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(Dés)équilibres: L'informatisation du travail social en justice
(Dés)équilibres: L'informatisation du travail social en justice
(Dés)équilibres: L'informatisation du travail social en justice
Livre électronique420 pages4 heures

(Dés)équilibres: L'informatisation du travail social en justice

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À propos de ce livre électronique

Les assistants de justice participent quotidiennement à l’accompagnement socio-judiciaire de personnes aux prises avec la justice. Comme elles, ils font l’expérience du pénal et de ses évolutions contemporaines et font face à des exigences croissantes en termes de productivité et d’efficience.

L’ouvrage aborde ce quotidien professionnel par le prisme de l’informatisation.

En s’appuyant sur les interactions entre les travailleurs et une application informatique dont l’usage leur est imposé, il dévoile les mises en tension du travail et propose une analyse de ses déséquilibres, à travers trois questions substantielles :
- L’individualisation des prises en charge ne s’efface-t-elle pas face à la montée en puissance de la standardisation des pratiques ?
- Un contrôle des travailleurs ne s’instaure-t-il pas alors qu’on assisterait dans le même temps à une évanescence dans le contrôle des populations délinquantes ?
- L’accompagnement social ne devient-il pas plus formel que substantiel ?

Ce sont donc les travailleurs qui sont au coeur de l’ouvrage, eux qui façonnent jour après jour de nouvelles manières d’agir professionnellement.
LangueFrançais
Date de sortie20 déc. 2013
ISBN9782804463489
(Dés)équilibres: L'informatisation du travail social en justice

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    Aperçu du livre

    (Dés)équilibres - Alexia Jonckheere

    couverturepagetitre

    Le mot latin crimen désigne l’inculpation, le chef d’accusation et, par extension, la faute ou le crime.

    La collection Crimen propose, dans une perspective scientifique, critique et émancipatrice, des ouvrages relevant du champ criminologique : normes, délinquances et déviances, justice pénale et réactions sociales.

    Sous la direction de :

    Dan KAMINSKI, professeur à l’École de criminologie de l’Université catholique de Louvain.

    Parus dans la même collection :

    C. DEBUYST, F. DIGNEFFE, J.-M. LABADIE, A.P. PIRES, Histoire des savoirs sur le crime et la peine, 1. Des savoirs diffus à la notion de criminel-né, 2008 (édition 1995 repaginée).

    C. DEBUYST, F. DIGNEFFE, A.P. PIRES, Histoire des savoirs sur le crime et la peine, 2. La rationalité pénale et la naissance de la criminologie, 2008 (édition 1998 repaginée).

    C. DEBUYST, F. DIGNEFFE, A.P. PIRES, Histoire des savoirs sur le crime et la peine, 3. Expliquer et comprendre la délinquance (1920-1960), 2008.

    J.F. CAUCHIE, Peines de travail. Justice pénale et innovation, 2008.

    Ph. LANDENNE, Peines en prison : l’addition cachée, 2008.

    H. BOUTELLIER, L’utopie de la sécurité. Ambivalences contemporaines sur le crime et la peine, 2008.

    C. DEBUYST, Essais de criminologie clinique. Entre psychologie et justice pénale, 2009.

    F. FERNANDEZ, Emprises. Drogues, errance, prison : figures d’une expérience totale, 2010.

    Ph. GAILLY, La justice restauratrice, 2011.

    Ch. ADAM, Délinquants sexuels et pratiques psychosociales. Rester clinicien en milieu carcéral, 2011.

    V. DE GREEF et J. PIRET, Le casier judiciaire. Approches critiques et perspectives comparées, 2011.

    S. SNACKEN, Prisons en Europe. Pour une pénologie critique et humaniste, 2011.

    I. MEREU, La mort comme peine, Traduction et adaptation par M. Rossi, 2012.

    G. CLIQUENNOIS, Le management des prisons. Vers une gestion des risques et une responsabilisation des détenus ?, 2013.

    La liste des ouvrages précédemment parus dans la collection Perspectives criminologiques est disponible en fin d’ouvrage.

    Pour toute information sur nos fonds et nos nouveautés dans votre domaine de spécialisation, consultez nos sites web via www.larciergroup.com.

    © Groupe Larcier s.a., 2013

    Éditions Larcier

    Rue des Minimes, 39 • B-1000 Bruxelles

    Tous droits réservés pour tous pays.

    Il est interdit, sauf accord préalable et écrit de l’éditeur, de reproduire (notamment par photocopie) partiellement ou totalement le présent ouvrage, de le stocker dans une banque de données ou de le communiquer au public, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit.

    EAN 978-2-8044-6348-9

    Cette version numérique de l’ouvrage a été réalisée par Nord Compo pour le Groupe De Boeck. Nous vous remercions de respecter la propriété littéraire et artistique. Le « photoco-pillage » menace l’avenir du livre.

    PRÉFACE

    Qu’on se le tienne pour dit, le début de mon propos ne peut être interprété comme l’expression du sacrifice à un rituel chrétien, bien qu’il puisse choquer des oreilles sensibles.

    Le Créateur, le Tout-puissant, l’Éternel (qui n’est jamais nommé Dieu) reçoit ses « ingénieurs-projeteurs »¹. Ces anges particuliers l’ennuient un peu car l’Éternel sait déjà tout, mais, dans sa grande bonté, il les reçoit, les écoute et feint l’étonnement devant les projets qu’ils lui soumettent pour compléter la Création. En effet, alors que l’Univers est déjà réalisé, rempli d’étoiles et de planètes, les « ingénieurs-projeteurs » proposent humblement d’ajouter une « vétille », presque rien, un supplément qui pourrait être intéressant : une planète sur laquelle pourrait se développer quelque chose qui s’appellerait la vie. Le Tout-Puissant fait mine de s’intéresser à la chose et accepte. Il passe en revue toutes les espèces les plus fantaisistes et farfelues imaginées sur plan par les ingénieurs-concepteurs qui font la file devant lui, et la délibération entre eux permet d’en rejeter certaines et d’accepter les autres. L’humain (l’homme et la femme) fait partie des êtres vivants qui, sur papier, furent rejetés par le Créateur, en raison même de la qualité qui lui fut vantée par leur inventeur plutôt tenace : ce serait une espèce animale douée de raison. L’ingénieur argumente : ce sera « l’unique qui pourra se rendre compte de ton existence, l’unique qui saura t’adorer ». Un intellectuel ! répond, agacé, le Tout-Puissant. Ah non, renonce à ce projet ! Épargne-moi les intellectuels ! « L’univers en est exempt, par chance, jusqu’à présent ». Et « à en juger d’après sa mine, il m’a tout l’air d’être une source d’embêtements à n’en plus finir ». Insistant, teigneux, l’ingénieur finit par user les résistances de l’Éternel, partagé entre lassitude et tentation. À la fin de la nouvelle de Dino Buzzati, intitulée La Création, le patron se disculpe de sa légèreté : « Bah ! advienne que pourra (…) en période de création, on [peut] bien se montrer optimiste ». « Allons donne-moi ça, dit le Tout-Puissant en saisissant le fatal projet. Et il y apposa sa signature. »²

    Après ce mystérieux préambule, je voudrais mettre en exergue quatre qualités singulières de l’étude publiée dans les pages qui suivent, sobrement empruntées à d’autres pages plus nombreuses qui forment une thèse de doctorat remarquable, que j’ai eu le bonheur de diriger.

    Selon une formule latourienne qui fait recette³, on peut dire que la recherche d’Alexia Jonckheere est consacrée à la réponse à une question simple : que fait faire SIPAR (une application informatique, héroïne de ce livre) aux assistants de justice ? La question est simple, mais il est délicat d’y répondre, tant SIPAR constitue un objet saturé d’instructions, d’applications techniquement objectivées, d’apparentes contraintes et d’apparentes facilitations du travail, si l’on suit scrupuleusement son mode d’emploi. Si les usages réels et quotidiens du percolateur à café s’écartent déjà de son mode d’emploi, lorsqu’il est mis entre les mains de celui qui désire se faire du café⁴, on peut imaginer que les usages de SIPAR sont susceptibles de présenter, malgré le degré de contrôle que l’application semble vouloir ou pouvoir exercer sur ses usages, quelques surprises. Loin d’une sociologie de l’écart qui, le plus souvent, est au service du « redressement », de la « correction » des pratiques, l’ouvrage qui nous est présenté offre des lectures respectueuses d’un fil méthodologique et éthique scrupuleux : les usages ne sont pas des écarts (à corriger), il s’agit de les observer comme le réel de l’activité (selon le concept cher à Yves Clot), un réel inexpugnable quel que soit le vœu de le réduire… La démarche de recherche est d’autant plus valeureuse qu’elle a pu capter le réel de l’activité au moment singulier d’une réforme « en train de se faire » : l’ouvrage nous apprend donc la façon dont un logiciel est reçu, craint, approché, caressé, apprivoisé, instrumentalisé, négocié. Il offre une typification, sans enfermement, des rapports entretenus entre les assistants de justice et SIPAR dans leurs relations avec les manières d’aborder globalement leur mission. Il nous apprend aussi les accommodements progressifs qui s’opèrent entre humains et non-humains.

    La deuxième qualité singulière de cet ouvrage se tient dans sa sensibilité. Non qu’elle pourrait produire des effets sur la sensibilité (irritation, colère, chagrin) ou qu’elle soit risquée. Non, la sensibilité touche à l’ensemble du processus de recherche : les données de terrain produites supposent et entretiennent le contact, au plus près de la sphère physique et mentale des humains et des non-humains auxquels ils se frottent. Cette sensibilité de la démarche s’applique par ailleurs à l’auteure, qui est restée en contact avec elle-même, sensible en permanence – et sans le moindre narcissisme – à la complexité de ses propres positions de chercheuse, d’observatrice, d’experte et de consommatrice de son objet. Sensible enfin, dans la mesure où les analyses sont toujours respectueuses, tant sur le plan de la validité des observations que sur le plan de la fidélité aux personnes et aux interactions vécues avec elles.

    La troisième qualité tient en peu de mots. Les pages qui nous sont offertes sont, dans leur architecture, essentielles, rigoureuses, limpides et agréables à lire.

    La dernière n’est pas la moindre. La recherche qu’on va découvrir témoigne d’une approche pour le moins innovante en criminologie (de la réaction sociale). J’ai déjà dit qu’elle portait sur une réforme en train de se faire, j’ai déjà évoqué sa centration sur les comportements, en interaction, d’un objet non-humain. Je n’ai pas encore dit que cet ouvrage s’inscrit dans un approfondissement de pistes théoriques contemporaines essentielles en sociologie pénale. Brièvement formulé, si le système pénal était jusqu’il y a peu, une entreprise morale, vectorisée par des références nobles et archaïques, il est progressivement devenu une entreprise définalisée, plus soucieuse de ses outputs (ses prestations administratives computables) que de ses outcomes (ses effets réels au regard de ses objectifs escamotés). Il faut prendre acte de ce changement sans nostalgie : l’orientation morale de l’action pénale n’est peut-être pas, en termes d’évaluation éthico-politique, meilleure que sa définalisation managériale⁵. Le livre qui s’ouvre ici fait un pas de plus en observant les expériences professionnelles⁶ de ce nouveau contexte politique et administratif et du nouveau régime normatif qu’il promeut. Si les changements sont sensibles pour les organisations, qu’en est-il pour les travailleurs chargés de la mise en œuvre de ces changements et pour les justiciables soumis à leur opérationnalisation ? Le travail de recherche d’Alexia Jonckheere constitue une pièce très significative de cet enjeu renouvelé de recherche en sociologie pénale, sans compter l’apport latéral qu’il fait à la sociologie du travail. Il n’est pas venu le temps, pas encore, où la créativité humaine sera rattrapée par la représentation utopique, univoque et mécanique qu’en ont les ingénieurs-concepteurs. Il n’est cependant pas venu (non plus) le temps où ceux-ci cesseront de croire au Tout-Puissant.

    Dan Kaminski

    1. Ces ingénieurs sont néanmoins des anges : on est donc bien dans l’imagerie chrétienne. Les ailes et la tunique blanche sont cependant absentes, car ces accessoires sont « une invention des peintres de l’ancien temps ».

    2. D. BUZZATI, « La Création », in Le K, Paris, Laffont, 1967.

    3. Ancrée par ailleurs dans la sociologie de la traduction. Voir M. CALLON, « Éléments pour une sociologie de la traduction. La domestication des coquilles Saint-Jacques et des marins-pêcheurs dans la baie de Saint-Brieuc », L’Année sociologique, 1986, no 36, pp. 169-208.

    4. Y. CHALAS, « L’ignorance dans la vie quotidienne : La volonté de non-savoir », Cahiers internationaux de Sociologie, 1990, 84, pp. 313-338.

    5. D. KAMINSKI, Pénalité, management, innovation, Namur, Presses Universitaires de Namur, 2010.

    6. Je noterai que le réel de l’activité professionnelle étudié dans ces pages est conceptuellement comparable au réel de la peine vécue par le justiciable, sous l’empire managérial. Voir, par exemple, F. PHILIPPE, « La peine de travail autonome : quand la flexibilité entre en jeu », in D. KAMINSKI (dir.), La flexibilité des sanctions, Bruxelles, Bruylant, 2012, pp. 123-139.

    LISTE DES ABRÉVIATIONS

    SOMMAIRE

    Introduction générale

    Première partie

    Le processus d’accommodation à SIPAR

    Chapitre 1. La période de conception (1998-2000)

    Chapitre 2. La période d’expérimentation (2000-2004)

    Chapitre 3. La période d’habituation

    Chapitre 4. La période de routinisation

    Chapitre 5. La période de reconception

    Seconde partie

    Les mises en tension du travail par l’informatisation

    Chapitre 1. L’enjeu d’uniformisation du travail en maison de justice

    Chapitre 2. Le contrôle multiforme au sein des maisons de justice

    Chapitre 3. Les menaces d’effondrement de la dimension sociale du travail face aux charges administratives

    Conclusions générales

    Annexe : le travail d’enquête

    Bibliographie

    Liste des tableaux

    INTRODUCTION GÉNÉRALE

    Le présent ouvrage met en scène des travailleurs, assistants de justice et une application informatique, SIPAR. Les assistants de justice sont des fonctionnaires publics, chargés principalement de l’accompagnement socio-judiciaire de condamnés et autres justiciables devant exécuter une sanction pénale en milieu ouvert. Travailleurs sociaux, ils ont été rassemblés à la fin des années 1990 dans des maisons de justice. À peine ces maisons étaient-elles créées qu’elles furent soumises à des processus managériaux sans précédent, introduits dans la foulée de la réforme dite Copernic. Leur mise en œuvre a été facilitée par une application informatique dont l’acronyme SIPAR (Système Informatique PARajudiciaire) est désormais connu par tous les assistants de justice. Ils sont en effet dans l’obligation d’en faire usage depuis le 1er janvier 2005.

    Approcher le travail en maison de justice par le biais de l’informatisation de l’activité est l’objectif poursuivi par cet ouvrage. Il rend compte des principaux résultats d’une recherche doctorale qui visait à comprendre ce que font les assistants de justice lorsqu’ils sont aux prises avec SIPAR¹. Il s’agissait plus précisément d’accroître les connaissances sur leur travail, encore largement méconnu, à partir d’une observation de leurs interactions avec l’application informatique dont l’usage leur est désormais imposé. C’est dire que le projet s’est moins attaché à décrire les activités prescrites par les dispositifs normatifs entourant, par exemple, la guidance des libérés conditionnels, le suivi des condamnés à des peines de travail ou encore le contrôle des personnes placées sous surveillance électronique que d’ouvrir un questionnement sur ce qui se fait au quotidien au sein des maisons de justice. Mais il s’agissait aussi de comprendre les activités empêchées : celles que les assistants de justice ne font pas ou ne font plus depuis la généralisation du dispositif informatique.

    Ce sont donc les travailleurs qui sont au cœur de l’ouvrage. Ils font, comme les condamnés, l’expérience du pénal et de ses évolutions contemporaines. Soumis à des exigences croissantes en termes de flexibilité, de rentabilité et de qualité, ils naviguent entre justiciables et autorités mandantes, sur des embarcations fragilisées par la diversité des modes de régulation de leurs activités. En effet, le droit, le travail social et le management prétendent aujourd’hui guider, à différents niveaux, l’agir professionnel des assistants de justice, sans que les déséquilibres que génère l’usage concomitant de ces trois modes de régulation ne soient connus et reconnus. Cette situation amène les travailleurs à devoir définir eux-mêmes la ligne de leurs interventions, en fonction de la conception qu’ils ont de leur travail. L’ouvrage rend ainsi hommage à la complexité du quotidien professionnel des travailleurs sociaux que sont – et demeurent ? – les assistants de justice.

    1. – Contextualisation

    A. – 

    L’organisation du travail en maison de justice : perspective historique

    Si les maisons de justice constituent une organisation relativement récente, la présence de travailleurs sociaux parmi le personnel de l’administration de la justice est beaucoup plus ancienne. C’est en effet en 1930 que furent créés, au sein de l’administration pénitentiaire, les premiers emplois d’assistants sociaux, les interventions sociales en prison étant jusque-là limitées aux visites privées et bénévoles des comités de patronage créés au cours du XIXe siècle². La loi du 29 juin 1964 concernant la suspension, le sursis et la probation vint renforcer cette présence de travailleurs sociaux au sein de l’administration de la justice en instituant, cette fois en dehors du champ carcéral, des assistants de probation. Il fallut ensuite attendre les années 1990 pour que se développe à foison le travail social, à la faveur de la promotion d’un certain nombre de mesures dites « alternatives » : la (mise en) liberté sous conditions, la médiation pénale, le travail d’intérêt général, la formation, etc. Les missions des assistants de justice se répartissent aujourd’hui entre des missions pénales et des missions civiles. Les missions pénales ont trait, soit à des enquêtes, soit à des guidances, dans des matières comme la probation, la peine de travail (depuis 2002), la libération conditionnelle, la médiation pénale, la surveillance électronique (depuis 2007), etc. Les missions civiles ont trait à des fonctions d’accueil dit de première ligne, d’aide aux victimes et d’études sociales destinées à clarifier une situation familiale dans le cadre, par exemple, d’une séparation parentale.

    Sur le plan institutionnel, le travail social en justice connut trois réformes majeures. Son organisation fut une première fois bouleversée dans le cadre des réformes institutionnelles qui aboutirent à l’adoption de la loi du 8 août 1980³. La Belgique s’engagea alors dans un processus de fédéralisation, la compétence en matière d’aide sociale pénitentiaire et post-pénitentiaire étant dans ce cadre assignée aux Communautés, à l’exception toutefois de l’exécution des décisions pénales : « Il fut décidé à l’époque que le ministre de la Justice, via le service social pénitentiaire qu’il conservait malgré la réforme institutionnelle, restait compétent pour l’exécution des décisions pénales (enquêtes sociales demandées par les autorités, contrôle des probationnaires, information des détenus, participation au traitement et surveillance des condamnés libérés sous conditions), tandis que les Communautés se voyaient confier le reste des interventions (aide matérielle et morale aux détenus et à leur famille, préparation au reclassement et aide sociale aux détenus libérés). En bref, une répartition des compétences selon la distinction entre intervention contraignante et aide volontaire »⁴. Ce fut là un changement fondamental pour les travailleurs de l’administration pénitentiaire : désormais, l’aide qu’ils pourraient encore apporter aux justiciables devrait l’être dans un cadre contraignant.

    Une deuxième réforme majeure intervint à la fin des années 1990 : elle aboutit à la création des maisons de justice qui marqua une scission entre les secteurs intra et extra muros. Les assistants de justice furent en effet chargés d’intervenir en dehors des établissements pénitentiaires et autres lieux d’incarcération. La création des maisons de justice fut politiquement décidée au cours de l’été 1996 : mentionnée dans la note de politique générale du ministre de la Justice du mois de juin 1996, elle fut ensuite annoncée à la suite du conseil des ministres du 30 août de la même année, dans le contexte de la découverte des corps d’enfants disparus⁵. L’année suivante, en novembre 1997, était inaugurée la première maison de justice du pays, dans l’arrondissement judiciaire du ministre de la Justice de l’époque. Il fallut encore attendre 1999 pour que des dispositions normatives balisent la nouvelle structure organisationnelle. Depuis, il existe 28 maisons de justice⁶.

    Enfin, la dernière réforme majeure du travail social en justice est inscrite dans l’accord institutionnel pour la sixième réforme de l’État du 11 octobre 2011. Cet accord détaille les compétences qui seront transférées de l’État fédéral vers les entités fédérées, en ciblant les maisons de justice et en prévoyant plus précisément la « communautarisation de l’organisation et des compétences relatives à l’exécution des peines, à l’accueil des victimes, à l’aide de première ligne et aux missions subventionnées »⁷. En attendant sa mise en œuvre, les maisons de justice restent compétentes pour des dispositifs aussi diversifiés que la médiation pénale, la (mise en) liberté sous conditions comme alternative à la détention préventive, la probation, la peine de travail, la surveillance électronique, la détention limitée, la libération provisoire, la libération conditionnelle, la mise à la disposition des tribunaux de l’application des peines, la libération à l’essai d’internés et les missions civiles⁸.

    B. – 

    Le management des maisons de justice

    C’est la réforme Copernic qui, en Belgique, marque de la façon la plus éclatante l’introduction des principes du nouveau management public (« new public management » ou « nouvelle gestion publique ») dans les structures administratives de l’État. La modernisation de ces structures se faisait plutôt attendre lorsqu’éclata l’affaire de la dioxine : en mai 1999, la population apprend que des aliments qui lui sont destinés ont été contaminés par de la dioxine provenant de la graisse utilisée dans la préparation de nourriture animale. Le gouvernement réagit avec vigueur, par l’entremise de son nouveau ministre de la fonction publique et de la modernisation de l’administration, L. Van den Bossche. Celui-ci élabora un projet de modernisation de l’administration fédérale, mieux connu sous le nom de « réforme Copernic ». Parmi ses multiples effets, on mentionnera le réaménagement de l’administration fédérale en dix services publics dits verticaux et, parmi ces services publics nouvellement organisés, celui de la Justice qui vit le jour le 29 mai 2001⁹. Un autre effet de la réforme Copernic consiste en la généralisation d’un processus managérial aujourd’hui bien connu des fonctionnaires publics fédéraux et, en particulier, des assistants de justice, les BPR.

    Un BPR, c’est d’abord un acronyme (Business Process Reengineering), pouvant se traduire par « Refonte des Processus de l’Organisation ». C’est aussi, en quelque sorte, les Bottes de Sept Lieues des temps modernes : rejetant expressément la « politique des petits pas », les promoteurs des BPR mettent avant tout l’accent sur les grands changements qui permettraient de modifier radicalement les processus et les structures des administrations. Dans l’analyse qu’il fit de l’imaginaire Copernic et de ses pratiques, A. Piraux souligne que « Le reengineering est une idée venue des chaînes de montage de l’industrie »¹⁰. Il s’agit ainsi de promouvoir avant tout une amélioration substantielle des gains de l’entreprise, fut-elle publique. Trois étapes composent l’approche : l’organisation est invitée à se doter, dans un premier temps, d’une vision stratégique devant lui permettre d’évoluer de son état actuel (appelé as-is) vers un état idéal (dénommé to-be), un trajet de changements est ensuite dessiné en tenant compte des écarts entre ces deux états (GAP analysis) et est concrétisé en plans d’actions, enfin, la dernière phase d’un BPR vise à mettre en œuvre les plans d’actions, c’est la phase de l’implémentation¹¹. En juin 2005, 22 BPR étaient en cours au sein des services publics fédéraux (SPF) belges.

    Le BPR propre au SPF Justice prit le nom de Just-in-time ; il se déroula entre 2003 et 2005. Mais c’est le « petit BPR », celui des maisons de justice, qui retiendra ici toute l’attention. Lancé en janvier 2004 et confié à un consortium privé¹², son ampleur fut sans précédent ; il entraîna d’ailleurs la suspension de nombreux projets alors en cours au sein des maisons de justice, comme celui qui visait à réaliser des manuels écrits sur la méthodologie à suivre pour chaque mission désormais dévolue à la nouvelle structure¹³. Il se clôtura officiellement en avril 2008. Un de ses résultats majeurs (et inattendu) fut sans nul doute la création, au 1er janvier 2007, d’une Direction générale au sein du SPF Justice, spécifiquement dévolue aux maisons de justice. Mais il aboutit également à l’adoption d’un nouveau modèle d’organisation (les organigrammes internes aux maisons de justice ont été revus, des « managers processus-clé » ont été engagés pour diriger une partie du personnel des structures locales, etc.), ainsi que d’un nouveau modèle de gestion. Ce nouveau modèle de gestion repose sur une double uniformisation : des normes organisationnelles et des outils de travail.

    Les normes qui furent progressivement adoptées dans le cadre du BPR ont été édictées principalement sous la forme d’instructions de travail. Elles furent au final près de 300 à être diffusées par voie informatique dans les maisons de justice et depuis, elles sont régulièrement adaptées, également par voie informatique¹⁴. Elles renvoient à des processus : enquête sociale en vue d’une peine de travail, guidance probatoire, accueil des victimes durant une enquête, etc. Chacun de ces processus est découpé en activités : réception du mandat, désignation de l’assistant de justice, analyse du mandat, planning des interventions, exécution des contacts, etc. Par activité, une fiche précise systématiquement ses objectifs, fait état des moyens à disposition de l’assistant de justice pour les réaliser (base de données, lettres types, etc.), détermine les tâches à accomplir et en précise les responsables, expose la méthode de travail, mentionne les éventuels indicateurs sur la base desquels l’activité sera évaluée et fournit quelques compléments d’information en annexe. C’est particulièrement dans la méthode de travail que l’intervention des assistants de justice est fortement balisée. Ainsi, les instructions de travail précisent notamment la manière de convoquer un justiciable (par téléphone, par courrier, etc.), le nombre de rappels à envoyer, le déroulement des entretiens et leur contenu¹⁵.

    Les instructions de travail sont régulièrement revues¹⁶ ; elles ont ainsi été peu à peu clarifiées, particulièrement quant à leur portée. La Direction générale des maisons de justice (DGMJ) a notamment été amenée à préciser qu’elles ne constituent qu’un cadre de référence destiné à structurer les interventions, les assistants de justice pouvant ne pas en respecter l’un ou l’autre aspect, pour peu néanmoins qu’ils puissent s’expliquer sur leurs éléments d’appréciation, ajoutant même que « Dans un esprit de responsabilisation, l’aval de la hiérarchie n’est pas systématiquement nécessaire mais celle-ci doit avoir connaissance des tendances qui émergent, si tendance il y a »¹⁷. Ainsi, quand la situation se justifie et pour peu bien entendu que l’assistant de justice reste dans le cadre de la légalité, il peut s’écarter non seulement des instructions de travail mais également des outils mis à sa disposition.

    À côté de ces instructions de travail, d’autres normes organisationnelles furent adoptées dans le cadre du BPR, comme le principe d’une flexibilité fonctionnelle des assistants de justice. Avant la création des maisons de justice, les travailleurs sociaux en charge des dossiers relatifs à la probation, la médiation pénale, la libération conditionnelle, etc. en étaient

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