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Perspectives critiques et analyse territoriale: Applications urbaines et régionales
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Livre électronique364 pages4 heures

Perspectives critiques et analyse territoriale: Applications urbaines et régionales

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À propos de ce livre électronique

Que l’on pense à la crise financière de 2008 ou aux projets d’oléoducs qui traversent le Canada, force est de constater que les dynamiques du développement du capitalisme contemporain transforment les espaces et les territoires. Celles-ci ont des conséquences directes sur les restructurations économiques et spatiales, alimentant les injustices dans nos villes et nos régions.

Le présent ouvrage est le fruit d’une réflexion collective sur le renouveau des approches critiques en études urbaines, régionales et territoriales. Il rassemble des contributions théoriques, méthodologiques et empiriques qui traitent, à différentes échelles, des rapports centre-périphérie et des conditions d’habiter, des systèmes de pouvoir et d’exclusion sociale et spatiale, du cadre de vie et des mobilisations urbaines ainsi que des identités (périphériques et centrales) dans l’appropriation de l’espace.

Si les études urbaines et les études régionales et territoriales ont souvent été mises en opposition, où les unes se définissent par le contraire des autres, cet ouvrage permet de les aborder ensemble. Sans nier les différences, voire les oppositions, il apparaît qu’elles sont toutes deux à même d’explorer les dualités propres à l’analyse critique du capitalisme contemporain.

Hélène Bélanger est professeure en études urbaines à l’Université du Québec à Montréal (UQAM) et membre du Collectif de recherche et d’action sur l’habitat. Ses travaux portent sur des thèmes touchant au droit au logement, et notamment sur la gentrification, le chez-soi et les effets des interventions urbanistiques sur l’appropriation des environnements résidentiels. Elle participe à de nombreuses recherches collaboratives avec les groupes communautaires.

Dominic Lapointe est professeur en études touristiques à l’UQAM et détenteur d’un doctorat en développement régional. Ses travaux portent sur les questions de production des espaces touristiques, sur le développement des destinations touristiques non métropolitaines, sur les changements climatiques et le tourisme, sur les théories critiques et le tourisme autochtone. Depuis 2017, il est responsable du Groupe de recherche et d’intervention tourisme, territoire et société.
LangueFrançais
Date de sortie21 août 2019
ISBN9782760552029
Perspectives critiques et analyse territoriale: Applications urbaines et régionales
Auteur

Hélène Bélanger

Hélène Bélanger est professeure en études urbaines à l’Université du Québec à Montréal (UQAM) et membre du Collectif de recherche et d’action sur l’habitat. Ses travaux portent sur des thèmes touchant au droit au logement, et notamment sur la gentrification, le chez-soi et les effets des interventions urbanistiques sur l’appropriation des environnements résidentiels. Elle participe à de nombreuses recherches collaboratives avec les groupes communautaires.

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    Aperçu du livre

    Perspectives critiques et analyse territoriale - Hélène Bélanger

    [01]

    REMERCIEMENTS

    Nous tenons à remercier le Centre de recherche sur le développement territorial (CRDT) et le réseau Villes Régions Monde (VRM) pour leur soutien financier dans la réalisation de cet ouvrage. Cette réflexion est le fruit d’un travail collectif. Merci aux auteures et aux auteurs pour votre contribution ainsi que pour vos judicieux commentaires sur les premières versions des manuscrits. Merci aussi aux collègues, aux amies et aux amis pour les passionnantes discussions, les idées que vous avez fait germer et aussi les doutes que vous avez semés permettant ainsi de faire avancer la réflexion sur les approches critiques en études urbaines, régionales et territoriales.

    LISTE DES FIGURES ET DES TABLEAUX

    Figure 3.1. Évolution du nom du comité

    Figure 4.1. Quartiers centraux montréalais

    Figure 5.1. Carte de localisation

    Figure 7.1. Localisation de la Plaza Saint-Hubert

    Tableau 4.1. Auto-identification des catégories de genre et de sexualité

    Tableau 5.1. Arrivées de passagères et de passagers de croisière au Québec 2006-2016

    Tableau 5.2. Projets d’immobilisation des infrastructures

    Tableau 5.3. Distribution géographique des groupes d’acteurs

    Tableau 7.1. Catégories de commerçantes et de commerçants

    LISTE DES ABRÉVIATIONS

    INTRODUCTION

    Intersections, économie, pouvoir et identités

    Une critique chorale de la société

    Dominic Lapointe et Hélène Bélanger

    Le 14 septembre 2008, la banque américaine Lehman Brothers déclare faillite et déclenche une réaction en domino qui sera, par la suite, connue sous le nom de « la crise financière de 2008 ». Des banlieues de Cleveland et de Détroit, déjà fortement touchées par la crise des subprimes¹ de 2007, aux quartiers d’Athènes, en passant par l’Islande, le Portugal et l’Espagne, l’onde de choc se fait sentir et soulève des questions. Du centre à la périphérie, le système entre en crise et laisse poindre la possibilité que ce soit finalement la crise qui pourrait faire basculer le capitalisme, comme en témoigne la recrudescence des écrits sur la crise en elle-même, mais aussi sur ses effets (Mirowsky, 2013), sur les distorsions du capitalisme contemporain (Piketty, 2013), sur la combinaison de la crise financière de 2008 avec d’autres crises, dont celle des changements climatiques (Klein, 2015), ou encore sur la fin même du capitalisme (Fletcher, 2011 ; Harvey, 2014 ; McNally, 2011). Que cette perspective d’une transformation majeure de la société vers une société post-capitaliste ait pu être envisagée avec autant de sérieux est difficile à croire dix ans plus tard.

    Retour en 2018, il suffit de jeter un œil aux journaux pour être interpellé quotidiennement par des enjeux critiques : que ce soit les projets d’oléoducs qui traversent le Canada avec leur pléthore de protestations environnementales, autochtones, anticapitalistes, régionalistes ; la remise en question de modes d’habiter et de régulation de l’économie des régions ressources ; ou encore la spéculation foncière et financière qui attaque les quartiers urbains, déplaçant populations et modes de vie, qualifiant et disqualifiant des subjectivités situées socialement et spatialement. Le débat autour de l’adaptation aux changements climatiques avec ses nouvelles formes d’inégalités agit aussi comme révélateur des iniquités qui touchent déjà les femmes et les personnes racisées. Des discours récurrents traversent le temps, dont celui sur le « développement » qui porte une connotation positive et vertueuse, mais qui s’avère tout autre : on sousentend souvent que le développement pourrait être une solution aux inégalités et aux rapports de domination, sans toutefois reconnaître qu’il s’agit d’un discours dominant qui reproduit les inégalités en servant l’expansion du capitalisme.

    Notre réflexion sur les approches critiques dans les études urbaines, régionales et territoriales s’inscrit dans la suite de ces événements. Elle relève d’un besoin de repenser les espaces, leur appropriation/désappropriation, leurs modes d’habiter, leurs rôles dans la construction identitaire des sujets/individus, mais aussi de les considérer comme substrat matériel des structures à l’œuvre dans leur (re)production et leur transformation des structures et des identités. De plus, si les études urbaines et les études régionales et territoriales ont souvent été mises en opposition, les unes se définissant par le contraire des autres : la ruralité comme l’absence d’urbanité ; l’environnement naturel opposé au construit, le lieu de la dispersion à celui de la densité, nous tenons à les aborder ensemble. Sans nier leurs différences, voire leurs oppositions, les études urbaines tout comme les études régionales et territoriales nous apparaissent à même de traiter les dualités propres à l’analyse critique du capitalisme contemporain.

    La question du capitalisme et de son analyse, non seulement comme système économique, mais aussi comme système social et culturel, est à la base de la théorie critique (Fraser et Jaeggi, 2018 ; Held, 1980). Cette forme d’analyse se construit sur des articulations doubles, principalement entre aliénation et réification, structure et sujet ainsi que reconnaissance et redistribution. Ces articulations dialectiques traversent et produisent les espaces et les territoires urbains et ruraux, qui sont à la fois des intrants et des résultantes de ces articulations.

    1. L’aliénation et la réification

    Deux concepts sont centraux à la théorie critique, ceux d’« aliénation » et de « réification » (Bronner, 2011). Ils servent à décrire le capitalisme comme un système économique et social dans lequel une partie de la population est non seulement privée du fruit de son travail, mais aussi déshumanisée par le processus de (re)production du capital et de la société. La notion d’« aliénation » fait justement référence à ce processus de rupture entre le travail et le fruit de celui-ci, entre le labeur quotidien et le devenir, voire de rupture entre l’identité et le lien avec le reste de la société. Si Marx présente l’aliénation comme la privation de l’accès à la valeur pour les travailleurs du prolétariat, entre autres par la division du travail, le capitalisme contemporain n’est pas en reste. En effet, dans Le nouvel esprit du capitalisme (1999), Boltanski et Chiapello réactivent la pensée de Fromm (1936) dans laquelle l’aliénation ne consiste pas seulement dans la construction de rapports de production qui coupent le travailleur du fruit de son labeur, mais aussi dans la mise en place d’une individualité où tout un chacun se transforme en moyen de production et en compétition avec ses pairs dans le marché (Fromm, 1936, cité dans Bronner, 2011). Dans un système où le travail se flexibilise et s’atomise et où le rapport à la discipline du marché s’internalise (Brown, 2015 ; Foucault, 1984), l’individu se produit lui-même en travaillant sa marque personnelle, désolidarisant de fait même le rapport de production – c’est l’entrepreneur de soi tel qu’élaboré par Boltanski et Chiapello (1999).

    Le processus d’aliénation se complète à travers la réification où le sujet devient objet. On peut même aller plus loin, selon Honneth (2006) : la société peut atteindre un stade de réification totale où tout devient potentiellement une marchandise, des biens matériels aux individus en passant par les émotions, à travers ce que l’on nomme « économie de l’expérience » (Pine et Gilmore, 1999). L’économie se dématérialise alors et produit des subjectivités qui compétitionnent entre elles. L’affect, l’identité, voire le mode de vie même des individus et les lieux où il se déploie, deviennent monnayables, comme autant de biens de consommation et de facteurs de productions dans l’économie de l’expérience. L’expérience opère à la fois réification et aliénation du sujet, qui se voit devenir produit dans une dynamique de sa dépolitisation vers sa régulation par le marché. Ce nouvel esprit du capitalisme tisse structures et identités à travers des rapports matériels, discursifs et symboliques.

    2. Des structures et des identités

    Expression de la dichotomie structure/sujet, la question de la culture, opposée à celle de l’économie comme front de l’émancipation et de la transformation de la société, est au cœur même des enjeux critiques actuels. Alors que la tradition marxiste voit la classe sociale comme seule forme structurelle à laquelle sont assujettis les autres enjeux de domination et d’aliénation, un courant différent traite les rapports de domination et d’aliénation à partir des identités et de la culture, principalement sous l’angle de la reconnaissance. Ce n’est pas sans rappeler le débat entre Harvey (1993) et Massey (1993) sur la primauté de l’espace ou des lieux (space vs. place), sur les structures qui traversent l’espace en opposition aux relations et aux identités constitutives des lieux. Même si Harvey et Massey se réclament de la pensée de Lefebvre (1974), leur position respective en évacue partiellement la complexité, surtout lorsque l’on croise la production de l’espace avec la critique de la vie quotidienne. En effet, si l’espace est produit, entre autres par le capital et l’ensemble des relations sociales qu’il internalise, il est aussi vécu par une multitude de subjectivités à travers la vie quotidienne et la dimension reproductive de la société dans l’espace vécu.

    Cette articulation se pose de manière aiguë pour les territoires urbains et ruraux, comme espaces de production et de reproduction, comme lieux d’expression du pouvoir et de sa cristallisation sous forme de permanence qui peuvent être repérés dans l’espace-temps. Dans la ville néolibérale comme dans les marges géographiques aux prises avec des déconnexions et des délestages sociaux, spatiaux et numériques, un imaginaire des lieux et un mode d’habiter se créent, partagés, mais aussi contestés par des acteurs endogènes et exogènes. La vie s’y déploie à travers le capital et le travail, mais aussi à travers des moments d’invisibilité, entre autres dans le travail reproductif ; des marginalités avouées, décrites et acceptées, avec leur potentiel de revendication et d’émancipation. Dans la société néolibérale, à la division géographique du travail et de la production s’ajoute une colonisation de la vie privée, qui opère une réification des rapports sociaux au service du capital selon une dynamique biopolitique (Foucault, 1984) où l’aliénation se produit par l’intégration des codes disciplinaires du capital et du marché à l’intérieur même de l’individu et de son identité (Brown, 2015). Il y a donc un code de la différence comme résultante de rapports de pouvoir qui assignent aux individus des identités associées à des positions structurelles dans la société capitaliste (Fraser et Jaeggi, 2016). Toujours à la suite de Fraser et Jaeggi (2016, p. 109), ces différentes identités (genre, race, sexualité, classe) s’expriment dans l’espace et les lieux à travers un « ordre social » et géographique, qui produit ces positionnalités comme axe intersectionnel de domination. Cette domination vécue de manière subjective à travers les expériences réelles d’injustices est aussi confrontée à un individualisme de marché propre au néolibéralisme.

    Ceci n’est pas sans rappeler l’argument de Young (1990) sur la justice sociale faisant valoir que celle-ci s’inscrit dans la lutte contre l’oppression et la domination institutionnalisées par rapport à la différence et aux identités non ou mal reconnues. Ainsi, la justice sociale passe non seulement par la possibilité pour les individus d’exprimer leur vécu et leurs expériences de l’oppression de ce qu’ils considèrent comme une « vie bonne », mais aussi par celle de participer à déterminer ses propres actions et les conditions de ses actions. L’injustice s’inscrit dans les rapports entre individus et structures, dans la capacité des individus à faire reconnaître leur expérience et, finalement, dans la manière dont les structures sociales marginalisent des identités en les rendant invisibles.

    3. Les paradoxes du capital

    Pour aborder cette interface entre individu et structure, Honneth (2006) interpelle le capitalisme sous l’angle des paradoxes. Le capitalisme contemporain serait une structure paradoxale dans laquelle la possibilité d’une émancipation se trouve restreinte par les actions à même de créer l’émancipation, entre autres par l’expansion du capitalisme dans les sphères de la vie privée et de la culture. Selon Honneth, la révolution néolibérale transforme les conditions structurelles de l’émancipation. Le principe de performance économique, porté par la capacité de réussite dans le marché, prime dans un discours d’efficacité et de neutralité qui perdure malgré la démonstration, depuis Marx (1867 [1993]), de sa nonneutralité. Ainsi, alors que d’un côté les politiques de reconnaissance et de redistribution tentent de corriger l’effet du hasard, de l’héritage et de la chance, qui se traduisent aussi dans la positionnalité sociale des individus, le marché se trouve à les relégitimer (le hasard, l’héritage et la chance) comme critères de distribution des biens matériels et symboliques, de la richesse et des statuts.

    Ces paradoxes s’expriment aussi dans les espaces urbains et ruraux. L’exemple de l’expansion constante du tourisme les traduit bien dans les deux contextes. La mobilité touristique, statut en soi, issue de formes d’émancipation du travail et de l’immobilité, devient sources d’aliénation et de réification de la vie quotidienne des populations hôtes. Les travailleuses et les travailleurs de ce secteur s’engagent dans un travail affectif (affective labour) au sein duquel leur corps et leur personnalité sont inhérents au produit, c’est-à-dire l’expérience touristique. L’individuation du touriste et de son vis-à-vis hôte se médiatise dans le marché, entre autres par des comportements attendus de la part de la production de destination. Ainsi, l’espace « touristifié » propose une lecture culturelle qui qualifie et disqualifie des identités, des cultures et des comportements. Il peut même aller jusqu’à rendre invisibles certains groupes, comme des populations autochtones (Grimwood, Muldoon et Stevens, 2019). Les subjectivités, socialement situées, deviennent donc valorisées ou marginalisées par leur capacité à compétitionner dans le marché, suggérant une forme d’émancipation et de reconnaissance par l’entremise des mécanismes du marché plutôt qu’au travers des revendications politiques (Lapointe, Sarrasin et Benjamin, 2018). C’est sans compter la division genrée du travail touristique, l’appropriation et la folklorisation culturelles, la fermeture d’espaces pour l’usage exclusif des touristes, les pratiques aménagistes homogénéisantes afin de répondre aux sensibilités des touristes quant aux environnements sociaux et construits, la gentrification de quartiers avec l’hébergement privé temporaire, et ce, alors que le discours vertueux du développement touristique présente celui-ci comme outil de préservation et de valorisation culturelles, de création d’emplois et de richesses.

    Notre réflexion s’inscrit donc dans un renouveau des approches critiques en études urbaines, régionales et territoriales depuis la crise financière de 2008. Ce renouveau a suscité une démarche collective qui s’est amorcée lors du colloque Les approches critiques : quelles perspectives pour les études urbaines, régionales et territoriales ? organisé dans le cadre du congrès de l’ACFAS 2016. Cette réflexion se voulait inclusive, tant pour les approches plus classiques en économie politique que pour les approches intersectionnelles. Elle aura servi de tremplin pour certaines des huit contributions théoriques, méthodologiques ou empiriques de chercheuses, de chercheurs, jeunes ou établis, provenant des études urbaines, des études régionales, des études touristiques ou de la géographie. Afin de mettre en exergue la complémentarité des approches théoriques et de faire dialoguer les stratégies méthodologiques et les différentes échelles, ces contributions sont rassemblées sous deux grands thèmes formant les deux parties de l’ouvrage. La première partie, sur le droit d’habiter, rassemble quatre contributions traitant des rapports centre-périphérie et des conditions d’habiter ; du cadre de vie et des mobilisations urbaines ; des systèmes de pouvoir et d’exclusion sociale et spatiale ; ainsi que des identités à la fois périphériques et centrales dans l’appropriation de l’espace. La deuxième partie, « Le développement et l’exclusion », rassemble des textes qui examinent et remettent en question plus particulièrement les modèles de développement économique ou urbain et leurs répercussions à différentes échelles, notamment sur la revitalisation des quartiers résidentiels. Elle se termine par une discussion sur la positionnalité de la chercheuse ou du chercheur.

    3.1. Le droit d’habiter

    Pour un « droit à l’habiter » plutôt qu’un « droit à la ville » ? Yann Fournis, qui s’intéresse à l’habiter dans les régions-ressources québécoises, fait le constat sans équivoque d’un désintérêt scientifique marqué pour les régions périphériques du Québec depuis les années 1990 par rapport à l’abondance des travaux inspirés de Castells (1977, 1983) et de Lefebvre (1968) sur le « droit à la ville ». Dans son texte intitulé « Go Habs Go : vers un droit à habiter les régions-ressources québécoises », Fournis interroge plus exactement les conditions de vie et les mobilisations citoyennes dans les régions-ressources, et plus largement les rapports centre-périphérie de la société québécoise. L’observation de la similarité des questionnements sur l’urbanité et sur la ruralité permet à Fournis de reconnaître, à travers les formes de mobilisations, non seulement un « droit à la ville », mais aussi un « droit à l’habiter » dans les régions-ressources québécoises.

    Les mouvements citoyens sont aussi au cœur du deuxième chapitre, « La justice spatiale, l’intersectionnalité et les politiques urbaines ». À partir des travaux de Young (1990) et de Fraser (2008, 2011), Claire Hancock s’interroge sur la justice spatiale et l’égalité dans la production et la gouvernance des grandes métropoles. L’étude des cas de Paris et de Barcelone l’amène à observer l’émergence d’un « municipalisme » dans lequel les actions à l’échelle locale permettent à certaines villes de s’opposer aux paliers nationaux, plus particulièrement quant aux effets dévastateurs de la néolibéralisation ou de la xénophobie. C’est le cas de Barcelone, où l’arrivée au pouvoir de Barcelona en Comù et leur référence à la justice et non à l’égalité, a permis l’examen des particularités des politiques municipales conçues dans une perspective féministe intersectionnelle en comparaison à d’autres, que ce soit en Europe ou dans les Amériques.

    Dans « La ville anti-Noir : la sécurité urbaine et les après-vies de l’esclavage à Montréal », Samiha Klalil et Ted Rutland approfondissent la réflexion sur les populations minorisées, plus précisément sur l’anti-blackness qui façonne la ville moderne. L’anti-blackness est ce système global de pouvoir, qui perdure encore aujourd’hui, et qui a pris forme à l’époque de l’esclavage en dépossédant les Noirs de toute reconnaissance juridique, sauf en tant que criminels. Émergeant sous le colonialisme français, l’anti-blackness à Montréal continue encore aujourd’hui de façonner les relations sociales et spatiales, de façon particulièrement marquée dans les pratiques policières. Le cas des Habitations Saint-Michel Nord est éloquent à cet égard, illustrant comment, à Montréal aujourd’hui, tout comme au XVIIe siècle, les Noirs sont régulièrement traités comme des criminels que l’on peut déplacer physiquement et symboliquement.

    On le voit, dans les villes et les régions contemporaines, le droit d’usage et d’appropriation des espaces – le droit d’habiter – est toujours modulé par les identités rurales, féminines et racisées. Les questions d’identités et de relations sociales et spatiales sont aussi au cœur de la formation récente de quartiers queers en dehors des villages gais. À partir d’une enquête auprès de jeunes adultes LGBTQ du quartier Mile-End à Montréal, Julie Podmore montre que la production de quartiers queers résulterait à la fois de la redéfinition des identités sexuelles, mais aussi de leur niveau de capital social et culturel qui permet ou non aux individus d’accéder aux réseaux sociaux de ces sous-cultures. Moins marqués dans le paysage urbain que les villages gais, les quartiers queers se situeraient souvent aux frontières des quartiers gentrifiés, là où se concentrent d’autres sous-cultures telles que les hipsters ou les artistes qui partagent des idéaux sociaux et un certain habitus.

    3.2. Le développement et l’exclusion

    Les solutions par le « développement », portées par les actrices et les acteurs politiques et économiques à différentes échelles, laissent peu de place aux problématiques sociales qui peuvent aussi être occultées par des approches positivistes en recherche. C’est le cas de nombreux travaux en études touristiques tel que le soulignent Luc Renaud et Bruno Sarrasin dans « La géographie politique du tourisme de croisière en Gaspésie : une lecture critique des enjeux ». Basée sur des relations de pouvoir, l’activité touristique participe à la construction et se nourrit des perceptions et des représentations à différentes échelles. Interrogeant le tourisme de croisière comme outil de développement régional pour la région gaspésienne, Renaud et Sarrasin font la démonstration que pour assurer la pérennité de l’activité, la priorité devrait être accordée à la spécialisation du marché plutôt qu’au tourisme de masse, approche priorisée par les industries de tourisme de croisière.

    Le développement touristique, à l’échelle locale cette fois, et le discours dominant sur le tourisme comme levier de développement exemplaire, est au centre du questionnement d’Alexis Guillemard. Son étude de deux anciens quartiers industriels montréalais (Griffintown et Angus) montre que la quasi-absence de l’activité touristique s’explique par la nature du redéveloppement et les particularités locales de ces deux territoires : dans un cas, l’absence d’un maintien ou de la création d’un intérêt patrimonial ; et dans l’autre, la création d’un pôle d’emploi sur un site patrimonial ont été préjudiciables au développement touristique. Cependant, Guillemard a observé le tourisme là où il ne s’y attendait pas : dans la vente de condos. En s’inspirant de l’économie expérientielle, le discours entourant la vente de condos entraîne une confusion entre le touristique et le résidentiel dans ce que l’auteur qualifie de « touristification du quotidien ».

    Le discours dominant sur le développement touche également l’échelle des artères commerciales dans les quartiers résidentiels et, de façon plus marquée, dans les quartiers en gentrification. Adhérant au paradigme de recherche intersectionnel, Charlotte Montfils-Ratelle et Hélène Bélanger se questionnent sur les perceptions qu’entretiennent divers types de commerçantes et de commerçants d’une rue marchande montréalaise dont la gestion et le développement sont encadrés par une société de développement commercial (SDC). Les résultats de leur enquête montrent qu’une partie des commerçantes et des commerçants adhère au discours dominant des acteurs responsables de la gestion et du développement de l’artère, basé sur des standards contemporains de qualité de vie urbaine. Ces voix dominantes, à travers l’image de l’anticommerçant, stigmatisent ou invisibilisent les pratiques commerciales pauvres et racisées ou ethnicisées.

    Finalement, Cassiopée Benjamin, Catherine Carmen Cosaque et Dominic Lapointe discutent de la positionnalité individuelle de la chercheuse ou du chercheur dans la construction de la recherche critique à partir de trois autoethnographies. Le même territoire, la Guadeloupe, et des préoccupations similaires de justice sociale et de déconstruction des mécanismes de développement touristique issus du colonialisme, ont servi de point de départ pour une réflexion individuelle et collective sur le rôle de leur positionnalité dans la construction de la recherche sociale. Discutant de leur subalternité (parfois doublement) ainsi que de leur position de personnes privilégiées, Benjamin, Cosaque et Lapointe ont identifié leurs frustrations, leurs malaises, leur culpabilité, remettant parfois en cause jusqu’à leur propre légitimité, ce qui a rendu possible la reconnaissance de leur regard autocritique… situé.

    4. Des approches critiques : subjectivité et éthique de la critique

    La critique est traversée de plusieurs courants, mais repose toutefois sur des

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