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Pop&Rock. L’histoire de la musique Pop et Rock
Pop&Rock. L’histoire de la musique Pop et Rock
Pop&Rock. L’histoire de la musique Pop et Rock
Livre électronique1 151 pages11 heures

Pop&Rock. L’histoire de la musique Pop et Rock

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À propos de ce livre électronique

Il y a presque soixante ans, le 19 mars 1955, le film « Blackboard Jungle » sortait dans les salles de cinéma américaines, dans le générique duquel se cachait la chanson « Rock around the Clock » qui ébranla la société aux mœurs respectables jusque dans ses fondements. Le Rock‘n‘Roll d‘Elvis, Chuck Berry et Little Richard annonça un vent nouveau de désobéissance et d‘authenticité, symbole du fossé culturel sans précédent qui séparait les générations. Si la musique Rock fut jadis le symbole et la force motrice en première ligne de la rébellion des jeunes envers toutes sortes de conventions, ainsi que le catalyseur d‘un conflit grandissant entre les générations, l‘énergie explosive subculturelle de la musique n‘a plus aujourd‘hui sa place que dans les musées. Les sonorités synthétiques de boîtes de conserve, téléchargées du Net à des prix dérisoires par les « digital natives », ne servent plus qu‘à satisfaire une clientèle avide de restauration rapide à faible teneur en protéines. « Pop&Rock » retrace en détail l‘histoire mouvementée de soixante années de culture Pop. Un voyage dans le temps, remontant l‘histoire jusque dans les débuts du Rhythm & Blues, parcourant les Swinging Sixties et la culture protestataire de 1968. Les différentes stations s‘étendent de la décadence des rockeurs Glam, de l‘attitude «No Future » de la génération Punk, en passant par l‘hédonisme de l‘ère Disco, jusqu‘à la société Rave sans parole des années quatre-vingt-dix. Truffé de déclarations de musiciens, journalistes et experts médiatiques, l‘ouvrage met autant en présence les icônes telles que Dylan, Hendrix ou The Who que les personnages secondaires, ces marginaux qui se distinguèrent, contre vents et marées, par leur audace musicale. Le récit de l‘histoire est complété par des informations concernant les plus grands tubes et d’une critique partielle des disques majeurs enregistrés à ce jour.
LangueFrançais
Date de sortie2 oct. 2015
ISBN9783738690941
Pop&Rock. L’histoire de la musique Pop et Rock
Auteur

Jürgen Seifert

DDer Autor Jürgen Seifert (Jahrgang 1975) studierte Chemie in Basel und befasst sich seit über 25 Jahren eindringlich mit der Popkultur und gilt als glühender Fan der Musik der Sechziger, Siebziger und mit Einschränkungen auch der Achtziger. Jürgen Seifert ist Autor der Bücher "More than 50 Years" und "Pop&Rock - die Geschichte der Pop - und Rockmusik".

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    Aperçu du livre

    Pop&Rock. L’histoire de la musique Pop et Rock - Jürgen Seifert

    Table des matières

    PRÉFACE

    Le mensonge Robert Johnson

    Big City Blues

    Industry Rising

    American Dream

    Roll over Beethoven

    La revue de presse Rock’n’Roll

    Les années de fatigue

    Les classiques des années cinquante

    LES ANNÉES SOIXANTE

    British Invasion

    Mods vs. Rockers

    Les étapes de l’histoire du Rock

    Buried Alive in Blues

    L’Allemagne entre la Beat et les variétés

    Surfin’ USA

    Sweet Soul Music

    Political World

    Les légendes : Bob Dylan

    Les disques de Dylan : Les moments forts

    L’axe Beatles-Dylan

    Feed your Head

    Summer of Love

    Étapes décisives en 1967-68

    Les légendes : Pink Floyd

    Les disques de Pink Floyd : Les moments forts

    New York Underground

    1969 – De la subculture à la contre-culture

    Vers la folie

    Le mythe de Woodstock

    L’héritage de Hank Williams

    Étapes décisives en 1969

    When the Music’s over

    Les classiques des années soixante

    LES ANNÉES SOIXANTE-DIX

    Let it be

    Heavy Metal Thunder

    Étapes décisives en 1970

    La musique classique doit craindre le pire

    La planète paillettes

    Étapes décisives en 1971

    Les légendes : David Bowie

    Les disques de Bowie : les moments forts

    Play that funky Music

    Les messages cosmiques

    Étapes décisives en 1972-1973

    Le nouveau Dylan

    Reggae Man

    Les légendes : Neil Young

    When the music’s over

    Étapes décisives de 1974 à 1976

    Lower East Side

    La bombe Disco

    Bogart à Casablanca

    Elvis is Dead – so what!

    Anarchy in the UK

    Étapes décisives de 1977 à 1978

    Post –Punk

    Les disques essentiels du post Punk

    NDW – la Neue Deutsche Welle

    Étapes décisives en 1979

    D’autres disques des années soixante-dix qu’il faut connaître

    Les classiques des années soixante-dix

    LES ANNÉES QUATRE-VINGTS

    Le glamour est de retour

    Étapes décisives de 1980 à 1982

    Metal Gods

    I want my MTV

    La bande son des années quatre-vingts – 38 disques que l’on se doit d’avoir écouté pour comprendre les années quatre-vingts.

    Les légendes : Leonard Cohen

    Les disques de Cohen : les essentiels

    Les années quatre-vingts – une horreur sans fin

    Étapes décisives de 1983 à 1985

    Aal Männer, aalglatt

    Une atmosphère de ruée vers l’or

    Hardcore – An American Odyssey

    Rumble in the Bronx

    24 Hour Party People

    Étapes décisives de 1984 à 1987

    La dictature des bien-pensants

    Amélioration en vue

    Étapes décisives de 1988 à 1989

    Les classiques des années quatre-vingts

    LES ANNÉES QUATRE-VINGT-DIX

    L’épicentre Seattle

    Étapes décisives de 1990 à 1992

    Americas Most wanted

    20 disques qui marquèrent la décennie (qu’on le veuille ou non)

    Le pic de la Pop

    The Raving Nation

    Étapes décisives de 1993 à 1995

    La technique de demain

    1994 : Dur dur, et encore plus dur

    Cool Britannia

    Alphabet des années quatre-vingt-dix

    Étapes décisives de 1996 à 1998

    Quoi de neuf à l’école de Hambourg?

    Les classiques des années quatre-vingt-dix

    MILLÉNIUM

    My City of Ruins

    Étapes décisives de 2000-2005

    La chasse aux pirates

    In Memoriam : Michael Jackson (1958-2009)

    Les années fastes sont révolues

    Les supports sonores du siècle nouveau – les disques que nous avons adorés et ceux que nous avons détestés

    La décharge publique de la musique Pop

    Bibliographie

    Citations

    PRÉFACE

    Par pitié, épargnez-moi un énième ouvrage de référence sur le thème de la musique Pop! Lorsqu’il s’agit d’un essai qui prétend propager l’histoire de la Pop, l’expérience nous apprit que la réserve est de mise. Dans l’attente prometteuse d’une minutieuse encyclopédie musicale, on fait régulièrement patienter le lecteur naïf en lui proposant un autre de ces barbants lexiques ou livres illustrés, l’étourdissant par une juxtaposition de biographies succinctes et impersonnelles, ainsi que par une énumération exagérée et paralysante de faits absolument inutiles, au lieu tenir les promesses données d’un highway musical de presque 100 ans de musique Pop. Ce livre tente d’examiner l’histoire de la Pop par un récit chronologique continu, relate l’histoire des hommes qui représentèrent une tendance musicale – que ce soit dans le sens positif ou négatif – ou qui contribuèrent particulièrement à son évolution.

    Il serait présomptueux de vouloir rassembler dans à peine 600 pages l’histoire de la musique populaire avec tous ses éléments moteurs, ses anecdotes et innombrables tubes. S’il fallait rendre hommage de manière adéquate à chaque musicien apparut un jour quelque part dans les bas-fonds des hit-parades, je serais alors bientôt prisonnier de la rédaction d’un nouveau lexique superflu au sujet du Rock ; par ailleurs, personne ne souhaite prolonger inutilement la taille du livre. « Pop & Rock » ne prétend ainsi aucunement faire état d’intégralité. On ne trouvera dans ce livre presque aucune information sur le Jazz ; à ce sujet le lecteur intéressé devra se référer à la littérature spécialisée correspondante. La musique Country y est également peu traitée. Le fossé entre la musique Rock et Hillbilly semblait ici insurmontable ; deux domaines soigneusement séparés qui ne s’accordèrent que sous réserve. Les cowboys chanteurs purent, eux aussi, ne serait-ce qu’une seule fois, laisser leurs traces de sabots dans l’histoire du Rock lorsque, à la fin des années soixante, une génération entière de musiciens Rock en dérive partit en pèlerinage à Nashville après trop d’excès musicaux et d’abus de drogues, se laissant entraîner par les musiciens locaux dans l’art et le savoir-faire de la musique Country, espérant ainsi atteindre un surcroît d’authenticité et de respect. La question décisive est bien celle de la définition de la musique Pop. D’innombrables sociologues et créateurs culturels s’efforcent avec fougue depuis des années de scientifiser le terme de Pop par le biais d’approches philosophiques plus ou moins instructives. Qu’est-ce que la Pop? Il n’existe guère de définition satisfaisante et généralisée en réponse à cette question qui brûle certainement les lèvres de bon nombre de lecteurs. « Pop sonne comme le mensonge représentatif d’une société qui, dans ce qui semble être sa diversité, connait la plus monstrueuse concentration de capital et subit, dans ce qui semble être sa liberté, les plus abominables formes d’exploitation et d’exclusion» ; par ces mots sont cités Tom Holert et Mark Terkessidis dans leur essai « Mainstream der Minderheiten ». L’étiquette Pop comme abréviation de « populaire » fait partie du débat et ne décrit pas en premier lieu une propriété musicale. Pop fut autrefois synonyme de fraîcheur, de révolte et de liberté, offrant un fil conducteur au travers du labyrinthe de l’évolution culturelle chez les jeunes ; la Pop signalisait alors l’expression de la rébellion des jeunes et la démarcation par rapport à la génération de leurs parents et de ses notions de morale rigides et sclérosées, tout en se référant à l’attitude subculturelle souvent nommée de l’opposition, alors que l’on pensait pouvoir bouleverser l’ordre mondial par une simple chanson contestataire. Aujourd’hui, la Pop en tant que culture de démarcation est devenue maculature. L’illusion de la force explosive subculturelle du Rock quitta la partie, au plus tard depuis le fléchissement du Punk à la fin des années soixante-dix. Quasiment toutes les conceptions émancipatoires et libérales, un jour adoptées par la musique Rock et qui conduisirent à des conflits entre les générations, sont depuis bien longtemps maintenant consensus de la société. La culture des jeunes ne signifie plus aujourd’hui rébellion et protestation mais reflète la société et ses idéologies dominantes.

    Non pas depuis mémoire d’homme mais au plus tard depuis qu’Elvis apparut sous les feux des projecteurs avec son déhanchement lascif, ébranlant le monde musical dans ses fondements, chaque théoricien musical et théologien opportuniste se sent dans l’obligation de disséquer la musique Pop dans des essais sans fin. Chaque lecteur a très certainement sa propre conception de la musique Pop. J’associe généralement la musique Pop à la musique d’ABBA et de Depeche Mode – une musique qui se laisse principalement définir par d’ennuyeuses statistiques de ventes, alors qu’à l’écoute du seul mot «Rock» on pense communément plutôt au son sans fioritures d’AC/ DC et aux Rolling Stones. Je choisis pour ce livre d’employer le terme commun de musique Pop comme synonyme de la plupart des variantes de musique populaire ; du Rhythm’n’Blues à la Soul, Rock’n’Roll, Heavy Metal, Hiphop et Techno. Je préfère exclure la musique de variété et la musique folklorique, ne voulant pas trop brusquer le lecteur.

    « La Pop abolit les limites de la société en abolissant les limites du goût : la Pop fut un bouleversement des rapports, des aménagements du pouvoir, de la façon de parler, de penser, de vivre. La Pop fut une révolution qui débuta par une approche esthétique et triompha politiquement et économiquement » (Der Spiegel)

    La tentative de coucher par écrit l’histoire de la musique Pop se soumet presque fatalement à un cadre subjectif, consciemment sélectif. L’histoire de la Pop sera toujours présentée sous un angle déformé, en fonction de la personne qui la raconte. Un rédacteur de SWR1¹ mettra évidemment en avant l’importance de Jethro Tull, Queen et Genesis en tant que personnages clés et en fera du nec plus ultra, du sublime et de la folie. Un journaliste musical entêté, lassé de toutes ces futilités, construira sa Popstory autour de personnages en marge tels que Lou Reed, Iggy Pop ou Patti Smith. On oublie facilement que les critiques de musique Rock au goût musical infaillible ne représentent en règle générale qu’une faible minorité. L’histoire de la musique Pop peut en effet être racontée de deux perspectives différentes. La première histoire s’oriente en fonction des hit-parades forts en consensus qui, dès leur instauration au début des années cinquante, reflétèrent une image d’épouvantables fautes de goût et de jugements erronés, de manipulation et de naïveté. Il s’agit là de musique basée sur le commerce et le calcul implacable, dont les très gênants représentants se ridiculisent lors d’annuelles manifestations tapageuses comme les MTV Europe Music Awards devant un public pubertaire, dont on se doit de toute façon de contester une quelconque compréhension culturelle et qui n’est pas encore capable de faire la différence entre pure arnaque et passion dévouée pour la musique.

    Voilà qui servira à matière pour des émissions télévisées niaises à la « Ultimate Chart Show », qui vendent la musique Pop comme un Quatsch-Comedy-Club². À l’antipode de ceci tout n’est pas aussi réjouissant. Des groupes qui jouèrent la plupart du temps à l’écart des projecteurs dans des clubs de la taille d’une boîte à chaussures pour un public exclusif et qui ne se préoccupaient pas des codes classiques; des groupes, dont la gloire pendant leur période d’activité ne correspondait en rien à l’énorme influence qu’ils exercèrent sur la génération de musiciens qui les suivit et qui eurent uniquement le droit de se voir créditer d’avoir influencé de façon déterminante le cheminement de l’histoire de la Pop en faisant preuve de clairvoyance, en générant de nouvelles tendances qui s’avérèrent plus tard être les bonnes. L’ouvrage ici présent tente de tenir compte de ces deux courants. Au premier abord, cela paraît peut-être atroce d’observer toutes les starlettes de la Pop de tout public pendant leurs magouilles, sachant qu’elles ne cachent aucunement que leur présence dans le manège de la Pop n’a d’objectif principal que d’atteindre le statut de star et de collectionner les numéros un des ventes dans les hit-parades. Mais ce sont elles qui viennent contribuer à l’assainissement des maisons de disques et c’est sous cette condition qu’un groupe de Rock indé récalcitrant parvient à décrocher un contrat bien mérité avec une maison de disques ; ce n’est par exemple que grâce à un Herbert Grönemeyer³ que les extraordinaires Element of Crime purent « bricoler » leur musique sans pression pendant des années chez Polygram.

    « On ne peut ignorer que le Trash, ces détritus de Pop interchangeables qui sont produits par les maisons de disques, contribuent uniquement à la stabilité économique, alors que dans la musique Rock des icônes apparaissent qui, indépendamment de leurs pensées, supportent le mode de vie capitaliste en tant que fondement de la culture de liberté. »

    (Martin Büsser, If the kids are united, p.86)

    J’avoue franchement que la musique Pop actuelle m’est tout à fait contraire, je me surprends moi-même à faire partie d’une génération qui se lamente de la déchéance d’une culture musicale ayant soi-disant été un jour si vibrante et authentique, alors que, étant né en 1975, je devrais mieux le savoir. Peut-être que ce qui est populaire ne peut effectivement plus être novateur et moderne. Ce qui, jour après jour, glisse des mains des DJ radio se définit par un caractère répugnant difficile à surpasser ; des sons synthétiques enregistrés, téléguidés par l’autopilote, sans un seul soupçon d’inspiration. La Pop me semblait par le passé être révoltée, directe, vive et authentique – autant d’attributs qui nous manquent aujourd’hui douloureusement. « Nous vivons aujourd’hui dans un consensus qui n’a rien à voir avec ce qui se passe dans le monde. À défaut d’alternatives réalistes, nous consentons et écoutons la musique correspondante. Il y a de moins en moins de Bob Dylan mais ils existent et, un jour ou l’autre, ils ressurgiront bruyamment. Et tout le monde dira : enfin » laissa passer dernièrement à travers la presse musicale l’acteur et musicien Jan Josef Liefers. Il est donc grand temps de quitter le présent pour se plonger dans le monde oublié du passé, lorsque les bateaux à roue traversaient encore la Yazoo River et qu’un chant nostalgique de solitude et d’expression de soi retentissait dans le delta du Mississippi.


    1 Station de radio du sud-ouest de l’Allemagne

    2 Le « Quatsch-Comedy-Club » est un club à Berlin et une émission télévisée allemande de divertissement qui donne sa chance à de jeunes humoristes.

    3 Herbert Grönemeyer est un chanteur allemand très populaire, comparable à Jean-Jacques Goldmann ou Michel Sardou en France

    Le mensonge Robert Johnson

    Rétrospectivement, on peut, avec une once d’entendement, trouver les racines du Rock dans presque tous les genres de musique populaire et folklorique américaine du milieu des années trente. » (Robert Palmer, Bildgeschichte der Rockmusik, p.85)

    De nombreux genres musicaux du siècle dernier revendiquent volontiers avoir joué un rôle de parrainage prépondérant dans le développement du Rock’n’Roll et dans l’évolution de la culture Pop. Les représentants de la musique Country arguent que c’est dans les états du Sud, avec Memphis en épicentre, qu’un groupe d’adolescents fusionna le Rhythm’n’blues avec le folklore blanc des états du Sud en créant le Rockabilly. Nul autre qu’Elvis sut très exactement comment jouer le Blues primitif avec un Country-beat et que dans le Rock’n’Roll, non seulement la sensualité noire a sa place mais que les sentiments blancs en font également partie. Même le jazz estime avoir exercé à la nuit des temps une grande influence dans la propagation du Rock’n’Roll avec pour justification : sans Jazz pas de Swing et donc pas de Big Bands, qui, durant les premiers temps, chauffèrent assidument la salle pour les stars du R&B. Finalement ce fut cependant le Blues qui stimula le plus durablement l’homme blanc à la recherche des origines de la musique Rock. « Le Blues est la racine de toute musique, que ce soit le Jazz, les ballades ou le Rock’n’Roll » – l’icône du Blues John Lee Hooker ne cessa de propager inlassablement cette phrase et personne n’eut jusqu’à présent l’audace de dénigrer sa théorie.

    Le terme du genre « Blues » reste partiellement insaisissable, décomposé en d’innombrables sous-genres qui décontenanceraient probablement même les experts les plus pointilleux. Le Blues citadin, le Blues rural, le Blues classique, le Blues urbain, le Jump Blues – je n’essaie même pas d’apporter un peu de clarté dans la jungle des notions et de la terminologie. « Le Blues était une musique triste, le Blues urbain un chant d’adaptation – le R&B une musique de danse joviale. Le Blues était un chant rural, le Blues urbain la musique des grandes villes – le R&B était la musique des ghettos noirs » selon les réflexions de l’auteur Arnold Shaw. Des tentatives d’explication plus déconcertantes qu’éclairantes. Chaque lecteur intéressé entendit probablement déjà parler plus ou moins de la même façon des piliers de l’histoire du Blues, la culture Pop enjolivée de romantisme ayant, ne l’oublions pas, su dès ses débuts maîtriser la formation du mythe autour de son passé. Le Blues est associé depuis la nuit des temps à un état d’abattement et de désespoir. L’image du hobo solitaire et amer s’est inscrite à jamais dans la mémoire collective, debout au croisement d’un chemin, sous un soleil de plomb, quelque part dans les états du Sud, entonnant la complainte nostalgique du déracinement et de la solitude, pendant que ses compagnons d’infortune s’échinent dans les champs de coton sous le joug du pouvoir féodal des propriétaires de plantation blancs; le Blues en cri d’exclamation d’un peuple opprimé, le chant une expression intensive de leur existence dans la pauvreté, l’indigence, l’humiliation sociale et la frustration émotionnelle. Récemment, l’auteur Elijah Wald écarta rigoureusement dans son livre méticuleusement documenté « Escaping the Delta » le mythe du Bluesman abattu du delta du Mississippi, qui selon lui fut une pure invention de certains critiques musicaux blancs. « Lorsque les citadins blancs découvrirent les Race Records dans les années vingt et trente, ils transformèrent la musique de façon à ce qu’elle corresponde à leurs propres goûts et à leurs attentes. Ils créèrent un mythe foisonnant, ne supportant que très peu de ressemblance avec la réalité des musiciens vénérés. Des artistes populaires renaquirent en voix primitives issues du sombre et sulfureux delta, et une musique remarquable de professionnalité et d’humour fut sciemment transformée en cri de douleur d’un peuple en souffrance. On ne peut ignorer que la pauvreté et l’oppression provoquèrent l’apparition du Blues, mais c’est son énergie effrénée et ses promesses, et non la mélancolie folklorique, qui attirèrent les acheteurs de disques noirs³. On oublia que les musiciens de Blues pouvaient aussi être des entertainers compétents qui adaptaient leur musique à un public aussi actif que critique – un public qui vénérait les chanteurs de Blues, symboles de la réussite, avec leurs costumes chics et pouvant faire sortir comme par magie une liasse entière de dollars de la poche de leur veste.

    « Le Blues ne signifie pas que l’on doit être assis sur une véranda, habillé d’une salopette rapiécée et se lamentant qu‘une femme nous a quitté. Les femmes quittent aussi les hommes riches. J’ai toujours trouvé la fascination pour tout ce « down and out » suspecte. Qu’y a-t-il de mal à avoir du succès et à monter sur scène bien habillé? » (Little Milton, Escaping the Delta, p.9)

    Lorsque les maisons de disques commencèrent, au début des années vingt du siècle dernier, à appeler la musique «Blues», elles le firent principalement selon des critères de calcul commercial, afin de catégoriser les disques des Blues Queens ; les Blues Queens comme Mamie Smith en était une. Son Crazy Blues se vendit si bien que le label créa rapidement une classification conçue spécialement pour les acheteurs de disques noirs – les Race Records. Le nom Smith sembla endosser parmi les Blues Queens des dimensions véritablement inflationnistes. Mamie Smith fut suivie de Bessie Smith, qui n’avait d’ailleurs aucun lien de parenté et relégua brutalement dans l’ombre la popularité de Mamie. Bessie était dans les années trente une chanteuse populaire, comme l’auteur Tony Palmer l’argumenta plausiblement : « Bessie Smith est, quant à la compréhension du Blues, probablement plus importante que tout autre artiste. Elle réforma un art issu essentiellement du peuple et lui donna une forme digne. Elle rassembla avec détermination les différents éléments de cet art populaire et les combina ensemble⁴. » Mais dans l’histoire de la Pop, on ne réserva qu’une note de bas de page au nom de Bessie Smith, comme pour toutes les autres élégantes Blues-Queens.

    On devait être à la fin des années cinquante lorsqu’une horde d’adolescents britanniques se passionna ardemment pour la musique Blues, une musique brûlant littéralement d’authenticité. Les musiciens portaient des noms populaires tels que Eric Clapton, Keith Richards ou John Mayall, et ce ne furent pas les Blues-Queens des quartiers noirs des grandes villes, qui avaient de quoi mais étaient finalement très ennuyeuses, qui enflammèrent l’imagination des disciples blancs du Blues, mais bien les Bluesmen solitaires du delta qui aboyaient dans le micro leur chant des tourments de l’âme humaine et de la quête d’un réel accomplissement. Cela sonnait vraiment énormément plus authentique que la biographie peu prometteuse de la Blues-Lady pomponnée qui décrochait des tubes dans les hit-parades et se laissait conduire en taxi jusqu’au prochain night-club.

    « La mission des Rolling Stones était de valoriser le Blues dans les îles britanniques. À un moment où même les noirs d’Amérique ne voulaient plus rien savoir de l’ héritage du martyre de leurs ancêtres et préférèrent s’abandonner corps et âme à l’art de séduction inégalablement plus sensuel de la Soul» (ROLLING STONE)

    C’est ainsi qu’au début des années soixante, les fans et journalistes blancs ratissèrent le sud marécageux sur les traces des origines de la musique Blues, colportant comme un moulin à prières la fable du chanteur de Blues brisé en éternelle errance et créèrent ainsi à titre posthume un mythe encore présent aujourd’hui. Le fait qu’il n’existe que peu de sources écrites pas plus que de témoignages des musiciens eux-mêmes ne préjudicia certes pas non plus la formation de la légende. L’ethnologue Alan Lomax de la Library of Congress à Washington D.C. se mit également en route vers le Sud, non seulement par soif de sensations mais aussi pour graver sur vinyle pour la postérité les chansons des musiciens folkloriques afro-américains, ou pour utiliser les mots de Lomax « l’étude convenue se doit de sonder objectivement et exhaustivement les coutumes musicales d’une seule communauté nègre dans le delta ⁵». Lomax installa son équipement de sonorisation tout simplement dans le séjour des ouvriers agricoles et demanda au musiciens amateurs un échantillon de leur chant. Plus de 5.000 heures de musique furent produites de cette façon.

    « La documentation de la musique noire en tant que bien culturel n’ était bien entendu que la dernière des motivations de ces Field Recording Trips, il s’agissait au lieu de cela de gagner le plus rapidement possible le plus de dollars possible » (Ernst Hofacker, Giganten, p.7)

    La Louisiane, le Tennessee et le Texas furent parfois soupçonnés d’avoir été chacun la patrie d’origine du Blues. Aujourd’hui, la plupart des scientifiques s’accordent à dire que l’estuaire du Mississippi est le berceau le plus probable du Blues, tout en créant un nouveau mythe ; mais laissons plutôt de côté cet étalage de science pointilleux. L’auteur Elijah Wald détient en tout cas des arguments solides qui laissent supposer que le delta du Mississippi aurait effectivement été le germe du « vrai » Blues : « Le delta avec ses immenses plantations de coton, ses inondations dévastatrices et sa misère désespérante devint le parrain de tous les mythes et ce, pas uniquement par la musique. On l’appelait le coin le plus méridional du monde et que cette formule incantatoire évoque de belles maisons anciennes, les nobles du coton et Elvis Presley ou qu’elle illustre plutôt le racisme, l’isolationnisme et un ordre social injuste qui pousse à la comparaison avec le féodalisme médiéval, une étincelle de vérité s’y trouve véritablement⁶ ». Mais on peut aussi argumenter de façon très pragmatique et simplement rappeler que le delta était un haut-lieu de la population noire dont la jeunesse disposait de la mobilité nécessaire.

    La plaine du delta s’étendait au sud de Memphis, il parait que c’était un endroit charmant, pas seulement pour sa musique. Là-bas s’étendaient de gigantesques plantations, leurs propriétaires étaient devenus riches grâce au coton et les travailleurs afro-américains offrirent là quelque part le Blues au reste du monde. Peut-être que cela eut lieu entre Cleveland et Ruleville sur la Dockery Plantation – une plantation d’environ 4.000 hectares qui disposait d’une infrastructure comparable à un village. Une propre école, un raccordement ferroviaire et environ 2.000 ouvriers noirs peinant pour quelques dollars sous le soleil brûlant du sud appartenaient à la plantation. « Dockery fut le bercail du célèbre Bluesman Charlie Patton et joua un rôle primordial dans l’ évolution du Blues du delta» cette phrase est affichée en grosses lettres sur un panneau historique sur le highway 8. Peut-être le Blues est-il né à Dockery – peut-être pas. Les touristes et fans de Blues sont en tout cas attirés encore aujourd’hui par Dockery, dans l’audacieux objectif d’absorber la magie déjà fort estompée et l’énergie décroissante du Blues du delta et pour se laisser inspirer par un lieu mythique qui, il y a presque 100 ans, attira vers lui les chanteurs de Blues errants comme la lumière attire les papillons, avant de se répandre dans le delta et de continuer d’avancer vers Chicago, la Nouvelle Orléans et St. Louis. Il reste que Charlie Patton joua le Blues dans les environs de Dockery et que le jeune Howlin’Wolf y fit également son apparition, de même que Son House et plus tard John Lee Hooker.

    Blind Lemon Jefferson, Leadbelly, Big Bill Broonzy et Mississippi John Hurt formèrent au début des années vingt le fer de lance de ce que l’on appelle la «première génération du Blues» du delta et ne reçurent parfois en rémunération pour l’enregistrement d’un disque que quelques bouteilles de Whiskey bon marché accompagnées d’une prostituée. Mais la recherche des figures de proue du Blues soufre – fait significatif pour le Blues de l’avant-guerre – de la quasi inexistence de témoignages fiables à ce sujet. Ce que l’on peut apprendre sur les aïeuls du Blues provient de sources fallacieuses, de personnes qui furent interviewées dans les années cinquante et soixante et prétendirent avoir connu les musiciens. Leroy Carr semblerait avoir été le plus influent chanteur de Blues, un auteur-compositeur qui buvait et chantait avec un dévouement passionné. Ce fut d’ailleurs l’abus d’alcool qui le conduisit au tombeau à seulement 30 ans. Mais sa gloire s’éclipsa rapidement dans les années cinquante, en même temps qu’on fit la découverte d’un autre Bluesman alors déjà décédé. Robert Johnson, le légendaire King des Bluesmen du delta, dont le mythe fut, dans les années soixante, porté vers d’incroyables cimes. Robert Johnson est un paradoxe. De son vivant, Johnson était tout à fait inconnu dans le milieu du Blues, et même au sein des auditeurs noirs du delta il ne joua qu’un rôle anodin. À la fin des années cinquante, son nom avait presque totalement disparu dans les méandres de l’histoire. À peine deux sessions d’enregistrement et un maigre héritage musical constitué de seulement 29 chansons suffirent à faire de Johnson une icône. La première photo de lui ne parut qu’en 1986 dans un numéro hors-série du magazine ROLLING STONE et pourtant, c’est ce même Robert Johnson qui suscita les convoitises des rénovateurs du Blues blancs des années soixante, ce pourquoi Johnson est acclamé aujourd’hui en tant que figure absolue du Blues primaire, dont l’influence peut être comparée à celle de Louis Armstrong (pour le Jazz) et Hank Williams (pour la Country). Bob Dylan constata dans ses Chronicles : « Si à l’époque je n’avais pas écouté le disque de Robert Johnson, mes premières cent lignes de texte n’auraient jamais vu le jour. Je n’avais jamais rencontré avant une telle capacité d’expression que celle de Johnson et plus jamais après ». Par la suite, de nombreux compagnons de route et bardes du Blues que l’on croyait morts depuis longtemps furent interrogés au sujet de Johnson. La biographie qui en résulta, truffée de lacunes et d’absurdités, alimenta encore d’avantage la mythification. Il existerait trois tombes du musicien errant Johnson ; la cause de son décès le 16 aout 1938 à l’âge de 27 ans reste comme beaucoup de choses un grand mystère. Il aurait été empoisonné par un mari jaloux. L’histoire légendaire suivante paraît moins plausible : il aurait vendu son âme au Diable, à minuit au croisement de l’Highway 8, à la suite de quoi le Diable aurait accordé sa guitare, lui permettant alors de jouer avec une virtuosité inégalable. Les anecdotes rabâchées formeront même dans les années quatre-vingts la base du film « Crossroads » (d’après le nom d’une chanson de Johnson). Il est toujours en chemin, prend le train de marchandises pour atteindre St. Louis, New York et même le Canada, ne reste la plupart du temps à un endroit que jusqu’à avoir un peu d’argent en poche. Il reprend la route parce qu’il y est obligé. « Le chien de l’Enfer est sur ma trace » chanta-t-il un jour dans le morceau Preachin’Blues (up jumped the Devil). La première entrée écrite dans les annales de la Pop date de l’année 1959 dans le livre pionnier de Samuel Charters «The Country Blues». Il écrivit sur Johnson : « Le jeune public noir, pour qui le Blues représentait une expression émotionnelle naturelle, ne s’est jamais vraiment préoccupé d’ostentation artistique. À ses yeux, Johnson était maussade et pensif et ses disques se vendaient mal. Il semble insignifiant à l’échelle d’un public exigeant qui jusqu’à sa mort ignorait même son existence. Mais selon cette même échelle il est l’un des chanteurs de Blues les plus créatifs⁷ ». Lorsque John Hammond des Columbia Records publia en 1961 à titre posthume les chansons (ou devrions nous dire plus précisément «un bruit indifférencié») de Johnson, baptisant audacieusement le disque « King of the Delta Blues », celui-ci fut aussitôt tacitement adopté par des acheteurs pour la plupart blancs et jeunes, pour peu après être considéré parmi les musiciens britanniques comme le Saint Graal du Blues noir et personne ne fit jusqu’à aujourd’hui un quelconque effort tendant à démystifier le disque. Quand, en tant que «génération future», on écoute aujourd’hui attentivement les enregistrements poussiéreux et rayés, d’une abominable qualité de son, on ne peut, même avec la meilleure volonté, rien trouver qui puisse justifier la réputation de Johnson. L’expert voit cela, évidemment, de manière plus différenciée, pour lui on entend « un chanteur du monde moderne issu d’un siècle passé, un existentialiste qui chante la vie avec humour et tendresse, empli de passion et d’angoisse. Sur ces textes, le chanteur s’accompagne à la guitare acoustique, utilisant non seulement avec virtuosité toutes les techniques, tournures, arpèges, accords frappés et brossés, mais aussi en commentant le texte par son jeu, l’entraînant, l’illustrant, le contrastant. Aucun autre musicien de Blues n’a jamais si bien associé le son et les mots de façon aussi dramatique et en même temps si simple en apparence⁸ ».

    « Presque quarante ans après sa mort, Johnson reste le chanteur de Blues le plus sensible et le plus passionnément dévoué qui ait jamais existé…il y avait dans sa musique une dynamique et une tension rythmique qui n’avaient jamais existées auparavant dans le Country Blues » (Greil Marcus, Mystery Train, p.48)

    On a le droit de se demander s’il est légitime de hisser aussi franchement au centre de l’histoire du Blues le personnage secondaire qu’était sans nul doute Robert Johnson, de réécrire l’histoire du Blues en évinçant totalement de la mémoire collective ses compagnons de route populaires comme Clarence Carter, Bobby Bland ou Lonnie Johnson, au profit d’un homme auquel, de son vivant, le public noir fit la sourde oreille. Mais ce ne fut pas la dernière fois qu’un musicien atteignit une gloire inespérée dont le succès commercial ne fut en aucun rapport avec sa renommée de son vivant. L’auteur Elijah Wald ne partagea que peu le culte inconditionnel propre aux jeunes musiciens de Blues des années soixante, comme il le résuma en forçant quelque peu le trait dans « Escaping the Delta ».

    « Le Robert Johnson que la plupart des auditeurs découvrirent pendant les quarante dernières années est une pure invention des Rolling Stones. En effet, ce sont les Stones et une poignée de leurs contemporains blancs et pour la plupart britanniques qui créèrent l’ histoire, l’esthétique et le Sound du Blues dans son ensemble. C’est la raison pour laquelle Leroy Carr et Lonnie Johnson disparurent complètement de la scène, ainsi que presque toutes les stars dominantes des années vingt et trente. Ils étaient peut-être des génies, assurément des professionnels confirmés et intelligents. Mais comme nous le savons, ceci n’est pas du Blues. Le Blues est la conception de Keith Richards et Mick Jagger : Sex and drugs, sale, tourmenté, courroucé, minable, crasseux, une musique outlaw redoutée. C’est un solitaire errant sans argent ni patrie. C’est ainsi que le Blues s’empara à la fin des années cinquante et au début des années soixante d’un petit groupe de kids britanniques et c’est par leur vision que le reste du monde découvrit le Blues».

    Les histoires qui tournent autour du chanteur de Blues errant s’éteignent peu à peu dans les marais du Mississippi. La plupart des gens dans le delta sont certes toujours noirs, le Blues leur est cependant aussi étranger que la longue liste des légendes du Blues qui grandirent là-bas. Les jeunes écoutent du Hip-hop et du R&B – une musique sans aucune authenticité. Seule la pancarte au bord de l’highway rappelle que Charlie Patton y travailla un jour.

    Big City Blues

    L’appellation R&B était à vrai dire fausse, puisque la musique n’ était pas spécialement rythmique et pratiquement jamais du vrai Blues. Celui-là était resté dans les campagnes du sud de l ‘Amérique. La dénomination Rhythm&Blues elle-même avait un caractère enjoliveur. Cela faisait en fait allusion à la musique des Noirs » (Jerry Wexler, l’histoire du Rhythm & Blues)

    Si les musiciens de Blues avaient brusquement été stoppés dans leur chemin à Memphis/ Tennessee – on ne pourrait que supposer comment l’évolution de la Pop se serait alors déroulée. La Grande Dépression au début des années trente attira en masse les travailleurs des plantations noirs dans les grandes villes, après une chute catastrophique des prix de cinquante pourcent pour les produits agricoles. Alors que Chicago comptait encore en 1900 seulement 1,7 millions d’habitants, leur nombre grossit jusqu’en 1930 pour atteindre les 3,4 millions. La population noire nouvellement émigrée en représentait environ le tiers. Lorsqu’en 1941 les USA s’engagèrent dans la Deuxième Guerre Mondiale contre l’Allemagne nazie et le Japon, l’industrie de l’armement fut à la recherche de main d’œuvre bon marché – ils arrivèrent alors par milliers des régions rurales des états du Sud de l’Alabama, du Missouri et du Mississippi, dans l’espoir de décrocher l’un de ces emplois convoités. L’Illinois Central Railroad déversa quotidiennement des centaines d’individus faméliques à Chicago – le point d’accès des émigrants du delta. Ils apportèrent non seulement leur main d’œuvre sur le marché mais aussi leurs traditions – et le Blues, qu’ils cultivaient toujours avec le même dévouement dans le milieu des nightclubs noirs des ghettos urbains. Muddy Waters, un jeune homme de 30 ans, fut l’un de ces milliers de rêveurs, échoué en 1943 à l’Illinois Central Station à Downtown Chicago ; il trouva, après d’abondantes recherches, un emploi dans une fabrique de papier. Jadis, il jouait un Delta Blues acoustique et classique dans la région du Mississippi mais dans les clubs des sous-sols bruyants de la métropole, les sons de guitare réduits à l’essentiel ne suffirent bientôt plus à tenir tête au bruit tonitruant des clients assoiffés. Pour pouvoir s’imposer dans le vacarme de la ville, le Blues dut adopter une intonation forte et agressive. Le remède miracle apparut sous la forme de la guitare électrique – un catalyseur essentiel pour la transformation du Blues en « musique Pop noire ». La guitare électrique (rendue respectable dans le milieu du Blues par T-Bone Walker) attribua au Blues un coloris plus bruyant et devint la figure de style centrale du Blues citadin. Avec son compagnon de route Jimmy Rogers, Waters peaufina sa technique, plancha sur les micros et les amplificateurs

    « Les soupirs, vibrations et tons étirés du style du Delta – balancés dans l’amplificateur – prennent une nouvelle sonorité plus acérée, la voix majestueuse de Waters a, malgré les défis du temps et des instruments, une puissance tranchante. Cette rébellion récalcitrante réside dans la musique elle-même, pas dans les mots » (Arnold Shaw, Soul, p.152)

    Mais ce ne fut pas uniquement l’énergie effrénée de la nouvelle guitare miraculeuse qui stimula Muddy Waters et ses alliés; la vie nocturne de Chicago affichait en effet alors un panorama aux couleurs magnifiques de différents genres stylistiques et c’est ainsi que le Blues déchaîné utilisa la rythmique du Jazz de la Nouvelle Orléans et de Dixieland, prit à cœur l’ardeur du Boogie-Woogie (ce style de piano Jazz basé sur le Blues dont découla dans les années trente une musique dansante à la mode), enveloppant le résultat de la thématique des chants gospel. On ne parla bientôt plus de Blues dans les ghettos noirs mais le remplaça par l’appellation «Rhythm&Blues», après que le magazine «Billboard » eut, sous la pression de Jerry Wexler, imaginé cette expression en juin 1949 pour remplacer les « Race Records ». Le Blues du Delta représentait un aveu personnel et un déversement de sentiments, le R&B au contraire essentiellement une musique divertissante – pour danser et pour boire – une musique de plaisir sensuel. La musique garda une certaine capacité d’expression personnelle, le R&B se retint cependant d’aborder la question raciale et sociale. Psychologiquement, elle exprimait l’humeur d’un peuple qui savourait son nouveau sentiment de liberté, même si cette liberté n’avait lieu qu’au sein des ghettos. De la jungle quasi impénétrable d’épatants et enthousiastes artistes de R&B et de Blues des grandes villes émergèrent plusieurs maîtres qui réussirent à se démarquer plus particulièrement : le colosse noir Howlin‘ Wolf, Lightnin‘ Hopkins, Willie Dixon ou B.B.King, le seul maître du Blues encore vivant en 2013, qui encore dans sa 88ème année n’envisage nullement un éventuel départ en retraite avec « Lu-cille », sa légendaire guitare. Pourtant, malgré tout le respect pour son savoir-faire magistral, c’est bien Muddy Waters qui, par son discours musical, sut trouver le catalyseur nécessaire à l’évolution du Blues urbain vers le Rock’n’Roll. Avec ses tons durs de slide sur la guitare, il était bien en avance sur la guitare Rock au son saturé, il possédait de sus une sensibilité intuitive pour un développement impeccable de chaque morceau musical, ce qu’il avait copié sur celui qui l’avait inspiré, Son House. La chanson Hoochie Coochie Man et celle conçue sur le même modèle Manish Boy devinrent alors le calque de base des futurs tubes de R&B. L’enthousiaste et entraînant Rollin’ and Tumblin’ avait d’ores et déjà une tradition de longue date au sein de la communauté de la Folk et du Blues avant que Muddy n’en joue la version peut-être la plus prégnante, qui fut reprise plus tard par des pointures comme Bob Dylan, Bonnie Rait ou Cream. Les Rolling Stones empruntèrent leur nom à l’un de ses textes sure ‘nough, he’s a rollin‘ stone, Led Zeppelin se servit de ses riffs, de même que Jimi Hendrix pour son tube Voodoo Chile. Ce furent également les Rolling Stones qui, au début des années soixante, firent la publicité de Muddi Waters aussi assidument qu’auparavant celle de Robert Johnson. « Avant les Rolling Stones, les gens ici ne savaient ni ne voulaient rien savoir de moi » constata Waters laconiquement.

    « Notre objectif était d’attirer l’attention du public sur Muddy Waters. Nous pensions alors qu’ il était absolument impossible que quelqu’un nous écoute sérieusement. Le principal c’est qu’on arrive à intéresser quelques personnes à la merde que nous jouons…c’ était notre but, sensibiliser les gens au Blues. Si on pouvait les faire s’emballer pour Muddy Waters, Jimmy Reed, Howlin’Wolf et John Lee Hooker, alors notre mission serait accomplie » (Keith Richards, Escaping the Delta, p.244)

    L’agressivité brute et les hurlements incultes du Rhythm&Blues irritaient, pour le public blanc la musique était tout simplement trop brusque et en particulier le mot « sexe » répété sans cesse heurtait franchement les auditeurs un peu coincés. C’est ainsi que les sons bruts et durs de Johnny Otis et Sonny Boy Williams restèrent prisonniers du no man’s land du hit-parade de R&B, purement et simplement ignorés de l’establishment blanc. John Lee Hooker détona littéralement en 1949 dans le milieu du R&B avec son titre Boogie Chillin‘. La méthode de Hooker était incroyablement archaïque et même certains experts se demandèrent si ces gémissements et aboiements sans rime représentaient encore une forme congruente du Blues. Son style était si personnel et improvisé qu’il déconcertait totalement le groupe de musiciens qui l’accompagnait. Louis Jordan en revanche représentait tout le contraire du son grossier de Hooker ; sa musique était sensiblement influencée par le Swing et beaucoup plus lisse, ce qui lui permit de jouir d’une certaine acceptation de la part du public blanc, lui valant ainsi une prédominance inégalable dans le hit-parade du R&B dans le milieu des années quarante. Mais il était surtout un excellent « entertainer » et endossa le rôle d’un des nombreux maillons manquants entre le Blues et le Rock’n’Roll, comme le souligna le producteur Milt Gabler. Au début des années cinquante, alors producteur, il tenta de charger explicitement le Swing Country de Bill Haley du Jump Beat de Jordan.

    « Nous avons commencé par le rythme shuffle de Jordan, vous savez, ces croches et double-croches pointées, et nous avons continué à partir de là. J’ai chanté des riffs de Jordan devant le groupe, ceux-ci ont été ensuite repris par les guitares électriques et le saxophone ténor. » (Milt Gabler, Forever Young, BBC).

    L’agréable succès de Jordan auprès de la clientèle blanche fut l’exception qui confirma la règle. Le public socialisé au Jazz, Vaudeville et Broadway perçut le Blues comme bon marché, tape-à-l’œil, musique de bonne ambiance, drôle mais certainement pas significative. Jusqu’à la fin de la Deuxième Guerre Mondiale, le public Mainstream resta prisonnier de l’emprise du Swing, ayant lui-même écarté le Jazz depuis l’époque de la Grande Dépression. Le Glenn Miller Orchestra divertit les soldats au front et, pour ceux qui étaient restés au bercail, des personnages de légende comme Duke Ellington, Louis Armstrong ou Benny Goodmann se présentaient à la tête des Big Bands. Cependant, un orage se préparait peu à peu dans le ciel insouciant du Swing. Les Big Bands avaient relégués le Swing au fin fond de la monotonie, les tournées aux grandes affiches représentant par ailleurs un gros effort financier que peu d’organisateurs pouvaient se permettre. Les propriétaires de club rusés ne virent pas l’intérêt de continuer d’investir leur argent honnêtement gagné dans des orchestres harmoniques, alors que grâce à l’amplification électrique, il semblait possible d’enflammer le club avec seulement cinq musiciens. La conséquence en fut l’apparition de formations plus réduites – celles que l’on appela les Boogie-Jump-Bands avec seulement deux ou trois instruments à vent. Des jeunes jazzmen comme Charlie Parker ou Dizzy Gillespie s’efforcèrent de soumettre le Jazz, devenu entre-temps ringard, à une révision générale, en employant des nouvelles structures d’accord et de rythme. On appela Be-bop cette expérience audacieuse, alors qu’au même moment les groupes dominés par le saxophone introduisirent le « Jump and Jive ».

    « Les Big Bands rencontrèrent également de nouvelles difficultés économiques. Après la guerre, les prix flambèrent : L’essence, les bus, les chambres d’ hôtel et les salaires des musiciens. Par ailleurs, les goûts du public avaient évolué. La sentimentalité de Frank Sinatra, Nat King Cole ou Peggy Lee était alors plus demandée que les Big Bands grisonnants. Un grand nombre de leaders de groupe se retirèrent de la scène, parmi eux Benny Goodman. Plusieurs individus talentueux comme le trompettiste Dizzy Gillespie ou le saxophoniste Charlie Parker fuirent les Big Bands, se retrouvèrent tard le soir pour des Jam-Sessions et créèrent sciemment une nouvelle forme musicale, bientôt appelée Be-bop » (Nelson George, R&B, p.40)

    L’industrie du disque vécut en 1940 un boom incroyable ; le juke-box devint un équipement standard dans les clubs, bars et maisons closes. Mais suite à un différend entre les stations de radio et la ASCAP (Chapitre : Industry Rising) la musique en live n’eut plus le droit d‘être diffusée, le rationnement du vinyle pendant la Deuxième Guerre Mondiale se manifesta par un recul dramatique de la production de disques et pour couronner le tout, le syndicat des musiciens américains (American Federation of Musicians) s’en mêla, se mettant en grève pour obtenir le droit d’une redevance pour chaque diffusion de disque. La grève dura plus d’un an – une année pendant laquelle presque aucun disque ne fut produit. Lorsque la fin du boycott se profila à l‘horizon, le destin des Big Bands semblait avoir définitivement été scellé. Finalement, ce furent les chanteurs solistes qui se montrèrent les plus résistants face à la crise, les chanteurs étant les seuls musiciens dans l’entourage des Big Bands qui n’étaient pas affiliés au syndicat. Ainsi, à la fin des années quarante, les jalons étaient posés pour plusieurs des conditions nécessaires à l’impulsion initiale du Rock’n’Roll. Le Swing et les Big Bands – un modèle en voie de disparition des années trente, Frank Sinatra ou Ella Fitzgerald – des exemples type de l’attractivité des interprètes en solo, qui réussirent à se libérer de l’étreinte des Big Bands. Par ailleurs, le R&B menait une existence de niche en dehors du Mainstream blanc, entre autres parce que les maisons de disques refusaient de se consacrer sérieusement à la musique noire. Le catalyseur déterminant de la révolution culturelle et musicale des années cinquante ne sortit néanmoins ni des clubs brillants ni des studios d’enregistrement, mais doit son existence à un phénomène que l’on connaît bien dans le secteur économique. Il y est question de profit, de boycott, de droits et de lutte contre le monopole. Des querelles de qui à tort et qui à raison, desquelles se cristallisa finalement la forme actuelle de l’industrie de la musique.

    Muddy Waters (illustré par Martin Gut)

    Industry Rising

    La musique Pop ne fut, depuis ses débuts, jamais rien d’autre qu’une affaire commerciale. Elle n’était ni une forme d’art garantissant accessoirement un revenu coquet, ni un modèle commercial créant de l’art dans ses bon jours.

    L’art et le business eurent ici toujours la même importance. Pour la plupart des chroniqueurs, la Pop ne prit pas son départ avec la révolution Rock’n’Roll des années cinquante – non, cet honneur revient à Emil Berliner, un berlinois qui inventa le gramophone en 1887 et qui trouva en la personne d’Enrico Caruso, chanteur d’opéra, un volontaire pour enregistrer dix arias sur un disque. Au début des années vingt, la récente industrie du disque grandit considérablement. Le Mainstream du public peu exigeant du début des années vingt était représenté par le Vaudeville – appelé aussi Music-Hall, Burlesque ou Variétés, simple kitsch dont l’objectif principal était de distraire un public en état d’ébriété. Des comédiens chantants présentaient leurs niaiseries dans les bars à bière, palais de variétés et maisons closes – une tradition théâtrale qui conduisit plus tard au développement de la comédie musicale et assura l’âge d’or du Broadway à New York. Ce fut la décade florissante de la Tin Pan Alley – l’industrie américaine de la musique populaire (l’expression aurait été inventée par le journaliste Monroe Rosenfeld qui compara le tintement constant des nombreux pianos dans la rue à des bruits de casserole, « tin pans »). La question même de la situation exacte de la mystérieuse Tin Pan Alley fait froncer les sourcils des témoins de l’époque. Il s’agissait probablement de la 28ème avenue derrière le Broadway, où en 1900 de nombreux artistes de variété et chanteurs de Music-Hall s’étaient installés. On composa là des chansons avec lesquelles on pouvait gagner de l’argent et satisfaire les besoins des théâtres et comédies musicales. Appliquant la devise de ne publier que de la musique populaire (à l’époque les feuillets musicaux), les partitions imprimées dans l’Alley rapportèrent des millions. Les agents, compositeurs, paroliers et éditeurs – tous travaillaient sur un modèle industriel dans un espace réduit pour, en un temps record, lancer un produit sur le marché et respectivement dans les théâtres de Broadway.

    « Les types dans l’Alley étaient peut-être arriérés au niveau musical, ils avaient pour autant d’autres qualités. Ils affirmaient être au service du public et pour ainsi dire être à l’ écoute de la vox populi. » (Tony Palmer, All you need is Love, p.105)

    Malgré leur caractère incontesté de produit de masse, les mécanismes et les techniques de l’Alley sont aujourd’hui encore omniprésents et on ne peut ignorer que plusieurs des compositeurs de l’Alley obtinrent un statut digne du respect des puristes de musique classique les plus obstinés. Ils s’appelaient George Gershwin, Cole Porter ou Irving Berlin (White Christmas), ces compositeurs à la chaîne qui, sur l’ordre des propriétaires de théâtre, devaient faire résonner une rhapsodie et à qui l’on doit malgré leur réputation douteuse des classiques tels que My funny Valentine ou Every Time we say goodbye. Ce bagage musical ainsi légué à la prospérité fut qualifié plus tard de l’expression peu significative de « Great American Songbook » et redécouvert en particulier ces dernières années par Rod Stewart comme mine d’or de reprises très rentable. Le choix des partitions qui furent imprimées et des morceaux qui passèrent à la radio fut effectué par environ 1.000 compositeurs ringards appartenant à la société de copyright American Society of Composers Authors and Publishers (ASCAP). La société fut fondée en 1914 avec pour objectif de protéger les droits d’auteur de ses adhérents. Le bon goût musical étant uniquement contrôlé par des compositeurs privilégiés, les stations de radio furent alimentées en permanence d’un amalgame uniformisé et rationalisé de chansons sentimentales et de Big Bands. Qu’un morceau rebelle de folklore régional ou de Blues urbain résonne sur les ondes était plus dû à une panne en studio qu’à un soudain changement d’avis de l’ASCAP, qui par ailleurs fit la culbute grâce à Hollywood dans les années trente. Le film parlant aidant, les compositeurs de la Tin Pan Alley se retrouvèrent dorénavant embarqués dans de vifs débats avec les producteurs de cinéma, dont les chansons devaient si possible cadrer avec Judy Garland et Gene Kelly. Mais ce rêve prit également subitement fin. Lorsque l’activité lucrative des comédies musicales cinématographiques stagna, l’ASCAP (infiltrée depuis par les Studios d’Hollywood) exerça une forte pression sur son concurrent le plus acharné, la radio, et exigea de doubler les tantièmes. Par la suite, les stations de radio se mirent en grève et fondèrent leur propre société de licence, la Broadcast Music Incorporated. Le revers de la médaille : on ne disposait alors d’aucune musique n’ayant d’ores et déjà été accaparée par l’ASCAP, ce pourquoi des équipes de recherches se rendirent dans le fin fond de l’Amérique pour y découvrir des musiciens inconnus de Hillbilly et de Country, des Bluesmen obscurs et des groupes vocaux qui jusque-là avaient été sciemment ignorés de l’ASCAP. Désormais, la Broadcast Music permit aux auditeurs partout en Amérique de découvrir une musique jusqu’alors passée sous silence. Une fois le potentiel de l’underground du Blues et de la Folk reconnu, d’innombrables labels indépendants jaillirent en un temps record, dans l’espoir trompeur de faire fortune grâce à un disque tube, la plupart n’ayant pourtant encore aucune expérience dans le métier et tentant leurs premiers pas dans le show-biz selon la devise « Learning by doing ». On louait un hangar désaffecté, clouait une insonorisation au mur, se procurait un magnétophone mono piste et un micro et l’aventure de l’enregistrement d’un disque pouvait commencer.

    « Les origines du Rock’n’Roll peuvent être retracées au travers de centaines de labels indépendants aux quatre coins de l’Amérique, qui répondirent à la demande nationale de Blues, Bluegrass, Gospel, Rhythm&Blues et de tous les autres styles en dehors de l’univers de l’Alley. » (Mike Evans, NYC Rock, p.53)

    Même les maisons de disques bien établies durent se transformer. À cause du rationnement de vinyle pendant la Deuxième Guerre Mondiale, les Majors elles-aussi durent prendre des mesures de restriction. Le marché peu rentable de la Race Music fut rayé du catalogue en premier. Mais ce ne fut pas pour autant une raison de broyer du noir pour les musiciens de Blues apatrides, puisque les petits labels indépendants leur tendirent les bras, impatients de prendre sous leur aile ce groupe d’indésirables. Une liste des tubes de R&B entre 1949 et 1953 publiée par Billboard confirme que les Majors avaient très largement abandonné le genre R&B. Seuls deux des disques de R&B les plus populaires furent diffusés au public par une Major. L’étoile fixe de quelques-uns des innombrables labels brille jusqu’à aujourd’hui dans le firmament de la Pop, comme par exemple celui des frères Leonard et Phil Chess. Ces deux fils d’émigrés juifs ne possédaient selon leurs propres propos aucune compréhension de la musique mais ne se préoccupaient comme tous les autres labels que d’un seul et unique objectif : gagner de l’argent avec la musique. Ils achetèrent d’abord des parts du label Aristocrat à Chicago et recrutèrent des talents prometteurs pratiquement dans la rue. Parmi eux se trouvait Muddy Waters qui décrocha son premier single à succès en avril 1948 avec I can’t be satisfied. Avec Waters pour base de départ, les deux frères reprirent entièrement l’Aristocrat battant de l’aile et donnèrent au label le nom de Chess Records. Grâce au succès de Waters, de Little Milton, d‘Arthur «Big Boy» Crudup et de Little Walter, le Chess s’établit bientôt en tant qu’adresse de choix du R&B. Son grand avantage par rapport aux Majors était sa flexibilité, comme le souligna une fois le fils de Leonard, Marshall Chess : « Quand tu enregistrais un disque le vendredi après-midi, il était fin prêt dès le samedi soir et tu pouvais le vendre dans les bars⁹ ». Pour dénicher de nouveaux artistes, Leonard Chess patrouillait régulièrement le sud en emportant son magnétophone double puis enregistrait directement sur place. C’est de cette façon que Chess découvrit « Howlin’ Wolf » en 1948 lors de l’un de ses voyages de reconnaissance dans l’ouest de Memphis. L’équivalent de Chess à Chicago était le label ATLANTIC à New York. Au contraire de Chess, le label fut créé sur la base d’un véritable engouement et d’une passion profonde pour la musique noire. Fondé par Ahmet Ertegun et Herbund Miriam Abramson, l’ATLANTIC se construisit une excellente réputation pour la qualité de ses enregistrements et possédait une sensibilité certaine pour les codes de conduite et l’évolution des goûts musicaux du public noir. Avec l’esprit d’entreprise d’Ertegun, allié au goût sûr et inaltéré de son habile producteur de génie Jerry Wexler, le label tint dès le début à respecter méticuleusement son objectif d’innovation, de qualité et d’authenticité.

    « En ce qui concerne la clarté de l’enregistrement, l’exactitude de la hauteur du son et de l’ équilibre du mixage, aucun autre label indépendant n’atteignit le niveau d’Atlantic. Toutes les sessions furent répétées scrupuleusement et préparées jusqu’au moindre détail. » (Peter Guralnick, Sweet Soul Music, p.73)

    À Memphis, Sam Philips cultivait lui aussi une passion enflammée pour la musique noire. « Je voulais prendre en main l’inconnu, l’inexploré, ce qui n’était pas prouvé, ce que personne n’avait encore essayé de faire. Les Major Companies étaient campées sur le Broadway ou à Hollywood. Elles n’étaient pas sur le terrain et ne s’aperçurent pas que le monde changeait. Car le changement, lui, s’effectuait dans l’arrière-pays » déclara Philips au ROLLING STONE. En 1950, il ouvrit un studio d’enregistrement à Memphis, puis fonda deux ans plus tard la maison de disques Sun Records. Il rêvait que blanc et noir ne fassent plus qu’un, que la Country et le Blues se confondent et renaissent en un nouveau style musical.

    « Il (Sam Philips) n’ était pas l’un de ces businessmen et producteurs de l’ industrie de la musique qui gagnaient leur argent en obligeant les chanteurs et les musiciens à orienter leur Sound sur ce qui se vendait bien à ce moment-là. Il m’encourageait toujours à le faire à ma façon. » (Johnny Cash, ein Jahr – 1965, p.65)

    « Apportez-moi un blanc qui maîtrise le Negro-Feeling, et nous gagnerons des millions » – tel fut le verdict de Philips, dont le label Sun Records joua trois ans après sa création un rôle clé dans la révolution Rock’n’Roll. On ne peut que supposer comment la musique Pop se serait développée sans l’esprit d’entreprise créatif des Independents Chess, d’ATLANTIC et de Sun. Si cette diversification du marché n’avait pas eu lieu, le Rhythm&Blues se serait encore et toujours heurté au mur du public « blanc », Elvis Presley ne serait jamais entré dans l’histoire de la Pop en tant que premier phénomène culturel de masse et n’aurait certainement présenté son déhanchement qu’au public local de Memphis.

    Chuck Berry (illustré par Martin Gut)

    American Dream

    Àcette époque, la jeune génération se sentait en désaccord avec les parents, les enseignants et le Gouvernement. C’ était une période pendant laquelle les personnes qui t’ élevaient et t’ éduquaient semblaient être des créatures issues du fin fond de l’univers. C’ étaient des personnes qui en avaient abattues d’autres, qui avaient inventé la bombe atomique, qui étaient coupables et responsables de tout ce qui n’allait pas sur cette terre. » (Pete Townshend, SWF3)

    Rechercher le premier disque de Rock’n’Roll est une entreprise hautement douteuse puisque tout dépend de la façon dont on définit le Rock’n’Roll. Les artistes noirs ne se lassèrent par exemple jamais de souligner que le Rock’n’Roll ne fut que le Rhythm&Blues « blanc » appelé Rock’n’Roll « pour masquer ses origines noires » (Nelson George), alors que certains chroniqueurs moins puristes insistent sur le fait que c’est justement la sentimentalité blanche qui en définitive conduisit le Rhythm&Blues au Rock’n’Roll. En tout cas, bon nombre de chansons se disputent la précieuse propriété intellectuelle du Rock’n’Roll : Naturellement en première position au bureau des brevets le crooneur à la « banane » Bill Haley avec Rock around the Clock, ce qui évidemment n’arrange pas le scientifique confirmé. That’s alright Mama d‘Elvis, Rocket 88 d‘Ike Turner ou le Rock a while de Goree Carter furent nommés candidats les plus prometteurs pour le choix du premier disque de Rock’n’Roll.

    « Le Rock’n’Roll est notre invention, celle des Noirs. Nous avions déjà depuis de longues années le Rhythm&Blues. Et puis quelques Blancs passèrent par-là et l’appelèrent Rock’n’Roll. C’ était pourtant bien du Rhythm&Blues, et il venait de nous. » (Dave Bartholomew, Forever Young, BBC)

    Il est assez pénible de s’arrêter à de telles subtilités, et paraît plus important de jeter un bref regard sur les mœurs de la société américaine et sur la culture des jeunes à la veille de la révolution Rock’n’Roll. Aux environs de 1950, la jeunesse aux USA se trouvait face à un mur. Aucune autre génération que celle de l’après-guerre de la Deuxième Guerre Mondiale ne disposait d’autant de possibilités quasi illimitées. Le pays connaissait alors une prospérité jamais connue auparavant, la consommation augmentait à un rythme vertigineux. L’automobile devint le symbole obligatoire du statut d’une société de consommation, chaque ménage possédait son propre poste de télévision, toutes sortes d’inventions allégèrent le quotidien, que ce soit la tondeuse à gazon ou la brosse à dent électrique, la première carte de crédit facilitant également les achats. La révolution de la technologie qui, grâce aux médias de masse, se fraya un chemin jusqu’au fin fond de l’Amérique, influença les idées et le comportement des jeunes de façon décisive. L’industrie publicitaire exulta de joie à la découverte d’un nouveau segment de clientèle, rapidement catégorisé en lui attribuant un nom digne de slogan : Le « teenager » était né et il consomma tout ce qu’on lui mit sous le nez ; bluejeans, motos, gel coiffant et musique, rejetant cette dernière cependant de plus en plus puisque elle correspondait alors principalement aux goûts musicaux des parents.

    « Ils venaient de laisser derrière eux l’ ère de McCarthy. Ils rejetèrent leurs parents, leurs valeurs. Je crois qu’ ils recherchaient quelque chose qui puisse leur être propre, pour eux-mêmes. Quelque chose en dehors de ce que la génération des aînés appréciait. C’ était une musique faite par les teenagers pour les teenagers. » (Dick Clark, SWF3)

    Un nombre grandissant de teenagers commençait à se rendre compte de l’impossibilité d’épanouissement personnel dans une société civilisée et estimait qu’il était un privilège de pouvoir rompre avec le monde et les notions de morale rigides et sclérosées de la génération de leurs parents. Pourquoi pas par la musique? Le Rhythm&Blues avec ses allusions sexuelles semblait prédestiné pour brusquer les parents. Il était grossier, rebelle, vulgaire et noir. Le DJ légendaire Alan Freed fut l’un des premiers à discerner le potentiel du R&B noir. En 1952, Il organisa à Cleveland le « Moondog Coronation Ball » qui attira 25.000 fans dans la salle de concert, plus du double de ce qui avait été prévu initialement. Mais fait encore plus capital, plus de la moitié des kids qui affluèrent vers le bal étaient blancs et se démenèrent frénétiquement sur la musique d’obscurs groupes de R&B et de leur ardente musique de ghetto. Ce succès phénoménal contraignit Freed à renouveler très vite le show et à partir en tournée avec le projet.

    « Il (Alan Freed) fut l’un des premiers, si ce n’est le premier à comprendre que les jeunes formaient désormais un groupe sociologique puissant avec ses propres droits. Avant les années 50, on parlait d’enfants et d’adultes et, entre les deux, ce que

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