Fenêtres sur les lieux de travail: Technologie, emplois et organisation du travail de bureau
Par Joan Greenbaum
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À propos de ce livre électronique
Un historique particulièrement documenté sur la transformation des lieux de travail par l’introduction et l’évolution des technologies informatiques. Cette révolution technique s’accompagne de bouleversements tout aussi profonds de la force de travail (spécialement les employés de bureau) à travers les restructurations, les plans sociaux, les reclassements et autres délocalisations.
Et en effet, contrairement à ce que l’on pourrait penser, -que les développements technologiques sont fortuits et s’imposent aux milieux professionnels- les changements techniques et structurels sont les deux facettes d’une même évolution des politiques managériales, soumises à leur tour aux diktats des marchés financiers.
Récit vivant, illustré par de nombreuses interviews racontant les expériences de salariés livrés aux aléas de décisions organisationnelles, souvent contradictoires, montrant les ressorts cachés de la révolution technologique actuelle.
Cet ouvrage célèbre à sa façon le vingt-cinquième anniversaire de la création du PC.
EXTRAIT
Le travail de bureau s’est beaucoup transformé ces cinquante dernières années, mais la rapidité du changement s’est accélérée à partir des années 90. Comme la reine de cœur dans À travers le miroir de Lewis Carroll, les gens semblent courir de plus en plus vite tout en restant sur place. Les médias décrivent la transformation des lieux de travail, spécialement dans les bureaux, comme des progrès du high-tech, faisant accroire que les « avancées technologiques » vont inévitablement générer davantage d’emplois et qui plus est, meilleurs. Or les choses ne sont pas toujours telles qu’elles apparaissent.
À PROPOS DE L'AUTEUR
Joan Greenbaum est professeure de systèmes informatiques à La Guardia Community College et professeure de psychologie environnementale au Graduate Center, City University of New York.
En tant que syndicaliste, Greenbaum est chairperson et coordinatrice de la santé et de la sécurité de la section AFT (American Federation of Teachers) Local 2334 du Congrès du Personnel Professionnel (Professional Staff Congress).
Ses autres ouvrages sont : Au nom de l’efficacité (1979) et Design au travail (1991).
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Aperçu du livre
Fenêtres sur les lieux de travail - Joan Greenbaum
À travers le miroir
Pourquoi veulent-ils tous que leurs documents leur soient envoyés hier ?
—Employée de bureau, 2003
Le travail de bureau s’est beaucoup transformé ces cinquante dernières années, mais la rapidité du changement s’est accélérée à partir des années 90. Comme la Reine de Cœur dans À travers le miroir de Lewis Carroll, les gens semblent courir de plus en plus vite tout en restant sur place. Les médias décrivent la transformation des lieux de travail, spécialement dans les bureaux, comme des progrès du high-tech, faisant accroire que les « avancées technologiques » vont inévitablement générer davantage d’emplois et qui plus est, meilleurs. Or les choses ne sont pas toujours telles qu’elles apparaissent.
De toute évidence, les employés qui se sont déjà servis d’ordinateurs et de toute une panoplie technologique branchée sur leur table ont plus d’une raison de croire que ces « avancées » ont transformé leur vie au travail. Toutefois, les nouveautés bureautiques n’échouent pas ‘comme ça’ dans les entreprises. Ce qui est communément rangé sous le nom de technologie –de la messagerie via les logiciels jusqu’à l’Internet– n’est destiné qu’à satisfaire aux décisions managériales de réduction de coûts et d’accélération de l’information. Les objectifs du management, et la technologie conçue pour les soutenir, sont projetés en avant par un certain nombre de développements fréquemment regroupés sous le terme d’intensification de la compétition mondiale. Sous prétexte d’y répondre en réduisant les coûts, les compagnies ont pris des dispositions pour « reconfigurer » les lieux de travail afin qu’il y ait moins de salariés effectuant plus d’heures mais moins payées, et que l’activité soit dépréciée ou délocalisée dans n’importe quel pays étranger à bas salaires.
La façon dont le travail a été parcellisé et livré à des sous-traitants ou à des sous-continents n’est pas apparue tout d’un coup. Ce livre montre comment dès les années 50 les développements y ont conduit. Les expériences dans ce chapitre et après décrivent des changements vécus directement par des salariés, mais chaque histoire est analysée en termes de transformation d’ensemble du marché du travail américain. Dans l’exemple suivant, Doug, un administrateur senior de systèmes, est salarié d’une compagnie new-yorkaise de multimédia faisant de la maintenance de serveurs pour d’autres FAI [Fournisseurs d’Accès Internet]¹. Doug se dit chanceux d’avoir survécu aux licenciements liés à la bulle Internet de 2001, mais depuis, son emploi a été sous-traité à trois différentes compagnies, lui occasionnant à chaque fois des pertes de salaire, des changements d’assurance maladie aussi bien que la peur d'une éventuelle re-classification.
« Avant c’était très vivant ici, dit-il en me conduisant à travers un corridor faiblement éclairé de bureaux départagés par un rideau gris dont la garniture rouge est assortie à la lumière rouge métal et à la conduite d’air suspendue au plafond. En 2001 je travaillais pour [une firme Internet très connue] et nous avions six étages dans ce building. Maintenant tout ce qu’il en reste, ce sont quelques tableaux et des chaises designs à côté de l’ascenseur. Et chaque étage est occupé par différentes compagnies. »
À l’intérieur de son box, nous avons parlé de son travail, entre les interruptions du beep des messages instantanés, des sonneries du portable, du pager, et d’un de ses voisins debout sur sa table pour accrocher le rideau de séparation et lui demandant comment exécuter une tâche. En tant qu’administrateur de systèmes, il est chargé avec trois autres salariés de vérifier que les ordinateurs fournissant les mails, l’Internet et que les réseaux informatiques fonctionnent 24 heures sur 24.
« C’est tranquille aujourd’hui », explique-t-il, rêvant de ce que pourrait être une semaine de 40 heures, en dépit du fait qu’il se soit couché à 1 heure ce matin. Parfois, à cause de bouclages, il rempli 72 heures, et plus ou moins, une fois par mois, il est de garde le week-end. Il pensait se marier dans quelques mois, mais craignait, selon son expression, que « le travail n’envahisse sa vie ».
Doug gère les programmes Windows et Unix, et écrit des scripts pour les tâches automatiques telles qu’ajouter ou supprimer des usagers dans les systèmes et créer des répertoires de listes. Ses responsabilités ont rétréci à chaque fois que son département a été revendu. « Ce n’est pas exactement ce que j’aurais voulu comme carrière, mais parfois c’est intéressant, et je peux avoir du temps libre pour préparer un master tant que je garde mon mobile à proximité et que je vérifie mes mails. »
Quand je l’ai rencontré, sa plus grande préoccupation concernait les rumeurs de déménagement hors de New York. « Je comprends qu’ils ne veuillent pas payer les coûts de loyers new-yorkais pour garder les ordinateurs ici. Si le département est transporté en Illinois, il se pourrait qu’on m’offre un job là-bas, mais je ne veux pas m’y installer. Le plus vraisemblable est, bien sûr, qu’il soit délocalisé. »
L’ère de l’insécurité
La seconde moitié du vingtième siècle fut l’ère des cols blancs, des jobs sérieux, bien payés, propres et dans de beaux locaux. Mais l’époque des grands bureaux centralisés, avec des fonctions traditionnelles bien définies, se révéla être plus courte que l’ère industrielle qui l’a précédée. De plus en plus d’emplois salariés sont éparpillés dans le temps et l’espace, tandis que le travail est fait à toute heure du jour et de la nuit par des intérimaires ou mi-temps dans des pays autour du globe.
Évidemment, le terme cols blancs a été inventé au début du vingtième siècle pour caractériser le col amidonné des hommes et des femmes portant des corsages blancs arrivant à la taille, dont le col signalait un plus haut statut et des occupations plus propres que celles des cols-bleus dans les usines. De nos jours, très peu de salariés d’entreprises en portent, tandis que ceux chez eux ou en déplacement n’en portent peut-être pas, tout en s’escrimant à répondre aux emails et messages sur leur mobile de leurs lieux de vacances, de leurs voitures, des avions, de la plage, ou d’ailleurs². De même, le terme position, qui pendant presque tout le vingtième siècle était réservé à ceux ayant une situation dans une entreprise, commença à ne plus être utilisé à la fin des années 90. Plus souvent maintenant, les gens postulent pour des emplois ou contrats temporaires, certainement moins établis que les positions dont le but était de faire carrière, et qui peuvent reposer sur des projets, des bourses ou une certaine quantité de travail à accomplir.
Dans les années 60, les États-Unis sont passés d’une économie industrielle, dont la majorité des postes étaient en usine, à une économie post-industrielle basée sur des services et emplois de bureau. Aujourd’hui, plus de 76 pour cent de la force de travail se trouve dans le secteur des services, avec 69 millions de salariés, soit 49 pour cent pour les bureaux, ceci inclut les catégories gestion, cadres techniques et administratifs³. Toutefois, tandis que les jobs de cols blancs comptants pour presque la moitié de tous les emplois ont ralenti, ceux de services et de ventes, avec des bas salaires et plus de mi-temps, ont accéléré⁴.
Pour beaucoup, la restructuration du travail de bureau signifie moins de stabilité et de sécurité. Le gouvernement et les rapports d’entreprises nous disent que nous devons nous attendre à changer d’emploi et de carrière au moins cinq fois durant notre vie. Mais c’est la vision à long terme. Au quotidien, cela signifie garder l’œil ouvert afin de trouver la prochaine place, et pour ceux essayant de pénétrer dans le monde du travail la compétition avec un nombre croissant de postulants dont les compétences sont de plus en plus étendues.
Cette transformation est maquillée en termes simples, percutants tels que reconfiguration, plan de redressement, délocalisation, faisant croire que ce qui se passe est nécessaire et même inéluctable. En fait, sous ces inventions reposent des bouversements sismiques et structuraux révélant le fonctionnement de l’économie américaine. La reconfiguration des années 90 a occasionné la réduction du nombre de salariés et l’accroissement des tâches, et entraîné des plans de restructuration suivant lesquels les patrons d’entreprise ont pu acheter, vendre, échanger leurs compagnies à la hausse à cause des réductions d’effectifs et par conséquent de la baisse du coût de travail. Les délocalisations ou externalisations –soit vers une PME ou TPE dans le même immeuble, tel le cas de Doug, ou dans d’autres pays- abaissent les coûts du travail ainsi que les coûts fixes de production, tels que le loyer, le prix du chauffage et de l’électricité. De même que les dégraissages, les délocalisations permettent aux corporations de réaliser une baisse des dépenses dans le bilan ce qui en théorie les rend plus attractives aux investisseurs aussi bien qu’aux fusions-acquisitions avec d’autres firmes. Ce processus prend différents aspects selon les organisations, mais les effets sur les salariés sont les mêmes, comme vous le verrez dans les exemples suivants.
Georges est éditeur adjoint d’un journal dans une grande ville. Quand je l’ai rencontré en 1992, le journal avait été racheté par une énorme multinationale de médias qui s’est fait une réputation mondiale de standardiser les journaux. Le nouveau propriétaire a carrément déclaré que non seulement il avait l’intention de casser les syndicats internes, mais qu’il simplifierait la ligne éditoriale en produisant des brèves et des tabloïds qui présentaient un grand intérêt auprès des lecteurs et ne coûtaient rien en recherche.
Quand Georges me reçoit les bureaux sont presque silencieux. En général, il va parler aux reporters à qui il assigne les sujets, mais ce n’est pas une pratique usuelle : la plupart des gens s’envoient des mails avec les sujets complets ou en cours.
Georges est dans la presse depuis plus de vingt ans. « Maintenant, je pourrais passer la journée sans aucune conversation avec les reporters. Je pourrais rester chez moi avec l’Internet, un fax et un ordinateur. Je ne peux pas expliquer par mailce qu’il faudrait aussi bien qu’en personne, mais c’est ainsi qu’on travaille de nos jours. » Les conférences d’actualité, c’est-à-dire les réunions dans lesquelles éditeurs et reporters discutent des nouveaux sujets et planifient comment les couvrir, ont été supprimées.
Idem pour le standard où les jeunes reporters apprenaient à répondre au téléphone et à trans férer les messages importants. « Je déteste ce système de messagerie, dit Georges, parce qu’on a besoin d’un être humain pour interpréter un appel. De même comment diable pouvez-vous exploiter un bon tuyau si celui qui appelle ne peut que laisser un message sur votre répondeur ? La direction est ravie, ajoute-t-il, parce qu’ils peuvent continuer à dégraisser.
» C’est particulièrement irritant car, pendant que les reporters répondent au précédent appel, ceux qui arrivent sont dirigés automatiquement vers la messagerie. Georges explique : « C’est un boulot où il faut avoir une ligne libre pour que l’on puisse vous rappeler. Mais à peine avez-vous décroché votre téléphone qu’il y en a un autre orienté cette fois vers la messagerie. Il compare ceci avec la « plaie du numérique » établie pour éliminer les typographes et qui dans la foulée a chamboulé la rédaction en transformant le processus de correction. « C’est, dit-il, une autre victoire de l’ingénierie sur le travail éditorial. »
Les tenants du high-tech nous disent dans ces cas-là : « c’est la vie ». En 1992, le fait que les réunions avec les reporters n’étaient pas nécessaires signifiait que le travail de Georges comme beaucoup d’autres rejoignait ce qu’il est convenu d’appeler le « bureau virtuel ». Comme pour ceux-là, son activité pouvait s’accomplir n'importe où et à n’importe quelle heure, accélérant ainsi le temps du reportage et réduisant le nombre de locaux. Toujours est-il que pour lui, ça signifiait que rédacteurs et reporters avaient moins de temps pour leurs recherches et donnaient moins leur avis sur le produit fini. En fait, il était maintenant partie d’un processus qui confectionnait un journal standardisé de type tabloïd, n’ayant pratiquement rien à voir avec celui d’avant le rachat, mais ressemblant énormément à d’autres quotidiens partout ailleurs. De nos jours, ces changements n’affectent pas seulement les journaux, mais aussi les actualités télévisées et Internet où des bouts d’informations sont diffusés instantanément à partir de reporters disposant d’équipements mobiles. La recherche et la vérification des faits sont remplacées par la diffusion rapide de l’information.
Les spécialistes en informatique, tels les analystes, consultants et chercheurs, arguent que les systèmes n’appliquant pas ce genre de méthode sont inadaptés. Il est clair que la fonction limitée d’une messagerie ou d’un programme informatique passe-partout ignorant les processus éditoriaux en est la preuve. Toutefois, ce genre de conception technique inappropriée est souvent choisi à l’encontre d’autres non pas en raison de stupidité ou de mauvais management, mais parce qu’il satisfait aux objectifs de réduction de coût et encore plus, au contrôle des salariés pris dans ses rets.
Les transformations du travail et de la technologie informatique prennent plusieurs aspects ; elles débutent très souvent lorsqu’un emploi est révisé afin d’être accompli plus rapidement et pour moins cher. L’activité de Georges est l’exemple d’un niveau senior que les managers considèrent difficile à morceler, quoique nous verrons qu’il l’a été à travers toute l’industrie de l’édition. Celle de Sheila, décrite dans l’histoire suivante, est, d’un autre côté, plus caractéristique du job de second rang dans un cabinet d’avocats, qui depuis ces douze dernières années est devenu plus routinier et moins recherché.
Sheila a commencé en tant qu’opératrice de Wang (un des premiers systèmes d’exploitation de traitement de texte) en 1980. Quand je l’interviewais pour la première fois à la fin de 1993, le cabinet pour lequel elle travaillait et qui employait plus d’une centaine d’avocats, était sur le point de fusionner avec une plus grande firme. Une des décisions suite à cette fusion avait été de se débarrasser de Wang et de transférer les employés sur un système de traitement de texte en réseau à partir de PC. C’est ce dont j’ai assisté.
Dans un bureau clos Sheila s’occupait d’un centre fonctionnant 24 heures sur 24, 7 jours sur 7 à la tête d’une équipe de quinze opérateurs tous temporaires. « De plus en plus d’avocats font leur propre traitement de texte, disait-elle, mais les documents longs et compliqués descendent ici. » Les opérateurs devaient être hautement qualifiés. En 1993, ils utilisaient deux systèmes différents (Wang et PC).
Sheila opérait aussi sur des scanners et des fax. Derrière le bureau se trouvait une grande salle avec des équipements à température contrôlée pour l’énorme entreposage de dossiers sous Wang et le système informatique. Après la fusion, sa fonction consistait surtout en résolution de problèmes techniques. Le plan de fusion stipulait que la restructuration du centre de traitement de texte en centre de traitement de documents, exigeant des logiciels de plus en plus perfectionnés devait satisfaire aux différentes pratiques de travail des deux
