Les québécois et l'anglais : Le retour du mouton
Par Christian Dufour
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Aperçu du livre
Les québécois et l'anglais - Christian Dufour
Catalogage avant publication de Bibliothèque et
Archives nationales du Québec et Bibliothèque et Archives Canada
Dufour, Christian, 1949-
Les Québécois et l’anglais : le retour du mouton
ISBN 978-2-89585-383-1
1. Français (Langue) - Aspect politique - Québec (Province). 2. Anglais (Langue) - Aspect politique - Québec (Province). 3. Insécurité linguistique - Québec (Province). 4. Bilinguisme - Québec (Province). I. Titre.
P119.32.C3D83 2008 306.4409714 C2008-941923-5
© 2008 Les Éditeurs réunis (LÉR).
Les Éditeurs réunis bénéficient du soutien financier de la SODEC
et du Programme de crédit d’impôt du gouvernement du Québec.
Nous remercions le Conseil des Arts du Canada
de l’aide accordée à notre programme de publication.
Édition :
LES ÉDITEURS RÉUNIS
www.lesediteursreunis.com
Distribution :
PROLOGUE
www.prologue.ca
Imprimé au Québec (Canada)
Dépôt légal : 2008
Bibliothèque et Archives nationales du Québec
Bibliothèque nationale du Canada
Titreanglais.jpgAu Québec que j’aime.
Préface
Christian Dufour annonce dans cet essai le retour du mouton. S’il le dit, il faut le croire. Il a beaucoup observé les moutons. Pourtant, il n’en est pas un, même pas un noir. Ni mouton universitaire, ni médiatique, ni politique. Christian Dufour n’aime pas bêler en chœur.
Je le fréquente professionnellement – à la radio, à Indicatif Présent où il a été un des piliers du groupe de discussion politique Vindicatif Présent, et à la télévision, à Bazzo.tv et à Il va y avoir du sport – et personnellement depuis assez longtemps pour savoir cependant que c’est une sacrée drôle de bête. Obstiné mais blagueur, travailleur mais capable de gambader dans les chemins de travers, creusant de profonds sillons, mais gardant le sabot léger. De quel animal parlons-nous ici ?
Christian Dufour est peut-être un élégant mouflon, du genre à s’aventurer sur les futurs escarpés de la pensée politique, à débusquer au détour d’un passage non cartographié l’aspect le plus inattendu d’une problématique.
Par moments, Dufour aurait plutôt des allures de vaillant percheron. Au fil de ses recherches, dans ses essais, ses articles, ses interventions, il balise un chemin familier. Le fil conducteur de ses travaux est la question identitaire. En comparant les identités nationales ici et ailleurs, en fouillant le passé et l’histoire pour mieux éclairer le présent, en écoutant aussi ses intuitions, il a développé une pensée originale sur ce thème.
Il ne craint pas de s’impliquer, de parler de sa vie, de nourrir sa pensée de ses observations et de ses expériences.
Avec persistance, il attire notre attention, y compris d’ailleurs dans cet essai, sur cette inavouable tentative autodestructrice de l’identité québécoise.
Christian Dufour aurait donc peut-être des accointances avec le sanglier du maquis corse, profondément attaché à sa terre. Il est terrien, connecté, groundé. Il ne s’est jamais coupé de son Saguenay d’origine ; ses racines sont profondes. Ses préoccupations et ses intérêts personnels alimentent sa démarche intellectuelle. Plusieurs s’étonnent, certains même se méfient. Quoi ? Un universitaire qui tripe sur Céline Dion ? Un intellectuel qui aime sincèrement la culture populaire, qui s’intéresse aux icônes canadiennes-françaises, aux héros nationaux ?
C’est que le Christian sauvage aime son territoire, des pâturages foisonnants aux montagnes abruptes. Il l’arpente, la tête dans la théorie et le débat, certes, mais les sabots bien enfoncés dans la matière, et la truffe humant toujours la rumeur politique.
Comme bête des médias, Christian Dufour serait résolument du type cabri. À l’aise aussi bien à TQS qu’à Radio-Canada, prêt à débattre comme à vulgariser. Il aime surtout gambader librement, s’attarder à une question, la flairer, en faire le tour même si elle n’est pas dans l’air médiatique du temps. Il ne craint pas la légèreté, les cabrioles, ce qui lui donne cette élégance de l’esprit.
Politiquement, il se tient loin des troupeaux. On raconte qu’un louveteau aux dents longues lui aurait présenté un jour un lambeau de vieille idéologie déguisée en idée neuve. Mais notre animal s’est vite rappelé qu’il est du genre solitaire et qu’il n’aime pas penser en meute. Il se tient donc à l’orée de la clairière, là où la vue est la meilleure, pour bien évaluer les rapports de force et pour avoir une vue d’ensemble sur les déplacements de hordes politiques.
Avec cet essai, Les Québécois et l’anglais, Christian Dufour noue ensemble les thèmes identitaires qui lui sont chers et nous sert une passionnante mise en garde. Le mouton est de retour, le troupeau se reconstitue, constate-t-il. Inquiétante nouvelle.
Mais l’abattoir n’est pas inéluctable, et il nous livre quelques pistes, des sentiers à emprunter pour échapper à un destin possible. C’est sûr qu’il faudra reprendre nos bâtons de marche, il y aura quelques ampoules et entorses, mais la vue promet d’être belle.
Et si, finalement, Christian Dufour était quelque chose comme le dévoué et efficace bâtard qui protège le troupeau et qui, discrètement, le mène vers la prairie ? Ni le mouton ni le berger : l’entremetteur nécessaire…
Marie-France Bazzo
Introduction
Ce livre est un signal d’alarme, ce livre est un coup de poing. Il traite du rapport que les Québécois ont entretenu, qu’ils entretiennent et, surtout, qu’ils entretiendront dans l’avenir avec un anglais dont tout indique qu’il est appelé à prendre plus de place ici. Cet essai tire son origine également d’une vieille préoccupation personnelle, plus d’actualité que jamais, à l’égard de comportements individuels en matière linguistique que chacun peut observer autour de lui. L’existence de ces comportements apparaît confirmée par certaines études, entre autres chez les jeunes Québécois. Contrairement à ce que l’on croit souvent et à ce que l’on dit toujours, j’ai la conviction que ce seront des francophones, y compris des souverainistes, qui feront vraisemblablement de plus en plus problème dans le dossier du rapport avec l’anglais. Plus que les Anglo-Québécois ; plus que les Québécois issus de l’immigration. Au plan politique et identitaire, tout indique par ailleurs que, dans l’avenir qui s’annonce, l’enjeu de la claire prédominance du français dans toute une série de secteurs deviendra aussi important que la lutte entre les fédéralistes et les souverainistes.
Par rapport à un passé que n’ont pas connu les jeunes générations – on pense à la période antérieure à 1960 –, la relation des Anglo-Québécois de même que celle des Québécois issus de l’immigration avec la langue française a beaucoup changé, et pour le mieux. Les Anglo-Québécois, qui s’étaient sentis longtemps avant tout British puis Canadian, ont vu leur identité se québéciser de façon non négligeable dans la foulée de la Révolution tranquille : leur niveau de bilinguisme est devenu plus important que celui des francophones. On s’est éloigné de cette mentalité coloniale arrogante que l’ancien premier ministre René Lévesque avait comparée, dans les années 1960, à celle des Blancs racistes de l’ancienne Rhodésie-du-Sud : Westmount et la « maudite vendeuse unilingue anglaise » du défunt Morgan’s devenu La Baie furent longtemps les symboles de cette mentalité.
Par ailleurs, l’un des principaux succès de la Révolution tranquille fut de changer substantiellement la nature et l’impact d’une immigration dont on avait autrefois l’impression qu’elle ne pouvait jouer qu’au détriment des francophones. Dans les années 1960, une crise linguistique très médiatisée avait touché profondément la majorité francophone et radicalisé son nationalisme. Des Québécois d’origine italienne, de plus en plus nombreux dans une petite communauté du nord-est de l’île de Montréal jusque-là francophone, Saint-Léonard-de-Port-Maurice, invoquaient le fait que l’on vivait dans un pays bilingue pour réclamer des écoles publiques en anglais pour leurs enfants. Cela semblait être l’annonce de l’anglicisation inéluctable de cette communauté mais aussi, par extension, de celle du Québec tout entier, où le taux de natalité exceptionnellement élevé des Canadiens français d’antan était en train de s’effondrer.
Pour ceux qui se rappellent cette période, c’est tout un changement aujourd’hui que de constater que la plus grande partie des immigrants qui s’installent au Québec connaissent maintenant le français à leur arrivée ou sont susceptibles de l’apprendre, qu’ils sont « francophonisables » pour employer le jargon convenu. Par ailleurs, l’école publique en français est obligatoire depuis trente ans pour les enfants d’immigrants non canadiens, de même que pour ceux des francophones de souche. Les immigrants ont plus tendance qu’autrefois à se joindre à la majorité francophone : le recensement de 2006 a révélé que les transferts linguistiques de ceux qui sont arrivés depuis 1996 se font aux trois quarts en faveur du français. C’est l’inverse pour les immigrants arrivés avant 1961, qui optent à 76 % pour l’anglais. Dans une époque friande de résultats faciles et immédiats, rappelons que ces changements n’allaient pas de soi et qu’ils ne se sont pas opérés tout seuls : au contraire, ce renversement de situation est le fruit des efforts des nombreux Québécois qui ont œuvré patiemment et intelligemment dans les secteurs de la langue et de l’immigration depuis une quarantaine d’années.
Cela n’a pas empêché un feu jaune de s’allumer en matière linguistique à la suite de la publication de données du recensement de 2006. Ce dernier a montré un affaiblissement du français, pour l’heure mineur mais néanmoins troublant, tout particulièrement sur l’île de Montréal. On peut douter que le renforcement des lois et règlements linguistiques immédiatement exigé par plusieurs nationalistes soit capable à lui seul de renverser une tendance qui devrait s’accentuer si les francophones ne modifient pas individuellement certains de leurs comportements avec les nouveaux arrivants. Cependant, le travail de recherche que j’ai effectué pour ce livre m’a amené à changer d’avis sur un point important : on ne saurait par principe se limiter aux seules mesures incitatives pour promouvoir un français qui apparaît, en 2008, dans une situation plus fragile que la majorité des francophones ne le croient.
C’est en appeler à une sorte de révolution mentale que de prétendre convaincre que le danger – on verra de quel danger il s’agit – a toutes les chances dans le futur de venir autant des francophones de souche eux-mêmes que des Anglo-Québécois ou des nouveaux arrivés. En effet, une partie des francophones semblent tentés d’abdiquer l’essentiel sous couvert d’ouverture au monde, de tolérance et de soi-disant réalisme. La perspective d’un Québec souverain dans un avenir prévisible semblant s’estomper, une fatigue identitaire joue chez certains, qui ne croient plus autant en l’avenir d’une société moderne en français pour leurs enfants, qu’ils veulent parfaitement bilingues. On en vient à valoriser à ce point le bilinguisme et l’anglais qu’on ne se préoccupe plus vraiment de la prédominance