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La criminologie clinique, un passage par Wittgenstein
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La criminologie clinique, un passage par Wittgenstein
Livre électronique193 pages2 heures

La criminologie clinique, un passage par Wittgenstein

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À propos de ce livre électronique

La formation à la fois de psychologue, de juriste et de criminologue de l’auteur et une pratique dans de nombreux milieux de « transgresseurs de la loi » (prison, juridictions pour jeunes, etc.) l’ont amené à trouver dans Wittgenstein un prolongement de ses expériences ou une nouvelle manière de les interpréter. Ce fut au départ et principalement à traversle concept de jeu de langage qu’il a introduit et qui soulève dans son prolongement de nombreuses questions. Chacun de nous a un jeu de langage propre qui résulte à la fois du milieu dans lequel il vit et a vécu, de ses expériences et ses apprentissages en rapport avec lesquels il construit son lien aux autres. Le travail présenté ici est un essai qui prend cette notion comme point de départ. Au-delà d’une définition, on en arrive à poser ce que Wittgenstein et ses commentateurs ont appelé les « maladies » du langage et les thérapies possibles. Également à son origine, la manière dont la sensation et le jugement perceptif constituent un mode de codage de la réalité qui détermine chez l’animal comme chez l’homme le fonctionnement de la pensée dans leur manière d’agir. Il s’agit en plus de voir, dans le cadre de la communication, le type de compréhension qu’a le sujet de l’acte qu’il commet, le sens que peut avoir le mensonge qui apparait chez lui comme mode d’adaptation, ainsi que le jeu possible des facteurs inconscients et la manière dont Wittgenstein en débat avec Freud.
LangueFrançais
Date de sortie14 mars 2014
ISBN9782804466480
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    Aperçu du livre

    La criminologie clinique, un passage par Wittgenstein - Christian Debuyst

    Bibliographie

    INTRODUCTION

    Quand on agite une question, notre premier soin doit être de considérer si les notions complexes des personnes avec qui nous nous entretenons renferment un plus grand nombre d’idées simples que les nôtres. Si nous le soupçonnons plus grand, il faut nous informer de combien et de quelles espèces d’idées ; s’il nous paraît plus petit, nous devons faire connaître quelles idées simples nous y ajoutons en plus (Condillac, 1947 [1746], 91).

    Cette exigence doit être complétée par un constat qui nous montre la difficulté d’agir de cette manière : « L’usage des mots est devenu si familier que nous ne doutons point que l’on doive saisir notre pensée, aussitôt que nous les prononçons, comme si les idées ne pouvaient qu’être les mêmes dans celui qui parle et celui qui écoute » (Condillac, 1947 [1746], 91). Or il s’agit là d’une erreur à laquelle, trop souvent, on néglige de prendre garde. On oublie que le langage est de l’ordre du préjugé… Dans le cadre de la communication avec les autres, il est donc nécessaire d’opérer une rupture avec ce qui « paraît aller de soi » (voy. Debuyst, 1992, rééd. 2009, 425).

    Après un certain nombre d’années de travail et de réflexion en criminologie clinique, il nous a paru utile de marquer un point d’arrêt afin de faire quelques constats qui pourraient constituer, selon les termes de Condillac, des « idées simples » à partir desquelles il serait possible de nous resituer.

    Nous commencerons par faire, dans cette introduction, une série de ces constats.

    Un premier constat : il y a lieu de reconnaître que la pratique clinique criminologique est de plus en plus liée au contexte dans lequel travaille le clinicien. La relation qu’il soutient s’exprime en effet en termes différents selon qu’il est psychologue chargé d’intervenir devant une cour d’assises ou dans une institution où il travaille en groupe et participe aux décisions de libération (ou non) des sujets qui s’y trouvent, ou encore si sa fonction de clinicien consiste à rencontrer des détenus et à discuter avec eux en prison après leur condamnation. Si nous voulons imaginer le développement de la criminologie clinique, il nous paraît certain que ce sera à l’intérieur de chacune de ces situations qu’elle aura à résoudre les problèmes particuliers qui s’y posent et à se définir. Nous voyons d’ailleurs que c’est à ce niveau que nous trouvons les quelques études les plus intéressantes que nous avons eu l’occasion de lire, faites souvent par des chercheurs, et qui redonnent à la clinique son sens et sa dynamique propre. Nous nous contenterons de citer celle de Marie-Sophie Devresse, Usagers de drogue et justice pénale (2006), celle de Christophe Adam intitulée Délinquants sexuels et pratiques psychosociales. Rester clinicien en milieu carcéral (2011), la recherche réalisée en France sur L’usage des expertises psychologiques au procès pénal et les questions pratiques de responsabilité (Renard et al., 2010) ou, en Belgique, l’analyse empirique du rapport entre relation clinique et expertise dans le cadre de la défense sociale (Cartuyvels, Champetier et Wyvekens, 2010). C’est là effectivement un constat qui donne à la clinique sa vie propre et permet d’éviter qu’elle soit essentiellement tributaire de certaines notions comme celle de dangerosité dont l’influence fluctue selon les circonstances politiques. Entendue de cette manière, une véritable réflexion ne peut se faire, du moins dans un premier temps, qu’à l’intérieur de cette situation clinique « fragmentée ».

    Un deuxième constat : il est nécessaire de préciser, pour comprendre ce qui va suivre, la situation de clinicien qui était la nôtre, lorsque nous avons été amené à travailler, dans les années 1955-1960, à la prison centrale de Louvain tout en étant, à l’université, assistant du médecin psychiatre Étienne De Greeff. L’optique qui était la nôtre n’en constitue pas moins une donnée qui reste importante et à laquelle il nous paraît encore possible de nous référer, faut-il le dire, idéalement, parce qu’elle se situait dans un autre contexte.

    Dans cette prison centrale, ce que nous considérions comme essentiel était d’avoir une « conversation » avec les détenus condamnés à une peine de prison (généralement supérieure à cinq ans). Nous étions amené à les voir, généralement, une première fois au début de leur peine, chaque année dans la suite ou à leur demande. C’est également dans ce cadre particulier que nous avons poursuivi un doctorat portant sur les détenus les plus jeunes (de 16 à 25 ans), étant à l’époque le seul clinicien avec le psychiatre et le service anthropologique qui s’occupait principalement de recueillir et d’enregistrer différentes mensurations.

    Ce sur quoi il importe d’insister est notre mode d’examen, car c’est à partir de là que l’on peut le mieux comprendre la logique que nous avons adoptée et que le choix des lectures qui ont orienté ce travail a pris forme : Wittgenstein, Bouveresse, notamment. Pour traduire l’intervention clinique, nous utilisions plutôt le terme de « conversation » avec les détenus, plutôt que d’« examen », et cela pour différentes raisons. D’abord, cela nous était possible : ne faisant pas partie du personnel de l’administration, nous n’avions pas de tâche décisionnelle. Il nous paraissait dès lors essentiel (et possible) d’avoir une attitude d’accueil et d’attention visant à donner au détenu la liberté de parler et de donner son avis sur les relations entretenues avec sa famille et la société, et surtout, de témoigner de ses réactions à la condamnation et de la manière dont il l’avait vécue. Il ne s’agissait donc pas d’insister dès l’abord sur l’infraction commise et sa responsabilité dans cet acte, mais d’y arriver dans le cours de la conversation telle qu’elle s’était engagée. Les réactions des détenus étaient variables : c’était parfois une attitude de retrait ; c’était souvent le sentiment que leur passage au tribunal et leur condamnation reposaient sur des descriptions d’eux-mêmes et de leurs actes qui ne correspondaient pas à leur expérience personnelle ; elles appartenaient, disaient-ils, à un monde (celui des instances judiciaires) dont ils n’avaient pas perçu la connexion avec ce qu’ils avaient eux-mêmes vécu ; ils témoignaient particulièrement d’une différence de langage (ou nous dirions, de jeu de langage). Pour notre part, l’essentiel consistait, au cours de la conversation, non seulement à retranscrire leurs propos de manière fidèle, mais aussi, en même temps, à arriver à leur faire comprendre que leur comportement avait néanmoins posé problème au groupe social et qu’il était difficile de ne pas en tenir compte.

    Cela n’empêchait pas qu’au cours de l’entretien on utilise un certain nombre de tests ou d’épreuves, tels qu’un test d’intelligence rapide comme le test Bêta de l’armée américaine, le questionnaire d’Eysenck sur le névrosisme ou les planches du test projectif T.A.T. Mais ces épreuves étaient toujours présentées comme un type de tests auxquels les gens étaient soumis dans de multiples circonstances, qu’elles soient scolaires ou professionnelles, etc., et qu’elles avaient de ce point de vue un intérêt, sans doute limité, mais réel : elles montraient les points d’intérêt (ou de désintérêt) qui étaient les leurs et que l’on pourrait continuer à discuter. Dans la perspective de l’École de criminologie de Lyon (sous la direction du professeur Collin), les tests étaient considérés comme pouvant être intégrés dans l’entretien, quitte à ne pas toujours respecter les règles strictes qui déterminaient leur passation (ce dont, bien sûr, nous tenions compte dans l’interprétation des résultats).

    En résumé et après coup, ce qui nous paraissait essentiel était que l’accent n’était pas mis principalement sur une recherche des « causes » du comportement délinquant, ce qui aurait été le cas si la clinique avait été définie comme investigation dominée par la nécessité d’« expliquer », au sens limité, les « faits » commis ou encore, à déterminer d’une manière ou d’une autre la dangerosité du sujet. L’objectif principal était de pouvoir atteindre le « point de vue » tel qu’il apparaissait dans les réactions de l’infracteur, de connaître ses « raisons » et, en suivant le cours de ses réactions, de « comprendre » progressivement quelle était l’« attitude » dans laquelle les faits prenaient place. Dans la suite, il importait d’en discuter et, dans ce sens, il est certain que nous pouvions nous servir de notre formation à la fois psycho-sociologique et psychiatrique et apparaître de ce fait comme un interlocuteur « crédible » et susceptible d’être « ouvert » aux réalités que le sujet avait pu rencontrer (voy. Debuyst, 1960).

    Troisième constat : il faut reconnaître que le choix de cette orientation clinique (qui en fin de compte prolongeait celle du docteur De Greeff) aboutissait parfois à mettre le clinicien en situation difficile. Dans la rencontre et la discussion qui avait cours, il pouvait apparaître clairement que, dans leurs rapports avec la « société », les torts n’avaient pas toujours été ceux des détenus, et qu’il était parfois nécessaire, pour un clinicien, de le reconnaître et de chercher à en relativiser la portée. Au cours des années soixante, l’attitude criminologique était particulièrement ouverte à une clinique qui présentait cette manière de faire. Elle a forcément évolué depuis lors, et un clinicien relativement indépendant a été remplacé par une équipe dont l’intégration dans ce que représente la « réaction sociale » s’est modifiée pour correspondre aux objectifs qui se sont imposés : ceux d’assurer au groupe social sa sécurité. Un tel objectif situait de façon plus directe l’ensemble des professionnels liés à la clinique (psychologues, assistants sociaux, criminologues), à des tâches décisionnelles et éventuellement, conduisait à un tel objectif. À ce propos, il nous paraît effectivement souhaitable de revoir ce type de pratique – comme l’ont déjà fait certains ainsi que nous l’avons dit –, et de la resituer dans le cadre d’une « clinique fragmentée ».

    Quatrième constat : cela étant, notre objectif ne pouvait plus être d’approfondir un type d’attitude qui, liée à une pratique, avait été la nôtre et se référait au passé. Il nous paraissait de plus impossible – du fait que nous avions quitté la profession – de nous réengager dans cette « clinique fragmentée ». Il était de ce fait plus utile de revenir à une réflexion théorique – que nous avons menée avec un réel plaisir – et d’observer, par rapport à ce que nous venons de définir (ou de décrire) comme une forme d’attitude « clinique », ce qui pouvait en constituer les supports, puis rechercher ceux-ci dans une littérature plus proprement scientifique. Nous avions indiqué que les détenus, à propos de leurs rapports avec les autorités judiciaires, disaient que celles-ci s’adressaient à eux à partir d’un autre langage qui se différenciait du leur et leur paraissait sans correspondance avec ce qu’ils avaient vécu. Une question plus large devenait de ce fait : qu’est-ce que le langage et les jeux à partir desquels celui-ci peut prendre forme et exprimer ce que pense et veut transmettre le sujet ?

    Un dernier constat : nous changeons donc radicalement de registre, sans rompre cependant avec la préoccupation principale et en nous permettant, lorsque la possibilité se présente, de recourir à des observations de cas concrets susceptibles d’étayer certaines de ces préoccupations. C’est dans cette voie que nous avons été amené à utiliser Wittgenstein comme « passage » d’une pensée axée sur une pratique concrète à une réflexion plus théorique qui nous permettra d’approfondir une connaissance susceptible de fonctionner dans une pratique qui, à première vue, nous paraissait aller de soi.

    *

    *         *

    Après ces quelques constats, nous en revenons à la criminologie et à une deuxième idée simple qui la concerne et nous situe dans un cadre plus général : celle que nous trouvons dans la définition qu’Alvaro Pires donne de la criminologie (in Debuyst et al., 2008a, 25) : il s’agit à la fois, écrit-il, d’un « champ d’étude » et d’une « activité complexe de connaissance interdisciplinaire ». Il nous intéresse de constater que Pires reprend explicitement le terme d’activité à Wittgenstein¹ qui lui donne d’ailleurs une signification précise : celle d’apporter une « valeur éclairante » à l’objet « étudié ». Et cette « valeur éclairante » n’est pas apportée n’importe comment : « La philosophie n’est pas une doctrine mais une activité » et cette activité aurait pour but « la clarification logique de la pensée » (Debuyst et al., 2008a, 25). On pourrait ainsi dire qu’il importerait de prendre le terme d’« activité » dans deux sens. D’une part, dans le cadre d’une pratique, qu’elle soit clinique ou autre, celle-ci serait susceptible de tenir compte des données interdisciplinaires, et d’atteindre ainsi, selon les termes mêmes de Pires « l’élucidation et […] la compréhension de la question criminelle au sens large ». C’est ce dont nous avons déjà parlé et que recouvre l’idée d’une clinique « fragmentée ». D’autre part, au-delà de la question criminelle, nous pourrions suivre Wittgenstein dans ce qu’il appelle la « logique de la pensée ». L’accent est alors placé sur ce que les philosophes analytiques anglais appellent les « outils » susceptibles d’être mobilisés (Debuyst, 2010) et qui déterminent la manière dont se constitue, pour

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