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LA GUERRE PAR D'AUTRES MOYENS: Rivalités économiques et négociations commerciales au XXIe siècle
LA GUERRE PAR D'AUTRES MOYENS: Rivalités économiques et négociations commerciales au XXIe siècle
LA GUERRE PAR D'AUTRES MOYENS: Rivalités économiques et négociations commerciales au XXIe siècle
Livre électronique479 pages5 heures

LA GUERRE PAR D'AUTRES MOYENS: Rivalités économiques et négociations commerciales au XXIe siècle

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À propos de ce livre électronique

Depuis la Seconde Guerre mondiale, le système commercial multilatéral a été soutenu par les idées des Lumières et une vision libérale de paix et de prospérité partagée. On l’a aussi considéré comme un frein au socialisme et au protectionnisme européens, d’abord, puis à celui des pays en voie de développement. En ce sens, on ne peut envisager la diplomatie commerciale, qui vise la constitution des règles objectives communes, sans prendre en compte les considérations géoéconomiques et géostratégiques mondiales. Sur fond de la montée en puissance de la Chine, du Brexit, des velléités protectionnistes un peu partout dans le monde, notamment aux États-Unis, et d’une économie toujours plus interdépendante, cet ouvrage fait le point sur les diverses initiatives commerciales et les stratégies de négociation nationale.

Si on peut lire chaque contribution séparément, l’ouvrage n’en recherche pas moins à offrir au lecteur un panorama des grandes négociations en cours, de leurs dynamiques et, surtout, de façon prospective, de la nouvelle gouvernance mondiale. Il est le fruit de la réflexion collective de vingt-trois experts.
LangueFrançais
Date de sortie18 févr. 2021
ISBN9782760643291
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    LA GUERRE PAR D'AUTRES MOYENS - Mathieu Arès

    Sous la direction de

    Mathieu Arès, Éric Boulanger et Éric Mottet

    La guerre par d’autres moyens

    Rivalités économiques

    et négociations commerciales au XXIe siècle

    Les Presses de l’Université de Montréal

    Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales du Québec et Bibliothèque et Archives Canada

    Titre: La guerre par d’autres moyens: rivalités économiques et négociations commerciales au 21e  siècle / [sous la direction de] Mathieu Arès, Éric Boulanger, Éric Mottet.

    Noms: Arès, Mathieu, 1965- éditeur intellectuel. | Boulanger, Eric, 1966- éditeur intellectuel. | Mottet, Éric, 1973- éditeur intellectuel. |

    Description: Comprend des références bibliographiques.

    Identifiants: Canadiana (livre imprimé) 20200093010 | Canadiana (livre numérique) 20200093029 | ISBN 9782760643277 | ISBN 9782760643284 (PDF) | ISBN 9782760643291 (EPUB)

    Vedettes-matière: RVM: Relations économiques internationales. | RVM: Mondialisation. | RVM: États-Unis—Relations économiques extérieures—Chine. | RVM: Chine—Relations économiques extérieures—États-Unis.

    Classification: LCC HF1359.G84 2020 | CDD 337—dc23

    Mise en pages: Folio infographie

    Dépôt légal: 1er trimestre 2021

    Bibliothèque et Archives nationales du Québec

    © Les Presses de l’Université de Montréal, 2021

    www.pum.umontreal.ca

    Les Presses de l’Université de Montréal remercient de leur soutien financier le Conseil des arts du Canada et la Société de développement des entreprises culturelles du Québec (SODEC).

    Acronymes

    ACEUM Accord Canada–États-Unis–Mexique

    ACFI Accords de coopération et de facilitation des investissements

    ACP Accords commerciaux préférentiels

    ACR Accords commerciaux régionaux

    ADPIC Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce

    AECG Accord économique et commercial global entre le Canada et l’Union européenne

    AFD Alternative pour l’Allemagne (parti politique allemand

    AFL-CIO American Federation of Labor - Congress of Industrial Organizations

    AFTA Zone de libre échange de l’ASEAN

    AKFTA Accords entre l’ASEAN et la Corée du Sud

    ALADI Association latino-américaine d’intégration

    ALE Accord de libre-échange

    ALENA Accord de libre-échange nord-américain

    AMP Accord sur les marchés publics

    ANASE Association des nations de l’Asie du Sud-Est

    APEC Coopération économique pour l’Asie-Pacifique

    APL Armée populaire de libération

    ARCEP Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (France)

    ASEAN Association des nations de l’Asie du Sud-Est

    ASEAN+1 Association des nations de l’Asie du Sud-Est + la Chine

    ASEAN+3 Association des nations de l’Asie du Sud-Est + la Chine, le Japon et la Corée

    ASEAN+6 Association des nations de l’Asie du Sud-Est + l’Australie, la Chine, la Corée du Sud, l’Inde, le Japon et la Nouvelle-Zélande

    BATX Baidu, Alibaba, Tencent et Xiaomi

    BJP Bharatiya Janata Party (Parti politique indien)

    BM Banque mondiale

    BRI Banque des règlements internationaux

    BRI Belt and Road Initiative (Initiative de la ceinture et de la route)

    BRICS Brésil, Russie, Inde, Chine et l’Afrique du Sud

    CARICOM Communauté caribéenne

    CARIFORUM Groupe réunissant 15 pays des Caraïbes

    CEIM Centre d’études sur l’intégration et la mondialisation

    CEPAL Commission économique pour l’Amérique latine et les Caraïbes

    CJUE Cour de justice de l’Union européenne

    CNI Confédération nationale de l’industrie

    CNUCED Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement

    COMECON Conseil d’assistance économique mutuelle (CAEM, en français)

    CVM Chaînes de valeur mondiales

    DPI Droits de propriété intellectuelle

    DRT Division régionale du travail

    DTS Droits de tirages spéciaux

    FMI Fonds monétaire international

    FMN Firme multinationale

    G7 Groupe des sept

    G20 Groupe des vingt

    GAFA Google, Amazon, Facebook, Apple

    GAFAM Google, Amazon, Facebook, Apple et Microsoft

    GATT Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce

    IA Intelligence artificielle

    IDE Investissements directs étrangers

    MERCOSUR Marché commun du Sud

    MIC Accord sur les mesures concernant les investissements et liées au commerce

    MPME Micro, petites et moyennes entreprises

    MSP Mesures sanitaires et phytosanitaires 

    NATU Netflix, Airbnb, Tesla, Uber

    NORAD Commandement de la défense aérospatiale de l’Amérique du Nord

    NPF Clause de la nation la plus favorisée

    NPI Nouveaux pays industrialisés

    OACI Organisation de l’aviation civile internationale

    OCDE Organisation de coopération et de développement économiques

    OI Organisations internationales

    OIT Organisation internationale du travail

    OMC Organisation mondiale du commerce

    OMPI Organisation mondiale de la propriété intellectuelle

    OMS Organisation mondiale de la santé

    ONG Organisations non gouvernementales

    ONU Organisation des Nations unies

    ORD Organe de règlement des différends

    OTAN Organisation du traité de l’Atlantique Nord

    OTC Obstacles techniques au commerce

    P4 Accord de partenariat économique stratégique transpacifique (Brunei, Chili, Nouvelle-Zélande et Singapour)

    PCC Politique commerciale commune

    PERG Partenariat économique régional global

    PIB Produit intérieur brut

    PTCI Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement

    PTP Partenariat transpacifique

    PTPGP Accord de partenariat transpacifique global et progressiste

    RPC République populaire de Chine

    RSS Rashtrya Swayamsevak Sangh (parti politique indien)

    SCM Système commercial multilatéral

    SD de Suède

    SDN Société des Nations

    TFUE Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne

    TRIPS Voir ADPIC

    UE Union européenne

    UNASUL Union des nations sud-américaines

    UNCTAD Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement

    UNESCO Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture

    URSS Union des républiques socialistes soviétiques

    VOS Vol d’oies sauvages

    Remerciements

    Cet ouvrage est né de la collaboration de plusieurs membres du Centre d’études sur l’intégration et la mondialisation (CEIM) de l’Université du Québec à Montréal au numéro spécial de la revue Diplomatie intitulé Vers une guerre commerciale mondiale?, publié en 2019. Nous avons poursuivi cette collaboration et l’approfondissement des enjeux politiques, économiques et juridiques qui entourent les nouvelles rivalités commerciales au XXIe siècle et le fruit en est ce livre que vous tenez entre vos mains. Nous tenons à remercier chaleureusement les auteurs qui y ont participé, la revue pour sa collaboration sans faille et la qualité de son travail, ainsi que Stéphane Paquin et Stéphane Roussel, directeurs de la collection «Politique mondiale» aux Presses de l’Université de Montréal.

    Introduction

    MATHIEU ARÈS, ÉRIC BOULANGER

    ET ÉRIC MOTTET

    Durant la seconde moitié du XXe siècle, le développement et l’approfondissement du système commercial multilatéral se sont appuyés sur un libéralisme fonctionnaliste qui en faisait non seulement un outil de paix et de prospérité partagée, mais un rempart contre l’expansion du socialisme et du protectionnisme en Europe d’abord, puis dans les pays en développement ensuite. C’est ainsi que la diplomatie commerciale, qui vise la constitution de règles communes favorisant la liberté de commerce, ne peut se distancier des considérations géoéconomiques et géostratégiques. Le leadership américain a donc toujours été une condition préalable à la constitution et au maintien du régime commercial multilatéral: seule sa grande puissance permettait de discipliner les resquilleurs, l’accès conditionnel à l’immense marché américain agissant en quelque sorte comme un système de récompenses et de sanctions quant au respect des obligations découlant de l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT1 selon l’acronyme anglais) et, depuis 1995, de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). La crise de la dette des pays en développement (1982-1992) et l’effondrement de l’URSS ont marqué le triomphe du modèle libéral. Tous les espoirs étaient permis pour de grandes avancées sur le plan de la libéralisation du commerce, la plupart des États s’empressant d’adhérer à l’OMC. Toutefois, malgré le Paquet de Bali (2013), le seul accord multilatéral signé sous l’égide de l’OMC, la voie multilatérale semble aujourd’hui sinon bloquée, du moins laborieuse.

    Au cœur des difficultés de l’OMC, il y a certes la multiplication des acteurs, au nombre de 164 membres réguliers et de 23 États observateurs, représentant ensemble en 2016 98,2% du commerce mondial2. L’approche consensuelle lors de la prise de décision pose aussi problème. Mais c’est surtout la complexification des thématiques en négociation qui représente le principal défi. En fait, depuis les années 1990, les négociations multilatérales se butent à un grand clivage. D’un côté se trouvent les pays développés, les États-Unis et l’Union européenne (UE) en tête, pour qui les questions tarifaires sont devenues résiduaires (sauf dans le domaine de l’agriculture) et qui mettent l’accent sur les mesures non tarifaires, les services, la facilitation au commerce, l’investissement, la propriété intellectuelle, les marchés publics et, de plus en plus, sur des thématiques transversales comme l’environnement et le travail, pour nommer que ceux-là. De l’autre côté se trouvent les pays émergents ou en développement qui considèrent ces questions au mieux comme prématurées, au pire comme un frein à leur propre développement, eux qui préfèrent réclamer l’ouverture des marchés agricoles et la fin des protections tarifaires et non tarifaires des secteurs à forte intensité de main-d’œuvre, et d’une manière générale, des règles commerciales qui tiennent compte de leurs retards relatifs vis-à-vis des pays développés3. Avec la mondialisation et les avancées technologiques dans les domaines des transports et des communications, loin de se dénouer, les négociations commerciales se sont encore plus complexifiées et de nouvelles thématiques se sont imposées, comme l’harmonisation réglementaire, l’interconnexion des systèmes de production, l’économie numérique et la déterritorialisation qu’elle suggère.

    Face à ce constat, nombre d’États ont vu dans le régionalisme un moyen d’accélérer le mouvement de libéralisation commerciale et qui, croyait-on, permettait également par ses innovations institutionnelles de relancer la voie multilatérale, malgré le fait que l’article 24 du GATT autorise dans ce cas-ci à déroger aux principes de la nation la plus favorisée. Si cela n’a guère redynamisé le multilatéralisme, il n’en demeure pas moins que l’exception régionale semble être devenue la règle: la plupart des États membres de l’OMC sont signataires d’au moins un accord de commerce bilatéral ou régional. Deux modèles dominants de régionalisme ont émergé, le modèle communautaire de l’UE et le modèle contractuel de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA). En raison de l’approfondissement de la mondialisation, depuis les années 2010, une nouvelle génération d’accords est apparue: on peut penser, entre autres, au Partenariat transpacifique (PTP) et à son successeur, l’Accord de partenariat transpacifique global et progressiste (PTPGP), ou bien encore au projet d’un Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement (PTCI) entre les États-Unis et l’UE.

    Ces nouvelles initiatives recherchent la consolidation de partenariats commerciaux permettant la fluidité le long des chaînes de valeur, lesquelles sont de plus en plus mondialisées. Autre particularité, il s’agit plutôt dans ce cas d’interrégionalisme et d’interconnexion. En effet, les négociations récentes recherchent l’harmonisation des règles de commerce entre blocs régionaux pour ainsi répondre à une nouvelle division internationale du travail au sein de laquelle chaque État se positionne pour attirer sur son territoire diverses phases des réseaux de production et des chaînes de valeur, ce qui déterminera bien souvent la compétitivité et la réussite de ses avantages comparatifs.

    Le commerce mondial a ainsi évolué au rythme du développement de ces réseaux de production et de la création de chaînes de valeur mondiales, lesquelles assurent, selon l’OMC, 57% du commerce des biens et des marchandises dans le monde4. Dans cette redéfinition du commerce international, force est de constater le dynamisme de l’Asie de l’Est et du Sud-Est. Cette région est désormais le principal pôle de croissance mondiale avec la Chine comme chef de file, laquelle non seulement a intégré l’Asie encore plus profondément dans la mondialisation en devenant la première puissance commerciale, déclassant les États-Unis, mais est devenue, selon l’indice de parité de pouvoir d’achat, la première économie mondiale, avec un produit intérieur brut (PIB) de 27 300 milliards de dollars contre 21 400 milliards pour les États-Unis.

    Ce n’est donc pas une surprise si la Chine revendique aujourd’hui le droit de redéfinir l’ordre international selon ses propres intérêts commerciaux, voire géostratégiques. Ses récentes initiatives – pensons notamment aux nouvelles routes de la soie ou à la Banque asiatique d’investissement dans les infrastructures (BAII) – indiquent pour certains observateurs une volonté de créer un ordre international «parallèle» concurrent aux institutions de Bretton Woods5. La puissance chinoise pour le moins préoccupe. Si les États sont nombreux à regarder avec envie son potentiel commercial, ils n’en demeurent pas moins soucieux des aspirations politiques de ses dirigeants et craintifs de ses méthodes de négociation qui vont d’un refus de se soumettre à des règles communes – notamment dans les domaines de la propriété intellectuelle, de l’investissement et du travail – à l’intimidation et aux démonstrations de force, en passant par l’octroi d’une aide économique conditionnelle à l’accès aux ressources et à l’ouverture des marchés nationaux aux firmes chinoises.

    Si la Chine est actuellement un défi considérable à la pérennité de l’ordre international, ce qui est plus inquiétant à court terme est l’émergence d’un nouveau nationalisme économique qui se présente comme une bravade aux règles de l’intégration à l’économie mondiale et cherche à en reformuler les termes et les dispositions. Le Brexit en est la preuve: l’interdépendance économique, l’intégration communautaire et l’affaiblissement de la souveraineté ne sont plus inéluctables ni irréversibles et une «déconnexion» est toujours possible.

    Pour plusieurs, cette nouvelle vision du nationalisme économique n’est que l’expression d’une peur non fondée, exacerbée par des politiciens populistes. Quoi qu’en disent les chantres de la mondialisation, les gilets jaunes en France, la base électorale de Donald Trump aux États-Unis et bien d’autres mouvements contestataires dans le monde ont en commun un degré élevé de scepticisme quant aux bénéfices qu’ils pourront ou qu’ils devraient retirer de la croissance économique mondiale, mettant au pilori les politiques publiques de leur gouvernement. En effet, malgré des taux de chômage dans un creux historique pour la majorité des économies avancées, l’exacerbation des inégalités indique non seulement la faillite des mécanismes de redistribution de la richesse nationale qui profite à une très petite minorité de super-riches, mais également une désarticulation des marchés du travail – et ses répercussions souvent négatives sur les salaires ou les systèmes de pension – induite par les forces de la mondialisation devant lesquelles se courbent très souvent les autorités nationales. Devant cet état de fait, les mouvements contestataires et des franges importantes de l’électorat des grandes comme des petites économies proposent un repli identitaire comme rempart contre les forces de la mondialisation. À cela, selon les régions, il faut ajouter des tensions géopolitiques comme en mer de Chine méridionale, où Beijing vise à imposer de nouvelles règles géostratégiques; des tensions identitaires comme en Europe avec les vastes mouvements de population en provenance des pays riverains de la Méditerranée; ou des tensions politiques liées au recul de la démocratie en Amérique latine. Enfin, le recul plus général du multilatéralisme au sein même de l’Occident reflète l’affaiblissement de la centralité de celui-ci dans l’ordre économique international et, dans l’environnement des rivalités nationales que nous avons énoncé ci-dessus, se trouve un casus belli qui ne se réduit pas aux gazouillis chaotiques du président Trump. Les actions de ce dernier ont mené tout de même à une guerre commerciale contre la Chine. Les alliés rapprochés de Washington partagent, pour la plupart, avec les États-Unis les mêmes récriminations commerciales à l’égard de la Chine. Ils ont tout de même été stupéfaits que Washington soit allé de l’avant avec l’imposition de tarifs punitifs contre les exportations chinoises.

    On voit mal alors comment une Europe fragilisée par le Brexit, la crise de la COVID-19 et des tensions internes, des économies de taille moyenne comme le Canada, voire un Japon dont l’économie stagne depuis plus de deux décennies peuvent réellement infléchir les velléités protectionnistes des Américains et des Chinois, qui les relèguent parfois à un rôle d’acteurs secondaires dans la redéfinition des règles du commerce mondial et dans la mise en place d’un nouvel ordre international.

    L’affrontement États-Unis-Chine

    De façon quasiment systématique, la guerre commerciale sino-américaine est réduite par de trop nombreux observateurs à l’ignorance supposée du président Donald Trump en matière de commerce international. C’est cette lacune qui expliquerait une vision de la compétitivité des nations ou du multilatéralisme que l’on dit dépassée ou erronée et qui semble se renforcer au contact des membres de son administration, ces derniers suggérant soit que les États-Unis s’appauvrissent en raison de leur déficit commercial, soit que les pays en développement abusent de leur statut au sein de l’OMC pour les affaiblir.

    Dans ce récit qui semble sortir tout droit des rivalités protectionnistes des années 1930, les États-Unis sont victimes du degré élevé d’interdépendance au sein de l’économie mondiale et pour remédier à cette «injustice», il faut «renationaliser» les instruments de la compétitivité et s’attaquer au multilatéralisme sous toutes ses formes. Après avoir retiré les États-Unis du PTP et mis en suspens le PTCI entre les États-Unis et l’UE, l’administration Trump s’est attelée – en menaçant de tarifs douaniers les pays concernés – à la renégociation de l’ALENA et a entrepris de négocier des accords commerciaux bilatéraux avec plusieurs pays, dont le Japon et la Chine. L’administration Trump ne cherche pas seulement à retirer des gains relatifs bien supérieurs à ceux de ses partenaires économiques, mais à protéger l’économie américaine des ravages potentiels du multilatéralisme et de l’interdépendance, comme l’indiquent, par exemple, certains articles du nouvel Accord Canada–États-Unis–Mexique (ACEUM) qui contreviennent aux règles de l’OMC ou bien encore les menaces présidentielles d’imposition de tarifs à l’encontre de ses partenaires économiques. Ces derniers ont tous été réduits au statut de rivaux, peu importe les amitiés de longue date comme celles avec le Canada ou l’Union européenne. Si l’histoire nous a prouvé que l’instauration de tarifs douaniers sur des produits importés ne peut renforcer à long terme la compétitivité d’un pays – d’ailleurs les tarifs sur l’acier et l’aluminium imposés par l’administration Trump n’ont aucunement aidé les industries américaines actives dans ces deux secteurs –, les accords commerciaux bilatéraux asymétriques négociés par Washington et la diminution du taux d’imposition des sociétés américaines de 35% à 21% peuvent effectivement donner à celles-ci une longueur d’avance sur la concurrence internationale.

    Cette baisse d’impôt est un cadeau évalué à plus de 330 milliards de dollars qui profite en grande partie aux firmes ayant peu d’activités à l’étranger, en raison notamment du fait que les firmes multinationales (FMN) américaines tirent déjà avantage de leur présence dans des pays ayant un faible taux d’imposition6. Il s’agit là d’une politique néomercantiliste tout de même assez orthodoxe, mais surprenante pour un gouvernement cherchant à donner des avantages fiscaux à ses firmes nationales. Cependant, des mesures ont été prises pour s’attaquer aux firmes américaines mettant des actifs financiers ou intangibles dans des paradis fiscaux et ailleurs dans le monde. Dans un premier temps, elles devront payer un impôt de 15,5% sur leurs vastes réserves d’argent placées à l’étranger, évaluées à plus de 3300 milliards de dollars, et non pas au fur et à mesure que ces sommes sont rapatriées aux États-Unis. Dans un deuxième temps, la taxe BEAT7 (l’acronyme anglais de «base erosion and anti-abuse tax») et l’impôt sur le global intangible low-taxed income (GIRLI, soit l’impôt sur le revenu mondial à faible taux d’imposition tiré de biens incorporels)8 visent, sans rentrer dans les détails, à mettre fin à la pratique de compagnies qui esquivent les impôts américains en cachant des actifs intangibles dans les paradis fiscaux. Ces décisions apparaissent contradictoires – le gouvernement américain ne veut-il pas aider les compagnies nationales en abaissant leur taux d’imposition? –, d’autant plus qu’elles ne sont pas uniques. Le président Trump a pris la défense des géants américains du numérique à l’extérieur des États-Unis – par exemple en s’opposant à la taxe dite «GAFA» imposée par la France sur les recettes des services numériques offerts par des firmes comme Google ou Facebook – pour mieux les attaquer à l’interne – notamment en les accusant de s’ingérer dans les élections présidentielles et plus généralement dans les affaires de la Maison-Blanche. Il menace alors d’enquêter sur des infractions à la loi antimonopole que les géants du numérique auraient possiblement commises.

    Une tendance se dessine: une politique commerciale – peut-être moins antimondialisation qu’antiréglementation, anti-gouvernance mondiale – ancrée dans les intérêts électoraux à court terme de la présidence américaine a pris forme et met dans le même collimateur les rivaux et partenaires économiques des États-Unis et les firmes américaines mondialisées en mesure d’échapper au pouvoir et aux injonctions politiques, mais également, comme nous le verrons ci-dessous, aux institutions et organisations de l’ordre libéral de l’après-guerre qui ont participé à l’émergence de la mondialisation et à sa régulation néolibérale. Cette politique commerciale trumpienne est fondamentalement un rejet des règles d’une «société globale», voire un retour à une culture westphalienne au sein de laquelle les rapports de force reprennent leurs lettres de noblesse, leur légitimité dans les rapports interétatiques. Elle n’est pas un effort de «déconnexion» de l’économie mondiale dans le sens d’un repli sur soi, loin de là, mais plutôt une remise en question de la légitimité des institutions libérales de l’après-guerre, de l’intergouvernementalisme et de ses règles multilatérales.

    Cette déconnexion prend pour prétexte un discours sécuritaire nationaliste, sur lequel on se fonde par exemple pour inviter les firmes de haute technologie à mettre fin à leurs liens d’affaires avec des firmes chinoises ou encore pour imposer des tarifs sur les importations d’acier et d’aluminium. En outre, cette déconnexion recycle une vision mercantiliste des rapports interétatiques dans laquelle la coopération commerciale ou technologique avec l’étranger – comme celle que pratiquent sur une base régulière les FMN, peu importe leur nationalité – est une forme d’antipatriotisme et une attaque contre l’intégrité économique de la nation. L’administration Trump vise par cette déconnexion à déconstruire deux éléments fondamentaux du legs de la présidence de Barack Obama: d’une part la négociation d’accords globaux comme le PTP ou le PTCI (pour pallier les insuffisances de l’OMC) et d’autre part la mise en place de «mécanismes de reconnaissance mutuelle, voire d’harmonisation réglementaire» dans le but de consolider – souvent avec des «systèmes réglementaires interopérables» – ce qu’on appelle aujourd’hui l’interconnexion de l’économie mondiale9, soit son degré d’intégration le plus avancé.

    À n’en pas douter, avec la présidence de Donald Trump, nous assistons bel et bien à une rupture de paradigme, mais il faut être prudent et se garder de l’attribuer essentiellement à un seul homme. Le degré élevé d’institutionnalisation de la politique commerciale américaine n’en fait pas un objet facile à dérégler, ce qui a priori la protège des décisions radicales d’un président ayant une compréhension limitée des enjeux du système commercial, fondé sur le multilatéralisme et l’interdépendance. Il n’en demeure pas moins que cette politique commerciale a été soumise depuis plusieurs années à de fortes pressions provoquées par l’émergence de la Chine, par le poids considérable des pays en développement et des économies émergentes au sein de l’OMC, ainsi que par la transformation rapide de l’économie américaine et des économies industrialisées plus généralement sous l’impulsion des géants du numérique et des chaînes de valeur mondiales, lesquelles redéfinissent l’avantage comparatif de l’ensemble des économies avancées. La compétitivité ne peut plus se définir strictement sur une base nationale, mais sur une base mondiale étroitement contrôlée par les investissements des FMN et leurs chaînes de valeur, bref selon le degré d’interconnexion des économies nationales et de leurs firmes à l’économie mondiale.

    Ce sont tous des points de tensions auxquels l’administration Obama a dû faire face – notamment la nouvelle puissance économique chinoise ou l’ALENA qu’Obama conspuait, mais sur lequel il a refusé d’agir – et qu’elle a tenté de gérer en délaissant graduellement l’idée fondamentale derrière le multilatéralisme qu’est la nature inclusive du contrat social de l’après-guerre qui octroyait à tous les participants les mêmes droits et obligations. Si Trump a carrément mis fin à ce contrat social, Obama lui avait ouvert la porte. En effet, ce dernier a affaibli considérablement le multilatéralisme en y insérant une clause, celle de la «nation indispensable», abattant par le fait même la notion d’égalité qui a imprégné profondément les institutions de Bretton Woods, voire la gouvernance mondiale de l’après-guerre froide. Cette clause de la nation indispensable possède en elle une charge vive en mesure de permettre cette rupture, car elle implique que les États-Unis «ont le droit, la responsabilité et la sagesse de gérer virtuellement les politiques locales partout dans le monde10». Elle est plus déstabilisatrice que l’unilatéralisme dont a fait preuve le gouvernement américain depuis l’administration Bush père. L’unilatéralisme peut être ignoré, voire désavoué sans grandes conséquences parce qu’il ne se dissocie jamais à la base du multilatéralisme ou du bilatéralisme, alors que la clause de la nation indispensable fait des intérêts américains les seuls intérêts légitimes, que ce soit au sein de l’OMC, dans le PTP ou sur le plan géostratégique, et, en outre, n’a plus besoin d’ordre ni de règles universels. C’est sans doute le dernier cri d’un hégémon déclinant saisissant dans les différents attributs commerciaux de ses partenaires les causes de son effondrement. Il n’y a d’ailleurs plus de distinction à faire entre rivaux et partenaires, ce rapport étant malléable selon l’humeur du président ou si un pays est prêt ou non à accepter de se placer dans un rapport économique asymétrique avec les États-Unis, ceux-ci étant bien sûr l’État fort de cette relation bilatérale.

    L’ancien président Obama a eu la «délicatesse» d’enrober cette nouvelle clause du contrat social – la nation indispensable – dans un discours à saveur «multilatéraliste», mais n’a fait qu’accentuer l’amertume de bien des pays à l’égard du multilatéralisme, notamment au sein de l’OMC où les efforts de libéralisation n’ont pas fait les progrès nécessaires pour amener la gouvernance mondiale de l’OMC au même niveau d’interconnexion que celui de l’économie mondiale. Le soi-disant multilatéralisme d’Obama ne pouvait progresser et explique le peu d’intérêt qu’il portait aux accords commerciaux durant son premier mandat.

    Ce multilatéralisme obamien était avant tout une tentative pour diffuser un hégémonisme libéral post-national, ancré profondément dans la domination de l’Occident et de ses «lumières» sur le reste du monde, alors que celui-ci y voyait une tentative occidentale d’accaparer les gains de la mondialisation à son détriment. Pour un pays comme la Chine, s’extirper de l’hégémonisme libéral est un moyen d’y remédier et de repenser la distribution des gains de la mondialisation, alors qu’Obama y voyait une attaque contre la domination des firmes américaines. Obama faisait des appels à «plus d’ordre», à «plus de régulation», sans prendre en considération le fait que ses appels s’accom­pagnaient, pour reprendre les mots de Philippe Moreau Defarges, «de réactions, de résistances, d’imprévus11» comme en fait foi le comportement chinois.

    Le multilatéralisme est donc devenu une menace à la fois pour les États-Unis et pour la Chine, mais ce n’est pas cette dernière qui se comporte comme une puissance révisionniste. Pour reprendre à notre bénéfice la charge de John Mearsheimer et de Stephen Walt contre la puissance hégémonique libérale des États-Unis, avec l’administration Trump, ce pays préfère se comporter comme une «puissance révisionniste», insatisfaite des arrangements soci0-institutionnels mis en place après la Seconde Guerre mondiale.

    Une rupture ou un retour en arrière

    pour la politique commerciale américaine?

    Il faut prendre un certain recul pour être en mesure de discuter sérieusement des ruptures amorcées par l’administration Trump dans la politique commerciale américaine en replaçant les décisions de cette dernière dans le contexte historique contemporain des États-Unis. À cet égard, Douglas Irwin, dans sa monumentale histoire de la politique commerciale américaine, note trois périodes historiques liées aux «trois objectifs fondamentaux» de celle-ci: «revenus, restrictions et réciprocité». La première période, s’étalant de la création du gouvernement fédéral à la guerre civile, est caractérisée par le fait que les revenus du gouvernement fédéral proviennent jusqu’à 90% de tarifs douaniers; la deuxième période, qui s’étire jusqu’aux années 1930, est marquée par des restrictions au commerce et des tarifs très élevés – à hauteur de 60% – afin de protéger les producteurs locaux de la

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