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Aménagement, développement et environnement au Québec
Aménagement, développement et environnement au Québec
Aménagement, développement et environnement au Québec
Livre électronique670 pages8 heures

Aménagement, développement et environnement au Québec

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À propos de ce livre électronique

Cet ouvrage présente une analyse des interrelations aménagement, développement et environnement qui façonnent le cadre de vie, affectent le niveau de bien-être des individus et des collectivités et contribuent aux importantes différenciations socioéconomiques qui caractérisent les milieux de vie et en déterminent les perspectives. Il porte un regard critique sur les nombreuses mesures mises en place, des années 1960 à aujourd’hui, pour gérer l’aménagement et favoriser le développement des régions du Québec. Il accorde une attention particulière à des événements marquants comme le Bureau d’aménagement de l’Est du Québec (BAEQ), les relocalisations et les mouvements populaires. Il s’attarde aussi sur des thèmes majeurs qui sont actuellement l’objet de préoccupations ou de remises en cause comme les orientations d’aménagement du territoire, la qualité des espaces aménagés, l’étalement urbain, les disparités socioéconomiques et territoriales, la pauvreté, le développement durable, le zonage agricole et la dévitalisation.

En tant que facteur majeur de disparités, la structure de peuplement occupe une place importante dans l’analyse. En raison de son grand déséquilibre, des faiblesses de son système urbain et des problèmes de distance, elle contribue aux inégalités territoriales en matière de services, d’emplois et de niveaux de vie. Elle favorise des courants migratoires qui, en plus d’accentuer les déséquilibres existants, entraînent la dévitalisation de centaines de petites localités et l’instabilité démographique ou le dépeuplement des régions périphériques.

Ce livre s’adresse particulièrement aux universitaires qui s’intéressent à l’aménagement et au développement dans une perspective environnementale, de même qu’aux spécialistes des sciences régionales et aux intervenants et intervenantes des secteurs publics et privés qui travaillent dans les domaines de l’aménagement du territoire et du développement territorial.
LangueFrançais
Date de sortie15 juin 2022
ISBN9782760557123
Aménagement, développement et environnement au Québec

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    Aperçu du livre

    Aménagement, développement et environnement au Québec - Clermont Dugas

    Introduction

    Aménagement, développement et environnement sont trois des concepts les plus déterminants de la société moderne. Au fil du temps, ils sont devenus des représentations au contenu immense prêtant à de nombreuses interprétations et aux significations majeures pour les habitants de la planète. En simplifiant beaucoup, nous pouvons dire que le mot aménagement réfère à la façon d’occuper et d’habiter l’espace, que le terme développement renvoie à une amélioration de la qualité de vie des individus dans les espaces aménagés et aux changements positifs qui s’y produisent alors que la désignation environnement représente le contexte global où s’effectuent l’aménagement et le développement, et dans lequel les individus puisent les ressources qui assurent leur existence. Que nous y fassions référence ou pas, les trois concepts s’intègrent pour influencer le quotidien des êtres humains où qu’ils soient. Leur prise en compte s’appuie sur des besoins à satisfaire, sur des valeurs souvent conflictuelles et sur des perceptions alimentées à des degrés divers par les expériences, les connaissances et les informations disponibles.

    Le développement considéré dans la perspective de production de biens, de services et d’emplois est davantage au cœur des préoccupations que l’aménagement et l’environnement, surtout lorsqu’il est vu en termes d’amélioration des conditions de vie. C’est aussi l’une des principales formes de revendications adressées aux représentants politiques des différents de gouvernement et ce sur quoi nous leur demandons des comptes. Toutefois, selon les endroits et la nature des problèmes, le sens de ce développement peut prendre différentes formes. Aussi, selon que le terme émane de la société civile ou des représentants politiques, il n’a pas nécessairement la même portée sur le bien-être des individus. En raison de la richesse de son contenu et de la grandeur de son imprécision, il peut signifier à peu près n’importe quoi, allant de l’amélioration des services publics et de l’augmentation des niveaux de revenus à la création de cours à rebuts ou à l’ouverture de gravières perturbantes pour le voisinage. Le développement est aussi porteur d’inégalités sociales et territoriales parce que ses retombées ne touchent généralement que des segments de la population avec des intensités différentes en regard des stratifications sociales et économiques. Au sein d’une même communauté, l’enrichissement des uns peut aussi se traduire par l’appauvrissement des autres, notamment quand le dynamisme économique provoque une augmentation des coûts de la vie touchant aussi bien les classes pauvres que les classes moyennes et aisées.

    Faire du développement, c’est aussi bien souvent intervenir dans l’aménagement du territoire et avoir une incidence sur l’environnement. Procéder à la mise en valeur des ressources, ouvrir une nouvelle rue, construire un quartier domiciliaire, implanter une nouvelle usine, installer des services publics impliquent des modifications dans l’espace aménagé et l’utilisation ou la perturbation de composantes de l’environnement. Cependant, l’espace aménagé n’est pas qu’un facteur, corollaire ou produit du développement, c’est un déterminant majeur de la qualité de vie des individus et aussi un élément significatif dans la vie économique et sociale des collectivités, dont les retombées ont aussi une incidence sur l’avenir. Son rôle s’exerce non seulement par ce qui constitue le cadre de vie des individus avec ses éléments de voisinage et ses unités paysagères, mais aussi par l’ensemble de la structure de peuplement avec ses voies de communication et la répartition spatiale des habitations isolées, des villages et des villes dans l’ensemble de l’espace national et même au-delà. Cette structure de peuplement avec ses densités inégales et ses populations dispersées ou fortement regroupées a des incidences sur la vie de relations, les échanges économiques, l’accès aux services, les découpages territoriaux, les modes de gouvernance, la démographie et les courants migratoires.

    Aménagement et développement s’inscrivent dans le contexte environnemental. Or, tout ce qui concerne l’environnement est l’objet d’attentions et souvent de préoccupations d’une large partie de la population et de contrôle de la part des gouvernants. La protection de l’environnement et l’utilisation judicieuse de ses composantes s’inscrivent dans les priorités ou du moins dans la sphère d’attention des gestionnaires de toutes les catégories d’entités territoriales. Si certains sont peu enclins, par manque de conviction ou en raison d’une précarité économique, à s’en soucier, tous sont interpellés de multiples façons par le sujet, car la protection de l’environnement est maintenant devenue un enjeu mondial.

    Les préoccupations relativement au gaspillage des ressources et à la nécessité de limiter la croissance économique datent d’avant les années 1950. Elles ne rejoignaient toutefois à leur début qu’une très petite fraction de la population. Dans les années 1970, plusieurs gouvernements se dotèrent de politiques et de règlements en vue de limiter les effets de certains projets d’aménagement sur le milieu physique. Pour sa part, le Québec s’est donné en 1972 une loi sur la qualité de l’environnement visant la protection des principales composantes de l’environnement. La sensibilisation à la protection de l’environnement s’est amplifiée dans les années 1980, se traduisant par la généralisation du concept de développement durable qui synthétise la nécessité d’associer la préservation des ressources à la croissance économique et à une répartition plus équitable des fruits de cette croissance. Nous retrouvons même à l’intérieur du concept des orientations relatives à l’aménagement du territoire, à la préservation de la culture et du patrimoine, et à la lutte contre les disparités socioéconomiques et territoriales.

    Dans les années 1990 et 2000, la perspective d’un réchauffement climatique lié en bonne partie aux activités humaines a renforcé l’intérêt pour le développement durable. Ce réchauffement, présenté comme une menace pour la planète et l’humanité, a contribué à susciter une forte adhésion au concept de développement durable, si bien que l’épithète durable, devenue représentative de toutes les vertus, est associée à des dizaines de mots et d’actions utilisés tant par les écologistes, les représentants politiques, les technocrates que par le monde des affaires. On parle notamment d’aménagement durable, de tourisme durable, de ville durable, de construction durable, etc. Présenté dans différents contextes, il n’est pas toujours facile de savoir ce que ce qualificatif représente exactement, mais il joue sur les perceptions et sert de justification pour orienter des politiques, des législations, des normes et des réglementations ou encore pour bloquer des projets. Des connaissances très sommaires et souvent déformées de certaines réalités environnementales et une forte médiatisation des conséquences catastrophiques d’un changement climatique conduisent à rendre acceptable ou difficilement contestable à une grande partie de la population tout ce qui est présenté sous l’étiquette de durable.

    Des décisions relatives à l’aménagement du territoire, à la mise en valeur des ressources naturelles et à l’économie sont assujetties à des considérations environnementales reposant tout autant sur des éléments justifiés que sur des appréhensions insuffisamment démontrées. Ces considérations servent aussi à l’occasion d’arguments pour légitimer des choix et des orientations présentant plus d’avantages sur les plans économique et politique que sur le plan écologique. Cependant, quelles que soient leurs pertinences, les questions environnementales orientent des valeurs et des modes de vie, et elles ont déjà et auront des répercussions plus ou moins importantes sur la vie de nombreux individus. L’environnement n’est plus que le support physique qu’il faut préserver des effets de l’aménagement et du développement ; en effet, il est devenu un déterminant majeur de choix et de décisions qui auront des conséquences plus ou moins considérables sur la vie des individus. À défaut de preuves scientifiques, le principe de précaution devient suffisant pour justifier des décisions (Beloin, 2009).

    L’aménagement, le développement et l’environnement impliquent des interventions qui touchent les réalités humaines et sociales et qui s’inscrivent dans la durée. Elles ont produit un passé qui détermine le présent et qui influencera l’avenir. Quels que soient les niveaux de connaissances et la qualité de l’information de base, les interventions d’aménagement et de développement impliquent des choix de la part des individus, des organismes et des gouvernements. Bien que généralement orientées vers une amélioration du bien-être, les réalisations effectuées ne peuvent résorber tous les problèmes et sont dépendantes de la géographie du territoire, avec sa répartition inégale des ressources naturelles, des particularités des formes de sa mise en valeur et de sa structure du peuplement. Elles ont produit le territoire habité du Québec avec ses conditions de vie, ses disparités et ses potentiels.

    Le principal objectif du présent ouvrage est de jeter un regard critique sur le contexte socioéconomique et environnemental du Québec dans sa richesse, sa différenciation territoriale et son évolution, ainsi que sur certains des éléments qui l’ont façonné et peuvent modifier les perspectives d’avenir. Une attention particulière est accordée aux interventions gouvernementales depuis les années 1960 de même qu’aux disparités territoriales et sociales, aux mobilisations populaires et aux changements qui se sont produits dans l’aménagement du territoire, la démographie et l’économie.

    Le présent livre contient 13 chapitres qui peuvent être regroupés en 6 parties différentes. La première partie de l’analyse porte sur les découpages, la structure et l’évolution du peuplement. Ces éléments influencent les lectures que nous faisons de la situation socioéconomique du Québec tout en constituant des déterminants de politiques publiques et d’interventions gouvernementales. Ils contribuent aussi à mettre en évidence les grands déséquilibres qui caractérisent l’organisation spatiale du territoire et la répartition territoriale de sa population. La démographie et ses facteurs d’évolution environnementaux et économiques, avec une prise en compte des courants migratoires, expliquent la reconfiguration constante du peuplement tout en constituant un indicateur de développement.

    La deuxième partie porte sur les disparités territoriales et sociales qui dépendent de la structure de peuplement et de variables liées au contexte biophysique, à sa mise en valeur et à un ensemble de paramètres de nature économique, sociale, culturelle et historique. Pour bien dégager la répartition et la signification des disparités, ces dernières sont considérées sur la base des régions administratives, des municipalités régionales de comté (MRC) et des municipalités. Elles sont identifiées selon quatre catégories d’indicateurs : les revenus, les transferts gouvernementaux, la mesure du faible revenu et les revenus d’aide sociale. La stratification sociale, la marginalité, la pauvreté et la dévitalisation bénéficient d’une attention particulière. L’examen des facteurs de disparités liés au contexte québécois complète cette partie.

    Les nombreuses interventions de développement effectuées à compter des années 1960 font l’objet de la troisième grande partie du présent livre. Conçues en vue d’améliorer les conditions de vie de la population et dans certains cas d’atténuer les disparités régionales, elles reflètent à la fois l’interventionnisme de l’État et l’importante mobilisation populaire qui l’a accompagné. Après un regard sur des concepts fondamentaux, l’examen du processus d’intervention gouvernementale est amorcé avec un retour sur l’expérience du Bureau d’aménagement de l’Est du Québec (BAEQ) et l’entente de développement Canada-Québec qui a permis la mise en œuvre d’une partie du plan d’aménagement réalisé par l’organisme. Les Opérations Dignité et la relocalisation, deux éléments associés au BAEQ, tout comme la décentralisation et les conseils régionaux de développement (CRD) font aussi l’objet de brèves analyses. Le concept de développement durable qui tend à s’imposer au Québec comme ailleurs dans le monde et qui accorde une place privilégiée à la protection de l’environnement est analysé en regard de sa contribution au développement régional.

    La quatrième grande partie du présent ouvrage est consacrée à l’aménagement du territoire. Il est d’abord vu dans ses dimensions conceptuelles, puis avec un outil de mise en œuvre, le schéma d’aménagement et de développement. Le partage des responsabilités des niveaux politiques est ensuite mis en évidence. La qualité des espaces aménagés du Québec reçoit une attention particulière. Sont successivement décrits les principaux traits du territoire rural, des villages, des zones industrielles, des centres-villes et des grandes artères urbaines. Des aspects esthétiques de l’aménagement retiennent l’attention tout comme les transformations qui s’effectuent dans la trame de peuplement en fonction de différentes forces et modalités.

    Les implications de la Loi sur la protection du territoire et des activités agricoles sont analysées dans la cinquième partie du présent travail. Cette loi a une incidence particulière sur l’aménagement du territoire, la mise en valeur des ressources naturelles et l’économie. Elle est examinée en fonction de certains éléments déterminants tels que la zone agricole, ses répercussions socioéconomiques et ses modalités d’application. Parmi les paramètres analysés, des critères d’application retiennent particulièrement l’attention. Il s’agit de la superficie des fermes, du potentiel agricole, de l’homogénéité, du processus décisionnel et des problèmes régionaux.

    La dernière partie du présent livre contient quelques orientations de développement vues comme réponses à des problèmes majeurs évoqués tout au long de l’analyse. Le déséquilibre de la structure de peuplement et tout particulièrement de son armature urbaine suggère la mise en place de correctifs de la part de l’État concernant particulièrement les capitales régionales et les centres de services. Enfin, le développement de l’économie résidentielle et des modifications à la Loi sur la protection du territoire et des activités agricoles sont proposés pour favoriser la consolidation du peuplement rural.

    Partie

    1

    Le territoire et son peuplement

    Chapitre

    1

    Des régions aux caractères contrastés

    Pour bien comprendre, connaître et analyser un vaste territoire comme le Québec, avec ses espaces construits, habités et humanisés et ses grandes zones vides dont certaines ne sont traversées que par des voies de communication pour l’accès aux ressources, il faut le considérer dans sa totalité, mais aussi dans ses parties. C’est ce qui conduit à des découpages et à l’identification de régions. Toutefois, le mot région est un concept aux nombreuses significations qui traduit non seulement des aspects utilitaires, mais aussi d’importantes considérations immatérielles et symboliques. Il évoque des réalités allant de faits bien connus aux vagues perceptions. Il s’applique à des espaces de toutes dimensions allant de l’ensemble de l’univers à de toutes petites parties du corps humain. Le Québec est une région du monde, mais il est aussi un ensemble de régions intégrées entre elles sous de multiples aspects, se différenciant les unes des autres par de nombreuses caractéristiques géographiques, historiques, culturelles, sociales et économiques.

    Au Québec, comme ailleurs, les régions sont des territoires auxquels les gens s’identifient ou qui servent de cadres de référence pour les résidents de l’extérieur ou pour différentes finalités de recherche et politico-administratives. Ces régions se comptent par centaines si nous tenons compte de tous les régionymes existants et correspondent à des entités territoriales de dimension très différentes. Certains noms de régions existent depuis très longtemps, comme la Gaspésie, alors que d’autres sont des constructions récentes, comme c’est le cas pour de nombreuses municipalités régionales de comté (MRC).

    La création d’une région ou l’identification d’un espace quelconque par un mot d’usage courant et significatif à différents égards relève d’au moins deux perspectives, soit celle des individus qui habitent le territoire et celle des technocrates et administrateurs qui en assurent la gestion. Pour les résidents, la culture, l’histoire, la tradition, le vécu, les habitudes de déplacement, le sentiment d’appartenance sont déterminants. Les individus apprennent très tôt et généralement dès l’enfance à identifier la région où ils vivent en plus du nom de leur localité. Ces régions sont porteuses de spécificités pouvant se traduire notamment dans le langage, dans des pratiques culinaires, des habitudes de vie et des façons de construire. Gaspésie, Abitibi, Laurentides, Bas-du-Fleuve, Outaouais, Saguenay, Cantons-de-l’Est, Charlevoix font partie de ces nombreux noms de territoires qui, au fil des ans, se sont enracinés dans la mémoire collective et sont devenus porteurs de signification autant pour ceux qui les habitent que pour ceux qui ne les connaissent que de nom. Pour les personnes qui y sont nées ou qui y ont établi leur demeure, ces régions forment un lieu d’ancrage et font partie de leur identité.

    En fonction des circonstances, des endroits et des individus, les régions peuvent être identifiées en référence à la géographie, aux éléments biophysiques, à la gouvernance, à l’économie, à la culture, à l’histoire, à l’occupation du territoire, et à d’autres caractéristiques et finalités. Nous pouvons ainsi établir ou même construire notamment des régions naturelle, géographique, écologique, administrative, historique, culturelle, subjective, homogène, fonctionnelle, nodale, polarisée, cadre, géostatistique ainsi que des régions d’appartenance, d’aménagement et de planification. Ces divers types de régions qui correspondent à autant de sortes de relations à l’espace peuvent se chevaucher, se superposer ou se répartir sur le territoire selon un ordre bien établi et s’appliquer à des échelles territoriales de toute dimension. Leur signification est intégrée à la vie des individus et des collectivités. Dans l’usage courant, certaines catégories de régions prennent plus d’importance que d’autres. C’est particulièrement le cas au Québec des régions administratives qui sont devenues des références pour les individus, les organismes, les administrateurs et les représentants politiques. Elles servent d’éléments de localisation et de périmètre. Elles ont été délimitées en référence à des éléments du milieu naturel, à la géographie, à l’histoire et à la culture.

    Comme leur nom l’indique, les régions administratives sont des entités territoriales dotées d’un statut officiel, délimitées et établies prioritairement à des fins d’administration. Leur mise en place s’imposait dans un simple objectif de bonne gestion publique, ne serait-ce que pour circonscrire les périmètres de compétence des employés de l’État. Cependant, elles ont aussi été conçues en vue de la rationalisation et de la déconcentration de l’appareil gouvernemental. On voulait, d’une part, éviter la multiplication de découpages territoriaux propres à chaque ministère¹ et, d’autre part, mettre en place des administrations régionales qui contribueraient au renforcement de l’armature urbaine par la création de capitales régionales. On a aussi pris en compte l’établissement de périmètres de planification du développement socioéconomique. Cependant, outre leur vocation administrative et leur rôle dans la spatialisation des interventions de développement, les régions administratives constituent des cadres de référence qui, par leur simple existence, exercent une influence sur des prises de décision, des analyses, des comparaisons, des mises en perspective et la vie de relations.

    Les régions administratives qui existent en 2022 sont l’aboutissement d’un processus de découpage qui date d’avant les années 1960 et elles subiront inévitablement de nouveaux changements, car dans bien des cas, elles ne représentent que des voies de compromis alors que des pressions se manifestent pour de nouveaux ajustements. Ces régions coexistent avec d’autres importantes formes officielles de régionalisation, comme les MRC, les agglomérations de recensement (AR) et les régions métropolitaines de recensement (RMR), les communautés métropolitaines de Montréal et de Québec, et les comtés électoraux. Chaque catégorie de régions exerce des rôles différents sur les plans politique et administratif, dont certains ont été bien identifiés (Proulx, 2002, 2011). En dépit de sa dimension, la région administrative joue vraisemblablement le rôle politique le moins important. Cependant, cette même dimension spatiale conjuguée à ses étroites relations avec les régions naturelles et historiques ou culturelles en fait un très bon cadre de référence pour appréhender l’ensemble du Québec dans sa diversité.

    Que ce soit à des fins d’inventaire, d’analyse, de gestion ou de concertation, la régionalisation est un exercice nécessaire dont la portée est loin d’être neutre. Dans le cas des régions administratives, les localisations de limites ont des incidences sur la lecture que nous pouvons faire des disparités, comme des moyennes régionales et des potentiels de développement. Ces mêmes limites touchent aussi le niveau de cohérence régionale et les sentiments d’appartenance dans les différentes parties du territoire. La grande dimension de la plupart des régions fait aussi que les résidents d’une extrémité du territoire ont peu de liens sociaux avec ceux de l’autre extrémité.

    1.

    Des découpages territoriaux discutables

    Délimiter et identifier des périmètres régionaux totalement satisfaisants, à la fois pour ceux qui les conçoivent et pour les résidents des régions créées, constitue un exercice très difficile. Tous les essais de régionalisation antérieurs à la création des régions administratives de 1966 s’appuient sur des considérations distinctes et aboutissent à un nombre différent de régions. Il semble que l’un des premiers découpages a été fait en 1863 dans la perspective d’ouverture du territoire au peuplement (Manzagol et Sénéchal, 1998). Ultérieurement, divers ministères québécois ont procédé à des subdivisions du territoire pour leur usage propre. Ainsi, en 1909, le ministère des Terres et Forêts a établi 14 districts forestiers à des fins de surveillance (Toupin, 1972). Dans une approche plus globale, le géographe français Raoul Blanchard, qui a décrit et analysé la géographie québécoise dans quatre imposantes monographies publiées entre 1935 et 1953, a découpé le Québec en 7 grandes régions subdivisées en 14 entités distinctes. Ses régions, qui ne correspondent que partiellement à celles que nous connaissons aujourd’hui, étaient désignées par des régionymes inspirés de l’histoire et de la géographie et elles étaient utilisées surtout comme périmètres de localisation. En 1958, un autre géographe, Benoît Brouillette, a proposé un découpage formé de 15 régions géographiques établies et désignées surtout en fonction des milieux naturels. Un an plus tard, il présentait une nouvelle typologie de dix régions économiques qui sera utilisée par certains organismes gouvernementaux jusqu’à la création des dix régions administratives de 1966. Cinq des dix régions de Benoît Brouillette feront partie de la nouvelle classification. Cette dernière établie par voie d’un arrêté en conseil devra être utilisée par l’ensemble de la fonction publique québécoise. Comme ces 10 nouvelles régions administratives étaient loin de satisfaire les organismes et les individus qui en faisaient partie, elles ont été modifiées à plusieurs reprises pour aboutir aux 17 régions que nous connaissons aujourd’hui.

    Les 17 régions administratives de 2022 ont un contenu très hétérogène en termes de superficie, de population et de caractéristiques biophysiques et socioéconomiques. Le contraste entre les deux plus petites et les plus grandes régions donne une idée de l’importante différenciation qui les caractérise. La Côte-Nord et le Nord-du-Québec correspondent à 73 % de la superficie de la province pour 1,7 % de sa population alors que les régions de Montréal et de Laval, qui n’occupent que 0,05 % de la superficie du territoire québécois, renferment 29,6 % de sa population. Ces chiffres donnent une première idée des énormes disparités qui différencient les grandes régions du Québec et ils contribuent, dans une certaine mesure, à déterminer leur situation socioéconomique. Si nous tenons compte en outre de leurs caractéristiques biophysiques, de leur localisation, de leurs éléments de voisinage et de la configuration de leur tissu de peuplement, c’est leur potentiel de développement qui est aussi en cause.

    La classification des régions par ordre de densité par unité de surface (tableau 1.1) contribue à évoquer la grande diversité des régions et permet aussi d’entrevoir des modalités de peuplement et de vie de relations. À 2 régions fortement urbaines s’opposent 15 territoires marqués selon des intensités inégales par la ruralité, la distance et la dispersion du peuplement. Ces caractéristiques ont contribué à l’élaboration de différentes typologies des régions. Ainsi, en référence à la région de Montréal dont la densité se distingue nettement de celle de toutes les autres régions, nous parlerons de région centrale, de régions métropolitaines, de régions intermédiaires et de régions périphériques. Si nous tenons particulièrement compte du rôle de la mise en valeur des ressources naturelles, nous ferons état de régions de base et de régions ressources. Ces diverses dénominations ne correspondent qu’à des parties de la réalité et traduisent généralement des perceptions qui peuvent influer sur les interventions de développement.

    Tableau 1.1

    Les régions administratives du Québec en 2022

    Source : Adapté de Ministère des Affaires municipales et de l’Habitation, Répertoire des municipalités, 2019.

    1.1. Des problèmes particuliers de découpage

    Les énormes différences démographiques qui existent entre les régions sont, dans une certaine mesure, révélatrices de la difficulté d’en arriver à un découpage territorial bien équilibré. La grande superficie du Québec et les formes de distribution du peuplement ne facilitent pas les choses à cet égard. La forte dispersion de la population empêche la fusion de régions rurales en vue d’augmenter des volumes d’effectifs. En raison des distances, c’est davantage en termes de création de nouvelles régions qu’il faudrait penser. C’est ce problème de distance avec ses effets sur la cohésion régionale qui a conduit le gouvernement à faire passer de 10 à 17 le nombre de régions administratives. Une possibilité d’équilibrer un peu plus le poids démographique des régions existe néanmoins dans la région de la Montérégie, qui pourrait être subdivisée en deux ou trois entités distinctes. Sa taille démographique disproportionnée par rapport aux 13 autres régions à forte composante rurale lui valait d’être chapeautée par 3 conférences régionales des élus (CRÉ) comparativement à 1 pour chacune des autres régions. Par ailleurs, des demandes de subdivision ont déjà été exprimées par les élus de la ville de Longueuil.

    La géographie plus que la structure interne du territoire et la polarisation urbaine semble avoir influencé le découpage des régions, si bien que ces dernières encadrent des systèmes de vie de relations très différents et d’efficacité inégale. Le concept de polarisation qui devait être pris en compte lors de la création des dix régions administratives de 1966 s’appliquait avec plus ou moins de force et selon des modalités particulières dans chaque cas. Lors du passage de 10 à 17 régions, le concept a été relativement oublié. Des considérations géographiques et politiques ainsi que des pressions populaires ont joué un rôle plus important. Le fleuve et l’estuaire du Saint-Laurent constituent l’une des limites de 13 régions. L’insularité détermine les périmètres des régions de Laval et de Montréal. L’environnement maritime fournit trois des quatre limites de la Gaspésie. La topographie caractérise particulièrement l’Estrie et les Laurentides. Les coordonnées géographiques constituent au moins une frontière des régions Nord-du-Québec, Côte-Nord, Abitibi-Témiscamingue. Mauricie et Saguenay–Lac-Saint-Jean. Les limites déterminées par l’eau sont les moins contestées bien qu’elles soient discutables à plusieurs endroits, tout particulièrement là où le fleuve se rétrécit et devient franchissable par des ponts.

    Le cadrage régional actuel peut être vu comme un compromis entre des considérations administratives, politiques, géographiques et démographiques, mais il n’est pas totalement satisfaisant et pourrait donner lieu à bien des ajustements. D’ailleurs, comme le mentionnent Lajugie, Delfaud et Lacour (1979), la région est un concept évolutif. Il est dans l’ordre des choses que ses limites soient modifiées au gré de l’évolution de l’économie et du tissu de peuplement. Les ajustements du passé avec notamment la création de nouvelles régions ont contribué à solutionner des problèmes, mais ils en ont aussi créé d’autres. Un simple regard sur une carte suffit à les mettre en évidence. En se référant uniquement à la géographie, certaines limites semblent plutôt difficiles à justifier.

    Figure 1.1

    Les régions administratives du Québec

    La ligne de démarcation qui sépare la Gaspésie du Bas-Saint-Laurent est plutôt surprenante (figure 1.1) et ne correspond pas à la limite de la géographie historique et physique. La section ouest de la péninsule est tronquée et délimitée par une ligne irrégulière qui ne correspond à aucun élément géographique ni à la limite traditionnelle des Gaspésiens. Il a toujours été d’usage pour ces derniers de déterminer les contours de leur région par la route 132 qui la ceinture à partir de Sainte-Flavie. Cela permet d’inclure la région de Matane et la vallée de la Matapédia dans la Gaspésie, et cela correspond aussi à la traditionnelle Gaspésie touristique dont on fait la promotion à l’échelle internationale depuis des décennies. La limite administrative qui sépare les deux régions emprunte les frontières est des MRC de Matane et de La Matapédia de façon à les inclure dans la région du Bas-Saint-Laurent plutôt que dans leur traditionnel territoire d’appartenance, la Gaspésie.

    Quand la région 01 Gaspésie Bas-Saint-Laurent a été séparée en deux entités distinctes en 1986 pour former deux régions administratives, les représentants des MRC de Matane et de La Matapédia ont préféré être rattachés au Bas-Saint-Laurent plutôt qu’à la Gaspésie. Ils sont, de fait, plus près de Rimouski, la capitale régionale du Bas-Saint-Laurent, que de Gaspé, éventuelle capitale de la Gaspésie. Les deux MRC concernées se trouvent davantage dans la zone d’attraction de Rimouski que de toute autre ville gaspésienne, ce qui confère donc un argument logique à la décision qui a été prise. Les représentants des deux MRC ne nient pas pour autant leur appartenance à la Gaspésie, et certains font partie de l’association touristique régionale gaspésienne pour faire leur promotion touristique.

    La grande dimension de certaines régions et la linéarité du peuplement ne peuvent faire autrement que de conduire à des incohérences ou à des ruptures relativement à la vie fonctionnelle. Des résidents d’une région ont plus d’affinité et de relations avec une ville de services de la région voisine qu’avec la capitale régionale de leur propre région. Une telle situation prévaut dans le secteur ouest de la région du Bas-Saint-Laurent où le pouvoir d’attraction de Québec et de Lévis est plus grand que celui de Rimouski. Dans la région administrative de l’immense Côte-Nord, il n’y a pratiquement pas de contact entre les MRC de Minganie et du Golfe-du-Saint-Laurent à l’extrémité est et celle de la Haute-Côte-Nord à l’ouest.

    Pour des raisons qui n’ont rien à voir avec l’appartenance et la vie fonctionnelle, des localités du nord de l’Abitibi ont été détachées de leur région culturelle et historique pour être intégrées à la région Nord-du-Québec constituée surtout d’isolats autochtones. Les petites localités à la marge de l’écoumène de Beaucanton, de Villebois et de Val-Paradis se retrouvent ainsi associées à un territoire avec lequel elles n’ont aucun lien routier direct ni échange de services. Les isolats de Lebel-sur-Quévillon, de Chapais, de Chibougamau et de Matagami, qui ont plus de liens socioéconomiques avec les régions du Saguenay–Lac-Saint-Jean et de l’Abitibi-Témiscamingue, ont aussi été intégrés à la région Nord-du-Québec.

    Plus au sud, il y a aussi lieu de mettre en cause la frontière fluviale qui délimite la région Capitale-Nationale de celles de Chaudière-Appalaches et de la Mauricie par rapport au centre du Québec. Il s’agit ici de deux régions fonctionnelles basées sur les échanges et la vie de relations qui sont coupées en deux. Il y a aussi des problèmes du même ordre à Montréal et à Laval. Les deux régions administratives sont coupées de leur arrière-pays, ce qui n’est pas sans causer des problèmes de gestion. Pour mieux les résoudre, les deux régions ont été intégrées dans un organisme supralocal, la Communauté métropolitaine de Montréal. On a fait la même chose à Québec en englobant les deux villes sises de part et d’autre du fleuve dans la Communauté métropolitaine de Québec.

    2.

    La régionalisation et le développement

    Au tout début des années 1960, lorsque les régions administratives ont été mises en place, on se préoccupait de plus en plus de développement régional et de lutte contre les disparités territoriales dans le monde occidental. Dans plusieurs pays, le concept de planification était à l’honneur, associé à des politiques d’aménagement régional. Le système de planification fortement centralisé qui existait dans les pays du bloc communiste avait contribué à valoriser le rôle de la planification comme outil de développement économique. Comme d’autres provinces canadiennes, le Québec souhaitait favoriser l’atténuation de ses importantes disparités territoriales par la planification d’interventions d’aménagement et de développement. La régionalisation de l’administration publique devait donc dépasser le simple objectif d’amélioration de la desserte de services et s’inscrire également dans une optique de développement socioéconomique. On a donc cherché à circonscrire les bases territoriales des régions administratives qui pourraient le mieux contribuer aux objectifs de développement. Pour ce faire, on a pris en compte la vie de relations qui s’articule autour du système urbain et qui concerne tout autant la ville que la campagne. On a ainsi essayé d’ajuster le périmètre des régions administratives à celui des régions fonctionnelles.

    Encadré 1.1

    Les régions administratives en 1966

    1. Bas-Saint-Laurent–Gaspésie

    2. Saguenay–Lac-Saint-Jean

    3. Québec

    4. Trois-Rivières

    5. Cantons-de-l’Est

    6. Montréal

    7. Outaouais

    8. Nord-Ouest

    9. Côte-Nord

    10. Nouveau-Québec

    Les dix régions administratives de 1966 ont été établies à la suite d’une enquête effectuée par le ministère de l’Industrie et du Commerce, qui visait à identifier les pôles d’attraction du Québec et leur zone d’influence. Pour bénéficier du statut de pôle principal, une ville devait avoir une population d’au moins 50 000 habitants et offrir une large gamme de services à la population du pôle et à sa zone de desserte. Six villes ont obtenu dans un premier temps le titre de pôle. Il s’agit de Montréal, de Québec, de Sherbrooke, de Hull, de Trois-Rivières et de Chicoutimi. Ultérieurement, Rimouski sera ajoutée à la liste en raison de son rôle pour la Gaspésie et le Bas-Saint-Laurent. Chacune de ces villes sera considérée comme métropole régionale dans sept des dix régions administratives. Les contours des trois autres régions seront délimités en fonction de plusieurs villes de taille démographique variable, mais relativement faibles. Comme on tient compte de l’aire de rayonnement de la ville, le fleuve Saint-Laurent ne sert pas de limite aux régions fonctionnelles qui gravitent autour de Québec, de Trois-Rivières et de Montréal, comme c’est le cas actuellement avec l’armature de 17 régions administratives.

    La prise en compte de la région fonctionnelle dans le découpage effectué en 1966 témoignait de la volonté des autorités gouvernementales de donner aux nouvelles régions administratives le maximum d’atouts en vue de favoriser leur développement. Selon l’approche qui prévalait alors et qui vaut toujours (Lefèvre et Pinson, 2020), la ville constitue le principal moteur d’animation de la vie régionale, et ce moteur est d’autant plus puissant que la taille démographique de la ville est importante. Ses résidents forment un marché qui acquiert les biens et services produits localement et qui suscite aussi la fabrication de produits dont la gamme sera largement fonction du nombre d’acquéreurs et d’utilisateurs potentiels. La ville est aussi une dispensatrice de services pour les résidents qui l’habitent et les populations environnantes. Le niveau de spécialisation des services est toujours fonction de la taille des clientèles à desservir, que ce soit dans les domaines des aliments et d’autres biens d’utilisation courante, des services professionnels et administratifs, de l’éducation et de la recherche. La ville fournit aussi des loisirs, des produits culturels à ceux qui l’habitent et qui y ont accès, et elle est un lieu d’animation et de créativité pour toute sa zone d’influence.

    Le rôle de la ville dans le développement territorial est incontestable. Ce qui fait plus débat, c’est la portée géographique de son rayonnement. Bien que ce rayonnement soit notamment en fonction de la taille démographique de la ville, il y a souvent divergence de points de vue sur l’étendue de l’aire d’influence. En tant que créatrice d’emplois, que dispensatrice de services et que marché, la ville supplée en partie aux carences des localités rurales environnantes et contribue au dynamisme de leur économie et à la qualité de vie de leurs résidents. Le développement du milieu rural se conçoit en regard de sa distance par rapport à la ville et à son accessibilité. En conséquence, toute région autour d’un réseau urbain bien hiérarchisé dispose en principe d’un meilleur potentiel de développement que les régions dépourvues de villes importantes. Cela s’avère aussi avantageux pour l’espace rural que pour l’espace urbain. C’est fort de ces principes que le gouvernement du Québec a cherché à faire de sa régionalisation un moyen de développement, tout d’abord en accordant une grande importance aux villes dans la configuration de ses régions, puis en cherchant à favoriser le développement urbain là où l’armature urbaine était la plus faible.

    La contribution de la région au développement se fait aussi par la dynamique qui se crée à l’intérieur de chaque entité territoriale qui devient ainsi plus qu’un cadre d’administration et de planification. La région est un organisme vivant auquel s’associent des valeurs symboliques et immatérielles. C’est aussi un territoire dans le sens de construit social tel que le mentionnent Campagne et Pecqueur (2014). Les individus qui l’habitent le structurent d’organismes, de réseaux d’échanges et de moyens de représentation. Des sentiments d’appartenance s’y créent, des liens de différentes natures s’y tissent et des mobilisations s’y produisent. L’intensité de la vie de relations, la cohérence interne et la cohésion sociale vont être d’autant plus fortes que l’intégration territoriale sera bien établie, c’est-à-dire qu’il y aura présence d’une bonne interrelation entre toutes les parties du tissu de peuplement. Or, c’est ce qui faisait défaut dans les 10 régions créées en 1966 et qui le fait encore dans une large mesure avec les 17 régions actuelles.

    2.1. Les faiblesses de la structure régionale

    Bien que conçues sur la base d’une argumentation valable, d’une démarche empirique précise et bien justifiée et d’objectifs qui faisaient l’unanimité, les régions de 1966 se sont vite révélées inadéquates aussi bien pour l’administration publique que comme outil de développement et cadre de mobilisation. Elles étaient pour la plupart trop grandes ou mal configurées pour l’administration publique, car plusieurs ministères se sont dotés de sous-régions ou ont continué à utiliser leur structure régionale antérieure. L’incohérence qu’on voulait corriger sur le plan de la gestion s’est maintenue et a même été accrue, car on a finalement superposé de nouvelles régions à celles qui existaient. Leur grande dimension a aussi empêché la formation d’une véritable conscience régionale.

    Le souci d’avoir un poids démographique suffisant et la présence de villes aptes à exercer la fonction de pôle de développement dans chaque région ont conduit à marginaliser le rôle de la dimension des territoires, de la distance et de la configuration du tissu de peuplement. On a négligé ou mal évalué ce qui contribue à la formation de l’esprit identitaire et à la cohésion sociale, des éléments fondamentaux pour susciter les mobilisations régionales et entraîner des implications vers des objectifs communs. Les aspects culturels qui amènent des individus à s’associer à un milieu particulier ont été vus comme des éléments tant à construire qu’à respecter. Les distances par rapport aux villes et entre toutes les zones habitées des territoires en regard de la qualité des infrastructures de communication de même que les habitudes de déplacement sont autant d’éléments qui influent fortement sur la vie de relations et les alliances territoriales.

    Les problèmes liés à la distance se font surtout ressentir dans les grandes régions périphériques, celles qui ont particulièrement besoin d’une forte cohésion sociale pour faire les pressions nécessaires en vue d’obtenir les moyens essentiels pour stimuler leur développement. Les dissensions entre des parties du territoire ont prévalu davantage que les grands élans d’unanimité. On a souvent qualifié d’esprit de clocher les rivalités entre localités ou sous-régions pour obtenir des services ou des emplois. Ce qu’on déplore comme une tare sociale est en fait une émanation du sentiment d’appartenance qui amène les individus à se mobiliser pour ce qu’ils considèrent être leurs intérêts. De telles attitudes sont inévitables pour des MRC ou localités éloignées l’une de l’autre de plusieurs centaines de kilomètres et ayant de sérieux problèmes socioéconomiques à résoudre. Évidemment, de tels sentiments peuvent aussi se transformer en mesquineries nuisibles au bien commun, en empêchant ou en retardant la réalisation de projets, ce qui s’est produit à plusieurs reprises.

    La création des régions administratives, malgré leurs limites plus ou moins adéquates, a certes permis d’améliorer de façon significative la déconcentration de l’appareil gouvernemental et l’accessibilité de services à la population tout en favorisant le développement des capitales régionales. Cependant, leur rôle dans le développement régional n’était pas à la hauteur de ce qui était attendu. Exception faite des régions Bas-Saint-Laurent et Gaspésie–Îles-de-la-Madeleine², désignées à l’époque comme Est-du-Québec ou encore comme territoire pilote, les régions administratives n’ont pas servi de cadre à de véritables plans d’aménagement et de développement coordonnés et réalisés par les gouvernements supérieurs dans le but d’atténuer les disparités territoriales. C’est uniquement dans l’Est-du-Québec que la structure urbaine a été l’objet d’une attention toute particulière, avec toutefois une approche fort discutable et contestée par la population, car le renforcement des villes et des centres de services devait se faire au détriment du monde rural³.

    2.2. Des territoires de concertation et d’administration

    En matière de développement, les régions ont néanmoins été très utiles au gouvernement québécois pour déployer différentes stratégies de développement en misant sur la mobilisation et la participation populaire en fonction de l’appartenance territoriale. La concertation est considérée par le gouvernement comme l’un des fondements de sa politique de développement qui mise beaucoup sur le dynamisme local et régional. Pour favoriser cette concertation, le gouvernement propose en 1983 un nouveau redécoupage territorial dans un document de consultation sur le développement des régions intitulé Le choix des régions. On suggère alors de faire passer de 10 à 14 le nombre de régions administratives qui seront reconnues comme des régions de concertation. Pour favoriser la concertation, établir des orientations et des projets de développement et représenter la population auprès du gouvernement, on propose également de transformer les conseils régionaux de développement (CRD)⁴ en conseils régionaux de concertation

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