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Médias et démocratie en Afrique : l'enjeu de la régulation
Médias et démocratie en Afrique : l'enjeu de la régulation
Médias et démocratie en Afrique : l'enjeu de la régulation
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Médias et démocratie en Afrique : l'enjeu de la régulation

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À propos de ce livre électronique

Quel que soit le pays ou le continent considéré, une interdépendance étroite existe aujourd’hui entre démocratie, liberté des médias et régulation de la communication. Une place cruciale revient en effet aux organes de régulation dans la procédure d’allocation de fréquences d’émissions, dans la promotion de la diversité culturelle des contenus médiatiques, dans l’équitable accès aux ondes des courants politiques et de pensée, ou encore dans l’émergence de véritables médias de service public. Les organes de régulation des médias se sont partout ou presque imposés comme partie intégrante de l’appareillage institutionnel démocratique. En Afrique subsaharienne, les premières instances de régulation des médias ont été créées dans le sillage de la démocratisation, au tournant des années 1980/1990. Le rejet du système des partis uniques et la revendication des libertés civiles et politiques se traduisent notamment alors, dans le domaine de l’information et de la communication, par l’avènement de régulateurs dont la vocation est de couper le cordon ombilical entre pouvoir politique et médias. Le bouillonnement médiaticopolitique né de l’essor sans précédent de nouveaux supports écrits et audiovisuels privés, a, de par sa vigueur et, il faut bien le reconnaître aussi, ses excès, nécessité l’organisation de ces nouvelles libertés d’expression et de communication. Ce besoin d’arbitrage, justifié au nom de l’intérêt supérieur du public et de son droit à une information de qualité, a débouché sur la création d’instances de régulation des médias écrits et/ou audiovisuels. A l’heure où la légitimité de ces nouveaux acteurs indépendants semble globalement acquise, de nouveaux dangers les attendent pourtant : sauront-ils, par exemple, relever les défis que leur posent les nouvelles technologies de l’information et de la communication - notamment Internet – et parviendront-ils à gérer collectivement, en bonne intelligence et complémentarité, les images télévisuelles se déversant sur les Etats africains, en s’affranchissant de toute considération de frontières ?
LangueFrançais
ÉditeurBruylant
Date de sortie29 mars 2013
ISBN9782802741473
Médias et démocratie en Afrique : l'enjeu de la régulation

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    Aperçu du livre

    Médias et démocratie en Afrique - Renaud Brosse

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    © Groupe De Boeck s.a., 2013

    Éditions Bruylant

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    Tous droits réservés pour tous pays.

    Il est interdit, sauf accord préalable et écrit de l’éditeur, de reproduire (notamment par photocopie) partiellement ou totalement le présent ouvrage, de le stocker dans une banque de données ou de le communiquer au public, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit.

    ISBN : 9782802741473

    LES PUBLICATIONS DE LA COLLECTION

    Les médias de la diversité culturelle en Afrique. Entre traditions et mondialisation, (Serge-Théophile Balima et Michel Mathien), 2012.

    – Les jeunes dans les médias en Europe. De 1968 à nos jours, Bruylant, Bruxelles, 2009 (sous la direction de Michel Mathien).

    – Histoire, mémoire et médias, 2009 (sous la direction de Régis Latouche et de Michel Mathien)

    – Les journalistes et l’Europe, 2009 (sous la direction de Gilles Rouet).

    – Éthique de « la société de l’information », 2008 (sous la direction de Jean-Louis Fullsack et de Michel Mathien).

    – Le journalisme : avis de recherches. Les études françaises dans le contexte international, 2008 (Nicolas Pélissier).

    – L’Écologie des médias, 2008 (sous la direction de Patrick-Yves Badillo).

    – Le Sommet Mondial sur la Société de l’Information et « après » ?, Perspectives sur la Cité globale, 2007 (sous la direction de Michel Mathien).

    – Évolution de l’économie libérale et liberté d’expression, 2006, (sous la direction d’Alain Kiyindou et Michel Mathien, préface de Francis Balle).

    – La Guerre en Irak. Les médias face aux conflits armés, 2006 (sous la direction de Gérald Arboit et Michel Mathien).

    – La « société de l’information ». Entre mythes et réalités, 2005 (sous la direction de Michel Mathien, préface de Michèle Gendreau-Massalou).

    – La médiatisation de l’histoire. Ses risques et ses espoirs, 2004 (sous la direction de Michel Mathien, préface de Jean Favier).

    – Les médias de la diversité culturelle dans les pays latins d’Europe, 2011 (sous la direction d’Annie Lenoble-Bart et Michel Mathien).

    Depuis la création de l’Annuaire français de relations internationales (AFRI), avec la parution de son premier volume en 2000, le titulaire de la Chaire Unesco participe à la rédaction de cette publication réalisée par le Centre Thucydide – Analyse et recherche en relations internationales de l’Université Panthéon Assas-Paris II, et dirigée par de Serge Sur. Il est responsable de la rubrique Médias et société internationale. L’AFRI est édité par les Editions Bruylant (onze volumes parus) en coopération avec la Documentation française à Paris.

    In memoriam René Megniho Dossa

    1er président de la Haute autorité de l’audiovisuel et de la communication du Bénin

    Pionnier africain de la régulation « Que la terre te soit légère… »

    Remerciements

    Qu’il me soit permis ici d’exprimer toute ma gratitude au professeur Michel Mathien pour sa confiance et son soutien, et pour l’exigence de rigueur qu’il a su un peu plus m’inculquer.

    À Laurence, Vilhelm, Oscar et Jules pour leur patience et leur bienveillance pour un « livre qui n’en finit jamais ! »…

    Introduction

    Le postulat de départ de cet ouvrage est qu’une régulation (1) efficace des médias et de l’information peut favoriser le bon fonctionnement d’un régime démocratique, qu’un lien existe entre bonne gouvernance (2) sociétale et régulation. Que l’on considère l’Amérique latine, l’Afrique, l’Europe centrale et orientale ou n’importe quel autre endroit du globe, les pays récemment sortis de pratiques et de règles autoritaires ou totalitaires ont en effet compris qu’une société politique et qu’un secteur médiatique libres ne peuvent exister l’un sans l’autre. Ce lien peut s’expliquer empiriquement par le fait que seul le libre échange d’idées, d’opinions et d’informations peut permettre à un débat public de prendre racine et peut garantir un processus ouvert de discussion et de décision indispensable au bon fonctionnement de la démocratie. Autrement dit, les médias de masse, et plus particulièrement les médias audiovisuels, peuvent être considérés comme des outils de discussion publique et des pourvoyeurs d’informations, qui peuvent en retour aider les citoyens et les responsables politiques à prendre des décisions éclairées.

    Démocratie et régulation de l’espace médiatique : éléments de discussion

    Le besoin d’arbitrages indépendants

    L’émergence d’une société transparente, garantissant les libertés politiques, récemment recouvrées ou conquises sous certaines latitudes, dépend en grande partie des institutions qui ont pour charge de renforcer et d’assurer une libre communication – tant dans le secteur privé que dans le secteur public. Cette fonction importante peut être considérée comme étant remplie à la fois par les organes de régulation des médias et par les associations professionnelles d’autorégulation, qui peuvent responsabiliser simultanément les leaders politiques et les acteurs médiatiques. La régulation peut donc aider les hommes politiques, les acteurs sociaux au sens large et les journalistes à apprendre à se situer et à savoir comment se comporter dans une société politique et médiatique ouverte.

    La régulation permet, idéalement, d’assurer que l’espace médiatique favorise et promeuve les intérêts du public et, parallèlement, de soustraire les médias écrits et audiovisuels de la tutelle, voire, dans certains cas, des griffes de l’État. L’ensemble des pays sortis, ou en passe de sortir, de systèmes politiques non démocratiques et fermés sont confrontés au défi du passage d’un état d’absence de toute régulation (du fait d’un monopole et d’un contrôle étroits sur les médias et l’information) à la mise en place d’un ensemble de lois et d’instances de régulation dans lequel pourra se développer un paysage médiatique indépendant, audiovisuel en particulier, et ce, tant dans le secteur public que privé.

    Quel que soit le continent retenu, les médias dans les sociétés démocratiques font l’objet de restrictions communément admises, que l’on peut retrouver dans les constitutions, les Codes pénaux et les lois générales comme dans des législations spécifiques à la presse, de même que dans des conventions ou déclarations internationales comme, par exemple, la Déclaration universelle des droits de l’homme ou la Déclaration européenne des droits de l’homme.

    De façon générale, les éléments suivants font l’objet d’une régulation dans la procédure légale de la grande majorité des pays : la liberté de la presse, la liberté d’expression, la protection de la vie privée, la diffamation et les insultes, le droit de réponse, l’accès du public à l’information, la discrimination, la censure, les mineurs, la protection des sources, etc. Pourtant, l’idée selon laquelle la liberté d’expression et la liberté de la presse devraient être régulées n’est pas unanimement partagée dans les démocraties modernes. En effet, pourquoi réguler (certains professionnels diraient « renoncer à »…) une liberté pour laquelle des citoyens, journalistes ou non, se sont longtemps battus et qui a été reconnue comme un instrument de contrôle important du gouvernement et du système politique dans son acception la plus large ?

    L’invocation du droit du public à une information de qualité

    De fait, la justification de la nécessité d’un processus de régulation renvoie en partie à l’idée que, comme n’importe quel autre pouvoir, les médias doivent être à leur tour « contrôlés ». La régulation, dès lors, entrerait-elle en jeu pour « contrôler » ce qui est encore de nos jours dépeint comme étant le « quatrième pouvoir » ? Cercle vicieux que Daniel Cornu traduit en ces termes : « Tout contrôle des médias qui ne repose pas sur une forme de régulation interne suppose une intervention de l’État. Comment le mettre en place sans rompre avec la liberté de l’information ? Et comment éviter, si une autonomie suffisante est assurée à l’organe de contrôle, que la solution ne repousse simplement le problème d’une case, posant alors la question du contrôle des contrôleurs ? » (3).

    Quoi qu’il en soit, lorsque l’on se pose la question de l’opportunité de la régulation de l’espace médiatique, on se trouve, pour reprendre un terme anglo-saxon, face à un système délicat de check and balances (« poids et contrepoids ») : la liberté d’expression et de presse, l’interdiction de toute forme de censure peuvent certes être garanties par la constitution, par exemple, mais peuvent néanmoins faire l’objet de pressions constantes plus ou moins subtiles – notamment en nommant des partisans à des fonctions d’influence dans le management des médias ou en invoquant des lois protégeant la sécurité de l’État…

    Il est, dès lors, raisonnable de penser que, si les mécanismes de régulation sont détournés de leur mission et de leur vocation originelle, l’information du public, et le contrôle par les médias du pouvoir des autorités et des groupes d’intérêts, ne peuvent être atteints. Pour autant, et dans une logique inversée, certains médias ne pourraient-ils être tentés d’utiliser leur influence sur le public en se montrant partisans, peu professionnels, etc. ?

    Régulation opposée à autorégulation ?

    De tels agissements, assimilables à la violation du droit du public à être correctement informé, peuvent, là aussi, conduire à des développements nuisibles et dangereux pour le système démocratique dans son entier. En effet, un gouvernement mal intentionné pourrait alors avoir beau jeu d’invoquer un contrôle nécessaire sur les médias, afin de protéger les individus et le public : le principal danger réside ici dans la tentation, qui peut être grande pour n’importe quel gouvernement en fonction du contexte, de se servir de mesures légitimées au nom de la protection des usagers des médias comme autant d’outils pour contrôler les médias eux-mêmes.

    C’est peut-être ce qui a motivé les journalistes, de par le monde, pour tenter d’apporter une réponse à cette interrogation en mettant sur pied des systèmes d’autorégulation de la presse et des professionnels, qui consistent pour l’essentiel en des principes qui figurent dans les différents codes déontologiques et de pratique existants. Au nombre des principes auxquels adhèrent unanimement et spontanément les journalistes lorsqu’on les questionne, on citera pêle-mêle : le respect de la vie privée, le secret professionnel, la véracité des faits rapportés, l’honnêteté, l’interdiction d’accepter des cadeaux ou autres avantages, la rectification des erreurs, etc.

    Il faut bien reconnaître que la régulation de l’espace médiatique et l’autorégulation de la presse renvoient plus ou moins aux mêmes objets et aux mêmes préoccupations. Elles diffèrent certes dans leur nature. Pour autant, la régulation mise en place au sein du système légal et l’autorégulation instituée au cœur de la profession sont-elles complémentaires ou contradictoires ? La réponse à cette question est difficile à apporter et variera certainement d’un pays et d’un contexte à l’autre. Bornons-nous, pour le moment, à postuler que les deux ont leur intérêt et leur place dans la mesure où et à la condition qu’elles servent les intérêts du public.

    Régulation et bonne gouvernance démocratique

    L’hypothèse peut être faite que, par son existence, ses actes, et parfois son inaction aussi, une instance de régulation de la communication des médias peut participer tout à la fois à la défense de ces principes intangibles ainsi qu’à la bonne gouvernance démocratique d’une société donnée. Cette responsabilité particulière, qui peut passer inaperçue pour le sens commun dans une démocratie et une société complexes caractéristiques des États du Nord, pourrait s’en trouver décuplée dans d’autres contextes que sont, par exemple, les sociétés post communistes et/ou post autoritaires d’Europe centrale et orientale et d’Afrique subsaharienne. À cet égard, il faut rappeler que les changements politiques et institutionnels qui s’y sont fait jour dès la fin des années 1980 (et qui se poursuivent encore jusqu’à aujourd’hui dans certains cas), ont permis une libéralisation de la presse écrite et audiovisuelle dans un contexte auparavant marqué par le monopole de l’information en faveur du parti unique. Dans ce nouveau contexte, caractérisé par la prévalence des libertés politique et économique, de nouvelles formes de pression sont néanmoins apparues : celles des lois et des règles du marché.

    Si, dans certains États, les pressions politiques pèsent encore sur les médias écrits, dans d’autres elles ont pratiquement cessé. Par contre, en raison parfois d’un manque de culture politique, les médias audiovisuels y sont souvent restés sous le contrôle étroit des « nouvelles élites libérales » – dont la plupart se sont montrées peu disposées à accepter une couverture critique de l’actualité par ces médias. Cela étant, dans ces pays, d’importantes modifications sont intervenues dans le rôle joué par les gouvernements dans le secteur des médias. Alors que sous le régime ancien, les médias étaient instrumentalisés pour servir et promouvoir les intérêts de l’État, d’un parti ou d’un homme, une nouvelle structure juridique et institutionnelle formelle, visant à la régulation du secteur, de même qu’à responsabiliser les médias, a été adoptée dans la grande majorité des pays. C’est ainsi qu’entre le début des années 1990 et 2006, des autorités de régulation des médias ont été créées dans une quarantaine de pays sur les quarante-sept que totalise aujourd’hui l’Afrique subsaharienne.

    Ce mouvement d’ensemble a en effet été rendu nécessaire par l’apparition d’un nombre considérable de nouveaux médias privés écrits et audiovisuels (4) au cours de ces deux décennies. À la différence de l’Europe et de l’Amérique du Nord, le régulateur, dans cet ensemble disparate, exerce, selon les cas, une compétence sur l’audiovisuel seul, sur l’audiovisuel et la presse, ou sur la presse seule… Une réglementation nouvelle et variée est venue reconnaître et aussi, parfois, proclamer la liberté de la presse comme de l’audiovisuel. Il a ainsi pu être constaté, dans le cadre de recherches passées (5), que là où les réformes ont été adoptées dans le secteur des médias, et plus particulièrement de l’audiovisuel, cela a pu aider à la démocratisation des organes de presse eux-mêmes, et, indirectement, à la libéralisation politique de ces États.

    Spécificités de la régulation de la communication dans un contexte africain

    Le continent africain, et plus précisément les États situés au sud du Sahara, offre de ce point de vue un champ d’investigation et de recherche d’une grande richesse, du fait des bouleversements politiques et institutionnels orientés vers la démocratie libérale que tous les pays ou presque ont connus, avec des fortunes diverses, depuis ces quinze ou vingt dernières années.

    Explosion médiatique et faible professionnalisation

    Le secteur des médias a lui aussi évolué dans la même direction, et cela a nécessité la mise sur pieds d’instances de régulation « pour répondre aux exigences de la démocratie, parmi lesquelles la libéralisation du secteur de la communication » (6). Ce qui caractérise ce mouvement d’ensemble, qui a touché indistinctement les aires linguistiques francophone, anglophone ou lusophone, c’est son extrême fragilité en même temps que la rapidité avec laquelle s’opèrent les évolutions en cours, tant dans le secteur politique que médiatique. Ce qui paraît également remarquable dans le cas des pays de l’Afrique subsaharienne, c’est que les instances mises en place progressivement à partir du début des années 1990 le sont dans des sociétés où le paysage médiatique reste très peu structuré, en comparaison de ce qui peut se faire ailleurs, et notamment en Europe centrale et orientale, et où les acteurs, fragiles, qui le composent, souffrent d’importantes lacunes en terme de professionnalisation, de pratiques et presque toujours aussi d’éthique et de déontologie…

    Paradoxalement, si la presse africaine jouit aujourd’hui d’un degré de liberté sans commune mesure avec la période antérieure, ce mouvement s’est accompagné d’une perte de professionnalisation avec le développement du secteur privé. À l’inflation des médias n’a pas correspondu, au contraire, d’offre accrue de main-d’œuvre formée… Trop souvent l’employeur a dû se contenter de ceux qui se présentaient, sans plus (7). Le tout dans un contexte où les journalistes et les médias jouent et/ou aspirent à jouer un rôle politique important, ce qui tend à être partiellement confirmé par le fait que de nombreux leaders politiques de ces dernières années sont d’anciens journalistes ou ont eu des activités étroitement liées à la presse et à la communication.

    Cette réalité place les instances de régulation face à une responsabilité accrue, dans la mesure où elles ont, d’une part, pour mission de fixer les règles du jeu et de les faire respecter par les différents acteurs intervenant, à un titre ou un autre, dans le secteur médiatique. Parce que, d’autre part, elles se retrouvent dans le même temps au centre de l’attention de toutes les forces partisanes, gouvernement et opposition confondus, de par les conséquences et les implications politiques que peuvent potentiellement avoir leurs actions et leurs décisions pour l’ensemble de la société, et ce, dans un contexte de démocraties naissantes.

    Les médias au cœur de la démocratisation

    Ceci nous amène naturellement à aborder ce qui fait l’essence même de la démocratie, ou plutôt sa supériorité supposée sur toute autre forme de régime politique : sa façon de gérer et de surmonter les conflits en son sein de façon pacifique et symbolique. Or, dans ce processus, les médias, selon la thèse Géraldine Muhlmann (8), sont bien les outils qui peuvent « permettre à la démocratie moderne de réaliser son mariage impossible, son alliance de l’unité et du conflit », parce qu’ils constituent « cet espace du  voir  collectif » qui favoriserait une « issue symbolique » à la compétition ouverte pour le pouvoir, écartant de la sorte la menace d’éclatement de la communauté…

    Comment s’assurer, dès lors, que ceux-là jouent effectivement ce rôle consistant à favoriser l’expression de points de vue différents, voire opposés et antagonistes, transcendent les antagonismes politiques et fassent droit au conflit social pour, in fine, fonder (ou refonder) l’unité de la société ? Dans un environnement continental de démocraties balbutiantes, cette « institution démocratique moderne » que serait la presse souffre pourtant de limites et de lacunes, voire de « tares congénitales » à propos de certaines pratiques. Ce terme est emprunté à Serge Théophile Balima, pour lequel « en Afrique, le rôle que les mythes ont joué dans les temps anciens est remplacé aujourd’hui par l’information journalistique en faisant découvrir aux publics, à travers leurs mises en récit, les histoires du monde grâce auxquelles nous donnons sens à notre existence. Les publics africains sont encore friands des ingrédients qui donnent du piquant à la vie politique, économique et sociale. Et les journalistes n’échappent pas à cette pratique de mélange d’ingrédients qui constituent, selon certains, les tares et les dérives de la profession sous les tropiques », affirme-t-il (9).

    Réguler au nom de la démocratie en construction

    Ce serait contre de telles pratiques qu’il s’agirait de lutter dans l’intérêt même de la démocratie en construction, pour que celle-ci puisse accueillir le conflit sans éclater. C’est peut être là que se joue partiellement la spécificité de la régulation de la communication dans un contexte africain, où, peut-être plus qu’ailleurs, il y a lieu à la fois de protéger les acteurs du secteur contre eux-mêmes (10) et parfois contre les immixtions des pouvoirs politique et économique, mais également de mettre en avant certaines exigences qualitatives et déontologiques vis-à-vis des journalistes et des médias, au nom de l’intérêt supérieur du public citoyen. Le régulateur, dans des sociétés dominées par la tradition de l’oralité – symbolisées par l’image de l’arbre à palabre sous lequel se tient l’assemblée coutumière où se discutent des sujets concernant la communauté villageoise – doit favoriser les avancements et les compromis consensuels nécessaires pour surmonter tout blocage ou tout conflit entre acteurs directs et/ou indirects du secteur de la communication.

    De la même façon, il doit veiller à ce que l’exercice de certains principes intangibles, caractéristiques du régime démocratique et liés à la liberté de communication, soit respecté par toutes les parties prenantes. La pédagogie, la patience, la réactivité et l’inventivité sont en effet des vertus indispensables que doivent posséder les régulateurs pour, de concert avec les différents acteurs, atteindre les résultats recherchés, au premier rang desquels figure le droit du public à des médias libres, pluriels et de qualité, éléments indispensables parmi d’autres à une bonne gouvernance démocratique.

    La régulation au service de la coexistence d’identités complexes

    La régulation de la communication en Afrique ne saurait se concevoir sans une recherche de cohésion du secteur avec ce qui demeure aujourd’hui des réalités profondément ancrées dans les faits et les mentalités. Faut-il, par exemple, rappeler que, s’il existe bien des entités étatiques constituées, on ne rencontre pas à proprement parler de nations partageant la même langue, la même culture et la même histoire à l’échelle de l’étendue des territoires délimitant lesdits États ? Au lieu de cela – du fait de l’histoire coloniale, et notamment de la conférence de Berlin qui a partagé le continent noir entre puissances européennes à la fin du XIXe siècle (1885) – on se trouve en face de « nations » ou « d’ethnies » parfois très nombreuses et coexistant sur le territoire d’un même État, voire de deux États comme les Haoussa, par exemple, partagés des deux côtés de la frontière qui sépare le Niger du Nigeria… Comment ne pas faire en sorte que leurs traditions, leurs cultures et leurs langues respectives soient prises en compte par le secteur médiatique dans son ensemble ?

    Dans des situations politiques où le fragile équilibre « national » peut reposer exclusivement ou presque sur la reconnaissance et le respect des particularités de chaque composante constitutive de la société, une action positive et volontaire pour la préservation et l’expression de ces différences dans les champs médiatique et politique n’est-elle pas indispensable ? Pour être plus concret, comment ne pas imaginer qu’une instance de régulation de la communication tienne compte de principes démocratiques intangibles, comme l’égalité dans l’exercice du droit d’expression, l’égal accès aux services publics ou encore celui du pluralisme culturel et politique, lorsqu’elle a en charge, par exemple, l’attribution des fréquences audiovisuelles ou la gestion de l’aide accordée à la presse ? Ce qui peut apparaître comme allant de soi ou désuet, dans une société moderne où la démocratie est fonctionnelle et pérenne, peut au contraire se révéler extrêmement difficile et d’une importance politique cruciale dans le contexte africain, dans lequel les instances de régulation pourraient bien avoir une partition fondamentale à jouer pour l’équilibre entre les parties et l’unité politique du tout.

    Favoriser l’accès aux médias du plus grand nombre possible

    Autre réalité pouvant affecter l’enracinement de régimes politiques libéraux sur le continent : la permanence d’un analphabétisme important. Toute démocratie fonctionnelle suppose des citoyens éclairés et actifs, conscients des enjeux de société engageant non seulement leur avenir propre, mais, au-delà, celui de l’entière collectivité. Or, pour opérer des choix et pour les exercer en pleine connaissance de cause, le libre accès aux médias peut paraître indispensable. En effet, en tant qu’espace privilégié de discussion, ceux-là joueraient un rôle primordial dans l’apport des informations et des éléments de réflexion nécessaires à ce que chaque citoyen puisse se forger sa propre opinion.

    Pour pouvoir éclairer le public, puisque c’est de cela dont il est question ici, encore faut-il que ce dernier puisse avoir accès aux médias. Cette difficulté est décuplée lorsque l’on considère le poids de l’analphabétisme dans ces sociétés où, trop souvent, les médias existants diffusent dans les langues véhiculaires – délaissant de la sorte le gros de la population qui ne maîtrise qu’une langue vernaculaire… Là encore, les instances de régulation de la communication ont un vaste champ d’action dans lequel s’investir pour faire en sorte de favoriser l’éclosion de médias audiovisuels diffusant en langues vernaculaires, de façon à ce que la majorité « silencieuse » ne soit pas exclue des débats et de la discussion publique. Il en va ici de la défense du principe de l’égalité entre citoyens, fondement de la participation de tous à la vie démocratique.

    Service public et qualité de l’information

    Le corollaire de ceci voudrait que le public ait à sa disposition des contenus médiatiques de qualité, qui puissent véritablement l’éclairer et l’aider à comprendre son environnement au sens large. Une gestion de la liberté de communication uniquement basée sur des considérations d’ordre économiques et/ou quantitatives peut-elle être compatible avec le fait que, bien souvent en Afrique, l’information est investie d’une fonction sociale encore plus importante qu’ailleurs (11) ?

    Une dérégulation du secteur de la communication et une augmentation des opérateurs privés ne signifient pas automatiquement, tant s’en faut, une meilleure qualité et une plus grande qualité de contenus. Leur quête constante d’équilibre économique et financier fait que sont produits et diffusés des contenus qui ne répondent pas nécessairement à ce qui pourrait être qualifié d’intérêt général du public et de la société… Certes, le régulateur a souvent introduit dans les cahiers des charges de ces opérateurs commerciaux un certain nombre d’obligations, par exemple, celle de quotas de diffusion de programmes nationaux (musique, etc.), mais ces derniers n’ont pas vocation à se muer en service public de l’information, quand bien même ils en auraient les moyens.

    Seul un service public audiovisuel paraît être à même d’offrir à l’ensemble des usagers un service universel apportant des informations de base, ainsi que des programmes dans les domaines de la culture, de l’éducation ou encore du divertissement. La raison première en est que les opérateurs publics sont dans une écrasante majorité de pays les seuls à couvrir l’ensemble du territoire ou presque, contrairement aux autres opérateurs qui opèrent quasi exclusivement dans les zones urbaines (12). Traditionnellement, les médias publics africains, pour des raisons objectives tenant à l’histoire post décolonisation, se sont vu confier des missions et des responsabilités particulières renvoyant à la nécessité de favoriser et développer le sentiment d’appartenance et de cohésion nationales au sein de territoires ayant accédé du jour au lendemain à l’indépendance.

    Cet objectif suppose la production et la diffusion de contenus pluralistes, à destination d’un large public tout en n’omettant pas les minorités nationales, et œuvrant en faveur de la tolérance et de la compréhension réciproque entre les différentes composantes de la société. D’où l’impérieuse nécessité de contenus valorisant tout à la fois le patrimoine culturel commun à toutes les composantes de la société, mais aussi de programmes promouvant les patrimoines spécifiques à telle ou telle population, région, etc. De ce point de vue, les médias publics ont théoriquement un rôle original à jouer, qui plus est dans un contexte de libéralisation de la sphère politique. Le régulateur aussi, qui peut poser les conditions à remplir pour qu’émerge un service public de communication qui en soit capable et doté des moyens minima nécessaires.

    En fixant des exigences en termes d’équilibre et de qualité des contenus, en érigeant la neutralité comme principe intangible dans les informations et les commentaires, ce dernier peut pousser à la naissance de médias au service du public (dans son unité, mais aussi sa diversité), avec pour objectif de l’éclairer en lui offrant les clefs qui lui permettront de jouer activement son rôle citoyen. Parallèlement, le régulateur doit pouvoir, en faisant montre de persuasion et de courage, convaincre les pouvoirs publics d’accepter de couper le lien ombilical qui les lie encore trop souvent aux médias d’États, pour en faire des médias de service public dotés d’une autonomie réelle. Or, c’est là une tâche particulièrement ardue, tant la conviction est répandue que ces médias doivent tout bonnement être au service du gouvernement, quand ils ne sont pas considérés purement et simplement comme leur porte-parole, situation a priori incompatible avec l’esprit d’un régime politique libéral.

    Organiser le paysage médiatique au nom de la liberté de tous

    Historiquement, les instances de régulation de la communication africaines ont été mises en place dans un contexte d’ébullition politique et médiatique, présenté plus loin. Sans entrer plus en avant dans l’analyse de ce contexte, il faut néanmoins rappeler à ce stade que la libération de la parole politique, après quelque trente années de monopartisme, s’est accompagnée d’une conquête de la liberté d’expression (et vice versa) qui a d’abord gagné la presse écrite à partir de la fin des années 1980, puis l’espace audiovisuel au début de la décennie suivante, avec l’apparition de radios privées, le tout dans un cadre réglementaire et juridique en retard sur les événements politiques et médiatiques. Indépendamment de toute considération de nature politique, l’annonce de la création d’instances de régulation de la communication, en très large partie influencée par les partenaires extérieures, a été justifiée par la nécessité d’organiser ce foisonnement médiatique et donc d’assurer le fonctionnement harmonieux d’un secteur en pleine mutation, voire en phase de révolution au regard de la situation antérieure.

    D’une façon générale, l’ouverture au pluralisme audiovisuel va souvent s’opérer à contrecœur, étant donné la croyance des autorités publiques en l’impact politique de la radio et de la télévision sur les populations. C’est aux organes de régulation que va échoir la responsabilité de favoriser, de promouvoir et d’organiser cette nouvelle liberté de communication audiovisuelle, sous le regard au mieux critique des autorités publiques et dans un contexte fait de très nombreuses demandes émanant de candidats aux projets et aux motivations les plus diverses… Cette mission touche au cœur de ce qui a trait au rôle des médias dans une démocratie, puisqu’elle renvoie à la garantie et à la protection de la liberté de presse et de communication, sans oublier la question du pluralisme (tant quantitatif que qualitatif) des médias et de leurs contenus, et de son adéquation avec les caractéristiques sociales et culturelles d’une société donnée.

    La régulation des médias, gage d’élections transparentes

    Les médias assurent en démocratie la distribution de la parole, la confrontation de points de vue différents et autorisent en cela la tenue d’un débat public, qui est la condition à son bon exercice. Reste que la sanction de la confrontation des idées et des projets concurrents en démocratie passe par les élections, organisées de façon transparente et à intervalles réguliers pour permettre aux citoyens de faire leur choix, d’opter pour la continuité ou, au contraire, préférer l’alternance politique. De la même façon qu’elles doivent en temps « normal » veiller à l’équitable expression dans les médias des courants politiques, religieux et philosophiques, il est du ressort des instances de régulation de veiller à ce que les forces politiques en compétition pour la conquête du pouvoir puissent accéder dans les mêmes conditions aux médias en général et aux médias publics en particulier (13). Du bon déroulement de cette mission aux aspects techniques nombreux, et éminemment sensible politiquement, peut dépendre en partie l’acceptation ou le rejet, par les acteurs se disputant le suffrage universel, du verdict des urnes.

    C’est là une tâche difficile dans l’Afrique en transition démocratique, où certains acteurs politiques ne sont prêts à reconnaître le résultat des élections que s’il leur est favorable, et où une attitude de défiance généralisée à l’endroit du bon déroulement et de la régularité des processus électoraux subsiste encore aujourd’hui, parfois à juste titre, il faut bien le reconnaître… Les instances de régulation pourraient donc être l’un des quelques maillons essentiels (parmi les autres, on pense notamment aux commissions électorales indépendantes) devant œuvrer à la résolution pacifique des différends politiques en démocratie, et contribuer à ce que, par les actions qu’elles mènent spécifiquement en période électorale, le conflit trouve effectivement une « issue symbolique » acceptable et acceptée par tous.

    Des missions importantes et multiples

    Pour résumer, les régulateurs opèrent génériquement à différents niveaux : ils veillent à ce qu’aucune composante de la société ne soit exclue du secteur de la communication et encouragent la création de médias audiovisuels représentatifs des différentes cultures et traditions, afin de renforcer la cohésion nationale ; ils favorisent l’accès du plus grand nombre aux médias et garantissent la liberté d’expression et de communication ; ils posent des critères exigeants en matière de qualité des contenus et de pluralisme médiatique, de même qu’ils encouragent la transformation des médias d’État en véritables services publics autonomes ; ils accompagnent la libéralisation du paysage audiovisuel en établissant des critères transparents et publics pour l’attribution de licences d’émission ; ils organisent et supervisent la couverture de l’information électorale par les médias, et prennent un soin tout particulier à l’accès équitable et à l’égal traitement des forces politiques en compétition dans les médias.

    Chacune des missions listées ci-dessus a un rapport plus ou moins direct avec l’existence, le fonctionnement et la pérennisation des expériences démocratiques fragiles qui se font jour en Afrique subsaharienne depuis maintenant une vingtaine d’années. Bien entendu, au vu de la façon dont les choses se passent concrètement sur le terrain, l’observateur est bien contraint d’admettre que ces missions théoriques ne sont appliquées complètement par aucune instance de régulation, et que les difficultés et les réalités avec lesquelles elles doivent composer agissent comme autant d’obstacles et de freins à l’exercice souverain de leurs attributions.

    Le régulateur, nouvel acteur clef en Afrique

    Pour autant, ce serait une erreur de passer sous silence l’originalité de cet acteur nouveau dans le champ médiatique, et l’influence qu’il exerce de facto dans le fonctionnement au quotidien des médias, sur les relations du public avec ces derniers, ou encore dans l’autonomisation progressive du secteur médiatique vis-à-vis des autorités de tutelle traditionnelles. En tant qu’arbitre neutre, il exerce une action de décrispation des relations entre les acteurs des espaces médiatique et politique – dont chacun sait qu’ils connaissent des échanges et des interactions incessantes – qui lui permet d’avancer dans la voie d’une plus grande liberté de communication et d’une meilleure prise en compte de l’intérêt des usagers des médias. En ce sens, les organes de régulation de la communication, instaurés à partir du début des années 1990, pourraient constituer la garantie d’une gouvernance démocratique plus efficace des champs médiatique et politique dans les sociétés d’Afrique subsaharienne qui s’en sont doté, et dans lesquelles ils ont pu exercer a minima les missions pour lesquelles ils ont officiellement été installés.

    Aussi, questionner la réalité de l’action menée par les régulateurs et évaluer les résultats enregistrés dans le secteur de la communication en Afrique subsaharienne passe par la mise au point des critères objectifs nécessaires à leur analyse. Le premier retenu est celui du degré d’indépendance et d’autonomie de l’instance régulatrice par rapport aux autres acteurs du secteur de la communication, et de l’éventail des moyens d’action dont elle peut ou non disposer pour accomplir ses missions. Le second critère a trait, quant à lui, à l’efficacité de la régulation atteinte, et ce, au regard du rôle idéal typique du régulateur dans un contexte de démocratisation de sociétés sorties depuis peu d’une situation de monisme politique et médiatique qui aura duré près de trois décennies.

    La régulation des médias : modèle universel opposé aux réalités africaines ?

    Il apparaît indispensable de rappeler que si, en théorie, tout le monde s’accorde à reconnaître le besoin de réguler le secteur, les avis divergent bien souvent, dès lors que se pose la question de savoir quel doit être l’organisme ou la structure le plus légitimé à le faire… Ceci revient à s’interroger sur le fait de savoir si la régulation en Afrique a vocation à être un espace cogéré et à questionner la légitimité des différents acteurs aspirant à le faire (Chapitre 4). Le décor de la régulation de la communication et de l’information en Afrique subsaharienne pourra alors être planté (Chapitre 5), en insistant sur la genèse de la création des différentes instances nationales. À partir des nombreuses données recueillies sur le terrain, une typologie des organes de régulation a de la sorte pu être élaborée, mentionnant systématiquement, à des fins comparatives, un certain nombre d’informations de base telles que la composition, les attributions et compétences, l’acte constitutif, le statut, etc. L’analyse de leurs contraintes ou limites respectives, de même que des atouts des unes et des autres, permet en outre de dresser un modèle idéal typique. L’observateur averti notera ainsi au passage qu’entre politisation et autonomisation d’un champ nouveau, la réalité de la régulation de la communication est très contrastée en Afrique. Et, qu’au vu des expériences, « la démocratie exige des instances de régulation crédibles » (14)…

    Trois domaines relevant du champ d’action et des compétences des régulateurs doivent sans doute faire l’objet d’une attention particulière (Chapitre 6), tant ils sont étroitement associés à l’idée de bonne gouvernance démocratique : l’ouverture au pluralisme audiovisuel et de l’information ; l’évolution et la transformation progressive des médias d’État en médias de service public ; et la gestion des périodes électorales dans les médias.

    Démocratie et régulation : une relation complexe

    Cependant, avant d’analyser les relations spécifiques pouvant exister entre régulation et démocratisation dans les pays de l’Afrique subsaharienne, il convient au préalable de revenir sur la complexité du couple « régulation et démocratie ». Si le sens commun considère que la régulation occupe désormais une fonction à part dans le système médiatique (Chapitre 1) – au point de s’être imposée historiquement comme une composante structurelle du régime démocratique dans les pays développés – la définition de la notion elle-même est encore loin d’être chose aisée.

    À cette difficulté d’ordre définitionnelle s’ajoute le fait que l’action du régulateur peut parfois paraître ambiguë (Chapitre 2). Certains des fondements philosophiques sur lesquels s’est opérée la conquête de la liberté de la presse, encore prégnants chez nombre de journalistes, s’opposeraient en effet à l’idée d’une régulation de cette liberté en dehors du cadre étroit de la profession elle-même. À cette vision négative de la régulation, associée à la continuité du contrôle étatique sur le secteur des médias, peut en être opposée une autre, positive, selon laquelle la régulation ne saurait être autre chose en démocratie que l’exercice de l’intérêt général à l’intérieur du champ médiatique, dont il conviendrait en quelque sorte de civiliser certains excès. Cette vision dichotomique se retrouve sur le terrain, aussi bien en Afrique subsaharienne qu’en Europe de l’Est, où le mouvement oscille entre autonomisation d’un champ nouveau et instrumentalisation politique de ces nouveaux acteurs.

    L’expérience européenne a souligné que la régulation était historiquement perçue comme un vecteur d’accélération de la démocratisation (Chapitre 3). À ce titre, elle fait l’objet d’un traditionnel soutien de la part de nombre d’acteurs internationaux, l’Afrique subsaharienne ayant par la suite elle aussi bénéficié de telles incitations.

    (1) Il sera fait état plus loin de la question de l’autorégulation, dont l’utilité ne saurait être passée sous silence ici.

    (2) Bien qu’il n’existe pas de définition agréée sur le plan international de la gouvernance, ce concept a gagné en importance et, au cours de la dernière décennie, tous les partenaires du développement ont approfondi leur travail dans ce domaine. Selon la Commission de l’Union européenne, la gouvernance a trait à la capacité d’un État à servir ses citoyens : « la gouvernance concerne les règles, les processus et les comportements par lesquels les intérêts sont organisés, les ressources générées et le pouvoir exercé dans la société [...] À mesure que les notions de droits de l’homme, de démocratisation, de démocratie, d’État de droit, de société civile, de décentralisation et de saine gestion des affaires publiques gagnent en importance et en pertinence, cette société prend la forme d’un système politique plus complexe et la gouvernance se transforme en bonne gouvernance [...] ». Cf. COM(2003) 615 final, Communication de la Commission au Conseil, au Parlement européen et au Comité économique et social européen, Gouvernance et Développement, Bruxelles, 20 octobre 2003, pp. 3-4, sur http://europa.eu/eur-lex/fr/com/cnc/2003/com2003_0615fr01.pdf.

    (3) Cité par Serge Théophile Balima, « La régulation de la communication en Afrique : enjeux et perspectives », communication présentée au séminaire atelier Médias et élections en Afrique, Ouagadougou, octobre 2005, p. 14.

    (4) Pour l’analyse de leurs contenus, de leurs structures et de leur audience, cf. Annie Lenoble-Bart et André-Jean Tudesq, Connaître les médias d’Afrique subsaharienne. Problématiques, sources et ressources, coll. Hommes et Société (IFAS – IFRA – MSHA), Karthala, Paris, 2008.

    (5) Cf. Renaud de la Brosse, Le rôle de la presse écrite dans la transition démocratique en Afrique, Villeneuve-d’Ascq, Presses Universitaires du Septentrion, Thèse à la carte, 1999. Pour l’Europe centrale et orientale, cf. Ioan Horga et Renaud de la Brosse, The Role of the Mass-media and of the New Information and Communication Technologies in the Democratization Process of Central and Eastern European Societies, International Institute of Administrative Sciences, Bruxelles, 2002.

    (6) Cf. Kotoudi Idimama, Les organes de régulation des médias en Afrique de l’Ouest : entre hier et demain, rapport à l’Institut Panos Afrique de l’Ouest, juin 2005, p. 7.

    (7) Sur ce point, cf. Thierry Perret, Le temps des journalistes. L’invention de la presse en Afrique francophone, Karthala, Paris, 2005.

    (8) Cf. Géraldine Muhlmann Du journalisme en démocratie, coll. Petite Bibliothèque, Payot, Paris, 2006, pp. 353 à 366.

    (9) Cf. « Un journaliste professionnel est-il universel ? Réflexion sur la pratique journalistique en contexte africain », Les Cahiers du journalisme, ESJ Lille et Université Laval, automne 2006, n° 16, p. 193.

    (10) L’autorégulation par les professionnels, quand elle existe, n’est pas toujours suffisante pour enrayer des comportements et des pratiques déviants par rapport aux standards partagés par la corporation journalistique et dont certains peuvent être attentatoires à la pérennisation d’une démocratie en devenir. On peut ainsi douter de la capacité d’une association de type corporatiste à pouvoir, seule, influer significativement et durablement sur les comportements et les pratiques des membres qui la composent et qui l’animent…

    (11) Autrement dit, « le citoyen africain et la démocratie elle-même ont des besoins qui dépassent largement ceux du consommateur prêt à absorber goulûment Paris, un produit d’information ». Cf. Serge Théophile Balima, « La régulation de la communication en Afrique : enjeux et perspectives », op. cit., p. 3.

    (12) À l’exception des radios villageoises communautaires, dont la vocation se rapproche cependant beaucoup plus du modèle de média au service du public que du modèle commercial.

    (13) Sur ce point, cf. Jacques Gerstlé, « Médias et campagnes électorales », in Regards sur l’actualité. Élections et campagnes électorale, La Documentation Française, Paris, pp. 35-44.

    (14) Cf. René-Megniho Dossa, « La démocratie exige des instances de régulation crédibles », L’Autre Afrique, 10-16 février 1999, p. 60.

    Partie I. Régulation et démocratie

    Chapitre I. La place de la régulation dans un « système médiatique » démocratique

    Étymologiquement, le concept de régulation renvoie tour à tour à l’idée de détermination, d’orientation et de contrôle d’un système. L’usage même du terme « concept » à propos du vocable « régulation » paraît inapproprié à certains, tant il est vrai qu’au-delà d’une signification générale valant accord minimal, qui renvoie à l’idée d’organiser, de contrôler et de maintenir en équilibre, chaque discipline générerait sa propre approche de la régulation, voire en fonderait plusieurs à l’instar des économistes. Pour Laurence Calandri, « l’attribution de la qualité de concept à un objet de connaissance suppose une certaine dose de rationalité, de cohérence, de logique ». Or, « en l’absence de tels caractères, la qualification de concept devient inopérante », c’est la raison pour laquelle elle préfère, en l’occurrence, parler de « paradigme » pour identifier la notion juridique de régulation (1).

    De nos jours encore, plus que l’idée de détermination et d’orientation, c’est celle de « contrôle » qui, dans son principe même, pose sans doute le plus problème à certains professionnels des médias. Les plus virulents partisans d’une liberté totale de la presse et de la communication rejettent en effet toute incursion de la puissance publique dans le champ médiatique, au nom du caractère « sacré » de la liberté d’expression en général, et de la liberté de la presse en particulier. À tort ou à raison, cette dernière est célébrée comme la « pierre angulaire » de toutes les autres libertés.

    À ce libéralisme sans limites, rejetant toute forme de régulation extérieure à la profession elle-même, peut être opposé

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