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L’innéité aujourd’hui: Connaissances scientifiques et problèmes philosophiques
L’innéité aujourd’hui: Connaissances scientifiques et problèmes philosophiques
L’innéité aujourd’hui: Connaissances scientifiques et problèmes philosophiques
Livre électronique284 pages5 heures

L’innéité aujourd’hui: Connaissances scientifiques et problèmes philosophiques

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À propos de ce livre électronique

Une étude approfondie de la notion d'innéité

Dans la seconde moitié du XXe siècle, la notion d’innéité est revenue au premier plan du débat intellectuel avec trois phénomènes connexes. Le premier est l’essor de la génétique moléculaire, qui confortait l’idée d’un programme contenu dans le génome, programme que l’individu biologique viendrait réaliser. Le second est la linguistique chomskyenne, qui a mis l’accent sur la nécessité de postuler une connaissance innée des principes de la grammaire universelle dans l’analyse de la faculté du langage. Le troisième est la constitution de l’éthologie, marquée par la contribution de Lorenz et par l’idée du caractère adaptatif de schémas comportementaux innés. La philosophie se voit ainsi invitée à repenser à une notion qui avait habité le débat classique entre rationalistes et empiristes, une notion dont l’usage se développe désormais dans des champs de recherche multiples et hétérogènes, qui vont de la médecine, avec l’extension de la classe des maladies génétiques, à la philosophie morale, puisqu’il a été par exemple soutenu que nous disposons d’une grammaire innée des jugements moraux.
Le pari du présent volume, rédigé par des philosophes et historiens des sciences et par une linguiste, est de proposer une généalogie du débat, de distinguer entre les innéismes et de suggérer plutôt des solutions locales à des problèmes distincts qu’un paradigme unificateur. Sans doute ne sommes-nous pas, pour reprendre la formule de Leibniz, « innés à nous-mêmes », et nul ne peut se contenter de l’universalité abstraite d’une nature humaine qui serait toujours identique à elle-même. Mais il demeure nécessaire de réfléchir aux conditions sous lesquelles ont lieu le développement et l’apprentissage, aux conditions de la sensibilité au contexte et à celles de l’acquisition des différences.

Sommes-nous, comme le pensait Leibniz, "innés à nous-mêmes" ?

EXTRAIT

On peut néanmoins se demander si la complexité du développement phénotypique ou l’impossibilité de montrer la prédominance causale des gènes pour la plupart des traits suffit à justifier l’abandon de la notion d’innéité. Ariew pense au contraire que ces difficultés peuvent être surmontées et qu’il est possible d’élaborer une approche de l’innéité compatible avec la complexité du développement. En effet, sa conception de l’innéité redéfinie comme « canalisation du développement » s’efforce de prendre en compte la complexité de l’ontogénie. S’inspirant de la théorie de l’embryologiste Conrad Waddington, Ariew assimile l’innéité à l’insensibilité à la variation de l’environnement, c’est-à-dire au degré auquel le processus développemental est lié à la production d’un état final particulier, en dépit des fluctuations environnementales de la situation initiale comme des conditions rencontrées au cours du développement.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Denis Forest est professeur au département de philosophie de l’Université Paris Ouest Nanterre et chercheur associé à l’Institut d’histoire et de philosophie des sciences et des techniques (IHPST), Paris. Ses recherches sur les neurosciences sont à la convergence de la philosophie et de l’histoire des sciences, de la philosophie de la médecine et de la philosophie de l’esprit. Sous sa direction, plusieurs auteurs ont contribué à L'innéité aujourd'hui : Delphine Blitman, Marion Le Bidan, Samuel Lepine, Valentine Reynaud et Caroline Rossi.
LangueFrançais
Date de sortie29 mars 2018
ISBN9782919694181
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    L’innéité aujourd’hui - Denis Forest

    Couverture de l'epub

    Sous la direction de

    Denis Forest

    L’innéité aujourd’hui

    Connaissances scientifiques et problèmes philosophiques

    2013 Logo de l'éditeur EDMAT

    Copyright

    © Editions Matériologiques, Paris, 2016

    ISBN numérique : 9782919694181

    ISBN papier : 9782919694303

    Cette œuvre est protégée par le droit d’auteur et strictement réservée à l’usage privé du client. Toute reproduction ou diffusion au profit de tiers, à titre gratuit ou onéreux, de tout ou partie de cette œuvre est strictement interdite et constitue une contrefaçon prévue par les articles L 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle. L’éditeur se réserve le droit de poursuivre toute atteinte à ses droits de propriété intellectuelle devant les juridictions civiles ou pénales.

    Logo CNL Logo Editions Matériologiques

    Présentation

    Dans la seconde moitié du XXe siècle, la notion d’innéité est revenue au premier plan du débat intellectuel avec trois phénomènes connexes. Le premier est l’essor de la génétique moléculaire, qui confortait l’idée d’un programme contenu dans le génome, programme que l’individu biologique viendrait réaliser. Le second est la linguistique chomskyenne, qui a mis l’accent sur la nécessité de postuler une connaissance innée des principes de la grammaire universelle dans l’analyse de la faculté du langage. Le troisième est la constitution de l’éthologie, marquée par la contribution de Lorenz et par l’idée du caractère adaptatif de schémas comportementaux innés. La philosophie se voit ainsi invitée à repenser à une notion qui avait habité le débat classique entre rationalistes et empiristes, une notion dont l’usage se développe désormais dans des champs de recherche multiples et hétérogènes, qui vont de la médecine, avec l’extension de la classe des maladies génétiques, à la philosophie morale, puisqu’il a été par exemple soutenu que nous disposons d’une grammaire innée des jugements moraux. Le pari du présent volume, rédigé par des philosophes et historiens des sciences et par une linguiste, est de proposer une généalogie du débat, de distinguer entre les innéismes et de suggérer plutôt des solutions locales à des problèmes distincts qu’un paradigme unificateur. Sans doute ne sommes-nous pas, pour reprendre la formule de Leibniz, « innés à nous-mêmes », et nul ne peut se contenter de l’universalité abstraite d’une nature humaine qui serait toujours identique à elle-même. Mais il demeure nécessaire de réfléchir aux conditions sous lesquelles ont lieu le développement et l’apprentissage, aux conditions de la sensibilité au contexte et à celles de l’acquisition des différences.

    Table des matières

    L’innéité aujourd’hui   (Denis Forest)

    1 - Trois sources de l’innéisme contemporain : une généalogie

    2 - L’anti-innéisme : une position attrayante

    3 - Les critiques raisonnées de l’innéisme

    4 - Où en sommes-nous ?

    5 - Présentation des chapitres

    Chapitre 1. La généticisation des maladies : discours critiques et analyses historiques   (Marion Le Bidan)

    1 - Priorité causale, information génétique et programme génétique

    2 - Une analyse historique de l’émergence de la priorité causale

    3 - L’extension du concept de maladie génétique

    4 - Retour sur les critiques

    5 - Conclusion

    Chapitre 2. Qu’en est-il du débat inné/acquis ? Épigénétique, plasticité cérébrale, instincts et comportements : trois problèmes à distinguer (Delphine Blitman)

    1 - Pourquoi les choses sont si compliquées

    2 - Pour un bon usage de la notion d’innéité

    3 - Conclusion

    Chapitre 3. Comment faire un cerveau ? Forces et faiblesses du neuroconstructivisme   (Denis Forest)

    1 - De l’épigenèse de la spécialisation fonctionnelle à l’enracinement des différences structurelles

    2 - Le neuroconstructivisme dans son principe

    3 - Deux critiques du neuroconstructivisme

    4 - Conclusion

    Chapitre 4. L’innéité à l’épreuve de la complexité du développement   (Valentine Reynaud)

    1 - La complexité du développement

    2 - L’insuffisance de la notion de « spécification génétique »

    3 - Trois approches de l’innéité

    4 - Une défense de l’approche développementale

    5 - Quelques pistes pour une théorie du développement

    6 - Concevoir les capacités innées comme des unités fonctionnelles primitives

    Chapitre 5. Relativité linguistique et innéité : ennemies d’un jour ? (Caroline Rossi)

    1 - Accords et désaccords

    2 - Relativité linguistique et acquisition du langage

    3 - La variation : pierre d’achoppement ou révélateur ?

    4 - Conclusion

    Chapitre 6. Les émotions et les promesses du nativisme moral. Une cartographie du débat contemporain   (Samuel Lepine)

    1 - Le nativisme moral peut-il prendre en charge la relativité des mœurs ? La théorie de la grammaire morale universelle

    2 - Quelques défauts rédhibitoires de la théorie de la grammaire morale universelle : un premier aperçu des enjeux émotionnels de la morale

    3 - Une théorie mutualiste du sens moral ?

    4 - La construction émotionnelle de la morale

    5 - Le nativisme minimal : intuitions universelles et variations culturelles

    6 - L’hypothèse de la résonance affective

    7 - Conclusion : que reste-t-il du nativisme moral ? Émotions et exaptations

    Introduction

    L’innéité aujourd’hui 

    [1]

    Denis Forest

    Denis Forest est professeur au département de philosophie de l’Université Paris Ouest Nanterre et chercheur associé à l’Institut d’histoire et de philosophie des sciences et des techniques (IHPST), Paris. Ses recherches sur les neurosciences sont à la convergence de la philosophie et de l’histoire des sciences, de la philosophie de la médecine et de la philosophie de l’esprit. Il a notamment publié Histoire des aphasies, une anatomie de l’expression (2005) et participé au recueil Les fonctions : des organismes aux artefacts (2010). Il prépare un ouvrage intitulé Neuroscepticismes.

    Il existe un certain nombre d’examens synthétiques récents de la notion d’innéité  [2] . La présente introduction, elle, entend d’abord préciser pourquoi cette notion mérite un examen patient et comment cet examen peut être mené. Elle propose, à cette fin, trois choses. La première est l’esquisse d’un historique, conçu comme une généalogie du présent. Des présentations ou des histoires de tel ou tel domaine où la notion d’innéité joue un rôle, il en existe plusieurs qui sont excellentes, et cette introduction renvoie à un certain nombre d’entre elles. Mais il est plus rare sans doute que soit tenté un historique global du recours à la notion d’innéité depuis cinquante ans, qui ne s’arrête pas aux barrières entre disciplines. Et l’innéisme est sans doute quelque chose qu’il importe moins tout d’abord de juger que de comprendre dans sa provenance et ses implications multiples, pour comprendre la manière dont il détermine des recherches encore à venir. En second lieu, cette introduction inclut une analyse des résistances aux hypothèses innéistes, le débat étant loin d’être, en la matière, purement rationnel et dépassionné, et il me semble qu’il serait erroné et stérile de feindre qu’il l’est. Enfin, je présente brièvement les études qui composent le présent recueil. Leur pluralité, et cela peut être souligné d’emblée, n’est pas seulement le reflet de la différence des thématiques abordées et des préoccupations en partie divergentes de leurs auteurs. Elle est aussi le signe du fait que s’il y a des innéités, dans des contextes hétérogènes, présentant entre elles des airs de famille, les solutions prometteuses aux problèmes posés sont sans doute locales plutôt que globales.

    1 - Trois sources de l’innéisme contemporain : une généalogie

    Telle que nous la connaissons aujourd’hui, la notion d’innéité est revenue au XXe siècle au premier plan des débats intellectuels dans trois domaines, chacun marqué par une inflexion décisive. Le premier domaine est celui de la génétique moléculaire dont le développement a permis à partir des années 1950 de donner un contenu à l’idée formulée par le physicien Erwin Schrödinger d’un « code héréditaire » grâce auquel les chromosomes d’un ovule fécondé contiendraient un « modèle intégral du développement futur de l’individu et de son fonctionnement dans l’état adulte [3]  ». L’idée de code mérite sans doute une clarification : car on peut entendre par code soit le message qui porte une instruction (c’est le sens de Schrödinger, selon lequel les chromosomes contiennent le « code intégral »), soit la table de correspondance entre triplets nucléotidiques et acides aminés qui permet de constituer un tel message. Ensuite, on ne saurait trop insister sur le fait qu’il y avait loin, en 1953, de la découverte de la structure en double hélice de l’ADN à l’identification du code génétique (dans le second des deux sens précédemment distingués), qui ne commence, après bien des tâtonnements, qu’en 1961 [4] . On ne saurait non plus trop insister sur la distance qui sépare la découverte de l’association canonique entre un triplet de nucléotides et un acide aminé, et l’idée grandiose d’une prédiction possible des caractéristiques d’un individu à partir de son génome, telle que Schrödinger l’avait envisagée. Enfin, pour un historien de la biologie, la génétique moléculaire n’est qu’un épisode, si important soit-il, dans une histoire au long cours, celle de la science de l’hérédité dans laquelle il faudrait replacer, parmi d’autres, Francis Galton (1822-1911) et l’idée de « talent héréditaire » [5] , et Wilhelm Johannsen (1857-1927), l’introducteur des termes de gène, génotype et phénotype. Tout ceci étant dit, il est indéniable que les découvertes de la biologie moléculaire devaient accréditer l’idée d’une asymétrie fondamentale dans l’explication des caractéristiques d’un individu entre une part prépondérante des facteurs génétiques, c’est-à-dire innés au sens d’intrinsèques, et présents dès la conception de l’individu, et une part secondaire des facteurs environnementaux. Il est indéniable aussi que toutes les précautions prises par les scientifiques dans l’interprétation du rôle des gènes [6]  sont allées de pair avec la diffusion de l’idée de prédisposition génétique, conçue sous une forme plus précise que de vagues susceptibilités. Impossible d’évoquer la génétique moléculaire sans mentionner la notion de programme, inspirée par les technologies de l’information [7] . Selon les termes de François Jacob [8] , dans le paradigme où les gènes contiennent des « instructions », « l’organisme devient [...] la réalisation d’un programme prescrit par l’hérédité », un programme qui, selon sa formule, « ne reçoit pas les leçons de l’expérience ». C’est la différence entre l’ancienne hérédité, ou hérédité « molle », et l’hérédité « dure ». L’idée s’est ainsi répandue que nous pourrions être « innés à nous-mêmes », pour reprendre en en modifiant le contexte et le sens la formule qu’utilise Leibniz dans les Nouveaux essais sur l’entendement.

    Le second domaine dans lequel on a pu assister à un retour de la notion d’innéité a été la linguistique, du fait du développement du programme de la grammaire générative [9] . Selon Noam Chomsky, en effet, d’une part la maîtrise d’une langue par un locuteur humain suppose une véritable connaissance des principes de cette langue, et d’autre part l’acquisition du langage par l’enfant se ferait à partir d’un bagage inné qui contient de tels principes. Pour Chomsky, si l’apprentissage est possible, c’est parce que l’enfant apprend en un sens faible, plutôt que fort : il apprend à spécifier quelle version de la grammaire universelle permet le mieux de rendre compte des échantillons linguistiques qui sont présents dans son environnement. Mais il n’a pas à apprendre, en apprenant à parler, à quoi doit ressembler une langue humaine en général. Non seulement il est vrai que même un empiriste doit bien admettre des conditions minimales de l’apprentissage, qui n’ont pas à être acquises, mais la manière dont on peut contraster les échantillons limités du langage auxquels l’enfant est exposé, et la maîtrise des structures complexes auxquelles il parvient, invitent à expliquer par des facteurs internes spécifiques la richesse des connaissances que possède le locuteur d’une langue humaine. L’inné, en ce cas, est ce qui a des conditions internes dans les facultés de l’individu.

    À cette référence à un tournant qui s’est produit dans l’étude du langage humain, il faut sans doute ajouter la référence à un autre point d’inflexion, chronologiquement antérieur, lié à la fondation de l’éthologie [10] . Konrad Lorenz devait développer dès les années 1930 la thèse de l’existence de schémas comportementaux innés [11]  qui permettent à certains animaux de s’adapter à leur environnement, non au terme d’un processus d’apprentissage, mais en répondant sans instruction préalable à certains stimuli déclencheurs. Ce qui se mettait ainsi en place, dans la filiation des débats postdarwiniens sur les relations entre évolution et apprentissage, c’était aussi une réflexion sur les bénéfices et les coûts, en termes de valeur adaptative, de réponses invariantes à des stimuli environnementaux. Un animal qui n’a besoin que de l’occurrence d’un stimulus donné pour produire une réponse appropriée fait sans doute l’économie d’un processus d’apprentissage laborieux ; mais en même temps, il est exposé à l’ambiguïté possible des données de son milieu, qui peuvent le conduire au déclenchement inapproprié du comportement en question. Dès lors, l’innéité des réponses ne peut être biologiquement pensée comme bénéfique qu’à la condition de s’accompagner d’une très grande spécificité des conditions de leur déclenchement. Le travail de Lorenz, et la distinction tranchée entre inné et appris qu’il instaurait, devait dans les années 1950 devenir un objet de débat, en particulier du fait des critiques de Daniel S. Lehrman. Celui-ci mettait en doute le caractère démonstratif des expériences d’isolement : montrer que tel comportement est observé en l’absence de tel facteur environnemental ne permet pas d’affirmer qu’aucun facteur environnemental ne conditionne l’apparition de ce comportement [12] . Mais ceci ne fait qu’illustrer l’importance de l’éthologie dans la formation du paysage contemporain : d’une part, Lorenz (et avec lui Nikolaas Tinbergen) montrait qu’il était possible de penser comme innés des traits comportementaux précis, et que la question de l’extension du domaine de l’innéité était une question ouverte (il est caractéristique que l’un des chomskyens les plus orthodoxes, le psychologue Steven Pinker, ait depuis intitulé l’un de ses livres L’Instinct du langage) ; d’autre part, la réflexion naturaliste sur l’innéité devenait avec l’éthologie une réflexion non pas seulement sur les conditions biologiques de l’innéité, mais sur les raisons pour lesquelles l’innéité d’un trait pouvait être un bien biologique. En outre, dans le contexte des découvertes de la génétique moléculaire, et d’une définition de l’inné comme de ce qui est génétiquement déterminé, quelque chose comme une génétique du comportement devenait possible (le livre de John N. Fuller et W. Robert Thompson, Behavior Genetics, date de 1960).

    En 1966, le décryptage du code génétique est achevé et les Aspects de la théorie de la syntaxe de Chomsky sont publiés en 1965 [13] . Il est remarquable que la notion d’innéité soit ainsi revenue en force presque simultanément dans le domaine des sciences biologiques et dans celui de la connaissance de l’esprit. Et il est remarquable également qu’à travers l’idée d’une linguistique cartésienne, Chomsky ait esquissé la généalogie de son projet en remontant à ses sources présumées dans l’histoire des idées et qu’il ait proposé d’en préciser la portée philosophique [14] . L’âge classique avait été, d’une part, une époque où s’affrontaient en théorie de la connaissance les partisans et les adversaires d’un bagage inné de l’esprit. Mais d’autre part, cette période avait aussi été une période où s’affrontaient, dans le domaine des sciences de la vie, partisans de la préformation et partisans de l’épigenèse. Bien entendu, on peut toujours remonter plus loin, et l’on trouve dans la Grèce antique, et une conception innéiste de la connaissance, comme dans le Ménon de Platon, et chez Aristote, une conception de l’ontogenèse des individus biologiques où, en vertu de la doctrine de la primauté de l’acte sur la puissance, « la genèse est en vue de l’essence, et non l’essence en vue de la genèse [15]  ». Pour Aristote, le recours aux causes finales en biologie est légitime parce qu’il est impossible de concevoir comme des résultats fortuits des effets utiles tels que les dents de la mâchoire, dont l’occurrence est régulière : le résultat de certains processus peut être conçu comme leur raison d’être, et cette raison d’être leur préexiste [16] . Mais c’est sans doute à l’époque de Descartes que les deux domaines d’application de la notion d’innéité, biologique et épistémique, sont perçus dans leur connexion immédiate. Descartes, en effet, défend dans la Description du corps humain la possibilité d’une déduction de l’individu biologique à partir de la connaissance des parties de sa semence [17] , et comme dans d’autres textes il se présente comme un partisan des idées innées. À la confluence de ces deux aspects de sa philosophie, il peut écrire dans les Notae in programma [18]  :

    [R]econnaissant qu’il y avait certaines pensées qui ne procédaient ni des objets de dehors, ni de la détermination de ma volonté, mais seulement de la faculté que j’ai de penser : pour établir quelque différence entre les idées ou les notions qui sont les formes de ces pensées, et les distinguer des autres qu’on peut appeler étrangères ou faites à plaisir, je les ai appelées naturelles […] ; mais je l’ai dit au même sens que nous disons que la générosité, par exemple, est naturelle (innatam) à certaines familles, ou que certaines maladies, comme la goutte ou la gravelle, sont naturelles à d’autres, non pas que les enfants qui prennent naissance dans ces familles soient travaillés de ces maladies au ventre de leurs mères, mais parce qu’ils naissent avec la disposition ou la faculté de les contracter.

    À quoi sert à Descartes la comparaison des idées innées avec certaines maladies héréditaires ? À permettre de faire la distinction, toujours essentielle, entre être inné et être présent chez un individu dès sa naissance, et à donc à présenter un modèle dispositionnel de l’innéité. Pour reprendre l’analyse rigoureuse du philosophe Stephen Stich :

    Une personne a une maladie innée à l’instant t si et seulement si du commencement de sa vie jusqu’à t, il a été vrai d’elle que si elle a atteint ou si elle parvenait à l’âge approprié (ou au stade approprié de la vie) alors elle présente ou elle présenterait dans un cours normal des événements les symptômes de la maladie [19] .

    Par exemple, parvenue à un certain âge, une personne ne présente pas encore les symptômes de la maladie de Huntington, mais parce qu’elle est depuis les débuts de son existence exposée à les développer ultérieurement, si elle vit assez longtemps et si rien n’est trouvé qui puisse l’empêcher, alors on peut dire à tout moment du temps qu’elle possède une affection qui a une détermination native ou innée. Et de même, si l’enfant de quelques mois ne parle pas encore, mais qu’il a toujours été vrai de lui qu’il développera bientôt la capacité de parler, on peut dire que les conditions internes de la manifestation de cette capacité sont des conditions innées. Ce qui est inné est une disposition intrinsèque de l’individu dont la base est présente en lui depuis qu’il existe, bien que l’actualisation de cette disposition puisse être tardive. Il est à remarquer qu’une telle disposition est pensée sur le modèle ou du moins par analogie avec une disposition physique ou biologique héritable.

    L’innéisme biologique sous-tendu par la notion de programme génétique s’est développé dans un contexte historique et culturel bien distinct et identifiable [20] . Mais il s’est aussi renforcé du fait de l’aboutissement de plusieurs types de recherche. L’un d’eux est celui d’une identification des facteurs génétiques de certaines maladies, qui sont venus donner une base identifiable à l’idée qu’avait avancée bien plus tôt (1902) le médecin Archibald Garrod des « erreurs innées du métabolisme ». Le second est un ensemble d’éléments de confirmation liés à l’expérimentation : si inactiver le gène X conduit à la modification ou la suppression de la caractéristique phénotypique Y, alors il est tentant d’en inférer que X est la cause ou une cause prépondérante de l’occurrence régulière de Y. Une variante de cette procédure consiste à transférer un gène d’une espèce donnée dans un embryon d’une autre espèce : dans l’expérience de Halder, Callaerts et

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