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Le fédéralisme canadien face aux enjeux environnementaux: Le Canada: un État ingouvernable?
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Livre électronique509 pages5 heures

Le fédéralisme canadien face aux enjeux environnementaux: Le Canada: un État ingouvernable?

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À propos de ce livre électronique

Gérer l’environnement au Canada est loin d’être une chose aisée. Les sensibilités à géométries variables au sein de la fédération font des enjeux environnementaux des sources de fortes tensions, d’autant plus que se juxtaposent de manière ambiguë les compétences constitutionnelles des divers paliers de gouvernement. De plus, l’absence de consensus autour d’une vision d’avenir pour le Canada de même que la difficulté qu’ont les autorités gouvernementales à assumer un leadership constant sur les questions environnementales génèrent trop souvent des décisions incomplètes, imparfaites et incohérentes. Ces insuccès alimentent le cynisme et le désabusement chez la population et la classe politique.

En cette époque de dégradation rapide de l’environnement, il nous apparaît essentiel de nous interroger sur les causes profondes des tensions environnementales au Canada afin d’imaginer des solutions mieux adaptées au droit et aux règles applicables, aux institutions existantes et au jeu politique des acteurs concernés. Le présent ouvrage offre un éclairage sur ces dynamiques en s’attardant à la structure en place, aux différents protagonistes et à leurs interrelations en matière de gouvernance environnementale. Il explore également certains enjeux liés à la fragmentation des actions et aux difficultés d’arrimage des politiques environnementales canadiennes.
LangueFrançais
Date de sortie27 mars 2020
ISBN9782760552203
Le fédéralisme canadien face aux enjeux environnementaux: Le Canada: un État ingouvernable?
Auteur

Annie Chaloux

Annie Chaloux est professeure à l’École de politique appliquée de l’Université de Sherbrooke et codirectrice du Groupe d’études et de recherche sur l’international et le Québec. Elle se spécialise en politiques environnementales et climatiques canadiennes et québécoises ainsi qu’en négociations climatiques internationales.

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    Aperçu du livre

    Le fédéralisme canadien face aux enjeux environnementaux - Annie Chaloux

    Introduction

    Annie Chaloux et Hugo Séguin

    Gouverner et gérer les enjeux environnementaux au Canada est loin d’être une chose aisée. La forte polarisation des opinions publiques est source de clivages entre les gouvernements provinciaux et le gouvernement fédéral ; l’importante ambiguïté autour de l’attribution des compétences constitutionnelles ; les débats qui opposent l’économie et l’environnement, de même que la difficulté qu’ont les différentes autorités gouvernementales à assumer un leadership constant sur les questions environnementales génèrent trop souvent des décisions publiques incomplètes, imparfaites et incohérentes. Il en va ainsi des engagements climatiques du Canada, peu respectés, et à l’origine de fortes tensions politiques au sein de la fédération, au même titre que la disparition rapide de la biodiversité au pays, souvent victime des luttes de juridictions entre le gouvernement fédéral, les provinces, les villes et les acteurs privés de toute sorte. Ces insuccès sont la source d’un haut niveau de cynisme et de désabusement au sein de la population. En cette époque de dégradation rapide de l’environnement, il nous apparaît essentiel de nous questionner sur les causes profondes des problèmes environnementaux au Canada afin, peut-on l’espérer, d’imaginer des solutions mieux adaptées au droit et aux règles applicables, à la réalité des institutions en place et au jeu politique des acteurs impliqués. Il devient dès lors pertinent de chercher à comprendre les dynamiques propres au système politique canadien, à la base des difficultés actuelles.

    À l’origine, nous voulions proposer un ouvrage qui permettrait de dresser un premier tour d’horizon sur les défis et les enjeux de la gouvernance environnementale au Canada en plus d’offrir des clefs de réflexion pour l’avenir. À notre connaissance, il n’existe encore aucun ouvrage francophone qui propose une vue d’ensemble du droit, des institutions et des acteurs qui en sont les principaux protagonistes, et moins encore un aperçu des grands dossiers environnementaux de l’heure au Canada. De même, aucun ouvrage ne porte un regard typiquement québécois sur la dynamique environnementale canadienne. C’est cette lacune que nous avons d’abord tenté de combler.

    La préparation de cet ouvrage, les discussions avec ses auteurs et la lecture des textes qui nous ont été soumis ont révélé une troublante trame de fond, lourde de sens et de conséquences. De très nombreux enjeux environnementaux récents ne comportent aucune solution satisfaisante dans une perspective pancanadienne, caractérisée par une gouvernance à paliers multiples. La tarification du carbone ; les infrastructures de transport des hydrocarbures ; l’appui ou l’opposition à l’exploitation de pétrole et de gaz naturel ; de même que la protection de plusieurs espèces en péril et la désignation de territoires au titre d’aires protégées s’ajoutent à des tensions historiques plus profondes au chapitre des engagements climatiques internationaux du Canada et, plus largement, au type d’économie – économie « verte » ou économie de ressources naturelles – que nous voulons privilégier.

    Bien que l’on puisse souligner ce qui apparaît comme des succès, comme la gestion de l’eau des Grands Lacs, ce constat nous pousse à nous poser une question qui nous hante depuis plusieurs années déj๠: le Canada est-il un pays ingouvernable, structurellement et politiquement, incapable d’affronter les principaux enjeux environnementaux de ce siècle ? La structure de cet ouvrage et les thèmes qui y sont abordés illustrent tour à tour un aspect particulier de cette problématique préoccupante.

    Dans le présent ouvrage, nous posons tout d’abord que ces difficultés d’arrimage prennent racine dans la structure constitutionnelle du Canada (chap. 2), l’une des fédérations les plus décentralisées au monde. Au sein de cette structure, gouvernements fédéral (chap. 6), provinciaux et territoriaux, gouvernements locaux et municipalités (chap. 7), et dynamiques autochtones (chap. 14) se heurtent aux difficultés d’arrimage entre leurs pratiques de prise de décision et de mise en œuvre respectives. Cela se manifeste au sein des faibles instances de coordination intergouvernementale existantes (chap. 1) tout comme dans la pratique des relations internationales en matière environnementale (chap. 4 et 5). Nous ajoutons qu’à cette fragmentation institutionnelle entre les paliers multiples de gouvernance, se juxtaposent des différences marquantes entre régions du pays, par exemple au niveau de la dotation en ressources naturelles (chap. 13), des attitudes politiques envers certains enjeux (chap. 9) et des impacts environnementaux, notamment en émissions de GES (chap. 12) qui amplifient les dissonances et complexifient davantage la recherche d’une approche concertée.

    Nous soumettons finalement que cette fragmentation et ces difficultés d’arrimage se manifestent d’au moins trois façons. D’abord, par des contraintes à l’essaimage des politiques entre une juridiction et une autre : une politique environnementale prise par une province ne sera pas nécessairement adoptée par les autres, chacune opérant plus ou moins en vase clos. Par exemple, le marché du carbone québécois n’a pas réussi à essaimer ailleurs dans la fédération canadienne. Il en va de même des mesures d’encouragement aux énergies renouvelables décentralisées du précédent gouvernement ontarien. Également, l’adoption d’une mesure de tarification du carbone par le gouvernement fédéral fait l’objet de la vive opposition de plusieurs grandes provinces.

    Ensuite, la faiblesse des mécanismes de coordination et l’absence de contrainte au sein de la fédération condamnent les gouvernements à une évanescente recherche du consensus. De même, leur mise en œuvre repose invariablement sur le bon vouloir de chacun – provinces comme État fédéral, et même, bien souvent, instances municipales.

    Le Cadre pancanadien sur la croissance propre et les changements climatiques représente ici un exemple éclairant. En effet, les engagements qui y sont pris se révèlent très peu contraignants et la décision d’y adhérer repose uniquement sur la volonté des différents gouvernements. La seule mesure contraignante qu’il comprend, une tarification du carbone à travers le pays, est d’ailleurs dénoncée aujourd’hui par la moitié des provinces canadiennes.

    Finalement, et malgré certains succès en matière de protection de la forêt boréale et de gestion de bassins versants transfrontaliers, la fragmentation de la gouvernance environnementale au Canada amène très souvent la paralysie complète de politiques et de grands projets au niveau pancanadien. Il en va ainsi de l’incapacité historique du Canada à appliquer des mesures en réponse aux changements climatiques à la hauteur des engagements qu’il prend au sein des instances internationales. La récurrente saga des projets d’oléoducs au pays, dont la réalisation apparaît hautement problématique, expose les divergences entre ses régions et au sein de la population canadienne comme autant de plaies béantes rendant la recherche de consensus difficilement envisageable.

    ***

    Ainsi, afin de rendre compte de ces réflexions, nous avons subdivisé l’ouvrage en deux parties inégales. La première partie, la plus importante, s’intitulant « La gouvernance à niveaux multiples et les modalités d’exercice des politiques environnementales » se veut une présentation de la structure, des acteurs et de leurs interrelations face à la gouvernance environnementale canadienne. En deuxième partie d’ouvrage – « L’exploration de problématiques environnementales récentes » –, nous nous concentrons plus particulièrement sur quatre enjeux pour exemplifier cette fragmentation et ces difficultés d’arrimage dans les politiques environnementales canadiennes.

    La gouvernance à niveaux multiples et les modalités d’exercice des politiques environnementales

    Les trois premiers chapitres jettent les bases d’une compréhension du problème. Le premier chapitre expose d’entrée de jeu tous les défis d’arrimage entre le gouvernement fédéral et ceux des provinces. À travers un survol de l’évolution des relations intergouvernementales canadiennes en environnement, notamment par la présentation de deux cas précis – la gestion du bassin versant des Grands Lacs et du Saint-Laurent ainsi que le Cadre pancanadien sur la croissance propre et les changements climatiques –, nous montrons qu’au Canada, « les mécanismes officiels de coordination apparaissent relativement faibles, et leur efficacité ne semble pas survivre aux tensions » politiques que génèrent des dossiers controversés comme ceux liés de près ou de loin aux changements climatiques. Au chapitre 2, Géraud de Lassus Saint-Geniès présente un portrait détaillé du droit environnemental applicable au sein de la fédération canadienne, en vertu de la Constitution et de l’évolution de la pratique. L’auteur montre ainsi qu’à travers « contestations judiciaires, duplication des normes, incohérence des approches, […] la gestion des problèmes d’environnement dans un système de gouvernance multiniveau comme celui du Canada peut être problématique sur le plan juridique ». Au chapitre 3, Stéphane Castonguay propose un pas de recul et s’attarde à l’histoire de l’environnement au Canada. On y constate, entre autres, que les difficultés d’arrimage et de coordination au Canada ne datent pas d’hier. Ainsi, les chevauchements de juridictions auront eu en partie raison de la Commission de la conservation du Canada,

    l’une des premières institutions destinées spécialement à la régulation et à la protection de l’environnement prise de manière large. […] Comme elle se trouve en porte à faux avec des gouvernements provinciaux et des ministères fédéraux jaloux de leurs prérogatives, la Commission lutte pour sa survie tout au long de ses treize années d’existence, jusqu’à sa dissolution en 1921 par le gouvernement conservateur d’Arthur Meighen.

    Les chapitres 4 et 5 (Annie Chaloux), quant à eux, s’intéressent aux dimensions internationales de la politique environnementale canadienne. Ils traitent respectivement de la politique étrangère canadienne dans une perspective fédérale et du rôle des provinces sur la scène internationale. Dans un cas comme dans l’autre, on constate que les dynamiques sont peu propices à une action internationale concertée et efficace. Ainsi, le gouvernement fédéral fait bien souvent souffler le chaud et le froid au plan international en matière de lutte aux changements climatiques, écartelé entre les intérêts contradictoires des différentes régions du pays. Cet écartèlement se manifeste historiquement par une adhésion à des objectifs environnementaux internationaux ambitieux, couplée à une incapacité à en imposer le respect à l’intérieur de la fédération. C’est ce qu’Annie Chaloux qualifie des « deux visages de Janus » de la politique environnementale canadienne sur la scène internationale. Par ailleurs, l’auteure montre au chapitre suivant que plusieurs provinces canadiennes ont développé des relations internationales autonomes au cours des 50 dernières années, promouvant et défendant ainsi leurs intérêts dans une foule de domaines liés à l’environnement. Dans plusieurs cas, comme celui du Québec, cette autonomie aura permis de grandes avancées en matière d’environnement, impossibles à concevoir dans une perspective fédérale contrainte à attendre l’apparition d’un large consensus sur ces questions.

    Les chapitres 6 et 7 se penchent sur les institutions de gouvernance environnementale au niveau fédéral (chap. 6) et sur le rôle particulier des villes canadiennes (chap. 7). Ainsi, Maya Jegen présente les institutions fédérales à travers le prisme de l’« État environnemental ». Elle montre la complexité des mécanismes de gouverne et le foisonnement des ministères, des organismes et des organes de coordination mis en place pour gérer les défis environnementaux, de même qu’une certaine forme de cycle entre coopération et conflits au sein même de cet État environnemental et les autres composantes de la fédération. Au chapitre 7, Sophie L. Van Neste, Guillaume Lessard et Hélène Madénian dressent une analyse de l’action des villes canadiennes dans la transition vers une société post-carbone. À travers certains domaines d’action en matière d’utilisation d’énergie dans les bâtiments, de mobilité et de production d’énergie, les auteurs montrent tout l’espoir projeté dans la capacité des villes – où sont localisées la majorité des émissions de gaz à effet de serre au pays – à devenir de véritables agents de changement dans la transition post-carbone. Ils exposent les difficultés rencontrées pour réussir à y parvenir, en raison notamment de deux « paradoxes » : 1) les villes ne disposent pas de tous les leviers d’action nécessaires afin d’assurer cette transition et 2) les solutions à mettre en place apparaissent contingentes et liées aux particularités de chacune d’entre elles. Une solution qui fonctionne pour l’une peut ne pas fonctionner pour l’autre.

    Enfin, les chapitres 8, 9 et 10 posent un regard plus large en s’intéressant aux acteurs non gouvernementaux dans les dynamiques environnementales. Dans le chapitre 8, Hugo Séguin, Catherine Gauthier et Karine Péloffy se penchent sur les nombreuses particularités des mouvements environnementaux canadiens, en s’attardant aux caractéristiques qui en font une nébuleuse souple et multiforme, qui a gagné en efficacité, et qui est capable de s’adapter aux enjeux variés et aux situations de plus en plus complexes et multiniveaux. Ils illustrent cette nébuleuse à travers l’étude des cas de la lutte aux pesticides, de la protection de la forêt boréale et de l’opposition à la construction de l’oléoduc Northern Gateway. Au chapitre 9, Marjolaine Martel-Morin et Erick Lachapelle s’intéressent à l’opinion publique canadienne sur la question des changements climatiques. Les auteurs notent que si une majorité de Canadiens reconnaît l’existence des changements climatiques, une partie non négligeable de la population demeure peu encline à s’engager dans la mise en œuvre de solutions pour réduire ses comportements polluants. Ils constatent également que l’enjeu est politisé, c’est-à-dire qu’il existe « une polarisation partisane importante au sein de l’opinion publique », ce qui complique l’adoption de politiques climatiques conséquentes. Finalement, pour clore cette partie, Louis Guay, dans le chapitre 10, propose une réflexion sur la place qu’occupe la science dans les décisions politiques par rapport aux questions environnementales. Ainsi, pour l’auteur, s’il « est habituel de penser les relations entre science et société de manière unidirectionnelle, des idées vers les pratiques, des connaissances vers l’application […], la voie inverse est aussi possible : de la société aux connaissances et aux sciences ». L’auteur montre ainsi que, dans de nombreux dossiers environnementaux, une pratique bidirectionnelle – où connaissances scientifiques et demandes sociales entretiennent un dialogue bien souvent fructueux – est possible.

    L’exploration de problématiques environnementales récentes

    En deuxième partie d’ouvrage, nous nous concentrons sur quatre enjeux particuliers qui révèlent de façon très concrète la fragmentation décisionnelle ainsi que les difficultés d’arrimage dans les politiques environnementales canadiennes. Le chapitre 11, sous la plume de Louise Gratton et de Mélanie Desrochers, aborde ainsi la question de la protection de la biodiversité au Canada, à travers les cas de la rainette faux-grillon et du caribou des bois. Face aux enjeux de plus en plus criants en matière de disparition rapide de la biodiversité au Canada comme ailleurs, les auteures posent finalement les questions essentielles auxquelles nos mécanismes décisionnels et gouvernementaux devront répondre au cours des prochaines décennies. Au chapitre 12, Pierre-Olivier Pineau explore les différentes politiques de tarification carbone au Canada et présente les grands défis pour leur mise en œuvre et leur fonctionnement. L’auteur note que malgré les mesures de tarification adoptées par certaines provinces au cours des années, les émissions canadiennes demeurent à la hausse. Sans une application plus large de la tarification du carbone à l’échelle canadienne et sans un prix conséquent communiqué de manière transparente aux consommateurs canadiens, ces politiques pourraient créer des remous et être vouées à l’échec. Le chapitre 13, écrit par Félix-Antoine Boudreault, propose quant à lui une analyse des enjeux liés au déploiement d’une économie verte au Canada. L’auteur montre la capacité du Canada à effectuer une transition vers une économie sobre en carbone, mais il note également la valse-hésitation des politiques publiques, qui semblent encore hésiter à appuyer une économie brune – axée sur les ressources naturelles et les hydrocarbures – et une économie verte qui fait la part belle aux nouvelles énergies et à l’innovation. Enfin, le dernier chapitre, signé par Karine Labrosse-Lapensée, illustre un aspect qui gagne en importance sur la scène politique environnementale canadienne, soit le droit en pleine évolution au Canada qui renforce les revendications autochtones sur les questions de gestion, d’exploitation et de transport des ressources naturelles à travers le pays, notamment celles qui sont liées à l’exploitation des sables bitumineux. L’auteure illustre cette nouvelle dynamique par l’exploration du cas des oléoducs Énergie Est et Trans Mountain, deux projets soumis à une forte opposition de la part de communautés et nations autochtones, ce qui lui permet de constater finalement l’« absence de véritable dialogue entre le Canada et les peuples autochtones […] ce qui soulève d’importantes inquiétudes quant à [leur] inclusion réelle dans les processus décisionnels des projets d’oléoducs canadiens et pose à nouveau la question de la place des peuples autochtones dans la protection de l’environnement ».

    Conclusion

    Ce premier tour d’horizon en français des questions environnementales au Canada laisse ainsi aux lecteurs, du moins nous l’espérons, une double image : celle d’un pays fragmenté, peinant à relever les défis environnementaux de notre siècle, et celle d’une société canadienne plurielle, tirant dans des directions souvent opposées. À ces images se juxtapose tout de même un espoir, celui d’imaginer un Canada qui aura trouvé de nouvelles façons d’aborder et de solutionner les problèmes environnementaux auxquels il fait face. Puisse cet ouvrage et les textes qu’il contient contribuer à cette réflexion essentielle.

    1 Si les auteurs de cet ouvrage peuvent partager cette conclusion ou non, leur vision de la dynamique canadienne apparaît très souvent critique, sinon carrément pessimiste.

    PARTIE 1 /

    LA GOUVERNANCE À NIVEAUX MULTIPLES ET LES MODALITÉS D’EXERCICE DES POLITIQUES ENVIRONNEMENTALES

    CHAPITRE 1 /

    L’environnement et les relations intergouvernementales

    Hugo Séguin et Annie Chaloux

    Plusieurs des chapitres de cet ouvrage illustrent le caractère fortement décentralisé de la gouvernance environnementale au sein de la fédération canadienne. Contrairement aux États unitaires dotés d’institutions centrales fortes, comme en France, où les décisions du gouvernement central touchent tous les champs d’intervention et sont directement applicables partout sur le territoire, la protection et la mise en valeur de l’environnement au Canada sont des préoccupations diffusées à travers les champs de compétence du gouvernement fédéral et des provinces. S’ensuivent des défis d’arrimage entre les différentes politiques publiques adoptées et mises en œuvre à travers le Canada.

    Gérer l’environnement dans une logique de collaboration intergouvernementale demeure donc un important défi. Dans ce chapitre, nous explorons ces relations, en présentant d’abord un bref historique des relations entre le gouvernement fédéral et les provinces dans le domaine de l’environnement. Nous décrivons par la suite deux institutions intergouvernementales – le Conseil canadien des ministres de l’environnement (CCME) et le Conseil de la fédération – qui ont été créées pour faciliter la coordination au sein de la fédération. Nous illustrons finalement les défis d’arrimage entre les gouvernements fédéral et provinciaux avec deux études de cas : la gouvernance de l’eau et les efforts de lutte aux changements climatiques.

    1 / La mise en place des relations intergouvernementales au Canada en environnement

    Le besoin de coordination entre les deux niveaux de gouvernement apparaît au moment où l’environnement émerge comme enjeu autonome, mais diffusé à travers de nombreux champs d’intervention du gouvernement fédéral et des provinces. Au tournant de la décennie 1970, alors que les préoccupations environnementales contemporaines prennent une place de plus en plus importante dans la gouvernance publique, les enjeux liés à la protection de l’eau et de l’air posent la question du niveau de gouvernement le plus à même de légiférer en ces matières. Des ministères de l’Environnement sont ainsi créés au palier fédéral et dans les provinces canadiennes pour répondre aux enjeux environnementaux qui émergent à ce moment.

    L’adoption d’importantes législations au fédéral, comme la Loi sur les ressources en eau du Canada (1970), la Loi sur la prévention de la pollution des eaux arctiques (1970), la Loi sur les contaminants de l’environnement (1975) ou encore la Loi sur l’immersion de déchets en mer (1975), n’a pas nuit aux relations intergouvernementales canadiennes. Simmons ajoute même que « le gouvernement fédéral canadien a cherché à soutenir les efforts des provinces, évitant l’utilisation d’incitatifs ou de menaces afin d’amener les provinces à être plus actives » (traduction libre, 2016, p. 137). Par la suite, le fédéral est demeuré en retrait, laissant aux provinces un rôle prééminent dans la gestion de l’environnement.

    Ainsi, malgré la nature intermestique¹ et complexe de plusieurs enjeux environnementaux qui touchaient alors les Canadiens et qui pouvait laisser présager le développement d’une coopération et d’une coordination entre les différentes autorités en jeu, la collaboration intergouvernementale est néanmoins demeurée assez faible au pays pendant les années 1970 et 1980. Certes, la création du Conseil canadien des ministres des ressources en 1961, qui s’est transformé en Conseil canadien des ministres des ressources et de l’environnement en 1972, pour finalement devenir le CCME en 1989, a permis d’initier cette collaboration entre les ministres responsables des questions environnementales. Toutefois, elle ne s’est pas traduite par la création d’instances administratives et formelles qui auraient renforcé ces relations intergouvernementales. Elles ont ainsi davantage évolué en fonction des relations parfois harmonieuses parfois tendues entre les provinces et le fédéral, et des personnalités des élus, les résultats demeurant soumis à la bonne volonté des participants.

    2 / La période récente : l’état des lieux

    Dans ce contexte de coordination intergouvernementale faible, on note, au cours de la période récente (soit entre 2006 et 2019, ce qui coïncide avec l’arrivée au pouvoir à Ottawa d’un gouvernement conservateur [2006-2015] et la fin d’un premier mandat libéral [2015-2019]), trois cas types de relations entre le gouvernement fédéral et les provinces en matière d’environnement : la conclusion d’accords d’équivalence, le conflit ouvert entre le fédéral et une ou des provinces ainsi que la recherche d’harmonisation au sein d’institutions ou d’initiatives de coordination ad hoc.

    2.1 / Les accords d’équivalence

    Un premier cas type de relations entre le fédéral et les provinces concerne les accords d’équivalence. De manière pragmatique, les gouvernements fédéral et provinciaux peuvent adopter des accords qui reconnaissent que certaines mesures provinciales de protection de l’environnement sont équivalentes aux exigences de la législation fédérale. C’est le cas dans de nombreux domaines, comme le contrôle des rejets dans l’air et dans l’eau. L’Accord d’équivalence Canada-Québec en matière de traitement des eaux usées (2015) et l’Accord Canada-Nouvelle-Écosse en matière d’émission de gaz à effet de serre à partir de centrales au charbon (2015) en sont de bons exemples. C’est l’article 10 de la Loi canadienne sur la protection de l’environnement qui autorise le ministre de l’Environnement du Canada à conclure un tel accord d’équivalence avec une province, un territoire ou un gouvernement autochtone.

    2.2 / Les conflits ouverts

    Par contre, les relations entre les deux paliers de gouvernement peuvent également être plus acrimonieuses et mener à des conflits ouverts. C’est le cas de six provinces canadiennes – Saskatchewan, Manitoba, Nouveau-Brunswick, Ontario, Alberta et Québec – qui ont décidé de contester la décision du gouvernement fédéral (2017) d’imposer une tarification des émissions de carbone aux provinces où une mesure équivalente n’existe pas. Selon ces provinces, cette réglementation fédérale serait inconstitutionnelle et constituerait plutôt une taxe déguisée qui, elle aussi, s’avérerait inconstitutionnelle. Si la Cour d’appel de la Saskatchewan a tranché en faveur du gouvernement fédéral dans ce dossier en mai 2018, la province n’a pas tardé à annoncer son souhait de porter la cause en Cour suprême. La décision qu’aura donc à prendre la Cour suprême du Canada dans ce recours risque d’influencer le droit environnemental canadien pour des années à venir en balisant, dans un sens ou un autre, le pouvoir d’intervention des différents niveaux de gouvernement en matière de réglementation des émissions de gaz à effet de serre (GES).

    2.3 / Des mécanismes de coordination

    La recherche d’harmonisation au sein d’institutions ou d’initiatives de coordination ad hoc constitue le troisième type de relations observées au sein de la fédération canadienne. Deux institutions importantes ont d’ailleurs permis d’assurer une meilleure coordination entre les provinces et le gouvernement fédéral, soit le CCME et le Conseil de la fédération. Le travail de ce dernier, bien que ne se limitant pas aux seuls enjeux environnementaux, a néanmoins servi de plateforme de collaboration entre les provinces, notamment en matière de lutte aux changements climatiques.

    2.3.1 / Le Conseil canadien des ministres de l’environnement

    Le CCME est l’instance intergouvernementale de concertation entre le gouvernement fédéral, les provinces et les territoires. Il se réunit généralement chaque année afin de discuter, d’analyser, de débattre et d’approuver des initiatives pancanadiennes de protection ou de promotion de l’environnement. Des groupes de travail formés de spécialistes de chacun des gouvernements se penchent sur l’un ou l’autre des dossiers prioritaires du CCME, à savoir : la gestion de l’air, les changements climatiques, les effets cumulés, les lieux contaminés, les urgences environnementales, les matières résiduelles et la gestion de l’eau. Le travail du CCME est épaulé par un secrétariat permanent, situé à Winnipeg, qui est composé d’une dizaine de personnes.

    Dans la foulée de l’adoption de l’Accord pancanadien sur l’harmonisation environnementale en janvier 1998, les ministères fédéral, provinciaux et territoriaux de l’Environnement ont adopté de nombreuses initiatives, stratégies et normes qui visent à harmoniser l’action du CCME sur le territoire. Notons ainsi des ententes en matière d’évaluation environnementale (1998), de gestion de la qualité de l’air (2012), des émissions de mercure générées par les centrales électriques au charbon (2006) et des émissions d’oxyde de soufre (2016), de gestion des biosolides (2012) et d’élimination des déchets de plastique (2018).

    De son côté, afin de protéger et de réitérer sa pleine capacité d’agir de manière autonome en matière de réglementation environnementale, le Québec n’est pas signataire de l’Accord pancanadien sur l’harmonisation environnementale ni de l’Entente auxiliaire pancanadienne sur l’établissement de standards environnementaux. Pour ces mêmes raisons, le Québec n’a pas souhaité se déclarer lié à de nombreuses ententes issues des travaux du CCME. Il s’est ainsi dissocié à plusieurs reprises du système pancanadien de gestion de la qualité de l’air (2012, 2016, 2017) et n’a pas adopté les mesures sur le traitement des matières résiduelles (2014), arguant que la réglementation et la législation québécoises traitaient déjà de ces objets de manière adéquate. Bien que cela ne l’empêche pas de participer à l’échange d’information ou à la communication de meilleures pratiques environnementales avec ses homologues des autres gouvernements, le Québec est la seule province canadienne à se dissocier régulièrement des travaux du CCME pouvant présenter des contraintes à sa capacité d’agir de manière autonome dans le domaine de l’environnement. Cette position de principe a été adoptée par tous les gouvernements du Québec depuis au moins 2006, toutes couleurs politiques confondues.

    2.3.2 / Le Conseil de la fédération

    Créé en 2003 à l’initiative du Québec, le Conseil de la fédération réunit au moins une fois par année les premiers ministres des provinces et des territoires afin de renforcer leur coopération sur des enjeux d’intérêt commun. Le gouvernement fédéral ne fait pas partie du Conseil, puisque les discussions qui y sont tenues portent sur les enjeux de compétence provinciale et territoriale. Ses travaux sont soutenus par un secrétariat permanent situé à Ottawa. Le contenu de ces rencontres est établi en fonction des dossiers d’importance pour les premiers ministres sur lesquels ils souhaitent discuter, développer une position commune ou encore établir une collaboration plus soutenue dans le temps. Deux dossiers environnementaux ont régulièrement été inscrits à l’ordre du jour des rencontres, soit celui de l’eau et celui des changements climatiques², bien que ce dernier ait été largement subordonné aux discussions portant sur l’adoption d’une vision commune en matière de développement énergétique au Canada.

    En 2010, les premiers ministres adoptent une Charte de l’eau qui vise entre autres à « réduire la consommation d’eau, accroître l’efficacité de son utilisation et en protéger la qualité » (Conseil de la fédération, 2010). Ils mettent également sur pied un Conseil de gestion de l’eau (2011-2014), composé de hauts fonctionnaires issus des fonctions publiques de chaque province et territoire avec la participation d’un Comité consultatif composé d’experts de la société civile. Les travaux du Conseil, dont la portée a tout de même été modeste, s’échelonneront de 2010 à 2014.

    Le Conseil de la fédération a également abordé la question des changements climatiques, mais, curieusement, dans le cadre de l’adoption d’une Stratégie canadienne de l’énergie (SCE). Saisi en particulier par l’Alberta et la Saskatchewan, qui souhaitaient faciliter le développement d’oléoducs et de gazoducs à travers le pays³, le Conseil de la fédération a entamé des travaux dans le but d’élaborer une vision commune sur le développement énergétique au Canada pour les prochaines décennies. À la demande du Québec, de l’Ontario et de la Colombie-Britannique, les changements climatiques ont été inscrits comme composantes majeures de la future Stratégie. En définitive, le Conseil aura été incapable d’adopter une position cohérente entre les engagements de réduction des émissions de GES et l’exploitation pétrolière et gazière. Il accouchera ainsi d’un texte donnant raison à tout le monde : oui au développement de nouvelles infrastructures de transport d’hydrocarbures ; oui à la transition vers les énergies sobres en carbone, mais sans objectifs concrets ni obligations de résultat (Conseil de la fédération, 2015b).

    À la veille de la Conférence de Paris sur le climat, en novembre 2015, le gouvernement du Québec du libéral Philippe Couillard convoque en avril une rencontre spéciale des premiers ministres des provinces et des territoires. La Déclaration de Québec qui en résulte engage les signataires à mettre en place des mesures conséquentes de réduction des émissions de GES et de transition vers une économie sobre en carbone (Québec, 2015). L’action des provinces et des territoires, réitérée en juillet 2015, est alors perçue comme un contrepoids à la position minimaliste du gouvernement fédéral du conservateur Stephen Harper, à la veille de la Conférence de Paris (Conseil de la fédération, 2015b).

    3 / Les défis d’arrimage des relations intergouvernementales : les cas de l’eau et des changements climatiques

    Bien que l’on constate une assez faible institutionnalisation des relations intergouvernementales canadiennes et que les défis d’arrimage apparaissent multiples, deux cas illustrent tout de même des tentatives de coordination entre les différents niveaux de gouvernement sur des questions environnementales d’importance. Il s’agit de l’Entente sur les ressources en eaux durables du bassin des Grands Lacs et du fleuve Saint-Laurent, et du Cadre pancanadien sur la croissance propre et les changements climatiques (ci-après, le « Cadre pancanadien »).

    3.1 / Cas 1 : L’Entente sur les ressources en eaux durables du bassin des Grands Lacs et du fleuve Saint-Laurent

    L’Entente sur les ressources en eaux durables du bassin des Grands Lacs et du fleuve Saint-Laurent constitue un cas très particulier de coopération et de

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