Visions chamaniques, totémisme, proto-écriture, formation des jeunes chasseurs, rituel magique – représenter un animal blessé pour améliorer ensuite ses chances de l’abattre –, ou simplement, le beau pour le beau… Afin de lever le mystère de l’art des grottes, de percer le sens de cette pratique fascinante – pour autant qu’il y en ait un –, nombre de théories ont été élaborées. Et aucune n’a vraiment convaincu la communauté scientifique jusqu’ici. “La qualité des dessins témoigne d’un réel investissement et d’un contrôle social dans la production des images. Nous sommes donc loin du beau pour le beau”, exclut d’emblée Carole Fritz, du CNRS.
Quid des autres interprétations ? “Elles empruntent des concepts sans se soucier s’ils existaient à l’époque ou dans la région de ces peintures, et témoignent ainsi d’anachronisme ou d’anatopisme [incohérence non pas chronologique mais topographique, ndlr]”, déplore Jean-Loïc Le Quellec, également du CNRS. La production d’images lors de rites chamaniques, par exemple, est depuis longtemps invoquée pour expliquer l’art rupestre et pariétal du Paléolithique. Sauf que les ethnologues estiment que le chamanisme est apparu bien après que les premières grottes ont été ornées !
Mais alors, que cachent ces fascinantes images ? Un consensus émerge enfin : elles étaient associées à des paroles et à des récits. “Dans les sociétés sans écriture, les traditions orales sont mémorisées par des images”, explique Patrick Paillet, du MNHN. “Et ces images ont à voir avec ce que le philosophe grec Castoriadis, mort en 1997, appelait ‘l’institution imaginaire de la société”, poursuit Jean-Loïc Le Quellec. Chaque société extrait des éléments du monde naturel qui l’entoure, afin de les valoriser culturellement.”
L’art chamanique a beaucoup été invoqué pour expliquer les peintures du Paléolithique. Sauf que le chamanisme serait né bien après elles
DES COMPOSITIONS TRÈS CODIFIÉES
Voilà pourquoi cet art serait si codifié, avec un monde végétal absent et une sélection des animaux représentés : il nous situe d’emblée dans un registre particulier, celui du récit.
Les chercheurs sont unanimes : l’art pariétal est trop structuré pour ne pas avoir servi de charpente à des histoires ! “L’organisation des panneaux témoigne d’une véritable mise en scène, acquiesce Carole Fritz. Ce sont des compositions pensées au préalable, et porteuses d’une narration.”