.

Ce modèle permet non seulement d’analyser les politiques publiques d’un point de vue scientifique afin de comprendre leur évolution, mais aussi d’accompagner des réformes d’institutions administratives ou de piloter de nouvelles politiques publiques. Les praticiens responsables des politiques publiques pourront en effet s’en servir pour mettre en évidence certaines régularités empiriques propres au fonctionnement des collectivités et des politiques publiques pour évaluer les chances de réussite et les effets attendus des projets de modernisation de l’État.
LangueFrançais
Date de sortie6 mai 2015
ISBN9782760542471
Analyse et pilotage des politiques publiques: France, Suisse, Canada

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    Aperçu du livre

    Analyse et pilotage des politiques publiques - Peter Knoepfel

    1

    Le cadre théorique

    Dans cette première partie, nous présentons, de manière succincte, le cadre théorique général dans lequel s’inscrit notre modèle d’analyse de politiques publiques, modèle qui sera présenté en détail dans les parties II et III.

    Chapitre 1

    Les Perspectives théoriques de l’analyse de politiques publiques

    L’analyse de politiques publiques consiste en « l’étude de l’action des autorités publiques au sein de la société » (Mény et Thoenig, 1989, p. 9). Cette définition est à peu près commune à l’ensemble des auteurs, francophones et autres, qui se sont spécialisés dans cette approche. En termes de disciplines, plusieurs branches académiques y ont été et y sont toujours associées. C’est ce que précisait déjà Wildavsky (1979, p. 15) dans son plaidoyer pour le développement de cette approche : « Policy analysis is an applied subfield whose contents cannot be determined by disciplinary boundaries but by whatever appears appropriate to the circumstances of the time and the nature of the problem. » De même, Muller (1990, p. 3) mentionne que « l’analyse des politiques publiques se situe au carrefour de savoirs déjà établis auxquels elle emprunte ses principaux concepts ».

    Nous présentons dans un premier temps une rapide revue de la littérature des écoles traditionnelles d’analyse de politiques publiques¹, puis nous exposons le cadre théorique retenu dans ce manuel.

    1.1 Les différents courants de l’analyse de politiques publiques

    Les dominantes disciplinaires observables au sein des différentes écoles se définissent en fonction des perspectives théoriques et normatives que les auteurs adoptent ou vers lesquelles ils tendent. Ainsi, à la suite de Mény et Thoenig (1989) ou de Muller (1995), on peut distinguer trois grands courants de l’analyse de politiques publiques, qui renvoient à des finalités différentes, sans pour autant être exclusifs. Ces courants se distinguent principalement par leur focalisation sur des champs d’analyse précis.

    Nous distinguons donc successivement un premier courant de pensée qui lie analyse de politiques publiques et théorie de l’État, puis un deuxième qui explique le fonctionnement de l’action publique et, finalement, un troisième qui s’attache à en évaluer les résultats et les effets.

    1.1.1 L’analyse des politiques publiques centrée sur les théories de l’État

    ²

    Pour une première catégorie d’auteurs, l’analyse de politiques publiques est un moyen d’expliquer l’essence même de l’action publique, les politiques publiques étant alors interprétées comme des « révélateurs » de sa nature. Ce courant, dominé et revendiqué par les sciences politiques, notamment en France, cherche à associer l’approche des politiques publiques à la philosophie politique et aux grandes questions relatives à la théorie de l’État. Mény et Thoenig (1989) définissent ainsi leur approche en termes de contribution aux questions relatives à l’« émergence et [à] la nature de l’État » ou à l’« essence du politique ». De même, Jobert et Muller (1987) placent leur ouvrage sur l’« État en action » dans la perspective de « combler le fossé qui sépare encore aujourd’hui ces recherches sur les politiques et les réflexions plus générales sur l’État dans la société contemporaine » (p. 9). Cette approche n’est pas exclusivement française, mais elle tend à être plutôt européenne³. Elle se décline en différentes familles de pensée, que Mény et Thoenig (1989, p. 67) regroupent selon trois « modèles théoriques » :

    Le premier modèle se situe dans une approche pluraliste concevant l’État comme un guichet chargé de pourvoir aux demandes sociales. Dans cette optique, les politiques publiques sont conçues comme des réponses à des demandes sociales et leur analyse révèle une perspective d’optimisation des choix collectifs et de rationalité des processus de décision et des comportements des « bureaucrates » (école du public choice⁴, théorie de la rationalité limitée⁵). Selon cette conception, l’absence d’une politique publique dans le domaine du sport, par exemple, indiquerait qu’il n’existe pas de problème public à résoudre, alors qu’on peut interpréter cette absence comme le résultat d’actions corporatistes ou privées qui visent à contrôler ce secteur malgré l’existence de problèmes publics considérables (dopage, corruption, etc.).

    Le deuxième modèle d’interprétation conçoit l’État comme un instrument au service, soit d’une classe sociale (approche néomarxiste⁶), soit de groupes particuliers (approche néomanagériale⁷). Dans ce cadre, l’analyse de l’action publique permet de mettre en évidence la faible autonomie de l’État vis-à-vis des intérêts capitalistes ou des acteurs et organisations privés qui le composent. Dans l’optique néomarxiste, la politique de santé, par exemple, n’est rien d’autre qu’une politique dont le but est, par exemple, de garantir des profits aux actionnaires des entreprises pharmaceutiques. Dans cette optique, un problème social ne peut devenir un problème public que si son traitement sert les intérêts des classes (économiquement) dominantes. L’approche néomanagériale part d’une interprétation similaire dans la mesure où elle remplace le concept de classe dominante par celui d’élites.

    Enfin, le troisième modèle insiste sur la distribution des pouvoirs et sur les interactions entre acteurs, soit à travers la représentation et l’organisation des divers intérêts sectoriels ou catégoriels (approche néocorporatiste⁸), soit à travers les organisations et les règles institutionnelles qui encadrent ces interactions (approche néoinstitutionnaliste⁹). Dans une optique néocorporatiste, les agents de l’État sont en grande partie « capturés » par les groupes d’intérêts (« clients ») avec lesquels ils entretiennent des relations privilégiées et exclusives, dans l’exercice du pouvoir public. Une telle approche appliquée à la Suisse conduirait, par exemple, à considérer que l’Office fédéral des vétérinaires « appartient » exclusivement aux groupes agricoles, raison pour laquelle cet office ne peut pas être intégré dans la Division du contrôle des denrées alimentaires au sein de l’Office fédéral de la santé publique. En France, cette analyse amène à considérer le rôle des grands corps de l’État et leurs rapports privilégiés avec leurs confrères « pantouflant » dans le secteur privé comme facteur explicatif du fonctionnement de l’administration centrale. Au Canada, cette approche permettrait de conclure, par exemple, que les décisions des ministères de la Santé provinciaux sont largement dictées par les ordres professionnels en santé et, plus particulièrement, par les collèges des médecins et les associations de médecins spécialistes.

    L’analyse de politiques publiques s’inscrit dans ces modèles théoriques comme un moyen de vérifier les hypothèses sous-jacentes au modèle privilégié. En résumé, la caractéristique de ce premier courant est qu’il se focalise sur les politiques publiques non pas pour elles-mêmes, mais comme un moyen de comprendre la place du secteur public au sein de la société¹⁰ et son évolution dans le temps, ce qui conduit à introduire l’analyse « du politique » dans l’analyse empirique de l’action et des organisations publiques et à centrer l’analyse sur cette interface.

    En France, l’état des réflexions, des tendances et des enjeux de cette école de pensée est reflété notamment dans le quatrième tome du Traité de science politique (Grawitz et Leca, 1985) et dans le livre consacré par Mény et Thoenig (1989) aux politiques publiques. On se référera aussi aux discussions plus récentes et plus informelles organisées par le groupe « politiques publiques » de l’Association française de sciences politiques et dont les échos sont publiés dans la Revue française de sciences politiques (Muller et al., 1996 ; Majone, 1996). Au Canada, cette école de pensée est peu présente dans l’analyse des politiques publiques, s’imposant davantage dans les travaux de sciences politiques plus classiques. À cet égard, on voudra se référer aux travaux d’André Lecours (2005) et de Béland et Cox (2011).

    Notre approche s’apparente partiellement à ce courant : d’une part, parce que nombre d’auteurs qui l’ont inspirée se positionnent dans ce courant et, d’autre part, parce que les travaux que nous avons menés dans ce cadre autorisent, en partie, une réelle interprétation du rôle de l’État dans la société sans pour autant viser ce but en premier lieu. Toutefois, notre démarche emprunte plus fondamentalement aux deuxième et troisième courants, compte tenu de leurs visées plus explicatives et évaluatives qu’interprétatives.

    1.1.2 L’explication du fonctionnement de l’action publique

    Le deuxième courant s’attache à expliquer le fonctionnement de l’action publique, l’analyse de politiques publiques constituant alors non pas un révélateur d’un fonctionnement général du système politique, mais un moyen de comprendre les modes opératoires ou la logique de l’action publique (Dente 1985, 1989 ; Dente et Fareri, 1993 ; Gomà et Subirats, 1998, p. 21-36). Au Canada, il s’agit du courant dominant dans l’analyse des politiques publiques, dont les auteurs les plus influents sont très certainement Leslie Pal (2013) et Michael Howlett (Howlett, Ramesh et Perl, 2009).

    Une telle démarche n’empêche pas une mise en perspective avec les théories présentées ci-dessus, ce qui explique que plusieurs auteurs de ce deuxième courant peuvent être communs aux deux familles. Ici, l’attention n’est pourtant plus centrée sur la justification d’une théorie, mais sur la mise en évidence de permanences, de règles générales de fonctionnement propres aux actions publiques. Dans ce cadre, l’analyse de politiques publiques permet de comprendre comment fonctionnent l’État et, plus largement, les collectivités publiques.

    Cette deuxième approche constitue de fait la problématique initiale des analystes de politiques publiques. Historiquement, ces derniers ont été fortement influencés par les politologues américains, dont les premières réflexions, qui ont émergé dans les années 1950-1960, étaient liées à un contexte de « rationalisation » de la décision publique, en vue d’en accroître l’efficacité. Dès 1951, Lerner et Lasswell publiaient The Policy Sciences in the United States, jetant les bases de cette approche.

    Toutefois, cette « science proche des problèmes réels » se scindera assez rapidement en deux écoles (Parsons, 1995, p. 20), l’une s’attachant à développer une meilleure connaissance des processus de formulation et de mise en œuvre des politiques publiques (l’analyse de la politique), l’autre cherchant à mettre au point un savoir utilisable pour et dans les processus de formation et de mise en œuvre des politiques publiques (l’analyse pour la politique). Soulignons toutefois que les analyses de l’une alimentent les expériences de l’autre, et vice versa. C’est ainsi que Mény et Thoenig (1989, p. 65), dans leur critique de cette approche, distinguent la fonction du scientifique, qui s’intéresse au progrès de la connaissance et du savoir, de celle du professionnel dont l’objectif est d’appliquer les sciences pour l’action.

    Ce deuxième courant emprunte son corpus théorique à plusieurs approches scientifiques : à la science administrative, aux sciences de la complexité (et notamment à l’analyse systémique), à la sociologie de la décision (publique) et, plus généralement, à la sociologie de l’action collective, aux sciences économiques et aux sciences de l’information.

    Quatre grandes figures vont marquer la formation de cette approche (Parsons, 1995 ; Mény et Thoenig, 1989). La première est celle du politologue américain Laswell (1951), le principal inspirateur de cette approche, avec une orientation avant tout « managériale » : ses travaux cherchaient délibérément à construire un dialogue entre chercheurs en sciences sociales, milieux économiques et décideurs publics afin d’améliorer l’efficacité de l’action publique. La deuxième personnalité est Simon (1957), dont les travaux sur les processus de décision humaine ont orienté ce type d’approche vers l’analyse des processus de décision publique (voir le concept de la « rationalité limitée »). Lindblom (1959) a également marqué le développement de l’analyse de politiques publiques en concentrant son analyse sur les marges de manœuvre limitées des décideurs publics (voir le concept des « changements incrémentaux »). Enfin, les travaux d’Easton (1965), qui fut l’un des premiers à appliquer la systémique au monde politique dans son ensemble, ont largement contribué au développement des principaux concepts de l’analyse de politiques publiques contemporaine.

    Ces différents auteurs, qui appartiennent à des familles de pensée parfois radicalement opposées, ont marqué l’émergence de cette approche et la mise au point des concepts utilisés dans ce type d’analyse, et repris dans cet ouvrage. Plus précisément, l’État n’est plus considéré comme un acteur unique mais comme un système politico-administratif, complexe et souvent hétérogène, dont il faut comprendre le fonctionnement pour éventuellement en tirer des « prédictions » ou des « recommandations ». Néanmoins, ici encore, plusieurs perspectives sont privilégiées selon les auteurs.

    Certains auteurs vont centrer leurs analyses sur les processus de décision et sur les stratégies des acteurs. Ce type d’analyse s’apparente, d’un côté, aux travaux des sociologues des organisations publiques, représentés en France principalement par Crozier et Friedberg (1977), et, de l’autre, aux travaux inspirés de l’analyse de système appliquée aux décisions humaines, dans la lignée des travaux de Simon (1957) et, en France, de Morin (1977, 1980) ou Le Moigne (1990), et s’attachant à l’analyse des systèmes-acteurs ou systèmes d’actions concrets. Cette approche trouve ses prolongements professionnels dans le « management public » promu notamment par les travaux réalisés dans le cadre de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE)¹¹. Ainsi, le Public Management Service (PUMA) de l’OCDE fait régulièrement paraître des publications sur le rôle des « managers » dans les organisations publiques considérées comme des systèmes. Cette approche est peu sensible à l’analyse des politiques publiques menées par les administrations analysées. Au Canada, on pensera surtout aux travaux de Michael Howlett, qui mettent les acteurs au cœur de l’analyse des processus de politiques publiques, ou encore à ceux de Leslie Pal.

    D’autres travaux s’intéressent aux outils et instruments de l’intervention publique. Dans ce cadre, les approches économiques et notamment les recherches sur l’économie politique prédominent. Ces travaux analysent les modes d’action publique au regard de leur efficacité, soit d’un point de vue macroéconomique (dans la lignée de Pareto, Keynes [1936] et Musgrave [1959]), soit d’un point de vue microéconomique (notamment l’approche de la clientèle des services publics au cœur de ce que l’on appelle le « new public management » ou la « nouvelle gestion publique »¹²). Les approches macroéconomiques ne considèrent que les effets des politiques publiques sur la politique économique. Par exemple, elles s’intéressent à la politique des routes nationales sous l’angle de la contribution de leur construction à la lutte contre le chômage (secteur de la construction et du bâtiment comme levier de la relance économique) et au soutien aux régions périphériques, ou sous celui de l’utilisation des ressources (financières) publiques. Au Canada, nous pouvons penser aux travaux de Ian Roberge sur les réformes des marchés financiers (2005 ; McKeen-Edwards et Roberge, 2007), sur la lutte contre les crises économiques (2013) ou sur les politiques de lutte contre le terrorisme (2007, 2008).

    D’autres travaux s’intéressent aux structures, procédures et formes institutionnelles de l’administration publique. Cette approche constitue l’essentiel des sciences administratives et du droit administratif. Elle décrit les modes de fonctionnement des institutions administratives et, plus généralement, étudie les politiques institutionnelles au sens de Quermonne¹³. En France, ce terme renvoie principalement aux réformes administratives et notamment aux politiques de décentralisation des pouvoirs. Cette approche ne s’intéresse guère aux politiques publiques concrètes qui sont menées par les administrations étudiées. Toutefois, certains travaux qui s’apparentent aux analyses de politiques publiques sont publiés dans la Revue française d’administration publique¹⁴. En Suisse, le terme « politiques institutionnelles » renvoie généralement aux modalités de contrôle des différents types d’administrations publiques, aux questions de représentativité dans la composition des offices (langues, sexes, âges, partis politiques, etc.), au statut des fonctionnaires, aux rapports (in)formels entre les services de la Confédération et les cantons, etc. Les travaux du politologue Germann (1996) sont les plus proches de ces analyses en termes de politiques publiques. Au Canada, les travaux de ce courant s’imposent particulièrement à l’École nationale d’administration publique. Plusieurs chercheurs de cette institution s’intéressent aux transformations des administrations publiques, surtout dans le domaine de la santé. Il faut aussi tenir compte, entre autres, des travaux de Christian Rouillard et de ses collaborateurs (2006, 2008).

    Enfin, depuis quelques années se développe une approche spécifique des politiques publiques, appelée approche cognitive, « qui s’efforce de saisir les politiques publiques comme des matrices cognitives et normatives constituant des systèmes d’interprétation du réel, au sein desquels les différents acteurs publics et privés pourront inscrire leurs actions » (Muller et Surel, 1998, p. 47). Cette approche insiste sur le rôle des idées et des représentations dans la formation (et notamment sur la définition des problèmes soumis à l’action publique) et le changement des politiques publiques. Ce qui distingue cette approche, c’est l’accent qui y est mis sur les principes généraux, l’argumentation et les valeurs qui définissent une « vision du monde » que reflète ou produit la politique publique.

    En résumé, ce deuxième courant se caractérise par une volonté de comprendre la complexité des processus de décision publique, au moyen d’un découpage en différentes variables de l’objet d’analyse (la rationalité des acteurs, les processus décisionnels internes aux organisations, etc.). Cette approche trouve ses prolongements, entre autres, dans le management public et l’aide à la décision, mais s’en distingue fortement par son absence d’opérationnalité directe.

    Notre propre approche se situe quant à elle dans une visée scientifique et dans une visée opérationnelle. Comme le rappelle Friedberg (1993), l’analyste

    a maintenant deux facettes interdépendantes : d’une part produire une connaissance concrète de la réalité humaine sous-jacente au contexte d’action analysé et, d’autre part, assister les intéressés à la fois à se situer par rapport à cette connaissance, à en tirer des conséquences et donc à les intégrer dans leurs pratiques en les modifiant (p. 22).

    1.1.3 L’évaluation des effets de l’action publique

    Un troisième courant de pensée cherche à expliquer les résultats de l’action publique et ses effets sur la société, au regard des objectifs poursuivis ou des effets indirects ou indésirables. Par comparaison avec la démarche précédente, cette approche est plus évaluative qu’explicative. Elle est particulièrement en vogue depuis une vingtaine d’années en France, en Suisse et au Canada, où fleurissent initiatives, colloques et publications en matière d’évaluation des politiques publiques¹⁵.

    Dans le domaine de l’évaluation, deux préoccupations principales peuvent être distinguées.

    La première concerne le développement d’une démarche méthodologique et d’une « boîte à outils » d’évaluation : de nombreux travaux cherchent ainsi à mettre au point des méthodes d’évaluation applicables aux activités non marchandes du secteur public. Ces travaux reposent sur le traitement statistique de données quantitatives, l’analyse multicritères (Maystre, Pictet et Simos, 1994 : méthode ELECTRE), la comparaison (quasi) expérimentale, l’analyse coûts-bénéfices¹⁶, etc. Cette démarche fait l’objet d’une littérature abondante dont on trouvera, pour la France, une présentation notamment dans Deleau et al. (1986) et dans les publications annuelles du Conseil scientifique de l’évaluation (1993 à 1997), ou encore dans les manuels d’évaluation des programmes socioéconomiques publiés récemment par l’Union européenne dans le but de faciliter l’évaluation des programmes liés aux fonds structurels européens (Commission européenne, 1999). Cette démarche est très présente au Canada dans les travaux du CREXE (Centre de recherche et d’expertise en évaluation), notamment dans ceux de Lamari (2011).

    La seconde a trait au processus de l’évaluation et à sa mise en œuvre comme moyen d’amélioration de la gestion publique et d’influence sur le processus de décision. Un grand nombre d’auteurs américains et, plus récemment, européens ont investi cette question et publié des ouvrages parmi lesquels on peut retenir le livre de Rossi et Freeman (1993) pour les États-Unis, celui de Monnier (1992) pour la France, l’ouvrage collectif dirigé par Bussmann, Klöti et Knoepfel (1998) pour la Suisse et les travaux de Bourgeois et al. (2013, 2014) pour le Canada.

    En Suisse, l’évaluation des politiques publiques est devenue un véritable métier : elle occupe des scientifiques dans les universités, dans les bureaux de conseils privés mais aussi au sein des administrations elles-mêmes, avec la création de service d’évaluation auprès du Parlement et du gouvernement (Organe parlementaire de contrôle de l’administration, Service d’évaluation du Conseil fédéral). Une association professionnelle (Société suisse d’évaluation – SEVAL) veille à la qualité des évaluations réalisées (métaévaluations qui contrôlent le respect des normes de qualité, d’utilité, de déontologie, etc. ; voir Joint Committee of Standards for Educational Evaluation et Sanders, 2000 ; Widmer, 1996).

    Au Canada, l’évaluation des politiques publiques est intégrée à l’évaluation de programme, qui est devenue une véritable profession. Les personnes qui désirent œuvrer dans ce domaine peuvent maintenant obtenir une accréditation professionnelle (dans certaines circonstances, cette accréditation est obligatoire). Les évaluateurs, comme on les désigne généralement, sont regroupés au sein de la Société canadienne d’évaluation ou de la Société québécoise d’évaluation de programme. Dans l’administration publique fédérale, le Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada – organe responsable d’émettre des directives aux fonctionnaires fédéraux – a créé le Centre d’excellence en évaluation, dont le mandat est d’assurer le respect de la politique sur l’évaluation à travers ses directives sur l’évaluation et les instruments qu’il met à la disposition des évaluateurs de la fonction publique fédérale.

    En France, ce mouvement de professionnalisation est également en cours. Il est lié à l’organisation de dispositifs d’évaluation aux échelles nationale et régionale, mais aussi au développement des politiques européennes qui imposent l’organisation d’exercices d’évaluation lors de l’utilisation des fonds structurels européens, par exemple. Récemment, une Société française de l’évaluation a été créée pour rendre cette activité plus visible et mieux organisée. Ce mouvement a cependant du mal à s’institutionnaliser comme pratique courante de l’administration publique : la disparition du dispositif interministériel mis en place en 1990 en est le signe, tout comme l’absence de lisibilité des travaux de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et techniques ou de l’Office parlementaire d’évaluation des politiques publiques. Il fait néanmoins de plus en plus l’objet d’analyse de politologues (Duran et Monnier, 1992 ; Lascoumes et Setbon, 1996 ; Kessler et al., 1998). Le modèle français d’évaluation des politiques publiques apparaît ainsi marqué par une faible implication de l’acteur politique et une utilisation très réduite des résultats de l’évaluation pour modifier ou concevoir les politiques publiques, malgré un intérêt des acteurs de la mise en œuvre des politiques (Setbon, 1998, p. 15).

    Cette approche évaluative est généralement concomitante d’une approche explicative, même si elle peut en être conceptuellement dissociée. Elle inspire notre propre modèle dans le sens où elle se préoccupe des effets de l’action publique, effets mesurés en fonction du problème collectif que cette action cherche à résoudre.

    1.2 L’analyse de politiques publiques comme « science de l’action »

    Notre propre analyse emprunte aux trois courants décrits ci-dessus plus qu’elle ne se situe parfaitement dans le cadre de l’un d’eux. Notre ambition consiste à établir un diagnostic et à mettre en évidence les facteurs qui expliquent le « bon » et le « mauvais » fonctionnement des politiques publiques, en termes de production de l’administration publique et au regard de l’efficacité de ses politiques et de leurs produits. Ce type d’analyse conduit au final à décrire, comprendre et expliquer le fonctionnement du système politico-administratif dans son ensemble et ses interactions avec les acteurs privés. Ainsi, notre approche est principalement centrée sur l’explication des produits ou prestations de l’administration publique, traditionnellement appelés outputs¹⁷, et sur l’explication des effets induits par ces prestations sur les groupes sociaux (impacts et outcomes) qui causent ou qui sont affectés par un problème collectif particulier.

    Notre démarche intellectuelle s’inscrit dans le cadre des sciences dites de l’action, dans la mesure où elle vise à comprendre la « logique » des actions publiques en reconstruisant les hypothèses sur lesquelles les collectivités publiques se basent (parfois implicitement) pour résoudre des problèmes publics.

    Plus précisément, la majorité des concepts présentés ici est alimentée par les publications du Centre de sociologie des organisations (Crozier et Friedberg, 1977 ; Crozier, 1963, 1991 ; Friedberg, 1993), mais aussi par les travaux de sociologues et politologues allemands des années 1970 (dite école de Francfort), eux-mêmes fortement influencés par le néomarxisme (Habermas, 1973 ; Grottian, 1974 ; Offe, 1972). Toutefois, cette influence est limitée aux seuls apports heuristiques si bien développés par ces auteurs. Ceux-ci nous permettent d’identifier les acteurs et leurs réseaux ainsi que leurs modalités d’interaction. Par contre, dans notre approche, les stratégies, les idées, les intérêts et les comportements des acteurs, retraçables, dépendent essentiellement de facteurs liés à leurs ressources et à leur « encadrement institutionnel », à observer de manière empirique, plutôt qu’à des « forces systémiques » souvent privilégiées par ces auteurs. Dans ce sens, notre démarche ressemble fortement à l’institutionnalisme centré sur les acteurs tel que présenté par Scharpf (1997).

    Le concept de politique publique retenu ici (ainsi que la plupart des définitions et des termes utilisés) tire en partie ses origines des travaux du Forschungsverbund : Implementation politischer Programme de la Deutsche Forschungsgemeinschaft réalisés entre 1976 et 1981 sous la direction de Mayntz, Scharpf, Kaufmann et Wollmann¹⁸ auxquels l’un des quatre auteurs du présent ouvrage fut associé. Les travaux de ce groupe s’appuyaient bien évidemment sur les ouvrages anglo-saxons portant sur la mise en œuvre des politiques publiques publiés à partir du début des années 1970 aux États-Unis¹⁹. Enfin, l’approche présentée ici apparaît particulièrement influencée par des comparaisons internationales de politiques publiques, notamment parce que l’approche comparée conduit à définir un cadre analytique commun applicable à différents pays et régimes institutionnels, ce qui constitue l’ambition essentielle de notre démarche.

    Comme nous le discuterons en détail dans les prochains chapitres, notre approche se caractérise par le fait qu’elle :

    aborde une politique publique sous l’angle de sa « logique d’action », le point de départ constituant donc l’arène des acteurs politico-administratifs et sociaux qui interagissent dans un secteur déterminé ;

    intègre l’influence des institutions sur le comportement de ces acteurs et sur les résultats substantiels de l’action publique (alors que la première génération des analyses de politiques publiques avait tendance à négliger les variables institutionnelles) ;

    accorde une attention particulière aux ressources mobilisées par ces acteurs pour faire valoir leurs intérêts (ce qui permet de mieux combiner l’analyse de politiques publiques et le management public).

    Finalement, malgré quelques empreintes citées dans le texte, notre approche, basée essentiellement sur une interprétation retraçable de données empiriques, se distingue d’autres courants contemporains de recherche, dont ceux-ci :

    le néowébérianisme, qui suppose que les acteurs bureaucratiques, profitant de la rigidité ou du moins de l’inertie de certaines structures et règles administratives, cherchent avant tout à se procurer des rentes de situation, au détriment du contenu des politiques publiques dont ils sont responsables ;

    le néomarxisme, qui, bien qu’il prétende à juste titre que l’État doit s’assurer – en plus de sa légitimité démocratique primaire – une légitimité secondaire par l’approbation de la « qualité » de ses politiques publiques, par des acteurs puissants en ressources, interprète ces dernières comme des actes de domination d’une classe sociale ou d’un groupe sur l’autre, l’État et ses politiques étant assimilés à un instrument de pouvoir et de répression contrôlé par la minorité de ces acteurs puissants, car nous estimons que les acteurs publics disposent d’une marge de manœuvre certaine dans leurs choix ;

    les théories des choix rationnels (public choice, théorie des jeux), qui postulent que les politiques publiques n’ont d’autre valeur, pour les partis politiques et les bureaucrates, que celle de monnaie d’échange lors de calculs électoraux ou de l’appropriation d’avantages personnels (matériels et immatériels), car une multitude de données empiriques font paraître cette théorie comme fort réductionniste ;

    le néocorporatisme, qui soutient que l’appareil politico-administratif est capturé par les groupes sectoriels organisés dont il s’agit pourtant de modifier le comportement par diverses politiques publiques (voir groupes cibles) et que, par conséquent, l’État demeure dans l’incapacité d’élaborer et d’appliquer des interventions de nature redistributive au profit des groupes sociaux non organisés et subissant les coûts d’un problème collectif, car, une fois de plus, ce concept théorique ne résiste guère aux tests empiriques (voir bénéficiaires finaux) ;

    le pluralisme classique, qui défend une vision de l’« État-guichet », attentif à toutes les revendications et demandes sociales, et dont les politiques publiques reflètent les priorités d’action émergeant de l’ensemble des membres de la société civile, car, à l’évidence, nombre de problèmes sociaux ne deviennent jamais des problèmes reconnus politiquement comme étant dignes de faire l’objet d’une politique publique ;

    le systémisme « pur », qui n’accorde pas d’autonomie et d’intentionnalité propres aux acteurs des politiques publiques, le comportement de ceux-ci étant simplement fonction du rôle qui leur est assigné par leur environnement organisationnel direct, car la réalité sociale est remplie d’exemples qui montrent l’importance des acteurs, même dans des espaces de manœuvre théoriquement très limités ;

    l’approche comparative en termes de systèmes politiques (comparative politics), qui s’appuie sur des comparaisons statistiques et des données structurelles des systèmes politiques de différentes collectivités publiques, sans véritablement analyser le processus et les aspects plus qualitatifs du contenu même des politiques publiques (Hofferbert, 1974), parce que nous estimons que ces dimensions sont trop grossières pour l’analyse des politiques substantielles qui nous intéressent ;

    l’approche critique, qui refuse toute approche positiviste et rationaliste dans l’analyse de politiques publiques pour se concentrer sur la mise en exergue des dimensions de pouvoir et de domination implicites liées aux actions publiques concrètes (Fischer et Forester, 1993 ; voir aussi le débat entre empiristes et postpositivistes présenté dans Desai et Shelley, Policy Studies Journal, vol. 26, no 1, 1998).

    En nous abstenant volontairement de nous inscrire dans l’un ou l’autre de ces concepts théoriques – juste survolés ici – de l’État, de la « société » ou d’un quelconque « système », notre approche reste néanmoins ouverte à toutes les hypothèses provenant de l’une ou l’autre de ces thèses. Le modèle d’analyse présenté dans ce livre se propose de rester aussi neutre que possible à l’égard de théories spécifiques, afin de pouvoir accueillir, sur le plan des hypothèses de travail à vérifier empiriquement, un éventail aussi large que possible de théorisations développées dans des courants aussi divergents que le néomarxisme, le néolibéralisme ou le néocorporatisme, à condition que les chercheurs se donnent la peine d’en opérationnaliser les concepts en termes des dimensions de base proposées ici en vue de leurs tests empiriques sur le terrain.


    1. Cette analyse est reprise en partie de celle présentée dans l’ouvrage Analyser les politiques d’environnement paru chez L’Harmattan (Larrue, 2000).

    2. Nous reprenons le titre du chapitre 2 de l’ouvrage de Mény et Thoenig (1989) consacré aux politiques publiques.

    3. Elle contraste, notamment, avec l’approche américaine qui est à l’origine du développement de l’analyse de politiques publiques. Cette approche européenne, apparentée à la sociologie et, plus tard, aux sciences politiques, s’inscrit dans la lignée des réflexions sur la théorie de l’État en Europe, dont l’origine remonte à Max Weber.

    4. L’école dite « du public choice » se fonde sur les travaux de Buchanan et Tullock (1962). Elle est représentée principalement par Downs (1967) et Dunleavy (1986, 1991). On trouvera une revue critique des principaux apports de cette école dans Self (1993).

    5. Voir Simon (1957) et Lindblom (1959).

    6. L’approche néomarxiste a été développée dans les années 1970 par des sociologues urbains comme Castells et Godard (1972) et par des sociologues allemands comme Offe (1972) et Habermas (1973).

    7. L’approche néomanagériale renvoie à la sociologie des élites administratives, par exemple, ou, plus largement, à la sociologie des organisations (Crozier et Friedberg, 1977).

    8. Voir, pour la France, les travaux de Jobert et Muller (1987) et, pour l’Allemagne, ceux de Lehmbruch et Schmitter (1982).

    9. Voir les travaux de March et Olsen (1984) et notre propre approche (chapitre 5).

    10. En France, la place de l’État central est souvent au cœur des intérêts de l’analyste (Mény et Thoenig, 1989, p. 64).

    11. Ces travaux font l’objet d’une publication annuelle par le Service de la gestion publique de l’OCDE.

    12. Voir l’analyse qu’en fait Emery (1995), Schedler (1995) ou Finger (1997a).

    13. Quermonne (1985) définit les politiques institutionnelles comme des politiques dont l’objet principal est « la production, la transformation ou le dépérissement d’institutions publiques ou privées » (p. 62) ; voir aussi Germann (1996, p. 5-6). Au Canada, le terme « politiques administratives » est le plus souvent utilisé, alors que le terme « politiques institutionnelles » trouve très peu d’écho.

    14. Voir à ce titre les réflexions de Chevallier et Loschak (1982).

    15. Depuis le colloque organisé par le ministère de l’Économie en 1983, l’évaluation des politiques publiques en France a connu un développement important tant d’un point de vue institutionnel (création de différents organes chargés d’organiser cette évaluation) que d’un point de vue scientifique ; voir, par exemple, l’article de Duran (1993) ou les actes publiés du colloque sur l’évaluation dans l’administration, organisé par le Centre universitaire de recherches administratives et politiques de Picardie (CURAPP) (1993) et, plus récemment, celui organisé par le Groupe d’analyse des politiques publiques (GAPP) de l’École normale superieure de Cachan en 1997 et dont les actes ont été publiés en 1998 (Kessler et al., 1998) ou celui organisé par la European Evaluation Society en 2000 à Lausanne sur le thème « Taking evaluation to the people between civil society, public management and the politics ». Pour la Suisse, voir l’ouvrage de Bussmann et al. (1998) qui résume les principaux enseignements du Programme national de recherche no 27 sur les « effets des mesures étatiques ».

    16. L’analyse coûts-bénéfices est souvent utilisée pour la comparaison de variantes de tracé lors de la réalisation de projets d’infrastructures. En Suisse, l’Office fédéral de l’environnement, des forêts et du paysage (OFEFP) a, par exemple, élaboré une méthode pour juger de l’efficacité et de l’efficience de mesures différentes pour lutter contre le bruit : la réduction de vitesse, la couverture de la route, la construction de murs antibruit, la construction de tunnel, etc. (OFEFP, 2000).

    17. On trouvera dans le texte beaucoup de mots anglais, que nous n’avons pas voulu traduire systématiquement. En effet, comme on le verra dans le chapitre suivant, nos concepts sont largement empruntés à la littérature anglo-saxonne et nos travaux empiriques sont généralement comparatifs, donc conçus au travers d’un canevas d’analyse souvent produit en langue anglaise. La traduction des concepts utilisés en anglais n’est pas toujours facile, car les mots français renvoient à des notions différentes de celles élaborées en anglais. Toutefois, nous nous sommes efforcés de traduire ces termes en français, en donnant chaque fois le terme original en anglais.

    18. Voir Mayntz (1980, 1983).

    19. Lester et al. (1987) présentent une bonne synthèse des modèles d’analyse de mise en œuvre élaborés dans les années 1970 et 1980 aux États-Unis et en Europe. Voir également Parsons (1995) et Bohnert et Klitzsch (1980).

    Partie 2

    Les clés de l’analyse

    Dans cette deuxième partie, nous présentons les fondements de notre modèle d’analyse des politiques publiques. Nous y définissons les concepts nécessaires à l’appréhension de notre objet d’analyse.

    Plus précisément, notre approche est centrée sur le comportement individuel et collectif des acteurs jouant un rôle dans les différentes étapes d’une politique publique. Nous postulons ainsi que le contenu et les caractéristiques institutionnelles d’une action publique (variable à expliquer) résultent d’interactions entre les autorités politico-administratives, d’une part, et les groupes sociaux qui causent ou qui subissent les effets négatifs du problème collectif que l’action publique cherche à résoudre (variables explicatives), d’autre part. Le « jeu » de ces acteurs dépend quant à lui, outre de leurs valeurs et intérêts respectifs, des ressources qu’ils parviennent à mobiliser pour défendre leurs positions par rapport aux objectifs, aux instruments et aux processus d’élaboration d’une intervention publique. Ce jeu peut porter aussi bien sur le contenu substantiel de la politique publique que sur les modalités procédurales et organisationnelles de sa formulation et de sa mise en œuvre. Dans tous les cas, les acteurs doivent tenir compte des contraintes et des perspectives associées aux règles institutionnelles en vigueur. Les (méta)règles établies sur le plan constitutionnel, donc théoriquement applicables à toutes les politiques publiques, prédéterminent les règles liées à une politique publique en particulier (selon le principe de la hiérarchie des normes). Celles-ci influencent directement l’accès d’un acteur à l’espace de cette politique publique, d’une part, et aux ressources d’action mobilisables, d’autre part. Si ces règles institutionnelles spécifiques préstructurent en grande partie le jeu des acteurs, il faut garder à l’esprit qu’elles sont elles-mêmes (partiellement) négociées, principalement lors de la formulation de la politique publique, par les acteurs (potentiellement) concernés par les résultats substantiels visés.

    La figure P2.1 résume ainsi les éléments de base du modèle d’analyse des politiques publiques retenu dans cet ouvrage.

    Toutefois, avant de décliner toutes les relations possibles entre les acteurs, les ressources et les institutions d’une politique publique donnée, il nous faut définir ce que nous entendons par ces concepts.

    Les chapitres suivants visent ainsi à répondre à quatre questions fondamentales : Quels sont les éléments constitutifs d’une politique publique (chapitre 2) ? Comment définir et caractériser les différentes catégories d’acteurs d’une politique publique (chapitre 3) ? Quels sont les types de ressources que les acteurs peuvent mobiliser pour influencer le contenu et le processus d’une politique publique (chapitre 4) ? Quelles règles institutionnelles, générales ou spécifiques, influencent le jeu des acteurs lors de la définition du problème public à résoudre, de la programmation, de la mise en œuvre et de l’évaluation de la politique publique (chapitre 5) ?

    Cet enchaînement de chapitres correspond, dans une certaine mesure, aux différentes étapes du développement de notre discipline.

    Au début des années 1970, les analystes de politiques publiques ont cherché à dépasser les analyses juridiques du système politico-administratif axées exclusivement sur l’étude de la conformité de l’acte administratif par rapport à la loi, ces analyses étant notamment conçues afin d’assurer une protection juridique des citoyens vis-à-vis de l’État. Au cours de cette période, le terme « politiques publiques » a permis, pour la première fois, de réunir dans un seul ensemble les lois, ordonnances, décrets et directives, d’une part, et les mille et un actes d’application liés à leur mise en œuvre concrète, d’autre part. Pendant cette première période, l’analyse de politiques publiques cherchait à expliquer ce qu’on appelait les « déficits de mise en œuvre » : pourquoi, dans un endroit donné, une loi est appliquée à la lettre, tandis que cette même loi, au même moment, n’est pas appliquée dans un autre endroit ? La découverte des déficits de mise en œuvre rendait perplexes les juristes (préoccupés des « inégalités de traitement ») et amenait les politiciens à s’interroger sur l’utilité de la législation dont ils étaient à l’origine.

    Figure P2.1

    Clés de l’analyse des politiques publiques

    Les analystes ont cherché par la suite à savoir comment expliquer ces phénomènes de déficit qui, d’après de nombreuses enquêtes empiriques, étaient loin d’être marginaux. À la recherche de facteurs explicatifs, ils ont porté leur intérêt, en premier lieu, sur le rôle des acteurs publics et privés qui sont impliqués dans la législation et dans sa mise en œuvre. En effet, ces acteurs étaient des personnes humaines, dotées de valeurs, d’intérêts, de moyens de défense et de capacités d’innovation et d’adaptation, bref, capables d’utiliser les politiques publiques à leurs propres fins. Les analystes ont de ce fait étudié la réalité sociale des acteurs œuvrant dans le champ des politiques publiques, dont les comportements étaient censés être, durablement et de manière prévisible, fidèles à l’ordre juridique établi.

    Les recherches menées sur des politiques publiques et leurs acteurs ont montré que ces derniers, leurs organisations faîtières et leurs représentants jouissaient d’une large autonomie. Ils semblaient en effet bénéficier d’une marge de manœuvre très importante leur permettant d’infléchir les politiques publiques en faveur de leurs propres intérêts. Mais rapidement, les recherches ont également démontré que cette autonomie variait grandement d’un acteur à l’autre. S’est alors posée la vieille question du pouvoir que l’on pensait initialement réservée aux confrères politologues étudiant « le politique », de l’autre côté de la barrière artificiellement construite entre l’analyse du politique et l’analyse de politiques publiques, barrière qui, très probablement, résultait de la fiction juridique de l’égalité des citoyens devant (et non pas derrière) la loi.

    À la recherche d’une explication de ce phénomène, les chercheurs ont plus ou moins simultanément relevé la disponibilité et l’accessibilité, pour les différents types d’acteurs, des ressources de politiques publiques ainsi que le rôle crucial joué par les institutions (parlementaire, gouvernementale, administrative et judiciaire).

    Aujourd’hui, alors que l’analyse des ressources bénéficie de l’apport d’une multitude de disciplines universitaires appliquées au secteur public, que l’on réunit sous le terme de management public, l’analyse institutionnelle trouve ses appuis dans le néo-institutionnalisme (Hall et Taylor, 1996), soit une approche fortement implantée dans les sciences économiques et politiques et en sociologie.

    Chapitre 2

    Les politiques publiques

    2.1 Les politiques publiques comme réponses à des problèmes sociaux

    Toute politique publique vise à résoudre un problème public, reconnu comme tel à l’agenda gouvernemental. Elle représente donc la réponse du système politico-administratif à un état de la réalité sociale jugé politiquement inacceptable.

    Il faut relever ici que ce sont les symptômes d’un problème social qui constituent le point de départ d’une « prise de conscience » et d’un débat sur la nécessité d’une politique publique (par exemple dépérissement des forêts, délinquance liée à la drogue ou taux de chômage important). Au stade initial de toute intervention publique, les causes mêmes du problème collectif ne sont pas encore établies avec certitude, ni définies de manière consensuelle par les acteurs publics et privés. La croissance du taux de chômage dans les pays industrialisés et la précarité matérielle des sans-emploi incitent l’État à instaurer ou à réviser son système d’assurance-chômage et à prendre des mesures de réinsertion dans le marché du travail. La pollution de l’air liée à notre production industrielle et à notre consommation d’énergie fossile lors de transports motorisés conduit l’État à concevoir une politique de protection de l’environnement. La criminalité urbaine et la dégradation de l’état physique des toxicomanes constituent le point de départ d’un nouvelle politique de distribution d’héroïne sous contrôle médical. Si cette interprétation des politiques publiques comme réponses institutionnelles à des

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