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Les partis politiques, ateliers de la démocratie: Science politique
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Livre électronique520 pages6 heures

Les partis politiques, ateliers de la démocratie: Science politique

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À propos de ce livre électronique

Les partis politiques, historiquement et intrinsèquement liés au développement de la démocratie, sont de nos jours souvent décriés, présentés comme en crise, voire rejetés sans autre forme de procès...

Ce livre se propose de mettre en évidence la manière dont le phénomène partisan et la question démocratique se nourrissent l’un l’autre et évoluent de concert dans la période contemporaine.

Cet ouvrage de science politique s’appuie sur des études de cas concrets dans plusieurs pays et régions du monde. Les contributions portent sur des démocraties installées de longue date.

EXTRAIT

Les contributions de cet ouvrage rejoignent aussi une appréciation, communément partagée, sur la fin de la démocratie des partis qui, comme l’a notamment montré Bernard Manin (1995), s’est étalée sur une grande partie du XXe siècle et se caractérisait par une identification partisane des électeurs et une discipline de vote des élus dans les assemblées parlementaires. La démocratie des partis correspondait aussi au développement des partis de masse qui, contrairement aux partis de cadres, s’appuyaient sur un militantisme actif, une intégration sociale et une organisation structurée (Duverger, 1951). Différents phénomènes viennent conforter l’idée de la fin d’un âge d’or des partis politiques : à côté de la baisse de l’identification partisane, mise en exergue par la volatilité électorale, on retrouve le déclin continu du nombre d’adhérents et le développement du militantisme intermittent. Les partis ressemblent de plus en plus à des organisations sans partisan ou à des machines électorales professionnalisées (Wattenberg, 2002). Cette transformation tient, pour une part, à l’épineuse question de leurs ressources financières. Dans les Etats européens, l’accord entre les partis de gouvernement autour des règles de leur financement public s’est soldé par ce que Peter Mair et Richard Katz appellent la cartellisation partisane (Katz, Mair, 1995). L’avènement du parti-cartel a ensuite animé le débat scientifique notamment dans le monde anglo-saxon. Une vaste analyse critique et comparée de ce modèle, parue en français, montre qu’on est en présence d’une hybridation des différentes formes de partis existantes plutôt que d’un nouveau modèle explicatif applicable en toutes circonstances (Aucante, Dézé, 2008). L’intensification de la compétition partisane dans les démocraties montre, notamment, la difficile monopolisation du pouvoir par les partis établis via le contrôle des ressources de l’Etat.
LangueFrançais
Date de sortie3 mai 2019
ISBN9782800416700
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    Aperçu du livre

    Les partis politiques, ateliers de la démocratie - Dominique Andolfatto

    Introduction

    Dominique ANDOLFATTO et Alexandra GOUJON

    L’actualité sur les partis politiques est riche, mais parfois déroutante, en raison des appréciations contradictoires qu’elle engendre. Les partis sont critiqués, voire rejetés, décrits comme étant en crise depuis des années, notamment dans les démocraties installées. Mais les partis sont aussi des acteurs de changements, voire d’innovations démocratiques, que l’on songe au développement des primaires en Europe ou aux rôles, même confus, qu’ils tiennent dans les régimes en transition démocratique. Cet ouvrage se propose de contribuer à ces questions en prenant appui sur des recherches classiques de science politique et en présentant des études de cas portant sur différentes régions du monde.

    Les partis politiques ont longtemps été considérés comme intrinsèquement liés à la démocratie. Au début des années 1940, le politiste américain Elmer E. Schattschneider indiquait que « les partis avaient créé la démocratie » et que cette dernière « était impensable sans eux », ajoutant qu’ils « jouaient un rôle déterminant et créatif en son sein » (Schattschneider, 1942). Ce postulat rejoint l’idée selon laquelle les partis politiques sont les muscles ou les nerfs de la démocratie comme l’affirmait, dans une métaphore classique de la fin du XIXe siècle, le juriste et homme politique britannique, James Bryce, l’un des pionniers de l’étude des partis (Bryce, 1888).

    Pour autant, le rapport étroit entre partis et démocratie n’exclut pas des ambiguïtés. En France, par exemple, le « régime des partis » a été régulièrement dénoncé et rendu responsable des échecs des IIIe et IVe Républiques. Et si l’expression n’est plus de mise, les partis – à tout le moins les plus importants – demeurent des points de passage obligés pour accéder aux postes de pouvoir au niveau local, au niveau national, voire supra-national. De fait, leur implantation a suivi un processus continu, contribuant à une unification des « marchés politiques », à quelque niveau que ce soit, et à une « collectivisation » de l’activité politique. De même, la démocratie américaine a été ← 7 | 8 → conçue contre les factions partisanes mais les partis s’y sont institutionnalisés en machines électorales ; celles-ci jouent un rôle décisif dans l’ensemble des élections et contribuent, aujourd’hui, à une polarisation marquée au sein du Congrès comme le montre le chapitre de François Vergniolle de Chantal. Les partis y demeurent en prise directe avec les lobbies, déjà perçus par Tocqueville comme un facteur essentiel de la démocratie, mais critiqués depuis notamment par Theodore Lowi pour leur influence grandissante sur la prise de décision. Quant au phénomène du Tea Party, tout comme celui des outsiders en Amérique latine, il indique une forme de départisanisation, notamment dans la sélection de dirigeants en marge des organisations partisanes, et contribue à une interrogation récurrente sur la fin des partis politiques dont les médias se font régulièrement l’écho (Le Monde, 28 août 2014 ; Le Figaro, 22 juillet 2015).

    Le débat oppose aussi dans la communauté scientifique ceux que l’on peut qualifier d’optimistes et qui considèrent que les partis continuent d’organiser la démocratie (Dalton, Farrell, McAllister, 2011) et ceux qui, plus pessimistes, montrent que le déclin des partis s’accompagne d’une détérioration de la démocratie (Mair, 2013). L’objectif de cet ouvrage n’est pas d’adopter l’un ou l’autre de ces points de vue ou de défendre une thèse particulière mais de poursuivre, dans le sillage de ces travaux, la réflexion sur les transformations concomitantes des partis et de la démocratie, dans une démarche comparative. Les différents chapitres s’appuient sur des études de cas qui, bien que variées, se font écho entre elles ainsi que dans leur manière commune de questionner les interactions entre partis et démocratie à partir d’un même point de départ, à savoir la façon dont les acteurs politiques eux-mêmes interrogent et envisagent ces interactions. A la lumière des travaux existants, l’ouvrage s’appuie sur un fil conducteur volontairement malléable, à savoir la plasticité de la notion de démocratie, intra- et extra-partisane, qui vient en retour bousculer la forme partisane elle-même, tant dans sa définition conceptuelle que dans l’évolution de son fonctionnement.

    Les chapitres s’appuient implicitement sur une définition synthétique des partis politiques, empruntée à Giovanni Sartori que lui-même considère comme abrégée : « un parti est tout groupe politique qui présente des candidats à des élections et est capable de les placer par le biais d’élections à des charges publiques » (Sartori, 2011, p. 111). Cette définition apparaît, en effet, comme le plus petit dénominateur commun entre les différentes formations partisanes traitées dans le présent volume, quels que soient leur degré d’institutionnalisation et leurs résultats électoraux. Les partis dits de gouvernement occupent une place centrale mais non exclusive dans l’examen qui est mené ; la place réservée aux extrêmes et à leur discours critique sur le système démocratique – dans lequel ils opèrent – constituent un objet d’étude en soi. Yohann Aucante analyse, dans ce livre, l’émergence de nouvelles droites radicales dans les pays scandinaves et montre comment elles peuvent interroger, de manière pertinente, les travers de la démocratie représentative malgré leur intégration malaisée en son sein. De même, en France, l’extrême gauche cherche – ou a cherché au cours des années 2009-2015 – à se coaliser autour d’un Front de gauche pour conférer, non sans difficulté, une inflexion au système partisan et produire un fonctionnement interne original, qui se voulait innovant au plan démocratique (voir le chapitre de Romain Mathieu). ← 8 | 9 →

    Les contributions de cet ouvrage rejoignent aussi une appréciation, communément partagée, sur la fin de la démocratie des partis qui, comme l’a notamment montré Bernard Manin (1995), s’est étalée sur une grande partie du XXe siècle et se caractérisait par une identification partisane des électeurs et une discipline de vote des élus dans les assemblées parlementaires. La démocratie des partis correspondait aussi au développement des partis de masse qui, contrairement aux partis de cadres, s’appuyaient sur un militantisme actif, une intégration sociale et une organisation structurée (Duverger, 1951). Différents phénomènes viennent conforter l’idée de la fin d’un âge d’or des partis politiques : à côté de la baisse de l’identification partisane, mise en exergue par la volatilité électorale, on retrouve le déclin continu du nombre d’adhérents et le développement du militantisme intermittent. Les partis ressemblent de plus en plus à des organisations sans partisan ou à des machines électorales professionnalisées (Wattenberg, 2002). Cette transformation tient, pour une part, à l’épineuse question de leurs ressources financières. Dans les Etats européens, l’accord entre les partis de gouvernement autour des règles de leur financement public s’est soldé par ce que Peter Mair et Richard Katz appellent la cartellisation partisane (Katz, Mair, 1995). L’avènement du parti-cartel a ensuite animé le débat scientifique notamment dans le monde anglo-saxon. Une vaste analyse critique et comparée de ce modèle, parue en français, montre qu’on est en présence d’une hybridation des différentes formes de partis existantes plutôt que d’un nouveau modèle explicatif applicable en toutes circonstances (Aucante, Dézé, 2008). L’intensification de la compétition partisane dans les démocraties montre, notamment, la difficile monopolisation du pouvoir par les partis établis via le contrôle des ressources de l’Etat.

    Sans revenir précisément sur ce débat, l’ouvrage examine plusieurs dynamiques à l’œuvre à l’intérieur des partis et les effets pervers qui peuvent découler d’une volonté de les démocratiser ou de contribuer à leur relégitimation populaire. Ainsi, le financement étatique des partis et sa réglementation complexe ont conduit, en France, au développement des micro-partis que les instances publiques cherchent à limiter (voir le chapitre de Romain Rambaud). Au niveau européen, c’est la question plus générale du gouvernement intérieur des partis et surtout des modes de sélection de leurs dirigeants et candidats aux élections qui suscite le plus de travaux scientifiques (Cross, Katz, 2013 ; Cross, Pilet, 2014). L’adoption des primaires peut se voir comme un moyen de démocratiser la sélection des candidats comme au sein du PS et, plus récemment, de l’UMP-Les Républicains. Mais elle favorise aussi la personnalisation du pouvoir, comme dans le parti conservateur britannique, et ne contribue pas nécessairement à valoriser le militantisme (voir les chapitres de Rémi Lefebvre et d’Agnès Alexandre-Collier).

    L’évolution de la démocratie implique ainsi des changements partisans et vice versa. Dans les démocraties installées, ces changements interviennent dans un contexte d’affirmation d’une « démocratie du public » – qualifiée aussi de démocratie d’opinion – qui, selon la thèse de Bernard Manin (1995), se caractérise par un reflux des partis classiques au profit de personnalités dont le socle de légitimité est lié à leur image médiatique. Ce type de démocratie conduit à un effritement du monopole des partis sur les idéologies. Les programmes politiques peuvent être externalisés, en étant élaborés ou, à tout le moins, inspirés par des groupes d’intérêts divers, clubs ← 9 | 10 → ou think tanks comme le montre le chapitre de Camilo Argibay. Cette externalisation renvoie également au phénomène de dégel des clivages idéologiques entre partis politiques lié à un consensus relatif, notamment entre les partis de gouvernement, autour de ce qu’on appelle communément la démocratie de marché. Moins clivés idéologiquement entre eux bien que divisés sur des enjeux comme la construction européenne, les partis seraient devenus des partis attrape-tout, animés par une stratégie commune de recherche d’une adhésion électorale dans des secteurs multiples de la population (Kirchheimer, 1966).

    La démocratie du public implique également des formes d’engagement plus diffuses ou individualisées auxquelles les partis politiques vont chercher à répondre en s’arc-boutant sur le principe d’une démocratie participative. Conçue comme complémentaire de la démocratie représentative, celle-ci vise à promouvoir la participation citoyenne via des dispositifs qui viennent heurter les modes les plus traditionnels de « faire de la politique » (Lefebvre, Roger, 2009). Mais l’injonction participative à laquelle les nouvelles technologies de l’information et de la communication contribuent ne permet pas toujours de renouveler les publics partisans comme l’analyse le chapitre de Fabienne Greffet. Cette démocratie participative dont on suppose qu’elle doit irriguer le système politique tout comme les corps intermédiaires qui le composent fait rejaillir un questionnement autour du mimétisme entre partis et démocratie : les partis politiques doivent-ils être dans une quête de reproduction des nouveaux dispositifs participatifs expérimentés dans les démocraties ? Plus généralement, doivent-ils fonctionner à l’image des régimes démocratiques ?

    La réponse est loin d’être évidente. Pour reprendre à nouveau les analyses de G. Sartori (2011), on peut soutenir que « la démocratie au sens large n’est pas la même chose que la somme de toutes les petites démocraties ». Ce rapport mimétique fait l’objet d’une réflexion de longue date née avec la création des partis politiques. Si ces derniers sont à la recherche de nouvelles formes organisationnelles, c’est aussi pour permettre d’éviter leur participation à la reproduction inéluctable d’oligarchies politiques comme l’a mis en évidence Robert Michels dans son étude pionnière sur les premières années de fonctionnement du parti social-démocrate allemand (Michels, 2009). La « loi d’airain » qu’il avait identifiée semble perdurer au regard des critiques sur la faible représentativité sociale des partis, leur professionnalisation et, plus encore, la relative inamovibilité de leurs dirigeants. Bien que les théoriciens du politique rappellent que, malgré sa démocratisation, le gouvernement représentatif reste empreint d’un certain élitisme (Manin, 1995) et qu’il n’a pas vocation à produire une représentation-miroir (Rosanvallon, 1998), les partis politiques reprennent à leur compte cette exigence grandissante de représentativité. L’un de ses aspects est la féminisation de la vie politique et des partis, perçue et présentée comme un facteur de démocratisation. Mais, dans le cas de l’Inde, la démocratie qui compte le plus grand nombre d’électeurs au monde, Virginie Dutoya montre, dans cet ouvrage, qu’il convient de nuancer l’appréciation au regard du phénomène dynastique et lignager.

    La question de la démocratisation concomitante des régimes politiques et des organisations partisanes ne se pose pas tout à fait dans les mêmes termes dans les démocraties anciennes ou récentes. La fin des régimes communistes a permis un développement, au niveau international, de la démocratie représentative et de ← 10 | 11 → son corollaire, le multipartisme. Dans les Etats qui expérimentent une transition démocratique, succédant le plus souvent à une longue période de parti unique, cela implique l’éclosion de nombreuses organisations nouvelles, aux dénominations diverses et au caractère souvent très personnalisé. La forme partisane peut y être dévalorisée, en raison de son association avec les pratiques passées, ce qui ne favorise pas son institutionnalisation et sa fonction d’intégration sociale comme en témoignent les cas de la Tunisie (voir le chapitre d’Elodie Derdaele) ou des pays post-soviétiques (voir le chapitre d’Alexandra Goujon). La rationalisation partisane qui découle d’une volonté des dirigeants de produire un système démocratique viable peut, en retour, mettre à mal la libéralisation politique et le renouvellement des élites, alors que son absence peut conduire à une situation politique instable, voire chaotique. Se pose également la question de la relation entre démocratie et système de partis, pour déterminer la forme de multipartisme la plus adaptée au nouveau régime politique et aux intérêts de ses acteurs. Ainsi la domination d’un seul parti, agencée et contrôlée par la présidence russe, s’oppose-t-elle aux incessantes recompositions inter-partisanes en Ukraine, qui provoquent de l’instabilité, tout en étant le reflet d’une certaine vitalité démocratique.

    La relation entre démocratie et système de partis fait aussi partie du débat dans les démocraties installées que plusieurs chapitres de l’ouvrage analysent en s’appuyant sur la définition classique de G. Sartori, à savoir « un système d’interactions qui résulte de la compétition entre partis » (Sartori, 2011, p. 84). Sans chercher à reprendre une typologie particulière, les auteurs s’intéressent ici aux mécanismes de recomposition à l’œuvre dans différentes configurations partisanes. En France, la tripartition de l’électorat engendre un débat sur un bipartisme imparfait qui déstabiliserait le monopole des partis traditionnels de gouvernement jusque dans la prise de décision politique (voir le chapitre de Pierre Bréchon). Certains pointent du doigt le déficit démocratique engendré par cette tripartition électorale qui ne peut pas se traduire en tripartisme en raison d’une représentation parlementaire empêchée du Front national liée au mode de scrutin majoritaire à deux tours (Le Bras, 2016). En Italie, c’est l’instabilité partisane, marquée par une succession de phénomènes liés au populisme, qui interroge la pérennité de la démocratie tout en montrant en définitive son adaptabilité et sa résistance (voir le chapitre de Ricardo Brizzi). Et sur un temps long, on peut se demander quel est l’enjeu de la mise en place d’un système partisan européen ; le renouvellement de la démocratie par le haut paraît difficile et ambigu même si un nouveau système partisan cherche à se mettre en place et à prospérer autour du Parlement européen (voir le chapitre de Dominique Andolfatto).

    La difficile mise en place d’un système partisan européen rejoint les interrogations de Peter Mair qui considère l’Union européenne non comme un cas singulier d’organisation politique mais comme symptomatique du fonctionnement des démocraties contemporaines. Selon lui, l’Union européenne a été construite par les leaders politiques nationaux comme une sphère protégée dans laquelle la prise de décision peut échapper aux contraintes imposées par la démocratie représentative (Mair, 2013, p. 99). Elle symbolise le passage de la démocratie populaire, entendue comme soutenue par des procédures électorales, à une démocratie conventionnelle fondée sur un simple équilibre des pouvoirs, déconnecté de toute légitimité populaire. Les partis ← 11 | 12 → politiques ont participé à cette transformation en s’éloignant de leurs bases sociales et seraient devenus des agences de gouvernement et non plus de représentation, dans le sillage de l’analyse du parti-cartel, évoquée auparavant. Peter Mair montre que le déclin des partis est lié à la désaffection, non seulement des citoyens, mais également des dirigeants politiques qui s’appuient davantage sur des ressources externes que sur des ressources internes aux partis. Ce point de vue rejoint une réflexion plus globale, que les travaux récents sur les partis mettent en évidence, autour du demos concerné par les transformations partisanes : qui a le pouvoir sur quels types de décision (choix du leader, élaboration du programme, évaluation des candidats…) (Cross, Katz, 2013 ; Cross, Pilet, 2014) ?

    Ce livre cherche aussi à répondre à cette question en offrant un large panorama des problématiques qui en émergent autour de l’articulation entre démocratie interne et démocratie externe aux partis politiques. Il fournit des éclairages singuliers et complémentaires sur plusieurs expériences partisanes et démocratiques dans le monde et montre que les partis – en dépit des critiques de toute nature qu’ils cristallisent – demeurent des ateliers où s’élaborent, s’expérimentent, voire se consolident, des innovations ou de nouvelles formes de régulation démocratiques.

    La relation entre partis et démocratie est ici abordée sous trois angles différents. La première partie examine les transformations des organisations partisanes, au regard de tensions internes et de différents défis démocratiques qui leur sont liés ou en découlent : introduction des primaires, construction programmatique, démocratie numérique, féminisation. La deuxième partie est relative à certaines dérives du jeu politique eu égard aux transformations partisanes. Elle étudie en particulier la manière dont les partis extrêmes interrogent le système démocratique et cherchent à s’y adapter : polarisation partisane au Congrès des Etats-Unis, rôles et stratégies de forces extrêmes en France et en Scandinavie. Elle met aussi l’accent – dans le cas français – sur les correctifs apportés par la régulation juridique. La troisième partie se rapporte plus globalement aux systèmes partisans. Elle montre comment ceux-ci évoluent – ou cherchent à se mettre en place – en démocratie, au regard de changements politiques, sociologiques ou idéologiques. Les études de cas concernent des démocraties installées ou des pays en transition démocratique, en l’occurrence la France, l’Italie, l’Europe, la Russie et l’Ukraine, la Tunisie.

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    PREMIÈRE PARTIE

    Stratégies partisanes et défis démocratiques

    Les partis politiques sont engagés, depuis une vingtaine d’années, dans des stratégies de relégitimation auprès des citoyens tout en s’adaptant aux nouveaux défis liés au règne de l’opinion publique dans les démocraties installées. Les primaires sont un des éléments de cette stratégie permettant de faire participer le plus grand nombre au choix des candidats des partis aux élections les plus importantes. Ces primaires engendrent toutefois des effets pervers comme le montrent Rémi Lefebvre pour la France (chapitre I) ou Agnès Alexandre-Collier pour la Grande-Bretagne (chapitre II) : ce qui peut apparaître comme une force pour le candidat choisi peut conduire, à terme, à un affaiblissement militant dans les partis alors que la personnalisation du parti, induite par les primaires, est susceptible d’entraîner des comportements démagogiques chez les candidats les plus en vue. De même, l’utilisation d’internet par les partis et leurs candidats ne semble pas permettre d’élargir, de manière significative, la base militante des partis comme le montre Fabienne Greffet (chapitre III). Quant à la fonction programmatique des partis, elle se partage désormais entre plusieurs organismes dont les think tanks qui ont émergé en France au début des années 2000 et sur lesquels Camillo Argibay fournit une analyse à partir du cas de Terra Nova (chapitre IV). Enfin, les partis politiques sont, dans toutes les démocraties, engagés d’une manière ou d’une autre dans un processus de féminisation censé accompagner leur démocratisation. Pourtant, là encore, la corrélation est loin d’être automatique : dans son étude de la féminisation du parti du Congrès en Inde, Virginie Dutoya souligne sa forte corrélation avec les pratiques dynastiques (chapitre V). ← 13 | 14 →

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    CHAPITRE I

    La conversion incertaine de l’UMP aux primaires en France

    Effets de mimétisme, logiques endogènes et incertitudes statutaires

    Rémi LEFEBVRE

    Les primaires ouvertes ont longtemps été limitées au système américain et perçues comme peu exportables et adaptables à d’autres systèmes politiques. Depuis une quinzaine d’années, elles se diffusent comme un mode de désignation alternatif à la sélection traditionnelle des candidats par les instances dirigeantes ou des conventions partisanes. En Amérique latine (Mexique, Argentine…) et en Europe occidentale (Italie, Grèce, Portugal, Grande-Bretagne…) mais aussi au Québec ou en Russie, on observe le passage de méthodes de sélection fermées ou confinées à des procédures de désignation plus inclusives impliquant directement à travers des votes les adhérents (primaires dites fermées) ou les sympathisants sans donc que l’adhésion partisane soit nécessaire (primaires dites ouvertes).

    Les primaires ouvertes dont il sera question ici apparaissent de manière générale comme une réponse aux nouveaux défis et à la crise de légitimité auxquels les partis sont confrontés (Sandri, Seddone, Venturino, 2015). Elles s’inscrivent dans un processus de « démocratisation » des partis qui les conduit, d’abord, à donner plus de pouvoir aux militants avant d’élargir le droit de désignation aux sympathisants ou aux électeurs (Lefebvre, Roger, 2009). Ce nouveau mode de désignation est le plus souvent analysé comme le produit de l’affaiblissement des partis politiques ou de leurs stratégies de relégitimation. Le rétrécissement de leur base militante, le déclin de leur ancrage social et partant de leur représentativité et de leur réceptivité sociales conduisent à délégitimer les modes de sélection traditionnels au risque de dévaluer encore un peu plus le militantisme. A mesure que se fragilise l’identification partisane, les liens entre électeurs et partis s’affaiblissent d’autant plus que leurs périmètres d’action se rétrécissent.

    Dans ce contexte, les primaires constituent une manière de resserrer ces liens en intégrant les électeurs dans le choix (Cross, Gauja, 2014). A travers les primaires ← 15 | 16 → qui semblent consacrer l’ère du « sympathisant » s’opère une fluidification des frontières partisanes (Scarrow, 2014) même si cette porosité, trompeuse à bien des égards, n’implique pas une décommunautarisation des partis. Le renforcement de la dimension électorale des partis, évolution centrale dans le modèle du parti-cartel, conduit les partis politiques, selon une logique analytique proche, à externaliser la fonction de sélection de leurs candidats (Katz, Mair, 1995). Il s’agit dans cette perspective d’optimiser le choix du candidat, d’accroître la légitimité des partis et leur crédibilité dans l’opinion publique, d’enrichir le choix des électeurs jusque-là limité, de pré-mobiliser les électeurs ou de renforcer le sentiment de participer à un projet politique commun¹.

    Dans un contexte de montée d’un « impératif participatif » dans les démocraties représentatives (Blondiaux, Sintomer, 2002), les partis cherchent, à travers cette innovation démocratique, à projeter une image d’ouverture et de modernité qui tranche avec le caractère autocentré et stérile des luttes internes (Rahat, Hazan, Katz, 2008). Mais ces facteurs généraux doivent être contextualisés et rapportés à des configurations et contextes spécifiques. Dans la conversion aux primaires ou leur adoption paraissent souvent déterminants des éléments conjoncturels (« crise », « défaites répétées »…) ou d’autres facteurs (mobilisation d’entrepreneurs de réformes, stratégies des dirigeants ou régulations imposées par les luttes internes aux partis politiques). Limités à un nombre restreint de partis, les processus d’adoption des primaires ouvertes ne sont en général ni univoques ni linéaires et irréversibles, notamment parce que les primaires demeurent le plus souvent « privées »². L’ouverture du processus de désignation est largement maîtrisée par les élites dirigeantes qui modifient les règles en fonction du contexte politique et des rapports de forces (Gianetti, Lefebvre, 2015). Certes, la décision d’adopter le principe de primaires ouvertes est centrale en soi mais le processus de définition des règles précises encadrant la consultation électorale (modes de scrutin, timing, définition de l’électorat…) est sans doute plus décisif encore. La règle du jeu ne règle pas ainsi son usage.

    En France, l’importation du système des primaires, associée au processus repoussoir de « l’américanisation de la vie politique », a longtemps été jugée comme une greffe impensable. Alors qu’un projet de primaires est discuté à droite, Georges Vedel déclare le 21 novembre 1994 sur la chaîne télévisée France 2 : « Vouloir faire des primaires en France, c’est comme faire avaler un beefsteak à un ruminant : son estomac n’est pas fait pour cela ». Il poursuit : « une telle consultation conduirait les partis dans un parcours de contentieux dont l’issue est difficile à prévoir et qui pourrait mener soit au Conseil d’Etat soit au Conseil constitutionnel » (Le Monde, 23 novembre 1994). Jusqu’il y a peu de temps, cette procédure était considérée non seulement comme contraire à la culture politique hexagonale et à l’« esprit » des ← 16 | 17 → institutions de la Ve République mais aussi comme attentatoire aux prérogatives des partis politiques, maîtres du choix de la sélection des candidats. L’adoption par le PS en 2009 du principe des primaires ouvertes et leur mise en œuvre en 2011 pour désigner le candidat à l’élection présidentielle constituent, de ce point de vue, une rupture historique. Le processus d’adoption des primaires pensée comme une double énigme a fait l’objet d’une publication antérieure (Lefebvre, 2011). Les primaires ouvertes marquent, en effet, une double rupture avec la culture militante et parlementaire du parti. On a cherché à montrer que l’adoption des primaires procède de la combinaison de logiques structurelles et historiques (présidentialisation, « directisation » des processus de désignation, rétrécissement de la base interne militante, affaiblissement du parti…) et de facteurs plus conjoncturels (« crise » ouverte par le congrès de Reims, mobilisation collective d’outsiders, rôle du think tank Terra Nova et d’entrepreneurs de réformes, injonctions médiatiques). L’objectif est ici de prolonger cette analyse en s’attachant à la dynamique de diffusion de la méthode des primaires ouvertes dans le système politique à partir de 2011. Cette propagation s’opère selon une double modalité : interpartisane (du PS à l’UMP qui a adopté statutairement la règle de la primaire ouverte en juin 2013) et intra-partisane (le PS et l’UMP ont organisé neuf primaires ouvertes aux élections municipales de 2014).

    On s’est intéressé au premier processus en s’attachant à la conversion de l’UMP aux primaires pour la sélection de son candidat à l’élection présidentielle³. Tout se passe en première analyse comme si cette contagion trouvait son origine dans le verdict de succès qui a marqué les primaires socialistes de 2011 et l’élection de François Hollande. Néanmoins, cette adoption obéit à des logiques conjoncturelles et structurelles propres à l’UMP. Il s’agit donc ici de démêler l’écheveau de logiques multiples en faisant la part des effets d’entraînement de la primaire de 2011 et de ressorts endogènes et contextuels. La tâche est délicate : le modèle diffusionniste mobilisé dans la sociologie des innovations ou des politiques publiques (notamment dans les études de « transfert »⁴) pose de redoutables problèmes de méthodes et d’administration de la preuve qui tiennent notamment à la difficulté de dissocier analytiquement les facteurs internes et externes ou d’objectiver avec précision les phénomènes de mimétisme ou d’isomorphisme. Ces difficultés imposent de suivre les processus « en train de se faire » et une méthode indiciaire qui conduit à montrer que les primaires sont à la fois importées, enrôlées et réinterprétées.

    Le précédent de 2011 : l’exemplarité de la primaire socialiste

    Il convient au préalable de revenir sur les primaires socialistes de 2011 puisqu’il s’agit, ici, de tester leur effet d’entraînement et le poids de la variable diffusionniste. Incapable de trancher la question du « leadership » présidentiel, miné par les divisions ← 17 | 18 → internes exacerbées par le congrès de Reims de 2008 qui conduit à la désignation contestée de Martine Aubry à la tête du parti, le PS adopte le principe des primaires ouvertes en 2009. Les primaires constituent un scrutin hybride « mi-partisan, mi-électoral » dans la mesure où les sympathisants sont amenés à départager des candidats membres du parti socialiste (seul le parti radical décide de prendre part à la primaire qui était pourtant ouverte à l’ensemble de la gauche). Amorcée avant l’été mais perturbée par la défection surprise de Dominique Strauss-Kahn, la campagne des primaires s’intensifie à partir d’août 2011. Ouvert à tous les électeurs se reconnaissant « dans les valeurs de la gauche et de la République », le scrutin départage les six candidats en octobre 2011. Présentées unanimement comme un succès « démocratique », les primaires socialistes de 2011 ont créé un précédent (Dammame, 1992).

    La production du succès de la primaire

    « Une réussite au-delà de toute espérance ». C’est en ces termes laudateurs que le rapport de Terra Nova, publié quelques semaines après les primaires, résume le succès d’une nouvelle procédure dont il revendique « la paternité intellectuelle »⁵. Les primaires constituaient indiscutablement une prise de risque pour trois raisons principales : elles pouvaient entraîner l’exacerbation et la publicisation des divergences partisanes à quelques mois de l’échéance présidentielle, donner lieu à des couacs techniques ou ne pas trouver son public (cette élection qui introduit de manière inédite le sympathisant ne va pas de soi). « La surprise a été à la hauteur de l’évidence : aucune des craintes ne s’est matérialisée ; tous les objectifs ont été atteints. La primaire se révèle un formidable élément de modernisation démocratique et un atout politique pour la gauche »⁶, lit-on dans la note de Terra Nova (le rapport n’évoque ni la faible participation des milieux populaires, ni le rôle sans doute déterminant que les sondages et les médias ont joué dans la désignation de F. Hollande, consacré par les enquêtes d’opinion comme le plus « présidentiable » des candidats en lice face à N. Sarkozy). Au-delà de l’exercice d’auto-promotion, ce constat est largement partagé dans la presse et chez les commentateurs politiques d’où ressort une appréciation unanime.

    Les primaires socialistes ont été consacrées comme un triple succès démocratique, logistique et médiatique. Organisées dans plus de 10 000 bureaux de vote sur le territoire, les primaires constituent une prouesse sur le plan logistique qui a remobilisé l’appareil militant pendant près d’un an et réactivé une forme de fierté militante. Les médias ont salué la bonne tenue, la maîtrise et la qualité des débats malgré une campagne rugueuse entre les deux tours. La participation électorale a été jugée très forte même en l’absence d’étalon de référence. Le PS avait lui-même été prudent en se donnant un objectif officiel atteignable (un million de participants). On dénombre au final 2 661 231 participants au premier tour et 2 860 000 au second. Les journaux télévisés filment deux jours durant des bureaux de vote pleins de sympathisants enthousiastes et fiers d’exercer un nouveau droit. ← 18 | 19 →

    La presse unanime

    Les primaires sont célébrées comme une « fête démocratique » et un succès citoyen. « Pendant des semaines, le PS qui avait habitué les Français à l’inverse a offert le visage d’une formation capable de débattre sans se battre » (Libération, 13 octobre 2011). « On a assisté non à une cacophonie mortifère mais à une polyphonie où les différences assumées ne mettaient pas en péril l’harmonie d’ensemble » (Le Monde, 1er octobre 2011). « C’est une révolution politique. Aucun autre parti ne peut se targuer d’avoir su mobiliser autour de lui autant de participants, hors d’une élection officielle » (Le Parisien, 10 octobre 2011). Le Figaro n’est pas en reste : « Le parti socialiste a réussi son pari en créant un élan populaire autour de son processus de désignation. Scrutin inédit en France, la primaire a connu un important succès » (17 octobre 2011).

    Le PS est ainsi parvenu à mobiliser autour de 30% de son électorat de référence. Près de 600 000 contacts de sympathisants, présentés comme « une armée de réserve », ont été recueillis en vue de l’élection présidentielle. Les primaires engendrent une dynamique de pré-mobilisation électorale d’autant plus intense que le parti organisateur a bénéficié d’un incontestable bonus médiatique. Les primaires ont produit un effet de saturation du paysage médiatique, leaders et propositions étant surexposés pendant sept semaines. Si on analyse les temps d’antenne fournis par le CSA, on constate que le PS a bénéficié entre juillet et octobre 2011 d’un temps d’antenne en moyenne supérieur de 80% à celui de la majorité⁷. En septembre 2011, sur les chaînes d’information, le temps de parole des socialistes a été de l’ordre de 150% supérieur à celui de la majorité. Le premier débat entre candidats a rassemblé, à la surprise générale, cinq millions de téléspectateurs. La convention d’investiture retransmise en direct a mis en scène le ralliement de l’ensemble des candidats à F. Hollande et l’unité retrouvée des socialistes⁸. Le PS, replié depuis 2002 sur ses luttes internes, a donné une image d’ouverture, de « rénovation » et de modernité démocratique. Au total, la procédure confère à F. Hollande une légitimité incontestée qui avait fait défaut en 2007. Le candidat socialiste aurait-il vaincu Nicolas Sarkozy sans cette première phase de campagne ? Il est impossible de le déterminer mais sa victoire a de fait validé et conforté ex post la pertinence du choix des primaires ouvertes. Ce verdict unanime de succès des primaires contribue à la diffusion de la procédure dans une mesure qu’il faut déterminer. Un effet de sidération se produit chez les dirigeants de droite, frappés par leur efficacité électorale.

    La volte-face de l’UMP

    Le retournement de la position de l’UMP sur les primaires témoigne de ce pragmatisme. Les dirigeants cherchent d’abord à délégitimer une procédure aux effets ← 19 | 20 → encore incertains qui est cadrée médiatiquement comme « une avancée démocratique ». Dès le mois d’avril 2011, des tracts sont diffusés dénonçant « un fichage politique » et « des libertés menacées ». Jean-François Copé est le

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