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Savoir écrire en sociologie: et dans les sciences sociales
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Livre électronique273 pages3 heures

Savoir écrire en sociologie: et dans les sciences sociales

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À propos de ce livre électronique

À l’heure où la sociologie comme discipline est mise en cause, du fait qu’elle est davantage littérature que science, cet ouvrage a pour but de discuter ouvertement de son statut et de montrer le rôle crucial qu’y jouent le langage et l’écriture. Ceux-ci sont en effet les seules ressources dont dispose le sociologue pour donner et communiquer les connaissances explicatives produites au nom de la discipline. La portée et le contenu de ce livre résident dans l’intention d’aborder l’écriture sociologique en illustrant l’argumentation par l’analyse sociologique conçue ici à la lumière de la Grounded Theory et de certains logiciels d’analyse de données qualitatives, comme Atlas.ti. L’auteur rend compte, avec une maîtrise consommée, de tous les débats actuellement en jeu.

En conclusion, on trouvera un court texte, par Marianne Champagne, non seulement utile mais aussi inspirant, énonçant les grands principes d’une écriture claire et précise dont le but ultime est la rencontre avec le lecteur.
LangueFrançais
Date de sortie18 sept. 2018
ISBN9782760639669
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    Aperçu du livre

    Savoir écrire en sociologie - Jacques Hamel

    introduction

    Le sociologue comme auteur et le problème de l’écriture

    Il faut sans doute être en fin de carrière pour songer à écrire un ouvrage sur l’écriture de la sociologie. En effet, lorsqu’on s’apprête à quitter l’université, après avoir enseigné, écrit et surtout corrigé une foule de copies, l’écriture en sociologie s’impose comme sujet pour dresser une espèce d’état des lieux de la discipline. Car chercher à savoir en quoi consiste l’acte d’écriture en sociologie ne manque pas de ramener sur le tapis les questions sur le statut de la discipline, la rigueur à laquelle elle est tenue et les moyens requis pour être à la hauteur. À la hauteur de quoi, plus précisément? Voilà que surgit le dilemme auquel sont confrontés les sociologues quand il s’agit d’envisager ce à quoi correspond leur discipline. Il faut être aveugle pour ne pas constater que, encore aujourd’hui, la communauté des sociologues est profondément divisée sur le sujet. Il suffit de jeter un coup d’œil sur les publications à succès, de poser la question aux étudiants novices ou aguerris et d’entendre certains administrateurs d’établissements universitaires, sans parler des dirigeants politiques¹, pour constater que la sociologie n’est pas toujours prise au sérieux ou est réputée trop défaillante sur le plan de la rigueur pour être pleinement reconnue comme science.

    Selon certains, il vaut mieux de ce fait associer la sociologie à la littérature et voir d’un bon œil ce statut auquel on l’a d’ailleurs accolée dès sa naissance. Il serait malvenu de rechigner et de faire croire le contraire. Il n’y a pourtant qu’à les lire pour constater que les sociologues sont rarement de bons écrivains. Le style dont ils font montre dans leurs écrits suffit pour nous interdire de penser le contraire. Il vaut mieux en ce cas lire les œuvres littéraires dignes de ce nom. La lecture ne sera que plus agréable. Si, aujourd’hui comme hier, les sociologues entendent rivaliser avec les écrivains, ils ne pourront le faire à armes égales, faute d’aptitudes ou de talent. Ils n’ont rien à gagner sur ce terrain, et se livrer à la concurrence pour savoir qui a la plus belle plume risque de pousser leur maigre lectorat vers la littérature.

    La réflexivité consécutive à la modernité, en bref, conduit certains sociologues à reconnaître de bonne grâce que tout un chacun, dans les conditions qui s’y prêtent, peut expliquer en termes sociologiques. Il suffit de collecter des récits de vie, de les recueillir de la bouche d’interlocuteurs jugés représentatifs et de les publier en y apportant les formes nécessaires, sans en compromettre l’authenticité, pour faire rayonner la pensée sociale susceptible de rendre raison sous l’optique sociologique, mais en termes concrets ou pratiques. La sociologie devient ainsi «sociologie narrative» capable de rayonner à une large échelle en l’absence du jargon théorique souvent responsable du manque d’intérêt public à l’égard de la discipline. En voulant mettre sur un pied d’égalité connaissance pratique et connaissance théorique de la société, en s’évertuant à gommer leurs différences, pour de bonnes ou de mauvaises raisons, les sociologues contribuent eux-mêmes à réduire à zéro l’intérêt à exercer le métier. Il n’y a pourtant rien de préjudiciable à vouloir distinguer l’écriture des sociologues de celle des individus qu’ils invitent à jeter leur vie sur papier. Si, comme ici, on le fait, cela ne traduit nullement la volonté de marquer la supériorité de la connaissance sociologique par rapport à la connaissance pratique à l’œuvre dans la personne même des sociologues, leur corps et leur esprit. Il s’agit simplement de marquer la différence et de savoir ce à quoi elle tient.

    Si la sociologie n’est pas littérature, qu’est-elle au juste? Certains historiens et épistémologues, avisés au demeurant, l’envisagent en une position intermédiaire. Le raisonnement sociologique pour Jean-Claude Passeron correspond à une entreprise à mi-chemin entre l’histoire et la science, tandis que Wolf Lepenies affirme de manière plus radicale que la sociologie oscille – tant bien que mal – entre littérature et science sans être ni l’une ni l’autre. L’écriture témoigne de la fragilité de cette position. La sociologie n’est nullement parvenue à mettre au point un langage formel ou symbolique pour être en droit de se reconnaître comme science. Les explications sociologiques se formulent en mots de tous les jours et, par conséquent, sont immédiatement sujettes aux ambiguïtés et aux confusions qui rendent impossibles la rigueur et l’objectivité propres à la science. Les sociologues peuvent dans une certaine mesure expliquer, au sens qu’a ce mot en science, mais leurs théories restent largement «indexées» aux configurations historiques dans lesquelles est englobé ce qu’ils cherchent à connaître. Le capitalisme manufacturier observé par Marx n’a rien à voir avec le capitalisme financier en vigueur de nos jours et donc la théorie marxiste tourne à vide, tant son écriture correspond à une époque révolue. Que veut dire «prolétariat» et «classe ouvrière» à l’heure où la «production matérielle» migre vers les pays à bas salaire et engendre une sorte d’esclavage?

    Comment écrire en sociologie pour qui, novice ou aguerri, ne se frotte à la littérature et à l’histoire que de manière incidente et sans développer une véritable passion pour l’une ou l’autre? L’histoire de la sociologie américaine nous apprend que, pendant un temps, les sociologues ont fait bon ménage avec le journalisme. Certaines figures emblématiques de l’École de Chicago, Robert Park au premier chef, se faisaient fort de considérer «le sociologue comme une sorte de super-reporter» à la différence «qu’un sociologue est tout simplement un reporter plus scientifique, plus précis, plus responsable²». Il importe de noter que Park avait été lui-même journaliste avant de se convertir, sur le tard, au métier de sociologue. L’ère du Web et des réseaux sociaux, responsables de la circulation rapide de l’information, pousse encore aujourd’hui la discipline vers le journalisme qui, en Amérique, a infléchi le développement de la sociologie. Les sociologues, force est de l’admettre, sont aujourd’hui nombreux à évoluer dans les médias, à se faire commentateurs de l’actualité ou journalistes en titre. Ils animent des blogues ou des pages Facebook et s’expriment via Twitter et, ce faisant, laissent croire – sans mauvaise intention – que la sociologie se révèle une forme de journalisme qui, dans le feu de l’actualité, étendue aux événements survenus aux quatre coins de la planète, trouve son droit et sa légitimité.

    Si, aux yeux de Park, le «sociologue est tout simplement un reporter plus scientifique, plus précis, plus responsable», peut-on faire le pas et, faisant preuve d’ambition, penser que la sociologie est une science? Cette caractérisation a été jadis évoquée, pour ne pas dire invoquée, par les auteurs du Métier de sociologue, selon lesquels toutefois la «sociologie est une science comme les autres, qui a plus de difficultés que les autres à être une science comme les autres³». Sans qu’il y paraisse, l’écriture s’avère la principale affaire pour que la sociologie puisse être considérée comme une science, ainsi qu’on le verra plus loin. Voilà longtemps, à l’époque où l’auteur de ces lignes faisait ses premières armes, la sociologie, désireuse d’être enfin une science, s’est tournée vers Karl Popper afin de pouvoir la concevoir sous ce chef en termes proprement épistémologiques. Sans aller dans le menu détail, disons simplement que la science se conçoit chez cet auteur en fonction de la capacité à formuler des énoncés susceptibles d’être mis à l’épreuve et d’être éventuellement réfutés. L’écriture, on s’en doute, requiert dans cette perspective une attention soutenue à la lumière d’exigences ou de contraintes qui ont valeur normative. En effet, elle doit fournir à l’énoncé la qualité d’être contredit qui, aux yeux de Popper, est la pierre angulaire de l’explication scientifique. Écrit en conséquence, pour avoir cette robustesse, l’énoncé peut dès lors expliquer en ayant le pouvoir de prédire. L’explication vaut ainsi jusqu’à preuve du contraire, selon la formule consacrée. La valeur explicative de l’énoncé est déboutée en décelant des ratés dans sa formulation ou dans sa capacité à prédire.

    L’épistémologie contemporaine, on le verra plus loin, est venue passablement nuancer la conception de la science née entre autres des considérations de Popper sur le sujet. Elle a d’abord mis en cause la nature prédictive des énoncés pour que leur soit reconnu un pouvoir explicatif. La formule du mathématicien René Thom, «prédire n’est pas expliquer», a pris valeur de credo pour jeter le doute non seulement sur les principes de la formulation des énoncés pouvant donner corps aux explications scientifiques, mais aussi dans la foulée sur la conception poppérienne de la science. Le philosophe des sciences Gilles-Gaston Granger s’est par exemple employé à nuancer la conception de la science en proposant de la considérer comme une connaissance par objet et par concept expressément destinée à représenter ce qu’elle prend pour objet. La science formule à cet effet des concepts, par définition abstraits, en créant des expressions, des symboles ou des langages formels en phase avec cette visée, représenter. Dans cette perspective, les mots susceptibles d’être convertis en concept font l’objet du travail requis pour en affiner les sens de manière à les rendre opératoires aux fins de l’explication. Dans son esprit, expliquer en science correspond à la volonté de produire une représentation capable de faire comprendre l’objet qu’on cherche à déchiffrer au moyen d’une «image» distincte de sa perception immédiate.

    Selon nous, la sociologie peut certainement être amalgamée à cette caractérisation suffisamment riche et ouverte pour nous permettre de prétendre que les sociologues, en écrivant, sont aptes à formuler la connaissance par concept qui donne son lustre à la science. Le présent ouvrage veut le démontrer en apportant les illustrations nécessaires et les consignes pratiques à respecter afin de donner à la connaissance sociologique la valeur explicative reconnue à la science. Il cherche à le montrer en termes simples et en voulant convaincre que faire œuvre de science correspond à bien des égards à «jouer avec les mots» à bon escient. Cette dernière expression est ici choisie à dessein, car la sociologie est encore aujourd’hui trop souvent associée à un exercice réductible à des jeux de mots faussement savants capables de distraire bien plus que d’éclairer pour faire comprendre. Les sociologues, du moins certains d’entre eux, ont prêté flanc à cette critique préjudiciable à la raison d’être de leur discipline. L’accusation s’adresse souvent à la sociologie, confondue sans discernement avec la philosophie et la littérature qui l’ont fécondée et continuent de le faire, comme l’illustrent certains courants théoriques postmodernes. L’interdisciplinarité actuellement en vigueur est d’autre part venue effacer les lignes de démarcation entre elles, notamment pour ce qui a trait à l’utilisation faite dans chaque cas du langage et de l’écriture.

    Les théories postmodernes créent effectivement un commerce sans doute fécond entre sociologie et philosophie pour, par exemple, déconstruire les pouvoirs de toutes sortes et les idéologies productrices de domination afin d’en montrer la relativité nuisible dans bien des cas à l’égalité sociale. L’œuvre de Jacques Derrida est vite apparue pertinente à cette fin. L’art de la déconstruction s’est ainsi immiscé en sociologie en détournant sa visée d’expliquer vers l’interprétation propre à la philosophie. Dans cette voie, la connaissance sociologique échappe à la formulation d’énoncés, tout comme du reste à la visée d’expliquer au sens où l’entend la science. Sur l’élan, non seulement son élaboration, mais également la communication de cette connaissance se conçoivent selon l’art philosophique auquel Derrida donne une facture absconse, selon ses nombreux détracteurs. En écrivant à sa manière, ses émules sociologues ont certainement contribué à la réputation de la sociologie d’être un jargon proche du charabia. La sociologie correspond sur cette base à des jeux de mots, de haute voltige certes, mais incompréhensibles et sujets à de nombreux griefs. En cherchant à imiter des passages du genre «sous l’effet de l’oblique, l’érection est toujours en train de s’épancher pour tomber. Voire s’inverser. gl protège contre le schize que gl produit. L’anthérection, c’est aussi ce pendant féminin de la grappe de Stilitano⁴», trouvés sous la plume du philosophe, la sociologie s’expose aux mêmes travers de l’écriture derridienne qui font dire à John Searle qu’elle exprime un «obscurantisme» proche du «terrorisme intellectuel» contraire à la pensée éclairante.

    Il va de soi que, dans le présent ouvrage, s’agissant de l’écriture sociologique, jouer avec les mots a une tout autre signification. Le jeu en question s’axe sur un travail que l’épistémologie conçoit dans les termes de l’opposition d’une forme à un contenu, comme il sera largement explicité dans les prochains chapitres. En effet, les sociologues, dans l’esprit de la science, s’emploient à doter les mots communs de sens capables de donner forme à des contenus, susceptibles d’être compris au moyen d’une représentation élaborée dans cette intention. Ils doivent s’astreindre à ce travail avec la volonté ferme d’articuler ces mots, devenus ainsi concepts, pour produire rigoureusement une nouvelle connaissance distincte de celle façonnée selon le sens commun de ces mots à l’origine de la connaissance pratique. Ils ont ensuite pour devoir de la communiquer, de transmettre cette connaissance théorique apte à éclairer et à faire comprendre.

    Or, bizarrement, à ce stade, les théories sociologiques proposées sous forme écrite paraissent pour certains rebutantes et difficilement saisissables du seul fait qu’elles sont mises au point par des universitaires évoluant apparemment en circuit fermé. Les sociologues n’échappent pas à l’aversion que certains, souvent universitaires eux-mêmes, nourrissent à l’égard de l’écriture en vigueur dans les disciplines présentes à l’université. Kristen R. Ghodsee, ethnographe et professeure versée dans les études postsocialistes sur le genre, n’a pas pu récemment s’empêcher de pourfendre les universitaires qui, selon elle, utilisent en bloc une langue écrite impénétrable afin de sauvegarder à ce prix leur pouvoir. Sur la lancée, elle note, avec une pointe de mépris, que «si les modes en matière de rhétorique sont passagères, le penchant pour l’opacité n’en est pas moins devenu une caractéristique essentielle des travaux d’érudition contemporains», et cela avant de conclure que «la langue universitaire est un code secret que certains chercheurs utilisent pour montrer qu’ils font partie du club. Grâce à elle, personne ne peut vraiment dire si leurs idées sont brillantes, mauvaises ou simplement médiocres⁵». La sociologie n’est donc pas la seule à être pointée du doigt, puisque, dans ce genre d’amalgame, toutes les disciplines universitaires semblent sujettes à ce reproche de formuler des connaissances inabordables faute d’être écrites en termes simples et accessibles.

    Les théories sociologiques, majoritairement formulées par des universitaires, seraient donc écrites en un style lourd et opaque au mépris du public profane et étranger à l’université. Seuls les pairs pourraient les bien comprendre, puisque, collègues universitaires, ils sont rompus aux connaissances théoriques. Les connaissances sociologiques, comme les autres savoirs scientifiques, seraient difficilement communicables dans leur intégrité hors des cercles universitaires. Voilà longtemps, Charles Wright Mills s’est fait fort d’affirmer de manière assez démagogique que «pour sortir de la prose universitaire, il faut d’abord quitter la pose universitaire⁶». Selon lui, la majorité des ouvrages de sociologie, réputés d’emblée difficiles, pourraient avantageusement être réécrits pour gagner en lisibilité sans sacrifier rigueur et profondeur.

    Il est étonnant de lire pareille affirmation sous la plume d’un sociologue, universitaire patenté de surcroît. En effet, en quoi évoluer à l’université, à titre de professeur ou de chercheur, obligerait à écrire une prose tarabiscotée, sciemment destinée à couper du grand public les théories sociologiques susceptibles de l’éclairer de manière tout à fait positive? Il vaut mieux penser qu’elles sont majoritairement produites sous l’égide universitaire, sans être volontairement formulées de manière à circuler en vase clos. Les théories en sociologie sont élaborées sous le signe de l’abstraction, comme en toute science, et, par conséquent, leur écriture requiert une gymnastique mentale distincte de la réflexion de sens commun. Les nouvelles recrues le constatent dès leurs premiers pas dans la discipline. Elles découvrent en cours d’écriture que celle-ci «est d’abord embrouillée et c’est à force d’entraînement qu’on en arrive à la clarté⁷», comme l’observe Steven Pinker dans son propre domaine, la psychologie cognitiviste. La formulation théorique doit être claire pour les pairs, du fait que cette clarté est nécessaire pour donner la touche de rigueur pouvant leur permettre de vérifier la valeur explicative de la théorie sociologique, comme il en sera question plus avant. La clarté de l’écriture se révèle ainsi la condition essentielle pour la leur communiquer. En effet, faute de bénéficier de symboles ou de moyens formels, les sociologues doivent forcément s’appuyer sur la justesse des mots utilisés et l’exactitude de la formulation écrite pour montrer patte blanche sur ce plan.

    Cette même clarté joue en leur faveur pour faire circuler librement les connaissances sociologiques par-delà les collègues immédiats. Puisqu’ils sont sensibles au fait que leurs notions se forment avec des mots ordinaires, il n’est pas trop compliqué pour les sociologues de les traduire en termes pratiques afin de leur donner une résonance publique. Même si l’exercice n’échappe pas forcément à l’écueil, il peut être réalisé simplement en liant les sens abstraits des notions à des expressions et à des formules capables de susciter leur bonne réception. Les jeunes sociologues font preuve de nos jours d’une imagination sans bornes en la matière. À l’ère des médias sociaux, ils n’hésitent pas à créer, sur la base de la photographie et de la bande dessinée, les nouveaux langages utiles pour répercuter les théories sociologiques à des publics néophytes désireux de les connaître sous différentes formes. Ils s’efforcent de les élargir et donnent ainsi son visage à la sociologie publique que les auteurs en vue⁸ appellent de leurs vœux pour justifier la raison d’être de la discipline.

    Sur la scène publique, écrite en conséquence, la sociologie doit-elle se muer en «savoir engagé» pour trouver sa légitimité et sa pertinence? En écrivant lisiblement, les sociologues veulent-ils forcément fournir sous forme de connaissances les «armes» requises pour mettre en cause le pouvoir et la domination sous toutes leurs formes? Dans cette perspective, l’écriture se fait militante et réfractaire à la «langue de bois, absconse et impersonnelle qui passe à tort pour le nec plus ultra de l’esprit scientifique⁹». À nos yeux, la lisibilité de la sociologie ne vise nullement à battre en brèche l’esprit scientifique exprimable, comme il se doit, en termes abstraits, au sens de théoriques, et abusivement associés ici à une «langue de bois». Au contraire, l’abstraction est nécessaire et fondamentale pour que les sociologues puissent à bon droit expliquer en théorie. L’explication sociologique lisible, et par conséquent facilement accessible, tient à ce qu’elle est «traduite» en termes concrets sans qu’on lui fasse perdre la puissance de son éclairage pour faire comprendre l’orbite sociale. Il n’apparaît donc pas nécessaire de donner à l’écriture sociologique une forme militante pour que les théories formulées en son nom trouvent leur force explicative et leur résonance publique. L’explication en sociologie n’a

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