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La VILLE RÉSILIENTE: Comment la construire?
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Livre électronique490 pages5 heures

La VILLE RÉSILIENTE: Comment la construire?

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Lieux majeurs de toutes les accumulations matérielles, sociales et économiques, les villes sont au coeur de la question des chan­gements climatiques. Leur avenir dépendra de notre capacité à inventer des espaces urbains habitables, justes et résilients. Les auteurs font ici le pari d’une action collective capable de transformer les menaces en force constructrice, de maîtriser la vulnérabilité des espaces urbanisés tout en renforçant leur résilience. Pour ce faire, il faut comprendre les formes et les structures de la ville contemporaine, afin d’orienter les poli­tiques et la planification territoriale.

Ce livre offre un recueil des connaissances les plus récentes sur l’adaptation des villes aux changements climatiques et rassemble les réflexions de professeurs-chercheurs et de pro­fessionnels non seulement du Québec mais aussi de France, de Suisse, des États-Unis et du Brésil. Les auteurs y analysent avec acuité certaines des controverses les plus pressantes sur le climat, sujet épineux et source de grandes préoccupations dans la population.
LangueFrançais
Date de sortie28 août 2017
ISBN9782760634299
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    Aperçu du livre

    La VILLE RÉSILIENTE - Isabelle Thomas

    Introduction

    Antonio Da Cunha et Isabelle Thomas

    La Terre est entrée dans un nouveau régime climatique. L’action des hommes a modifié négativement la surface du globe et l’atmosphère. Le changement touche autant la relation homme-nature que le cadrage scientifique de ces phénomènes et les relations entre expertise et processus politiques, ou encore le système de gouvernance climatique lui-même.

    Homme et nature ont partie liée. Notre planète est, comme le dit Lovelock, «un système évolutif, système composé, d’une part, de tous les objets vivants et, d’autre part, de leur environnement de surface – les océans, l’atmosphère et les roches de la croûte terrestre –, les deux étant étroitement couplés et indissociables1.» Mais l’interaction entre l’homme et la nature sur le territoire donne naissance aujourd’hui à des phénomènes complexes dont l’évolution est difficile à prévoir. Dans Face à Gaïa, Latour2 rappelle les contours de ce nouveau régime. Il explique qu’autrefois, on estimait que les sociétés créaient l’histoire sur fond d’une nature inchangée. La face entière de la Terre porte aujourd’hui l’empreinte de l’action humaine. Nous nous rendons compte, désormais, que l’histoire humaine intensifie l’histoire géologique et climatique.

    Ce moment historique de la plus grande maîtrise apparaît aussi comme celui de la plus grande vulnérabilité: ces cinquante dernières années, les êtres humains ont altéré les écosystèmes plus rapidement et profondément que dans toute autre période comparable de l’histoire humaine. Les écosystèmes évoluent avec nos actions qui les déstabilisent et deviennent eux-mêmes des «actants». Ce qui est inclus sous le nom de Nature, dit Latour, a quitté l’arrière-plan pour rejoindre notre quotidien. Tout se passe, souligne-t-il encore, «comme si le décor était monté sur scène pour partager l’intrigue avec les acteurs»3. Les dynamiques territoriales, loin d’être stables, prévisibles et rassurantes, semblent être constituées d’un ensemble de boucles de rétroaction incertaines, en perpétuel bouleversement, exposant l’humain aux conséquences des dégradations écologiques et climatiques qu’il engendre.

    Depuis le début des années 1990, du protocole de Kyoto à la récente Conférence des Nations Unies sur les changements climatiques à Paris (COP21), les deux principales instances de la gouvernance climatique mondiale – le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) et la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC) – synthétisent à l’intention des décideurs les travaux scientifiques sur les observations et les prévisions du changement climatique, ses impacts et les mesures à lui opposer. Les derniers rapports de ces organismes dessinent une planète à la fièvre galopante. Dès 2007, on conclut que l’essentiel de l’accroissement constaté de la température moyenne de la planète depuis le milieu du XXe siècle est très vraisemblablement dû à l’augmentation observée des gaz à effet de serre émis par l’homme. Le taux de certitude est supérieur à 90%, contre 66% en 2001. Nul ne pourra dire aux générations futures qu’il n’était pas au courant.

    Qu’on s’inquiète ou qu’on se rassure, le dérèglement du climat est sans équivoque. Le doute n’est plus permis. Les systèmes de modélisation sont désormais nourris de données réelles et autorisent des prévisions décennales pour les différentes régions du globe. Les activités humaines affectent l’équilibre énergétique de la planète, notamment en modifiant la concentration atmosphérique des gaz à effet de serre. De nombreux indicateurs clignotent de façon menaçante: les températures sont partout en hausse; les températures des océans s’élèvent significativement avec des effets sur les écosystèmes marins; la banquise arctique régresse de manière inquiétante en superficie et en épaisseur; l’élévation du niveau de la mer a été plus rapide au XXe siècle que dans les deux millénaires précédents, et la transformation des zones littorales (érosion, salinisation, perte de qualité des habitats littoraux, inondations, etc.) pourrait affecter une partie importante de la population mondiale; la multiplication d’événements climatiques extrêmes (vagues de chaleur, précipitations, tempêtes, inondations, etc.), dont l’occurrence et l’intensité sont difficilement prévisibles, met en danger les populations, tout particulièrement les personnes les plus vulnérables.

    Nous ne sommes plus dans une phase de sensibilisation. Nous entrons dans une nouvelle étape du problème climatique, où la question essentielle est celle de la convergence entre la recherche, les orientations stratégiques en matière d’objectifs d’atténuation (ou de mitigation) et d’adaptation, et les moyens d’action disponibles aux diverses échelles géographiques de la décision: transnationales, nationales, régionales, urbaines, etc. Certes, parvenir à impliquer davantage les acteurs et les citoyens demeure un objectif important. Le climat émerge très progressivement dans nos représentations collectives comme un nouveau bien commun. Cependant, le changement climatique est désormais reconnu comme un problème qui met directement en jeu la connaissance de ses mécanismes et de leurs effets sociaux, spatiaux et environnementaux, mais aussi les pratiques planificatrices et urbanistiques ainsi que les modalités de gouvernance territoriale. L’approche climatique prend tout son sens dans un contexte de reconstitution, à l’échelle des villes et des agglomérations urbaines, d’une capacité politique à aborder les problématiques de la transition énergétique et des vulnérabilités urbaines, mais aussi à créer des espaces de délibération et de mise en œuvre de politiques publiques locales, contextualisées, dans une perspective de durabilité. Les transformations mondiales et les évolutions locales sont désormais interdépendantes. Les risques associés au changement climatique peuvent aussi constituer une occasion nouvelle pour un aménagement sur mesure permettant que soient structurés les territoires urbains qui mettent en valeur les sites tout en en répondant aux aspirations des usagers.

    La «grande accélération»: une question urbaine

    Des pôles à l’équateur, la crise environnementale ne connaît pas de frontières. Steffen et al.4 ont proposé le terme de «grande accélération» pour désigner les bouleversements sociaux et environnementaux mondiaux qui ont particulièrement affecté le système terrestre depuis le début des années 1950. Ces phénomènes semblent étroitement associés aux processus d’urbanisation planétaire.

    Depuis 2006, la population mondiale est devenue majoritairement citadine. L’explosion urbaine est l’un des phénomènes les plus spectaculaires du XXe siècle. À l’heure actuelle, les 40 000 villes et métropoles du monde émettent 70% de la quantité totale de gaz à effet de serre et consomment entre 60% et 80% de l’énergie mondiale, alors qu’elles représentent moins de 1% des terres émergées. «L’archipel métropolitain» mondial provoque et subit tout à la fois l’ensemble des phénomènes associés au changement climatique. Grandes consommatrices d’énergies fossiles et émettrices de gaz à effet de serre, les villes constituent aussi des espaces vulnérables aux effets du changement climatique mondial. Vulnérables par leur voracité en énergies fossiles et en ressources non renouvelables, mais aussi par la concentration des populations et des activités. Vulnérables par l’interdépendance des risques naturels et des risques technologiques qu’elles engendrent: un séisme provoquera notamment des incendies et des explosions dues aux ruptures de canalisation et à la destruction des réservoirs de stockage. Ces «effets domino» liés aux synergies entre les aléas de nature hydro-géoclimatiques (inondations, coulées de boues, séismes, tsunamis, etc.) et les risques technologiques exposent fortement les populations urbaines à des événements catastrophiques. Ce ne sont pas les cyclones qui dévastent les villes, mais les inondations qui suivent l’effondrement des levées, les défaillances des systèmes d’alerte ou encore les pratiques irréfléchies en matière d’aménagement du territoire. Vulnérables par des structures morphologiques, des modes d’occupation du sol et d’aménagement urbain encore incapables d’intégrer les nécessaires adaptations aux effets du changement climatique comme un enjeu à part entière. L’absence d’intervention autant que l’inadaptation des politiques d’aménagement concourent à aggraver les risques.

    L’anthropisation des risques climatiques est une question urbaine. Comme le souligne l’Observatoire national sur les effets du réchauffement climatique (ONERC), «les villes présentent une vulnérabilité particulière compte tenu d’une forte concentration de population et du regroupement d’infrastructures et de biens matériels sur leur territoire et elles sont très sensibles à toute évolution brusque de leur environnement naturel ou socioéconomique»5. L’adaptation des villes à l’accroissement de l’intensité ou de la fréquence de certains aléas climatiques constitue donc un enjeu important pour l’avenir de nos sociétés. Le changement climatique a beau être mondial, c’est sur le plan urbain que ses effets se font et continueront de se faire sentir de la manière la plus évidente. De fait, les espaces urbains sont particulièrement exposés aux conséquences du changement climatique qu’ils contribuent eux-mêmes à générer et à renforcer, notamment par leurs évolutions démographique, morphologique, mobilitaire et technologique, leurs demandes énergétiques et leur production croissante de déchets et d’émissions polluantes, ou encore par leurs politiques publiques imprudentes. Systèmes socioécologiques hétérotrophes, les villes et les métropoles dépendent largement de leurs enveloppes spatiales pour assurer leur approvisionnement en matières et en énergies, comme pour le désapprovisionnement de leurs déchets et de leurs émissions polluantes. Dès lors, tout effet négatif du changement climatique (tempêtes, inondations, sécheresses, incendies, etc.) sur les ressources dont elles ont besoin ou sur leurs réseaux techniques aura aussi des incidences sur leur fonctionnement.

    Les événements qui se profilent avec le changement climatique, ainsi que leurs impacts polymorphes et parfois cumulatifs sur les infrastructures essentielles (coupures d’électricité, adduction des eaux potables et usées, transports et communications, etc.), auront des répercussions multiples et souvent différenciées sur les populations urbaines qui pourront se traduire par des ruptures d’approvisionnement, mais aussi par des pertes patrimoniales, des problèmes de santé et de mortalité, une augmentation de l’incidence des maladies contagieuses, des pollutions massives, etc. Ces incidences dépendent fortement de facteurs socio­­économiques, institutionnels et culturels, des ressources mobilisables et dédiées à la gestion de leurs territoires et de la qualité des gouvernances locales.

    Lieux majeurs de toutes les accumulations – matérielles, sociales et économiques –, les villes, les métropoles sont au cœur du problème climatique autant que de sa solution. Paradoxalement, la vulnérabilité urbaine nous offre une nouvelle occasion de repenser l’aménagement et l’urbanisme. Depuis les années 1990, des organismes comme l’International Council for Local Environmental Initiatives (ICLEI) spécialisé dans les enjeux environnementaux locaux plaident en faveur d’une structuration de l’action urbaine en matière de changement climatique. L’étude de la vulnérabilité et des politiques d’adaptation aux changements climatiques font l’objet de plusieurs programmes de recherche lancés en Europe et aux États-Unis. La publication en 2011 du Global Report on Human Settlements par l’ONU-Habitat témoigne aussi de l’intérêt porté à la compréhension des enjeux du changement climatique pour les espaces urbains et au souci de concevoir des solutions adéquates. Les acteurs locaux sont ainsi appelés à se mobiliser à la fois sur le plan de la connaissance et de l’action pour tenter de maîtriser leurs métabolismes énergivores par des mesures d’atténuation assurant l’impérative transition énergétique, mais aussi pour réduire leur vulnérabilité aux impacts des changements climatiques par des mesures d’adaptation capables de reconstituer la résilience locale face à la convergence des contraintes induites par les changements planétaires annoncés.

    Garcia et Soubeyran soulignent que le concept d’adaptation implique que «les territoires jouent un rôle nodal puisqu’il s’agit de s’attaquer aux conséquences territoriales du changement climatique, contrairement aux stratégies d’atténuation qui, elles, s’attaquent aux causes du changement climatique»6. Le couplage des notions de vulnérabilité et d’adaptation au changement climatique constituerait ainsi une thématique émergente, après une première phase où les efforts ont principalement porté sur le volet atténuation, axé sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre et les enjeux de transition énergétique. En somme, disent les auteurs, un nouveau paradigme de l’aménagement serait en pleine émergence, dans la mesure où notre nouvelle manière d’envisager les problèmes (la vulnérabilité urbaine) permettrait dans le même mouvement de proposer des pistes de résolution, les mesures d’adaptation laissant entrevoir une trajectoire positive vers une ville plus résiliente.

    Vulnérabilité et résilience urbaine:

    de l’atténuation à l’adaptation

    On se rappelle des différentes définitions que Khun, dans La structure des révolutions scientifiques, a données de la notion de paradigme. Ensemble d’idées et de solutions classiques à des problèmes analytiques, un paradigme est une matrice cognitive constituée de concepts spécifiques, mais aussi de croyances et de valeurs, de méthodes d’analyse, de problèmes, d’hypothèses et de solutions typiques qui orientent des recherches cumulatives pendant des périodes plus ou moins longues. Le paradigme est ainsi ce qui fonde et maintient le consensus entre des spécialistes quant au choix légitime des problèmes concrets à résoudre, aux méthodologies à utiliser et aux manières de trouver des solutions concrètes. Lors d’un changement de paradigme, les questions, la signification des observations et des expériences antérieures, le type de solutions pratiques aux problématiques parfois établies depuis longtemps sont profondément transformés.

    Cependant, l’idée d’un changement radical de perspective ne semble pas adaptée au cas de figure qui nous intéresse. L’analyse de la prise en charge de la problématique du changement climatique depuis les années 1990 décrit plutôt l’existence de réflexions cumulatives cristallisant des cadrages conceptuels complémentaires, déterminant une coévolution de formes spécifiques de l’action publique, parfois en tension, mais reposant sur la reconnaissance consensuelle de la nécessité de chercher des solutions pratiques au «problème climat».

    De fait, comme le constate Emelianoff7, l’émergence des politiques climatiques locales reflète assez fidèlement le calendrier des négociations climatiques lancé par l’ICLEI en 1991, les plans de réduction du CO2 urbain prenant un essor dans la période de préparation du protocole de Kyoto avec l’implication fructueuse de l’Alliance Climat et d’Énergie-Cités. La question du climat est donc inscrite au calendrier politique local depuis les années 1990. Ces plans sont réactivés avec l’entrée en vigueur du protocole, à la suite de la Conférence des parties de Montréal en 2005. On assiste alors, dit Emelianoff (voir aussi chapitre 3), à une seconde vague de plans climat, qui intègre progressivement des questions d’adaptation au changement climatique, mais de manière encore embryonnaire.

    Durant les années 2000, la vulnérabilité des villes face aux effets des dérèglements climatiques (inondations, canicules, accentuation des îlots de chaleur) devient de plus en plus évidente. Les mesures d’atténuation, souvent sectorielles, déclinées de manière générique par des plans climat sur l’ensemble des territoires, ne permettent plus d’apporter une réponse à la prise en compte locale des vulnérabilités urbaines aux risques environnementaux. L’approche classique de la vulnérabilité en tant qu’endommagement potentiel des biens et des personnes s’enrichit alors d’une perspective nouvelle qui met plutôt l’accent sur la capacité de réponse des sociétés à des crises potentielles. D’autres cibles d’action – concernant la valorisation des déchets, la gestion du cycle de l’eau, la mobilité durable, les modes d’aménagement du territoire, etc. – voient le jour aux côtés de la décarbonisation et de la sobriété énergétique. Ces évolutions intègrent une autre représentation des effets à venir des changements climatiques. Ces changements sont aussi perçus comme des évolutions tendancielles porteuses de situations critiques, de chocs et de ruptures locales qui exigent la mise en œuvre d’actions anticipatrices plus spécifiques en regard des contextes et des caractéristiques territoriales diverses. Il ne s’agit plus de faire face aux impacts du changement climatique, mais de réduire la vulnérabilité des systèmes socioécologiques. La vulnérabilité est considérée comme un état à éviter ou à éradiquer. Notion dynamique, la résilience est définie comme la capacité interne dont est doté un système pour agir dans un environnement turbulent et incertain. L’adaptation serait alors le mode d’action, reliant la vulnérabilité à la résilience, et capable de transformer de façon intentionnelle les villes et les agglomérations en tant que systèmes socioécologiques capables de mémoire et donc de décision.

    Ces notions font certes l’objet de débats et de controverses. Cependant, comme le précise Bertrand8, cette dimension d’adaptation existe dès la conception des politiques climatiques sur le plan international. Les notions d’atténuation et d’adaptation sont explicitement mentionnées dans la CCNUCC de 1992. Cette préoccupation demeurera occultée tout au long des années 1990 et la notion de résilience ne fera son apparition sur les scènes nationales et locales qu’au début des années 2000. Il s’agissait alors non seulement de réduire les incertitudes, mais de les incorporer, de «faire avec le risque», de se préparer à vivre avec les catastrophes considérées de plus en plus comme inéluctables. Quel renouvellement des approches urbaines face aux risques climatiques? Comment les risques associés aux changements climatiques peuvent-ils être intégrés dans les stratégies d’aménagement et les processus de conception de projets urbains? Comment penser autrement l’organisation et l’usage des espaces urbains pour réduire leur vulnérabilité et améliorer leur résilience? De quelles manières la résilience des zones urbanisées est-elle tributaire des modes de gouvernance, de gestion et de planification des villes? Et d’abord, comment articuler positivement les actions en matière d’atténuation et d’adaptation?

    En 2010, l’ICLEI, en partenariat avec d’autres organisations internationales, organisait une conférence annuelle et une campagne «villes résilientes» pour préparer les villes du sud et du nord à s’adapter aux changements climatiques en maîtrisant leurs vulnérabilités. L’ICLEI lance alors différents programmes sur l’adaptation au changement climatique venant renforcer les politiques d’atténuation. L’action locale face aux changements climatiques est aujourd’hui déclinée en deux dimensions convergentes: l’atténuation, visant à limiter l’augmentation des gaz à effet de serre dans l’atmosphère (politiques de densification, de transports, technologiques, énergétiques, etc.) et l’adaptation, visant à réduire la vulnérabilité des territoires, par anticipation et par la gestion des modifications climatiques et de leurs effets, notamment sous l’angle des politiques d’aménagement urbain.

    Bertrand a sans doute raison de souligner que «si la conjugaison des deux dimensions de la gestion des changements climatiques, adaptation et atténuation, apparaît indispensable, elle n’en n’est pas pour autant évidente tant les finalités mêmes de l’action divergent»9. Alors que les objectifs mondiaux ou nationaux (limitation de l’augmentation des températures à 2 °C, facteur 4, etc.) sont établis pour l’atténuation et «déclinés de manière homothétique sur les territoires, les objectifs d’adaptation, au regard des déclinaisons spécifiques des effets des changements climatiques sur les espaces et sociétés, des incertitudes et des échelles de temps associées, ne peuvent être établis globalement»10. Dans le même recueil et en se référant au cas lyonnais, Rocher ajoute que ces deux notions «mobilisent des rationalités et des systèmes d’action différents, voire incompatibles»11. Dans une formulation non dépourvue d’une certaine ambiguïté, Quenault souligne aussi ce qui sépare les deux modes d’action:

    les travaux sur la question des risques naturels/anthropiques, longtemps focalisés sur la question de l’atténuation des phénomènes eux-mêmes, se concentrent aujourd’hui davantage sur la question de l’atténuation des impacts et des vulnérabilités qu’ils révèlent, autrement dit, sur la question de l’adaptation des sociétés humaines à ces aléas12.

    Les mesures d’adaptation doivent compléter les efforts d’atténuation dans une perspective de renforcement de la résilience urbaine. Ces notions permettent d’inscrire la gestion des risques dans une logique d’articulation de différents volets des politiques publiques. La distance qui sépare les deux notions est aussi l’intervalle qui les rapproche dans l’effort de construction commune de réponses au problème climat et de l’identification des leviers d’action en matière de gestion des ressources et de planification urbaine. Les politiques énergie-climat ont progressivement débordé sur des politiques sectorielles au-delà du secteur énergétique, notamment la construction, les transports et l’aménagement urbain, rencontrant ainsi l’essence des démarches adaptatives. Les villes et les métropoles qui ont pour but de réduire les émissions de CO2 par des mesures d’atténuation sont aussi celles qui engagent des démarches adaptatives. De fait, les deux approches se fondent sur des mobilisations sociales et institutionnelles certes multiples, mais qui renvoient à une même volonté de régulation et à un même cadrage axiologique et épistémologique.

    Dans la mesure où l’homme est le plus important facteur de changement climatique, les deux modes d’action renvoient inévitablement au principe de responsabilité. Ce «nouvel agir éthique», qui est aussi celui emprunté par l’approche durabiliste, impose la reconnaissance de l’impératif collectif formulé par Jonas: «Agis de façon que les effets de ton action soient compatibles avec la permanence d’une vie authentiquement humaine sur la terre»13. C’est ce même souci que partage Dupuy, qui veut que nous prenions réellement en compte la possibilité de la catastrophe. Son «catastrophisme éclairé»14 nous propose d’envisager le pire, de s’obliger à y croire en se plaçant virtuellement quelque part dans un avenir ravagé et en regardant le présent à partir de ce point. C’est cet exercice d’imagination, ou cette «heuristique de la peur», qui peut nous mettre en situation de refuser la politique de l’autruche, pour tenter d’inverser le cours des changements climatiques en faisant feu de tout bois tant sur le plan de l’atténuation que sur celui de l’adaptation.

    Le risque est une virtualité incertaine qui se projette sur le présent et l’influence. L’émergence de la conscience écologique nous a placés dans l’exigence de penser les relations entre le tout et les parties, les parties et le tout de penser, les interactions, la complexité. Les deux modes d’action dialoguent avec les notions de complexité, d’incertitude, de risque et de précaution. Les effets des changements climatiques nous rappellent que nous sommes entrés dans un monde fragile, vulnérable, complexe et incertain. Ce monde est le monde urbain, anthropisé et artificialisé, complexe et incertain, de la «société du risque». Les risques contemporains, dont Beck15 décrit la gravité, ne viennent plus seulement de l’extérieur (catastrophes naturelles), mais ont été supplantés par les risques qui sont engendrés par la société elle-même. Compte tenu de leurs conséquences, ce n’est plus seulement l’individu qui est menacé, mais la société tout entière, à qui revient aussi la responsabilité d’en anticiper les risques et de conjurer les effets dommageables mais incertains par des mesures à la hauteur des enjeux.

    Les mesures d’adaptation comme les mesures d’atténuation reposent sur le principe de précaution en ce qu’elles relèvent de prises de décisions dans des circonstances d’information imparfaite dans ces deux acceptions: le risque et l’incertitude. Les actions en matière d’atténuation et d’adaptation doivent concourir à protéger la capacité des villes à absorber un éventail large de conséquences incertaines et potentiellement dommageables du changement de régime climatique. Les actions d’atténuation autant que les mesures d’adaptation ont partie liée. Leur complémentarité et même leur éventuelle redondance représentent ce qui existe de mieux en matière de précaution, d’assurance sur l’avenir. Elles s’appliquent à des situations complexes dont le dossier scientifique n’est pas complet. Elles représentent l’état de nos connaissances scientifiques autant que la puissance de nos préoccupations pratiques notamment en matière de transition énergétique, de fonctionnement des réseaux essentiels, de sécurité des biens et des personnes, de qualité de vie, de justice environnementale, bref, de durabilité des écosystèmes urbains.

    L’avenir, dit-on aujourd’hui, n’est plus ce qu’il était. De fait, les deux modes d’action relèvent d’un paradigme général qui inscrit l’action urbaine dans la complexité des interactions avec son environnement proche ou lointain et qui définit un agir éthique soucieux de notre avenir commun. Atténuer et adapter. En matière de recherche de «solutions», la notion de complexité pourrait se traduire par l’imbrication des deux approches. Les deux modes d’action répondent à un même questionnement fondamental: comment cheminer de l’intention à l’acte, de la responsabilité «actée» des États, de l’affirmation mondiale de «l’agir éthique» à la définition de stratégies locales de réduction de gaz à effet de serre, d’atténuation des changements climatiques et d’adaptation aux risques qu’ils génèrent? À partir de quels concepts et avec quels outils analyser les enjeux du réchauffement climatique à l’échelle des territoires et des villes? Comment intégrer les préoccupations liées au réchauffement climatique dans les stratégies d’aménagement et dans les projets urbains? De quelles manières les gouvernances locales se saisissent-elles de la problématique du changement climatique? Contre l’enchaînement des risques et des menaces, quel enchaînement d’alliances heureuses pour des villes résilientes et des territoires durables? Ces questionnements constituent la charpente de ce livre.

    Sans minimiser en rien ni l’ampleur des défis, ni les résistances à l’urgence du passage des intentions à l’acte, l’ensemble des contributions réunies dans ce collectif met en valeur les efforts à consentir pour renforcer les résiliences urbaines. Les textes portent sur la vulnérabilité des espaces urbains, mais aussi sur la capacité de résilience des communautés urbaines, sur les stratégies d’atténuation et/ou d’adaptation et sur le pari d’une action collective capable de transformer les menaces du changement climatique en force constructrice élargissant le champ des possibilités. Ils témoignent d’un approfondissement de la prise de conscience du rôle des villes en matière de durabilité, mais aussi de la nécessité d’une refonte des référentiels et des pratiques en matière d’aménagement et d’urbanisme. C’est un des enjeux de notre modernité responsable, réflexive.

    La modernité responsable:

    vers un aménagement sur mesure, résilient et durable?

    Le débat sur les changements climatiques rend l’avenir actuel. À l’heure où se discute la mise en œuvre d’un nouveau cadre d’action planétaire, l’ouvrage s’interroge sur les relations entre la ville, les territoires et le changement climatique afin de tenter d’établir les cadrages conceptuels et méthodologiques en débat, mais aussi la variété des propositions, des réponses et des perspectives qui se dessinent en matière de maîtrise des fragilités urbaines, de gouvernance et de conception de politiques urbaines et locales que l’on souhaite contextualisées, situées et résilientes, en un mot durables. La résilience apparaît comme un des moyens de mise en œuvre de la durabilité comme finalité sociétale.

    En partant de l’analyse des définitions des deux concepts de durabilité et de résilience appliqués à la ville, Toubin et al.16 s’interrogent sur la façon dont s’articulent les concepts de résilience et de ville durable, et proposent des outils et des méthodes contribuant à la résilience de la ville dans une optique de durabilité: pour faire face aux nombreuses perturbations agissant sur le système urbain, soulignent-ils, l’approche axée sur la résilience cherche à améliorer la capacité d’adaptation du système afin de limiter les écarts à la trajectoire idéale de la durabilité. En favorisant une approche tournée vers le long terme, prenant en compte les incertitudes sur les évolutions de l’environnement physique, technologique, économique et social, l’amélioration de la résilience doit anticiper l’adaptation du fonctionnement du système et de ses composants.

    Comme le soulignent Folke et al.17, améliorer la résilience augmente les chances de s’approcher des finalités du développement durable dans un environnement changeant où l’avenir est imprévisible et la surprise probable: «La reconnaissance du fait que les sociétés urbanisées contribuent fondamentalement à leur capacité à transformer les climats à l’échelle mondiale justifie, dit aussi Quénault18, les politiques qui se réclament du développement durable et qui prétendent lutter localement contre les effets non désirés de l’urbanisation sur le système climatique».

    Nous devons repenser la ville durable et ses aménagements avec le climat. Les effets des changements climatiques mettent à lourde épreuve les populations urbaines les plus précarisées ainsi que la capacité de nos systèmes de pilotage politique à faire face à l’ampleur des problèmes. Au milieu de nos incertitudes, nous savons déjà que l`avenir de nos territoires dépendra de notre capacité à inventer des espaces urbains syntropiques, tant du point de vue de l’usage de l’énergie que de la matière, capables de maîtriser leurs empreintes écologiques, efficients mais aussi résilients, habitables et équitables. Les notions d’atténuation, d’efficience et de transition, de vulnérabilité, d’adaptation et de résilience, constituent désormais des concepts-guides de l’écologie moderne. Ces concepts sont du plus grand intérêt pour le développement urbain durable, car ils sous-tendent des principes de responsabilité et de précaution partagés. Les précautions à prendre avec les «écosystèmes urbains» dépendent de leur état de vulnérabilité en tant que proximité d’un état critique en matière de reproduction conjointe des capitaux social, écologique et économique, de leur capacité à se réorganiser en fonction de nouvelles conditions (atténuation et adaptabilité), ainsi que de leur aptitude à absorber les impacts des changements climatiques (résilience).

    Les structures urbaines peuvent soit accroître l’ampleur d’un désastre, soit au contraire en diminuer les impacts, voire réduire la probabilité de déclenchement d’un phénomène. Les villes les plus exposées à différents facteurs de risque peuvent offrir en même temps de vastes possibilités pour essayer de nouvelles approches du développement urbain. Comme dans d’autres secteurs de l’action publique, l’impulsion donnée par

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