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Les grands projets urbains: Territoires, acteurs et stratégies
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Livre électronique628 pages7 heures

Les grands projets urbains: Territoires, acteurs et stratégies

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À propos de ce livre électronique

Qu’est-ce qu’un grand projet urbain ? Quelles sont ses conditions d’implantation et ses répercussions sur la ville ? Comment en mesurer les retombées économiques, ou comprendre les relations complexes qui s’établissent entre les entrepreneurs immobiliers et les collectivités qui les accueillent ?

Avec plusieurs exemples de grands projets immobiliers et patrimoniaux à Montréal et dans le monde – et à travers un large spectre disciplinaire incluant l’architecture et l’urbanisme, bien sûr, mais aussi la géographie, l’histoire, la politique et l’économie –, cet ouvrage aborde trois grands thèmes : les acteurs, leur discours et leurs représentations ; le design et l’attractivité ; le développement urbain.
LangueFrançais
Date de sortie1 févr. 2014
ISBN9782760633230
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    Aperçu du livre

    Les grands projets urbains - Michel Max Raynaud

    Chapitre 1

    L’acceptabilité sociale des grands projets

    urbains est-elle prévisible?

    Une réflexion à partir

    de quatre cas montréalais

    Michel Gariépy

    Si certains grands projets urbains passent comme lettre à la poste, d’autres suscitent une forte opposition, au point où la mise en débat public de projets d’aménagement paraît maintenant suspecte aux yeux de certains acteurs importants qui la rangent d’emblée à l’enseigne de l’«immobilisme». En prenant appui sur une étude comparative portant sur quatre grands projets montréalais lancés au cours des dernières années, nous cherchons à dépasser cette réaction et nous posons l’hypothèse que la façon selon laquelle sont planifiés les grands projets urbains, de même que la façon dont se constitue la configuration des acteurs – des «parties prenantes», pour utiliser un jargon à la mode –, ne sont pas étrangères à l’acceptabilité sociale qui en résulte.

    Trois variables, nature, territoire, processus, sont croisées pour établir des critères et conditions selon lesquels on pourrait présumer de l’acceptabilité sociale d’une intervention projetée et dégager une typologie de ces interventions. Une telle typologie, par l’identification des stratégies en cause, trouverait son utilité dans la maximisation des effets structurants d’un projet.

    Au-delà de la stigmatisation

    réductionniste

    Au Québec, aura marqué la dernière décennie la stigmatisation faite par certaines élites économico-politiques d’un courant social qui se caractériserait par le refus du changement, un courant social que ces «lucides» ont qualifié «d’immobilisme¹». Le débat public associé aux grands projets d’aménagement se retrouvait au cœur de cette stigmatisation: il permettrait l’émergence d’une «levée de boucliers, [d’]une fin de non-recevoir» à l’encontre du «moindre projet audacieux». En fait, plutôt que des actions de faible envergure, ce sont deux très grands projets, celui de la centrale thermique de production électrique du Suroît, puis celui du complexe montréalais Casino-Cirque du Soleil qui ont suscité un vif débat, débat qui a été suivi de leur mise au rancart.

    De multiples arguments peuvent être avancés pour faire ressortir le caractère parfois spécieux et idéologique de la charge des «lucides» à l’encontre du débat public. Tout d’abord, de solides raisons permettent de croire que c’est la faisabilité économique même des projets, plutôt que le débat public, qui a entraîné leur mise au rancart². De plus, à supposer que le débat public ait été la cause directe de l’abandon de ces deux projets, la position des «lucides» faisait l’impasse sur le fait que la très grande majorité des interventions assujetties à une forme quelconque de débat public au Québec depuis son institutionnalisation dans le processus d’autorisation des grands projets, au tournant des années quatre-vingt, ont effectivement été autorisées. Cette position – dont il est permis de se demander si elle n’est pas le reflet de la nostalgie d’un temps où la décision de réaliser un projet était sinon le fait du prince, relevait du moins d’une régulation minimaliste par la puissance publique – véhicule une conception réductionniste du développement aux seuls effets multiplicateurs de tout projet sur l’économie³. Mais elle véhicule surtout une conception passéiste de la sphère de l’action publique ignorant que «l’impératif délibératif» fait maintenant partie de cette sphère (Blondiaux et Sintomer 2002), que l’intérêt général ne constitue plus une donnée transcendante que les pouvoirs publics ne feraient qu’appliquer mais un «construit social» émanant précisément de la confrontation de différents points de vue (Lascoumes et Le Bourhis 1998). Enfin, posture inquiétante quand elle émane d’élites politico-économiques, cette position faisait aussi l’impasse sur les débats autrement féroces qui entourent la réalisation des grands projets dans d’autres pays, comme s’il n’y avait qu’au Québec où la société civile donnait son avis sur la justification et les impacts appréhendés des projets: qu’on pense, par exemple, aux débats qui se sont échelonnés sur plusieurs années sur les nouveaux corridors de TGV en France (Beaucire 2009) ou à la démolition imposée de barrages hydro-électriques suite au processus de relicensing aux États-Unis (Valin 2006). Les mêmes «lucides» ont curieusement été silencieux quand des projets du Cirque du Soleil incorporés à des équipements récréotouristiques d’envergure ont été abandonnés, à Miami en 2006, puis à New York en 2008, chaque fois, en réaction à une forte controverse locale.

    Mais même si le débat public est, depuis, lui-même resté en débat, nous laisserons aux politologues le soin d’analyser plus à fond la position des «lucides» et de situer ce mouvement dans la dynamique sociopolitique d’ensemble du Québec. Notre intention est de nous centrer sur l’élaboration et la production des grands projets urbains, soit d’une nouvelle construction, d’un nouvel équipement ou d’une infrastructure qu’il s’agit d’intégrer dans un milieu qui devient leur territoire, et de nous interroger sur l’acceptabilité sociale de ces interventions: quelles sont les composantes qui peuvent être associées à cette notion, et surtout, est-il possible de les traduire en principes ou prescriptions pouvant guider les maîtres d’ouvrage dans l’élaboration de leurs interventions pour que justement il y ait acceptabilité sociale? À cette fin, nous faisons appel à quatre exemples de grands projets d’aménagement dont la réalisation a été discutée en contexte montréalais au cours des dernières années: ils sont présentés brièvement dans la section suivante. Par après, nous effectuons un retour sur la notion d’acceptabilité sociale et nous tentons de dégager les variables en cause. Ces variables sont ensuite illustrées à partir des cas. En conclusion, nous nous interrogeons sur la possibilité pour un maître d’ouvrage de prédire, mieux de fabriquer l’acceptabilité sociale d’une intervention qu’il projette.

    Les grands projets urbains mobilisés

    Que faut-il entendre par grand projet urbain? Il s’agit là, pour paraphraser nombre d’auteurs, d’une notion floue. Quatre aspects interviennent dans notre définition de ce qu’est un tel projet urbain, outre le fait qu’il prenne place en milieu urbain montréalais, et ont servi de critères pour la sélection des interventions analysées. Tout d’abord, cette notion de projet et de «grand» projet a donné lieu en France à une littérature pléthorique, mais surtout s’est traduite par une inscription dans le cadre juridique et institutionnel de ce pays. De cette problématique essentiellement française, nous avons retenu deux aspects, à cause de leur pertinence pour le contexte québécois. Premier aspect, la notion témoigne du rejet du processus de planification technocratique et linéaire, du rejet de la pensée sectorielle qui régit trop souvent la planification des réseaux: le projet ne tire pas sa cohérence de l’application linéaire de normes et critères, mais s’adapte à un contexte et à ses aléas dans l’action (Ingallina 2001). C’est aussi dans l’action que se définissent les acteurs du projet, ceux qui concourent d’une façon ou d’une autre à sa réalisation: aussi, retenons-nous, comme deuxième aspect ou critère, qu’un grand projet implique la mise en œuvre de ce que Pinson (2004: 201) appelait la «rationalité interactionniste».

    Dans les grands projets, l’envergure des interventions est nécessairement en cause. Elle pourrait n’être définie qu’en fonction de seuils dans les coûts impliqués: c’est l’approche qu’avait privilégiée le gouvernement du Québec pour déterminer quand recourir aux partenariats public-privé, avant que la crise financière des dernières années ne ramène les pendules à l’heure⁴. Par ailleurs, les exigences pour la conclusion de tels partenariats, en particulier, la précision du programme pour l’intervention et la confidentialité des tractations, nous semblaient incompatibles avec l’ouverture et l’adaptation dans l’action inhérente aux deux premiers aspects que nous avons mentionnés. Plutôt, par grands projets, nous avons voulu retenir des actions entrant en résonance avec plusieurs échelles de territoire dont tout particulièrement l’échelle métropolitaine, notre troisième critère de définition. Enfin, dernier aspect et critère, nous avons choisi des projets ayant suscité une controverse dans l’opinion publique, telle qu’elle pouvait se refléter dans les médias.

    Les projets montréalais suivants répondaient à ces critères et ont été retenus pour notre analyse:

    Le projet de Complexe de divertissement Loto-Québec-Cirque du Soleil. Initié par la société d’État Loto-Québec, le projet du déménagement du Casino de Montréal est devenu, en association avec la firme Le Cirque du Soleil, celui d’un vaste complexe récréotouristique, qui devait prendre place au bassin Peel, à côté du canal de Lachine, dans l’arrondissement le Sud-Ouest de Montréal. Annoncé à l’automne de 2005, le projet sera mis au rancart quelques mois plus tard, au printemps de 2006.

    Le projet Griffintown est celui d’un vaste développement immobilier multifonctionnel qui doit prendre place également dans l’arrondissement Sud-Ouest. Initié par un promoteur privé, Devimco, en partenariat avec des institutions financières et des sociétés d’affaires, il prévoit des investissements de 1,3 milliard $ pour la construction de surfaces commerciales (100 000 m²), d’environ 4000 logements, des espaces à bureaux et des équipements récréotouristiques, dont une salle de spectacles. Le projet a fait l’objet d’un programme particulier d’urbanisme (PPU) en 2008, aux fins d’approbation des modifications nécessaires au plan d’urbanisme par l’arrondissement et la ville. Sa mise en œuvre, qui aurait dû démarrer dans les mois suivants le débat public sur le PPU, a été reportée depuis la crise financière mondiale qui s’est déclenchée cette même année et son envergure réduite à 300 millions $.

    Le Quartier international de Montréal (QIM) est un projet d’aménagement du territoire à l’est de la rue University, à la jonction du Vieux-Montréal et du quartier des affaires, ciblé comme son nom l’indique sur l’affirmation de la vocation internationale de Montréal. Ses com­posantes principales consistaient en l’aménagement de l’espace urbain, avec en particulier la création de deux places publiques, la nouvelle Place Jean-Paul Riopelle et la Place Victoria, entourant le bâtiment abritant le siège social de la Caisse de dépôt et placement du Québec. Il a été inauguré en 2004.

    Le dernier projet est celui de l’autoroute Notre-Dame, officiellement qualifié de modernisation mais constituant, dans les faits, une transformation de la rue Notre-Dame en autoroute sur une distance de 8,7 km, dans l’est de Montréal. Évalué à 263 millions $ en 2001, il était au départ un exemple d’un projet sectoriel, source de coupures dans le tissu urbain, et fortement décrié: il a été retenu pour montrer comment l’approche sectorielle est maintenant battue en brèche en faveur de la transformation d’un projet d’infrastructure en projet urbain.

    L’acceptabilité sociale

    et les variables en cause

    Dans les ouvrages qui traitent de l’acceptabilité sociale, cette notion est rarement définie: elle est présentée comme une évidence, comme allant de soi. Or c’est plutôt l’inverse. Il s’avère plus facile de dire ce qu’elle n’est pas, quand elle n’est pas au rendez-vous: quand des controverses émergent du débat sur un projet, c’est alors qu’on parle de son absence. Par exemple, dès 1987, le rapport du Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE) relativement à un controversé projet de ligne à haute tension, parlait d’un coût élevé pour l’harmonie sociale, si le projet se réalisait dans la forme initialement prévue (Bureau d’audiences publiques sur l’environnement 1987: 10.14). Caron-Malenfant et Conraud (2009: 14) comptent parmi les rares à avoir proposé une définition de l’acceptabilité sociale: «Le résultat d’un processus par lequel les parties concernées construisent ensemble les conditions à mettre en place, pour qu’un projet, programme ou politique s’intègre harmonieusement, et à un moment donné, dans son milieu naturel et humain.» Cette définition, malgré qu’elle soit correcte, est prématurée pour notre propos, parce que, trop normative; elle gomme les dimensions sur lesquelles nous souhaitons nous interroger.

    La question de l’acceptabilité sociale s’insère dans la problématique de l’intégration, autre problématique à laquelle la fréquente référence qui lui est faite n’a d’égal que le flou qui l’entoure. Or, à la base, il s’agit de mettre en relation deux objets, d’intégrer deux éléments. Sont donc en cause la nature et les attributs des deux éléments à intégrer, l’état initial de chacun puis la situation résultant de leur intégration, mais aussi les modalités selon lesquelles cette intégration s’opère. Trois variables sont donc concernées et fournissent une trame d’interrogation pour comprendre comment un promoteur ou un maître d’ouvrage peut prendre en charge l’acceptabilité sociale⁵: le projet, le milieu d’accueil, puis la façon dont l’intégration est menée, chacune de ces variables étant définie à son tour par plusieurs paramètres, dimensions ou caractéristiques (Figure 1.1). Si ces variables peuvent apparaître comme des évidences, il importe précisément de dépasser ce niveau d’évidence pour analyser et bien saisir les caractéristiques inhérentes à chacune d’elle.

    Le projet, c’est l’élément perturbateur du milieu d’accueil. L’inter­vention projetée va déjà régir ou, à tout le moins, baliser le processus d’intégration en fonction des paramètres qui la caractérisent. Parmi ceux-ci, deux paramètres nous semblent particulièrement déterminants pour la qualité de l’intégration qui va résulter.

    Un premier paramètre concerne la nature même du projet ou la logique fonctionnelle à laquelle il répond: les fonctions qu’il implique et la marge de manœuvre que dictent celles-ci quant à son intégration. Cette logique peut être soit sectorielle, ou monofonctionnelle, soit multifonctionnelle. Au sein des projets répondant à une logique monofonctionnelle, il est possible de distinguer le projet d’infrastructure du projet d’équipement. D’un côté, le projet d’infrastructure est régi par des normes techniques et s’insère dans un réseau technique: son sens lui est donné par le réseau. Cette relation au réseau limite les possibilités d’intégrer les requêtes émergeant du milieu local; elle régit en quelque sorte la perméabilité potentielle du projet à l’égard de celui-ci. Deux exemples pourront illustrer cette catégorie de projets. Les lignes de transport d’électricité à très haute tension peuvent simplement traverser un territoire pour se rendre à destination: ne pouvant alors servir à l’alimentation directe des territoires traversés sans la construction de postes de transformation, elles se prêtent bien à une réaction de rejet par les habitants du territoire traversé: c’est le type même de projet qui suscite une réaction de type NIMBY (Not in My Back Yard). D’un autre côté, certains projets d’infrastructure, toujours à l’intérieur de leur logique fonctionnelle, peuvent avoir une perméabilité à l’égard du milieu traversé, et ainsi permettre une certaine intégration: c’est le cas de tronçons d’autoroute, où des échangeurs peuvent toujours être aménagés pour desservir le milieu, mais selon une fréquence limitée par la vitesse moyenne que ses concepteurs cherchent à assurer aux véhicules circulant sur l’infrastructure. Le projet d’équipement quant à lui vise spécifiquement à assurer un service collectif ou la desserte d’un milieu donné: il est donc d’emblée perméable à ce milieu, susceptible d’être mieux accueilli⁶. En poursuivant ce raisonnement, le projet régi par une logique multifonctionnelle, un grand projet urbain, par les diversités des fonctions mobilisées, interpelle des acteurs multiples et multiplie les possibilités d’accommoder l’intégration au milieu d’accueil; il est donc a priori plus perméable à son environnement.

    Un deuxième paramètre relié au projet consiste dans la finalité de l’intervention. Le projet tire de cette finalité sa symbolique, soit la perception qui lui est associée dans l’opinion publique. Si elle est d’emblée positive, c’est-à-dire si le projet découle d’une justification claire et bien établie, répond à l’intérêt général ou à un besoin évident, la question de son intégration au milieu local, avant même que n’aient été analysés les divers impacts qu’il pourra créer, s’annonce sous un jour favorable. Au contraire, si elle apparaît trop exclusivement liée à des intérêts particuliers ou, pire, si elle est perçue négativement ou de façon mitigée dans la société, l’intégration s’annonce au départ problématique.

    Les caractéristiques de la deuxième variable, le milieu d’accueil, sont bien évidemment déterminantes pour l’intégration du projet d’aménagement. Une première caractéristique, dont l’analyse s’impose, c’est l’échelle du territoire concerné. Quelle est cette échelle? Ne peut-elle être multiple, et ce faisant, justifier de parler des territoires d’une intervention plutôt que du territoire; c’est le cas, par exemple, lorsqu’une infrastructure va répondre à un besoin à l’échelle régionale, même si elle est implantée localement. Une autre caractéristique qui servira à définir le milieu d’accueil réside dans la diversité des fonctions qu’il héberge. Le territoire est-il alors en résonance avec la fonction du projet, sera-t-il desservi par ce dernier? Monofonctionnel, il aura une complémentarité directe ou, au contraire, opposée à l’intervention projetée: c’est dans cette perspective, même s’il traitait de paysage, que Lassus (1998) soulignait que l’hétérogénéité se prête beaucoup mieux à l’intégration que l’homogénéité.

    Et au-delà des fonctions, formes et densités, le milieu d’accueil, c’est d’abord les populations qui le constituent: quelles sont, à leur tour, leurs caractéristiques, quelle est la nature de leur occupation du territoire et leur homogénéité? Deux caractéristiques, peut-être moins tangibles, sont reliées aux populations du milieu d’accueil et auront un impact sur l’acceptabilité sociale de l’intervention projetée: l’histoire du territoire touché et son organisation sociopolitique. Il est clair que si, au-delà de changements dans les populations qui l’habitent, un territoire porte les cicatrices d’aménagements antérieurs, s’il a été ou même se perçoit comme ayant été agressé antérieurement par des interventions non sollicitées, sa réaction à un nouveau projet risque d’être plus vive et teintée de ces expériences passées (Blatrix et al. 1998). Également, le niveau d’organisation sociopolitique de ce territoire et la nature des organismes qui l’animent pourront être déterminants dans sa capacité à émettre des réactions face à une intervention projetée et à ses impacts appréhendés, dans sa facilité et sa rapidité à se mobiliser; à tout le moins, une bonne connaissance des caractéristiques sociodémographiques de la population d’un territoire d’accueil permettra de mieux comprendre la contestation dont un projet pourra y être l’objet (Lyrette 2003).

    Enfin, s’il est nécessaire de comprendre le milieu qui préexiste à une intervention, dans ses paramètres et caractéristiques, ses fonctions, densités et formes, il faut tenter d’anticiper celui qui va aussi en résulter. Quel sera son aspect? Ses caractéristiques d’ensemble seront-elles modifiées? Certains auteurs, comme Gauthiez (2003), ont fait du maintien de la diversité ainsi que de la «lisibilité de chacun des éléments» des conditions essentielles à une éventuelle acceptabilité sociale. D’un autre côté, le milieu d’accueil ne doit donc pas être analysé comme un simple résidu réactif face à une intervention. Le projet devient à son tour composante du territoire et l’évolution de ce dernier en sera sinon tributaire, à tout le moins marquée: c’est ce à quoi référait Simondon (1969), avec sa très riche notion de «milieu associé».

    La troisième variable a trait aux modalités d’arrimage entre les deux premières: en sus des spécificités du projet, d’une part, et de celles du milieu d’accueil, de l’autre, la façon dont l’arrimage entre les deux variables a été négocié, de même que la façon selon laquelle il a été fabriqué, seront déterminantes pour l’acceptabilité sociale. Comment se décline cette troisième variable? Plusieurs dimensions ou modalités peuvent être identifiées. Ainsi, il y a d’abord lieu de se pencher spécifiquement sur l’approche de planification et de conception du projet retenue par le maître d’ouvrage: incorpore-t-elle uniquement une lecture technicienne du milieu où l’intervention prendra place, ou, au contraire, s’effectue-t-elle en collaboration, ou mieux en concertation, avec ce même milieu? Il est clair que dans le premier cas, la résonance du projet avec les aspirations du milieu risque d’être beaucoup plus précaire et fragile. Des éléments inter-reliés à cette question d’approche sont le moment où le milieu est informé du projet à venir tout comme le sens dans lequel la communication s’effectue. Ainsi, plus ce moment apparaît tardivement dans l’échéancier d’un projet, plus le projet se cristallise dans une configuration qu’il s’avérera de plus en plus difficile de modifier: d’où une marge de manœuvre de plus en plus restreinte pour accommoder des requêtes émanant du milieu. De même, si ce milieu n’est qu’informé du projet qui doit prendre place en son sein, plutôt que d’être sollicité à s’impliquer et à donner son avis, la probabilité est forte que sa réaction sera d’emblée négative. Dans une recension réalisée il y a quelques années de travaux portant sur l’accueil fait par les milieux adjacents à des équipements de transport d’énergie (Gariépy et al. 2002), un élément conditionnait plus que tous les autres l’attitude des populations riveraines, indépendamment des caractéristiques des projets: la façon dont ces populations avaient été associées à la planification du projet teintait leurs réactions pour la durée de vie même de l’équipement. Et derrière la profusion de réflexions associées à la notion de projet urbain, un aspect mérite d’être rappelé: cette notion ou plutôt l’approche qu’elle sous-tend, avec la mobilisation de partenaires multiples et le façonnement du projet dans leur interaction, a émergé en réaction à l’échec de la planification centralisée, où les paramètres de l’action à mener étaient définis antérieurement et de manière prétendument objective, en faisant abstraction des acteurs (Pinson 2004).

    Une troisième caractéristique d’importance, en fait déterminante, dans l’approche de planification qui sera privilégiée, est la culture organisationnelle du maître d’ouvrage ou du promoteur. Persuadé de la justesse de ses interventions, un promoteur pourra penser les imposer au milieu d’accueil: c’est souvent le fondement du forçage, soit «quand les promoteurs cherchent à rendre acceptable ce qui ne l’est pas a priori» (Toussaint 2003). À l’inverse, tout comme un milieu peut porter les stigmates d’interventions passées, un maître d’ouvrage peut avoir été marqué et avoir appris d’expériences antérieures: il peut être conscient ou non de la nécessité de bien associer le milieu récepteur à la planification de l’intervention projetée. Si ses interventions antérieures se sont heurtées à une forte opposition, ont été fortement controversées, un promoteur pourra avoir adapté sa stratégie organisationnelle et son approche de planification de façon à favoriser l’acceptation de ses projets, sinon à réduire les possibilités de rejet (Gariépy 2005). C’est dans cette optique que s’est développé le partnering, entre autres aux États-Unis, pour faire référence à la nécessité d’établir et de maintenir un contrat avec le milieu d’accueil (Tennyson 2003).

    Les différents paramètres de l’arrimage qui viennent d’être évoqués relevaient de l’initiative du maître d’ouvrage ou du promoteur. Mais cet arrimage concerne aussi, dans le cas des grands projets, la puis-sance publique qui peut alors emprunter l’une des deux catégories de l’action publique contemporaine: les politiques procédurales et les politiques substantielles (Lascoumes et Le Bourhis 1998). Ainsi il peut aussi prendre place à l’intérieur d’arènes régies par cette dernière. Des procédures peuvent avoir été adoptées prescrivant les étapes par lesquelles les grands projets doivent passer avant de recevoir une autorisation, l’information qui doit être divulguée, les échanges qui doivent prendre place: c’est le cas des politiques procédurales d’enquêtes et d’audiences publiques auxquelles nous avons fait allusion en introduction à ce texte⁷. La puissance publique peut également avoir adopté des politiques substantielles, soit des documents qui balisent le développement qu’un territoire est appelé à connaître, précisent les équipements qui lui sont destinés: c’est le sens des schémas d’aménagement et des plans d’urbanisme qui préétablissent, en quelque sorte, le sens de l’arrimage au territoire, tout comme la justification des projets.

    Les variables en cause

    dans quatre grands projets montréalais

    Comment se modulent ces variables et les caractéristiques qui leur sont associées dans les quatre projets montréalais retenus sur leur acceptabilité sociale? Nous avons cherché, dans les lignes qui suivent, à dégager quelques grands traits pour chacune des variables. Bien évidemment, chacun des projets pourrait faire l’objet d’un approfondissement spécifique⁸.

    Le Complexe de divertissement

    Loto-Québec-Cirque du Soleil

    Au niveau de la variable projet, le déménagement du Casino de Montréal, pour s’agrandir et devenir plus compétitif sur le circuit des grands établissements de jeu nord-américains, était à l’étude depuis plusieurs années. Mais les ravages causés par le jeu compulsif lui conféraient d’emblée une image sinon négative, du moins très fortement mitigée dans la population. Le partenariat avec le Cirque du Soleil, une réussite commerciale suscitant une grande fierté dans l’opinion québécoise, outre la complémentarité objective sur le plan de l’offre de divertissement, permettait de mettre de l’avant un projet plus acceptable au départ. La perception dominante associée au projet restait toutefois l’augmentation de l’offre de jeu.

    Pour la variable milieu d’accueil, le projet de Casino-Cirque du Soleil devait prendre place dans une friche industrielle en bordure du canal de Lachine, dans l’arrondissement Sud-Ouest de Montréal. Ce quartier, enclavé par des infrastructures de transport, berceau de l’industrialisation au Canada, s’est fortement déstructuré depuis la seconde moitié du XXe siècle, avec la fermeture en série de ses usines, devenues désuètes. La main-d’œuvre requise par celles-ci, constituée dans une large mesure d’immigrants, s’était établie à proximité. Depuis ce déclin, la population qui réside aujourd’hui dans le quartier se caractérise par une grande précarité: les taux de chômage tout comme la proportion de familles monoparentales y sont très élevés, une grande proportion de cette population vit sous le seuil de faible revenu. C’est donc un quartier en quête de revitalisation et de requalification. Mais, et peut-être aussi pour ces raisons, c’est un quartier qui s’est fortement organisé au plan socioéconomique, avec des organismes qui y mènent une activité intense depuis maintenant des décennies. Ces organismes, en particulier le Regroupement économique et social du Sud-Ouest (RESO) et Action-Gardien, la table de concertation des groupes communautaires, dans des démarches qui peuvent carrément être qualifiées de bottom up, ont produit des visions d’aménagement et de développement en résonance avec les besoins de la population locale. Le milieu – particulièrement vulnérable aux ravages du jeu et autres problèmes qui lui sont associés – et les visions dont il s’était doté étaient d’emblée peu en accord avec le type de développement associé à l’équipement projeté.

    Pour la variable arrimage entre les deux premières variables, la société d’État Loto-Québec avait procédé à la planification de son projet de déménagement du Casino de Montréal essentiellement en vase clos, n’informant le milieu de son projet en partenariat avec le Cirque du Soleil qu’en 2005, alors que son élaboration était en cours depuis plus de cinq ans: les organismes du milieu, dont le RESO qui, ainsi qu’il l’a fait dans d’autres dossiers d’aménagement, aurait pu coordonner une concertation avec ses partenaires du milieu, ont été mis devant un projet déjà bien ficelé. Le promoteur a mis en œuvre l’approche «décider – annoncer – défendre», approche classique mais fortement remise en question aujourd’hui. La réaction a été vive dès le départ et n’a cessé de s’amplifier. Il faut mentionner, à la décharge de la société d’État, qu’elle avait été échaudée précédemment par une controverse significative dans l’opinion publique face à l’option qu’elle privilégiait antérieurement à celle du déménagement du Casino, soit d’agrandir son stationnement: à la fin des années 1990, la Ville de Montréal avait refusé de modifier le règlement de zonage pour permettre cet agrandissement qui était perçu comme un premier pas vers l’agrandissement du Casino. Et la Ville ne s’était pas fermement engagée à l’égard du projet. Soulignons enfin que le débat s’est fait dans les médias, sans mettre à contribution les tribunes de débat public, notamment l’Office de consultation publique de Montréal (OCPM) qui, par la crédibilité qu’il possède auprès du public, aurait peut-être permis une discussion plus sereine des enjeux du projet. Le gouvernement a finalement confié à un comité spécial d’examiner la justification du projet: le Rapport Coulombe, du nom de celui qui a présidé ce comité, a conclu en mars 2006 que ce qu’avait annoncé la société d’État était davantage un avant-projet dont la rentabilité n’avait pas été vraiment démontrée et qui demandait à être peaufiné.

    Griffintown

    Si nous portons d’abord notre regard sur la variable projet, le projet de Griffintown est fondamentalement la transposition en milieu urbain d’un concept commercial associé à la banlieue, nécessitant de vastes terrains et une connexité forte avec les grandes artères de circulation, pour assurer l’achalandage nécessaire à sa rentabilité. Mais dans le cas de Montréal il devient multifonctionnel. Lui sont intégrées une série de fonctions et de composantes susceptibles d’augmenter son intérêt pour une implantation en milieu urbain: entre autres, une fonction résidentielle importante, avec des proportions élevées de logements abordables et à loyer modique; des espaces à bureau; et surtout la construction d’une ligne de tramway à laquelle le promoteur contribuerait et qui est présentée comme une condition nécessaire à la réalisation du projet. Ce dernier équipement, réclamé avec insistance par plusieurs organismes montréalais, bonifierait l’offre de transport en commun et viendrait contrebalancer l’appui central du projet sur l’accessibilité automobile, en contradiction avec un objectif du plan d’urbanisme de la ville de Montréal.

    Du côté de la variable milieu d’accueil, le projet Griffintown doit prendre place dans le même arrondissement que celui du projet Casino-Cirque du Soleil. À l’inverse du précédent toutefois, il n’y a pas incompatibilité d’emblée entre les caractéristiques du milieu et les fonctions que ce projet prévoit accueillir. Ainsi la population locale pourrait combler une partie des emplois dans les services prévus, donc pouvant contribuer, au moins partiellement, à réduire les problèmes de chômage qui y sévissent. De même, le grand nombre de logements abordables et à loyer modique qu’il prévoit attirerait une population aux caractéristiques socioéconomiques sinon complémentaires, du moins non susceptibles de contribuer à la ségrégation. La ligne de tramway, enfin, augmenterait considérablement l’accessibilité et la mobilité.

    Malgré ce que nous venons de mentionner au sujet d’une certaine résonance entre la nature du projet et les aspirations du milieu, en particulier au niveau du logement, l’arrimage du projet Griffintown au territoire, soit notre troisième variable, a été turbulent. Tout d’abord, l’expérience antérieure du promoteur était essentiellement liée à du développement commercial en banlieue. Aussi pour réaliser ce projet en milieu urbain, le promoteur a-t-il fait appel à des consultants en urbanisme et en participation publique et une consultation d’amont, fermée, a été menée: si cette dernière a produit des résultats, elle a néanmoins suscité certaines réactions mitigées, entre autres à l’égard des règles qui l’ont régie. Enfin, la maîtrise d’ouvrage est assumée uniquement par le promoteur, ce qui rendra plus facile sa réaction aux requêtes qui ont émané du milieu, dans le débat public, mais expliquera aussi la réduction de l’envergure envisagée du projet, puis son report, quand surviendra la crise financière en 2008 et 2009.

    Toutefois, c’est l’accompagnement du projet par la Ville de Montréal qui aura été problématique, selon nous, et ce, sur les plans à la fois substantiel et procédural, pour revenir aux deux types de politiques publiques mentionnés plus haut (Lascoumes et Le Bourhis 1998) . Au niveau substantiel, le projet contrevenait à quelques orientations et balises du plan d’urbanisme qui avait été adopté après débat public en 2004: par exemple, dans sa morphologie, avec une hauteur de bâtiments nettement plus élevée que ce qu’entrevoyait le plan; par sa trame de rue distincte de la trame historique; et par la nécessité d’un fort achalandage par voitures, alors que le plan avait fait de la réduction de la dépendance automobile un de ses objectifs primordiaux. Or même si le secteur devait faire l’objet de planification détaillée postérieurement à l’adoption du plan d’urbanisme, la logique planificatrice prévue a été inversée avec ce projet: le PPU qui devait en principe encadrer le projet et son élaboration a été reformulé sur mesure et en réponse au projet du promoteur. Mais c’est surtout sur le plan de la procédure d’autorisation par la Ville de Montréal que la démarche retenue a posé problème. Pour contrer l’accusation d’immobilisme à laquelle nous faisions référence en introduction, le maire de Montréal annonça son appui au projet avant même que ne débutent les audiences publiques. Et, alors que le projet, de par sa nature et son envergure, commandait la tenue d’audiences devant l’OCPM, Montréal porta son choix sur une tribune moins exigeante de façon à satisfaire minimalement aux exigences de la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme, soit des audiences présidées par la mairesse de l’arrondissement⁹. La procédure retenue s’avéra ainsi un élément particulièrement contesté lors du débat public et ne contribua aucunement à faciliter l’acceptabilité sociale du projet. Deux événements postérieurs attestent a contrario de l’impact négatif qu’a probablement eu sur son acceptabilité sociale, la démarche suivie pour arrimer le projet à son territoire. Premièrement, le maire de Montréal a dû reconnaître la nécessité que le débat sur des projets d’envergure métropolitaine prenne dorénavant place devant une tribune appropriée et crédible, en l’occurrence l’OCPM, et a fait amender la Charte de Montréal en ce sens. Deuxièmement, l’OCPM a décidé de s’impliquer en amont dans la démarche de grands projets urbains pour faire valoir la nécessité de règles minimales même à cette étape (Office de consultation publique de Montréal 2009).

    Le Quartier international

    de Montréal (QIM)

    En examinant la variable projet, le QIM a été conçu initialement comme un projet de revitalisation du quartier. Au lieu de se confiner au seul bâtiment qui devait héberger le siège social de la Caisse de dépôt et placement du Québec, le projet a été élaboré en complémentarité avec les propriétaires riverains, misant en particulier sur la requalification des équipements et espaces publics pour les intégrer. L’enjeu de son acceptabilité était d’emblée bien lancé.

    Sur le plan du milieu d’accueil, le projet du QIM prend place dans la zone de l’ancien centre des affaires de Montréal, avant son déplacement plus au nord, au milieu du XXe siècle, et du quartier de la presse nommé Paper Hill. Cette zone du Vieux-Montréal, qui avait été déstructurée par l’aménagement de l’autoroute Ville-Marie en tranchée, a longtemps tardé à se redévelopper. Mais depuis les années 1980 y ont été réalisés, parfois au-dessus de l’autoroute, une série de grands projets immobiliers venus redynamiser les fonctions d’affaires et commerciales dans ce secteur déstructuré: le Palais des congrès de Montréal, le Centre de commerce mondial, le siège social de l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI). Le projet du QIM vient rétablir la continuité physique et fonctionnelle du secteur au-dessus de la tranchée de l’autoroute: avec une architecture de prestige et un soin tout particulier accordé à l’espace public, l’aménagement de places, le raccordement au réseau du Montréal souterrain, il ramène des activités qui en retour ne manqueront pas de créer une demande pour des services et de l’habitation haut de gamme. Le projet était donc en congruence avec l’historique de ce quartier, les différentes interventions antérieures tout comme les visions de renouvellement de cette partie de ville. 

    Sous l’angle de la variable arrimage, en particulier les aspects planification et concertation, le projet s’est arrimé tout naturellement à son milieu d’accueil. Il faut souligner tout d’abord qu’il s’est inscrit dans la foulée d’efforts de réflexion antérieurs, en particulier du concours sur la Cité internationale de Montréal, qui avaient permis de produire dès 1989 des visions du devenir du quartier. Surtout, l’élément essentiel en rapport avec le propos de cet article constitue la société Quartier international de Montréal en tant que structure de gestion de projet constituée spécifiquement pour le mener à terme. Cette structure paramunicipale, donneur d’ouvrage délégué de la Ville de Montréal, a su créer une synergie entre les différents acteurs essentiels à la matérialisation du concept. Ainsi son conseil d’administration comptait parmi ses membres, en particulier, des représentants des deux paliers de gouvernement, de la Caisse de dépôt et placement du Québec, dont le siège social devait constituer la pièce maîtresse du projet, des représentants des services techniques de Montréal et aussi de l’Association des riverains du Quartier international de Montréal. Cette dernière, créée à l’initiative du QIM, a permis de solidariser les riverains dans la réalisation du projet: par le biais de ce partenariat particulièrement original, ils ont été amenés à investir dans le domaine public et l’amélioration de l’environnement. Enfin si le QIM était une structure nouvelle, il a eu comme pilote, en la personne de son directeur général Clément Demers, un architecte-urbaniste qui, par une longue expérience dans l’urbanisme et la revitalisation immobilière du Vieux-Montréal, avait eu l’occasion de mettre au point l’approche de développement des grands projets urbains que la Ville de Montréal a voulu depuis consolider en confiant au QIM la réalisation d’autres projets urbains d’envergure à Montréal, dont le Quartier des spectacles.

    L’autoroute Notre-Dame

    En ce qui concerne l’autoroute Notre-Dame, deux aspects inhérents au projet rendaient problématique son acceptabilité, au départ. D’un côté, sa justification n’était pas évidente: on soupçonnait le maître d’ouvrage d’être animé par le souci à la fois de compléter le dernier maillon de son schéma du réseau autoroutier montréalais, un schéma remontant aux années 1960, et d’assurer la continuité entre l’autoroute Ville-Marie, à l’ouest, et l’autoroute 25, à l’est, dont le prolongement venait tout juste d’être concédé au secteur privé en partenariat public-privé, et ainsi garantir la rentabilité de ce nouveau tronçon, plutôt que de répondre à une véritable demande sur l’île de Montréal. De l’autre, une caractéristique du projet, de devoir faire prévaloir une vitesse minimale sur l’infrastructure, contraignait le MTQ à accommoder les requêtes multiples émanant du milieu traversé puis de la Ville de Montréal pour multiplier les intersections et revitaliser le quartier: la résultante, selon le ministère, serait de transformer l’autoroute en boulevard urbain.

    En ce qui a trait à la variable milieu d’accueil, le projet de l’autoroute Notre-Dame traverse un milieu aux fonctions diversifiées mais se partageant globalement selon deux composantes, des activités portuaires et d’industrie lourde au sud et des quartiers résidentiels au nord, deux composantes qui seront sources de requêtes contradictoires à l’égard du projet: une autoroute assurant une meilleure fluidité pour le transport des marchandises, selon une logique régionale, ou un boulevard urbain pour requalifier le quartier, à l’échelle locale. Et si le projet emprunte sur la majorité de son parcours le site de la rue Notre-Dame, une rue remontant aux premiers temps de Montréal, le quartier, avec une population caractérisée par un taux de chômage élevé et un niveau socioéconomique faible, porte encore les séquelles de démolitions en séries dans les années 1960 et 1970, pour accueillir la Maison Radio-Canada et pour réaliser des projets routiers, l’élargissement du boulevard Dorchester et le projet de prolongement de l’autoroute Ville-Marie, projet qui se heurta à de fortes oppositions et fut stoppé en 1976. Donc d’entrée de jeu, un milieu fort sensible, dans une large mesure, et des exigences contradictoires, émanant d’échelles différentes, avec lesquels le projet devra composer.

    Pour la troisième variable, soit celle de l’arrimage du projet au territoire, le portrait est complexe. Le ministère des Transports du Québec, le maître d’ouvrage, bien que toujours tributaire d’une culture organisationnelle liée à la voirie (Desjardins et Gariépy 2005; Desjardins 2007), a appris au fil des ans et de ses projets la nécessité d’agir en concertation avec le milieu. Aussi quand il décide à

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