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L'analyse réflexive en enseignement professionnel et technique: De la théorie à la pratique
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L'analyse réflexive en enseignement professionnel et technique: De la théorie à la pratique
Livre électronique471 pages5 heures

L'analyse réflexive en enseignement professionnel et technique: De la théorie à la pratique

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À propos de ce livre électronique

Le présent ouvrage traite de l’analyse réflexive en éducation.Il s’adresse principalement aux professeurs et aux enseignants qui œuvrent en formation professionnelle et technique, ainsi qu’à ceux qui se dirigent vers ce domaine d’enseignement. En outre, les étudiants actuellement inscrits dans un de ces programmes y trouveront leur compte, puisque la réalisation de ce livre s’inscrit dans une volonté de les sensibiliser à l’analyse réflexive en leur proposant des textes accessibles en lien direct avec leur cheminement.

L’analyse réflexive en enseignement professionnel et technique met en lumière le fait que les enseignants sont profondément habités par la nécessité de penser et de réfléchir à leur propre pratique pédagogique. Ce livre répond à un besoin maintes fois répété et ouvre la voie à une meilleure compréhension des enjeux propres à la formation professionnelle et technique, ainsi qu’à la manière dont l’analyse réflexive contribue à faire progresser ce secteur essentiel au développement socioéconomique du Québec.

Alliant théorie et pratique, les différents chapitres contiennent des témoignages d’enseignants, de futurs enseignants et de praticiens. Ils tentent de répondre à des questions fréquemment soulevées par les acteurs de ce milieu et proposent des réflexions issues du travail de reconnaissance des acquis disciplinaires spécifiques à ce type de formation.

Sylvain Beaupré a été responsable du programme de la formation professionnelle à l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue. La méthodologie qualitative et l’étude du monde du travail figurent parmi ses intérêts de recherche.

Julie Lefebvre est professeure au Département d’éducation et formation spécialisées à l’Université du Québec à Montréal (UQAM). Spécialiste de l’initiation à la profession enseignante, elle s’intéresse au développement de la pratique réflexive.

Yves de Champlain est professeur au baccalauréat d’enseignement en formation professionnelle et technique à l’UQAM. Il se spécialise en explicitation des savoirs pratiques et en reconnaissance des acquis de l’expérience.
LangueFrançais
Date de sortie26 août 2020
ISBN9782760553170
L'analyse réflexive en enseignement professionnel et technique: De la théorie à la pratique
Auteur

Julie Lefebvre

Julie Lefebvre est professeure au Département d’éducation et formation spécialisées à l’Université du Québec à Montréal (UQAM). Spécialiste de l’initiation à la profession enseignante, elle s’intéresse au développement de la pratique réflexive.

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    Aperçu du livre

    L'analyse réflexive en enseignement professionnel et technique - Julie Lefebvre

    Introduction

    Sylvain Beaupré, directeur

    Julie Lefebvre, codirectrice

    Yves de Champlain, codirecteur

    Ce livre ne se veut pas un « autre » livre sur l’analyse réflexive en éducation, mais plutôt un livre abordant l’analyse réflexive dans le contexte particulier de la formation professionnelle et technique.

    Les étudiants de ce domaine affichent des profils particuliers. En effet, la plupart possèdent un diplôme d’études professionnelles (DEP) ou un diplôme d’études collégiales (DEC) techniques. Ils ne se dirigeaient donc pas vers des études universitaires et ils ont plutôt développé leurs compétences professionnelles au sein d’une pratique professionnelle qu’ils se destinent maintenant à enseigner. En outre, si plusieurs d’entre eux témoignent d’un intérêt relatif envers la littérature savante, la majorité possède un riche bagage d’expériences pertinentes. La réalisation de ce livre s’inscrit donc dans une volonté de sensibiliser les étudiants de la formation professionnelle et technique à l’analyse réflexive en leur proposant des textes accessibles en lien direct avec leur cheminement. Ce type d’ouvrage faisait cruellement défaut en enseignement professionnel et technique et les professeurs universitaires, les superviseurs de stages, les enseignants, les praticiens et les étudiants vont désormais profiter d’une telle publication.

    L’ouvrage est divisé en deux parties : 1) les enjeux et les fondements ; 2) les dispositifs et les applications. Des témoignages ponctuent et renforcent les textes des deux parties.

    Dans la première partie, il s’agit de textes théoriques qui permettent aux étudiants et aux enseignants de connaître les fondements de l’analyse réflexive en éducation.

    Le premier chapitre, rédigé par Sylvain Beaupré, effectue un bref historique de l’analyse réflexive ; il n’a pas la prétention d’être exhaustif. De Socrate à Schön, en passant par Montaigne, Husserl et d’autres, l’auteur démontre que ce type d’analyse n’est pas exclusif au monde de l’éducation, mais qu’il tire son origine de la philosophie. L’auteur suggère à la fin de son texte des exercices susceptibles d’alimenter la réflexion des lecteurs sur leur pratique professionnelle.

    Dans le deuxième chapitre, France Pelletier décrit la transformation de l’habitus professionnel des enseignants par le biais de l’analyse réflexive. L’auteure emploie principalement les concepts du sociologue Pierre Bourdieu pour étayer son discours.

    Le professeur El Hadji Yaya Koné propose un texte sur l’analyse réflexive et la construction identitaire professionnelle en enseignement professionnel et technique. Il met de l’avant la capacité autorégulatrice de l’enseignant qui lui permet d’intégrer la théorie à la pratique dans le cadre de son enseignement.

    Le dernier chapitre de cette première partie est de Marcienne Martin. À partir d’un raisonnement de nature analogique, l’auteure nous présente un outil utilisé en gestion qui pourrait très bien s’appliquer à un groupe d’étudiants.

    Dans la seconde partie, qui porte sur les dispositifs d’analyse réflexive et leurs applications, les textes qui la constituent font valoir différents dispositifs favorisant l’analyse réflexive dans des contextes variés en formation professionnelle et technique. En conséquence, il s’agit de dispositifs utilisés en contexte de la formation des enseignants aux ordres d’études universitaire, secondaire secteur professionnel et collégial technique, ainsi que chez des professionnels en milieu de travail.

    Le texte de Yves de Champlain, Céline Chatigny, Chantal Lepire et Ilia Esposos traite de la reconnaissance des acquis expérientiels et des compétences disciplinaires dans la formation universitaire en enseignement. Les auteurs présentent un dispositif mis en œuvre au baccalauréat d’enseignement en formation professionnelle et technique à l’Université du Québec à Montréal (UQAM). De plus, ils brossent le portrait historique de son implantation ainsi que de ses fondements. La grille d’évaluation intégrée au dispositif et les particularités d’encadrement des étudiants sont exposées.

    Pour leur part, Christelle Lison et Matthieu Petit proposent un dispositif numérique utilisant la vidéo pour soutenir le développement de la réflexivité chez des étudiants inscrits en techniques de soins infirmiers au collégial. Ce dispositif favorise aussi la formation des communautés de pratique. Un parallèle est établi entre le dispositif et le modèle de présence en e-learning de Jézégou (2012) pour clarifier le rôle du formateur prenant part à une communauté d’apprentissage en ligne.

    Marie Alexandre, Ghyslaine Daigle et Dominique Amyot proposent un texte relatant les résultats d’une recherche qualitative traitant de l’utilisation de l’explicitation afin de soutenir la dimension réflexive de l’apprentissage du métier en santé, assistance et soins infirmiers. Les auteures indiquent que le processus de raisonnement de métier et l’entretien d’explicitation contribuent à la dimension réflexive de l’apprentissage, ce qui répond aux besoins grandissants des praticiens en formation professionnelle.

    Une intervention pédagogique découlant de la méthode du microenseignement a été expérimentée dans le cadre d’un cours d’initiation à la profession enseignante des futurs enseignants en formation professionnelle au secondaire. Sébastien St-Amour présente le dispositif qui a été mis en place au profit des étudiants-stagiaires. Ces derniers ont pu exercer des habiletés d’enseignement variées, filmées en milieu contrôlé, effectuer une analyse réflexive ainsi que profiter d’une hétéroanalyse avant de les mettre en pratique en milieu réel.

    Le chapitre de Julie Lefebvre traite de la réflexion sur l’action pédagogique des enseignants novices en formation technique au collégial. Plus précisément, elle présente l’apport d’outils réflexifs utilisant l’écrit et certains, la vidéo, pour soutenir la réflexion chez les novices. L’auteure présente une synthèse d’une partie des résultats de deux recherches. Elle relate les modalités d’entrée dans la profession enseignante au collégial, le processus de la pratique réflexive, les aspects méthodologiques qui ont servi à opérationnaliser les deux études. La satisfaction des participants relative aux outils soutenant leur réflexion après l’action est aussi exposée.

    L’étude présentée par Manon Boily et Julie Lefebvre utilise un modèle de pratique réflexive qui s’inspire de la démarche d’analyse réflexive de Holborn (1992), de l’autoévaluation de Oberg (1992) et des catégories de réflexion de Mezirow (1981), mettant aussi à profit un journal de bord inspiré de Legault (2004). Le journal de bord a été utilisé comme outil réflexif par neuf éducatrices travaillant en centre de la petite enfance à la suite d’une activité de perfectionnement. L’expérimentation de l’outil a favorisé une mise à jour d’une démarche réflexive qui leur est adaptée et qui comporte six étapes : 1) la prise de conscience ; 2) l’analyse ; 3) l’autoévaluation ; 4) le réinvestissement ; 5) le bilan et les constatations ; 6) le réajustement pédagogique.

    Enfin, comme nous l’avons mentionné, des témoignages ont été insérés tout au long du livre de façon à montrer les pratiques et le vécu associés à l’analyse réflexive dans le domaine de la formation professionnelle et technique, de même que dans des domaines connexes tels que la reconnaissance des acquis et la formation en milieu de travail.

    Certains de ces témoignages tentent de répondre, chacun à leur façon, à des questions souvent posées : comment négocier le statut du professionnel d’expérience par rapport au programme ministériel (Fabienne Coursol), comment réaliser cette transition entre la pratique et l’enseignement du métier (Carl Baribeau et Guylaine Bergeron) ainsi qu’au cours de l’évolution du métier d’enseignant (Caroline Paquin) ?

    D’autres témoignages présentent des dispositifs utilisés au sein du baccalauréat de formation à l’enseignement professionnel (Guillaume Sparks-Beaulé et Andréanne Gagné), ainsi que des réflexions issues du travail de reconnaissance des acquis disciplinaires du baccalauréat d’enseignement en formation professionnelle et technique (Nadine Beauséjour et Paul Lavallée). Il sera également question d’une expérience de développement de l’analyse réflexive dans le cadre d’une formation en milieu de travail (Danielle Nolin).

    Pour terminer, cet ouvrage collectif se distingue par un heureux mélange de textes théoriques et pratiques parsemés des témoignages d’acteurs directement impliqués dans la formation professionnelle et technique. Nous espérons que cette formule s’avère féconde pour la compréhension des enjeux et des défis de l’analyse réflexive propres à la formation professionnelle et technique.

    PARTIE 1 /

    OBJECTIVATION DE LA PRATIQUE EN ÉDUCATION

    CHAPITRE 1 /

    L’histoire, les obstacles et deux exercices pratiques

    Sylvain Beaupré, Ph. D.

    Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue

    Ce texte se veut une introduction à l’objectivation de la pratique en éducation par un bref panorama historique du concept et par le repérage de quelques obstacles susceptibles de se poser au cours de la démarche. La présentation de concepts clés de deux exercices complétera le texte.

    En premier lieu, nous explorerons donc très rapidement différents auteurs et leur regard sur l’objectivation de la pratique, plus communément nommée « analyse réflexive » en éducation. Ce bref détour historique, qui n’a absolument aucune prétention exhaustive sinon de situer très brièvement le lecteur quant à l’évolution de la pensée réflexive, visitera diverses disciplines. Cela permettra ensuite de mieux comprendre le tournant réflexif qui a gagné le monde de l’éducation, plus particulièrement dans les années 1980, avec la parution du livre de Donald A. Schön. Nous verrons alors que le « mode réflexif » s’inscrit d’emblée dans notre époque.

    Après avoir repéré quelques obstacles, nous poursuivrons avec une argumentation démontrant les avantages de conduire en amont l’objectivation de la pratique. En effet, nous estimons qu’il importe de mener une objectivation en amont d’une analyse avant, pendant et à la suite de la pratique. Nous avançons l’idée que le praticien en éducation a tout intérêt à s’interroger sur les fondements de sa posture professionnelle.

    Enfin, nous proposerons deux exercices pratiques propres à améliorer l’objectivation de la pratique enseignante, soit la biographie intellectuelle et la construction de l’habitus. Ce sera l’occasion de proposer une définition du concept d’habitus.

    1 / Quelques repères historiques

    Depuis l’Antiquité, le rapport du praticien à l’objet représente un élément de réflexion chez de nombreux penseurs. Protagoras (485-411 av. J.-C.) a peut-être été le premier à comprendre que deux observateurs peuvent avoir une perception différente d’une même réalité. D’après lui, il faut rompre avec notre expérience personnelle pour comprendre objectivement. C’est ce qu’on appelle la rupture épistémologique. L’acte de rupture est essentiel à toute intervention qui tend à être objective, même s’il est illusoire de croire que cette rupture puisse être totale ou complète. Si nos expériences peuvent nous être utiles à la compréhension du monde, elles ne doivent cependant pas altérer notre objectivité. Tout praticien doit être conscient de son implication émotive et intellectuelle dans l’interprétation des faits, des événements, des comportements ou des attitudes.

    1.1 / «  Connais-toi toi-même »

    Nous connaissons le philosophe Socrate (470-399 av. J.-C.) principalement grâce à son disciple Platon (427-348). Dans le dialogue intitulé le Charmide (Sur la Sagesse), Platon fait référence à cette phrase de Socrate, «  Connais-toi toi-même », tirée d’une gravure qu’il a lue sur le mur du temple d’Apollon à Delphes. Le « Connais-toi toi-même » de Socrate concerne un programme éthique et ne relève aucunement d’une réflexion purement narcissique. En se connaissant soi-même, l’individu peut ensuite mieux comprendre son rapport aux autres et au savoir.

    1.2 / Platon et l’allégorie de la caverne

    Cette allégorie expose de façon métaphorique les conditions pour accéder à la connaissance de la réalité. Elle suppose une certaine réflexivité. La connaissance des choses oblige des efforts pour apprendre et comprendre, et ainsi dépasser la perception souvent trompeuse que nous avons du monde.

    1.3 / La fin de l’Antiquité

    De la période annonçant la fin de l’Antiquité et l’aube du Moyen Âge, nous retenons ici l’exemple de saint Augustin (354-430) dans ses Confessions. Dans ce livre, saint Augustin se confie au lecteur comme à un thérapeute. L’auteur mène alors un véritable exercice d’introspection quand il réfléchit sur son passé, sa dévotion, ses erreurs de parcours, ses pulsions, etc. Il propose une théorie de la dynamique de l’âme (néoplatonisme) qui s’apparente à un courant tentant de concilier la vie mystique et la philosophie de Platon¹.

    1.4 / La Renaissance

    Au début des Temps modernes (1500-1800), soit à la Renaissance, Michel de Montaigne (1533-1592) mène un véritable projet d’introspection qui poursuit comme seul but de se décrire au lecteur et, du même coup, décrire la forme de la condition humaine. Dans les Essais, Montaigne cherche à comprendre le psychisme humain et le Moi surgit comme jamais auparavant dans la littérature. Il faut noter qu’avant cette période historique, l’étude de l’être humain ne fait pas partie des préoccupations des penseurs.

    Plus tard, le philosophe René Descartes (1596-1650) estime que, pour s’assurer de notre objectivité et de la rigueur de nos connaissances, il faut employer la méthode cartésienne, qui consiste à mettre en doute nos évidences. Descartes défend une rationalité issue de la mise à l’épreuve de nos connaissances. La suspension de notre jugement concerne à la fois les préjugés acquis par l’éducation et les sens trompeurs. Le doute, chez Descartes, renvoie à une interrogation sur le rapport du sujet à l’objet, de sorte que rien ne peut être considéré comme entièrement certain.

    Toujours pendant les Temps modernes, plus précisément durant le siècle des Lumières (1700-1800), le philosophe Jean-Jacques Rousseau (1712-1778) cherche essentiellement à se justifier devant ses contemporains et à dévoiler ses sentiments intimes. Il ne s’agit pas d’un exercice introspectif très sérieux que mène alors ce philosophe dans les Confessions et dans Les rêveries d’un promeneur solitaire. D’ailleurs, quelques années plus tard, l’écrivain français Stendhal (1783-1842) procède avec la même légèreté, dans Vie de Henri Brulard, qui cultive alors davantage l’égotisme qu’il ne mène une véritable introspection.

    1.5 / Le XIXe siècle

    Le fondateur de la phénoménologie, Edmund Husserl (1859-1938), nous propose de mettre entre parenthèses nos a priori pour réfléchir plus objectivement le monde. Selon ce philosophe allemand, il faut se défaire de nos certitudes et de nos prénotions avant d’aborder un objet de recherche. Il propose la réduction phénoménologique afin de remettre en question notre perception du monde et notre rapport à la réalité. S’inspirant à la fois de Descartes et de Kant (1724-1804), Husserl a voulu relever ce qui entrave la reconnaissance de la part subjective et émotionnelle de notre compréhension du monde. La méthode de la réduction phénoménologique peut participer à construire un nouveau regard plus objectif sur nos objets d’étude. Elle s’inscrit dans un effort réflexif pour que l’on cesse de voir le monde de façon naturelle, avec les a priori que cela suppose afin qu’on tende davantage vers l’objectivité.

    1.6 / Le XXe siècle

    Les auteurs en sociologie se targuent depuis les débuts de la discipline de la plus grande objectivité. Émile Durkheim (1858-1917) défend une objectivité maximale qui l’incline à considérer les faits sociaux comme des choses afin de lutter contre les prénotions.

    Pour sa part, Max Weber (1864-1920) proclame son attachement à l’idée de neutralité axiologique, de sorte à éviter les jugements de valeur. Il souhaite « objectiver la subjectivité » afin de comprendre les relations sociales dans leur complexité.

    Dans le domaine de l’éducation, on ne peut passer sous silence la contribution de John Dewey (1859-1952), qui a fortement inspiré Schön. Personnalité marquante du pragmatisme, Dewey avançait l’idée que la plupart des enseignants ignoraient les habitudes mentales (2004 [1910]), ces manières de penser qui peuvent intervenir dans leur enseignement. L’auteur s’intéresse à l’élaboration des savoirs professionnels dans l’action et à la réflexion qui en découle. En fait, il cherche à démontrer comment la réflexivité autorise la construction d’une posture chez les enseignants propre à faire évoluer leur pratique. Il y a un danger, selon Dewey, que l’enseignant enseigne davantage ses propres manières de réfléchir le monde que le contenu disciplinaire qu’il prétend aborder avec l’élève. L’analyse réflexive, chez Dewey, relève d’un examen de la validité (Mezirow, 2001). Il propose trois phases de la pensée réflexive – préréflexive, réflexive et post-réflexive – et sa démarche s’appuie sur la résolution de problème (Legault, 1999). C’est au moyen de la réflexion que l’expérience vécue devient un apprentissage et qu’elle devient une expertise (Kelchtermans, 2001). Dit autrement, l’apprentissage succède donc à l’expérience et la réflexion permet d’en valider le contenu.

    1.7 / L’analyse réflexive chez Schön

    Les travaux de Donald A. Schön (1994) sur la pratique réflexive se poursuivent dans la même foulée empiriste que l’entreprise menée par John Dewey. Ils s’intéressent au rapport entre l’agir professionnel (savoir-faire) et le savoir scientifique. Schön a remarqué qu’il s’opère une rupture entre ces deux types de savoir lorsque l’enseignant se trouve devant des situations problématiques, ce dernier préférant se servir des expériences passées pour résoudre les difficultés. Schön veut connaître le savoir qui se cache à l’intérieur de la pratique professionnelle. D'après cet auteur, il n’existe pas de solution toute faite en enseignement car le monde change et les problèmes rencontrés en classe également. Il est donc avisé de réfléchir sur notre pratique à l’aide de l’analyse réflexive et selon deux axes : 1) en cours d’action, c’est-à-dire durant la pratique ; 2) sur l’action, c’est-à-dire une fois l’action terminée (Beaupré, 2014).

    L’analyse réflexive, chez Schön, représente un processus cognitif en boucle dans lequel la relation entre la réflexion en cours d’action et la réflexion à la suite de l’action fait office de moteur. Si le premier axe demande à l’enseignant de s’adapter à la situation du moment en faisant montre d’ingéniosité, le second axe requiert un questionnement plus profond sur sa pratique, ses motivations et la qualité objective de son enseignement. C’est la tension entre ces deux axes de réflexion qui donne lieu à une pratique enseignante plus éclairée (Beaupré, 2014).

    Schön, comme Dewey, estime que l’enseignant peut bonifier sa pratique au rythme des expériences et de la multiplicité des situations. Par le biais de l’analyse réflexive, l’enseignant apprend donc à s’adapter à la complexité.

    1.8 / Une époque réflexive

    Selon Beck (2001), la modernité, c’est la manière dont la société va s’organiser pour prévoir les risques. L’auteur appelle cette seconde modernité la « modernité réflexive ». Une société moderne est une société qui sait s’organiser démocratiquement pour prévoir et prévenir les chocs qu’elle engendre en retour. Giddens (1994), qui partage un point de vue similaire à celui de Beck, parle plutôt de « modernité avancée ». Lyotard (1979) affirme que la postmodernité nous invite à remettre en question la raison et à critiquer les grands récits explicatifs. Désormais, en cette ère postmoderne, la vérité est locale et éphémère…

    1.9 / L’émergence d’un consensus

    Les auteurs en sciences humaines et sociales s’entendent sur la nécessité de réfléchir notre rapport au monde collectivement (Beck, 2001 ; Giddens, 1994) ou sur une base individuelle, comme c’est parfois le cas en éducation avec l’analyse réflexive. Dans tous les cas, la réflexivité demeure une préoccupation intellectuelle essentielle pour mieux comprendre notre rapport au monde et aux choses. Elle n’est donc pas exclusive au monde de l’éducation.

    Il ressort de cela que dans les sciences humaines, peut-être davantage que dans les autres sciences, il faut tenir compte de l’existence du chercheur et traiter la subjectivité rattachée à son activité professionnelle (Devereux, 1980, p. 30). Pour l’enseignant qui ne s’interroge pas sur sa pratique avec tout le sérieux que cela requiert, il devient inconcevable d’exercer sa profession de manière impartiale ou neutre (Bourdieu, Chamboredon et Passeron, 1968).

    2 / Des obstacles à l’objectivation de la pratique

    Dans les prochaines lignes, nous verrons quelques obstacles à l’objectivation de la pratique. Toutefois, avant d’aller plus loin, il importe de faire le point sur une sorte de dérapage terminologique qui peut nuire à un entendement commun de la démarche d’objectivation.

    2.1 / Un dérapage terminologique

    Il n’existe pas de consensus pour désigner l’objectivation de la pratique en éducation. Cette situation se traduit par un certain dérapage terminologique ou sémantique. Voici quelques expressions qui participent à ce dérapage, définies par Collin, Karsenti et Lepage (2012) : pratique réflexive, réflexivité, réflexion, habitus réflexif, analyse réflexive… On pourrait ajouter à cette liste : retour du sujet sur lui-même, introspection, autoanalyse, autocritique, etc. Cette situation donne lieu à un certain dérapage polysémique duquel nous nous distinguons en préférant l’expression « objectivation de la pratique », qui permet de désigner un exercice de déconstruction et de mise à plat. Cette dernière expression nous semble plus fédératrice et elle évite les ambiguïtés sémantiques.

    2.2 / Quelques obstacles

    ²

    Le premier obstacle que nous avons choisi de présenter est la tradition. On peut s’entendre pour affirmer que notre explication du monde provient de notre culture, de notre éducation. Le principal avantage de la tradition demeure son caractère cumulatif, tandis que son principal inconvénient consiste en son caractère conservateur. Dans tous les cas, la tradition peut représenter un obstacle à la réflexion, enferrés que nous sommes dans les a priori qu’elle véhicule.

    Le sens commun est le deuxième obstacle repéré. Il se définit comme la manière de juger, la façon d’agir commune à tous les individus partageant une culture commune, des traits culturels communs ou des codes et des règles semblables. En fait, il s’agit du « gros bon sens »: cette capacité de comprendre les choses sans en discuter la valeur réelle. Cependant, il faut se méfier du sens commun comme de la tradition, car ils suggèrent une sorte de raccourci dans la réflexion, ce qui nous évite de considérer une situation, par exemple, avec un œil nouveau. Le sens commun, c’est un peu comme le chemin le plus court à emprunter sans se donner la peine de réfléchir réellement dans une situation donnée.

    Le troisième obstacle concerne l’intuition. Celle-ci s’appuie très rarement sur une analyse basée sur un raisonnement rigoureux. L’intuition signale un intérêt pour telle ou telle partie de la connaissance. Il faut aussi s’en méfier, car elle n’est pas toujours soutenue par des faits observables.

    Enfin, le dernier et quatrième obstacle sur lequel nous souhaitons attirer l’attention se rapporte à la mode intellectuelle. Cette dernière s’oppose à la tradition en prévenant la paralysie du savoir (Kuhn, 1962). Humanisme, structuralisme, sociobiologie, néo-marxisme, Nouvel Âge, postmodernisme sont des exemples anciens et actuels de façons différentes d’aborder le réel qui ont déjà provoqué un certain engouement. Si les modes intellectuelles encouragent l’exploitation de nouvelles pistes de recherche, elles font aussi parfois perdre le sens de la mesure. De plus, la mode du moment est peu encline à s’évanouir au profit d’une autre (Kuhn, 1962). Tout changement de paradigme représente une rupture difficile et il rencontre immanquablement de la résistance chez ceux qui défendent la mode intellectuelle du moment. Et des modes ainsi que des réformes en éducation, il y en a eu plusieurs. Chacune a eu droit à sa part de résistance.

    3 / L’objectivation de la pratique : avant, pendant et après

    De nombreux auteurs s’entendent sur la nécessité chez les enseignants d’objectiver leur pratique, de sorte qu’ils puissent réguler leur action et s’adapter à chaque situation sans recourir à des recettes toutes faites (Paquay et al., 2012). La formation des maîtres doit former des enseignants capables d’analyse réflexive et d’apprendre de leur réflexion (Legault, 1999). L’enseignant professionnel doit être en mesure de prendre du recul et d’analyser sa pratique. Cette forme de réflexivité consiste en un retour de la conscience sur elle-même pour l’examen de son enseignement (Lessard, 2012). Elle peut servir à l’enseignant pour améliorer sa pratique, effectuer des choix, remettre en question ses valeurs, développer un sens critique, consolider son éthique professionnelle, etc. (Beauchamp, 2012). Elle pose un regard sur sa pratique à partir du prisme que lui fournissent son histoire de vie, ses désirs, ses craintes, ses savoirs et ses rapports au travail (Gohier, 2007). Toutefois, dans un effort de professionnalisation de l’enseignement, il demeure essentiel de connaître et de reconnaître notre histoire de vie (Desaulniers et Jutras, 2006 ; Jutras et Gohier, 2009 ; Lafortune, 2012). Notre vision du monde, elle-même conditionnée par notre position sociale, influence notre rapport aux élèves ainsi qu’aux contenus disciplinaires.

    Si plusieurs types de réflexivité sont offerts aux enseignants – avant l’action, pendant l’action et après l’action (Bucheton, 2010) – afin qu’ils ajustent leur pratique, trop souvent plaquée sur la tradition schönienne, la formation des maîtres a peut-être négligé d’enrichir la réflexion chez les futurs enseignants par un examen critique et plus minutieux de leurs croyances, de leurs préjugés, et de leurs intérêts (Tardif, 2012).

    3.1 / La nécessité d’une réflexion sur l’habitus

    Il existe une praxéologie propre à la profession enseignante qui repose notamment sur le souvenir du travail ainsi que sur l’expérience sensible. Les enseignants ne savent pas toujours que leurs actes s’accordent avec un ensemble de schèmes que l’on nomme « habitus » (Perrenoud, 2001). La prise de conscience de leur habitus et de son influence sur leur pratique constitue une condition fondamentale à l’adoption d’une posture professionnelle (Martin et al., 2004). L’habitus fonctionne comme un filtre qui interprète les situations. Comme le souligne si justement Bucheton (2010, p. 47), son rôle est encore trop peu exploré dans la formation des maîtres. Pourtant, le seul fait d’être conscient des pulsions personnelles investies dans une pratique aide à mieux se rendre compte des limites de sa vision et de sa pratique (Bourdieu, 1987).

    L’enseignant doit interroger le rapport qu’il entretient envers son passé. Il ne s’agit donc pas seulement de ressasser des souvenirs, le cœur empreint d’un élan nostalgique, mais aussi de réfléchir sur le rapport que l’on conserve envers ses souvenirs. Le rapport objectivé avec le passé dépasse la simple évocation de souvenirs et donne lieu à une sorte de rapprochement du praticien avec lui-même (Bourdieu, 2003). Il n’y a pas de sujet sans mémoire, sans retour sur le passé, sans questionnement au sujet des influences subies et des personnes qui ont signifié quelque chose dans notre vie. Un individu ne se perçoit comme autonome et authentique qu’en reliant le présent à un passé. On ne peut s’orienter dans le temps qu’en se projetant dans l’avenir. Le sens de l’identité professionnelle ne peut donc émerger qu’en ce lieu pluriel et complexe où se rencontrent la mémoire, l’émotion, la raison, le réel des événements qui se sont passés et la relecture constante qui en est faite.

    Il n’y a d’identité véritable qu’à travers les « réélaborations » complexes qu’une personne fait subir à l’ensemble de son histoire ; « réélaborations » dans lesquelles interviennent forcément gommage, rature, réécriture, oubli et secret. Cet examen introspectif donne lieu parfois à des déchirements et toujours à une forme d’instabilité. Il rencontre souvent des résistances.

    La mise à nu de nos déterminismes par l’examen sociologique permet de dépasser les limites des travaux de Schön (Perrenoud, 2010). Il n’est jamais facile de se remettre en question, de changer ses pratiques et de se poser comme objet d’étude (Lafortune, Jacob et Hébert, 2002). Toutefois, le praticien réflexif doit apprivoiser l’instabilité de sorte à enrichir sa pratique dans un environnement toujours appelé à se transformer au fil du temps.

    Nous sommes d’accord avec Bucheton (2010), qui considère que l’enseignant doit réfléchir avant sa pratique, lors de sa pratique et une fois la pratique terminée. Néanmoins, nous ajoutons une démarche en amont de ce que propose Bucheton : une réflexion sur le sujet qui intervient en classe. En effet, nous avançons l’idée qu’il serait avisé que l’enseignant réfléchisse sur son rapport à la matière enseignée et son rapport avec les élèves. Il faut également compléter cette première étape par une réflexion additionnelle portant sur la position qu’il occupe à l’intérieur du champ de l’enseignement.

    En effet, on peut prétendre sans trop se tromper qu’un nouvel enseignant fraîchement employé dans une école va moins faire preuve d’audace dans son enseignement et prendre moins de risques qu’un enseignant expérimenté. Également, ce même enseignant aura peut-être moins tendance à confier les difficultés rencontrées dans son travail à ses collègues ou à ses supérieurs hiérarchiques, de sorte de ne pas compromettre ses chances d’obtenir une permanence. En fait, ce nouvel enseignant vise ordinairement à améliorer sa position dans le champ d’activité de l’enseignement et tout aveu de difficulté au travail risque de nuire à ses possibilités d’avancement. Bien qu’il soit vraisemblable qu’un nouvel enseignant ait occasionnellement besoin de conseils, sinon de réconfort, il est fort probable qu’il ne se tournera pas vers ses collègues ou ses supérieurs. Il préférera dissimuler ses problèmes en classe afin de ne pas entacher la reconnaissance que ses confrères lui accordent (Godin, 2017 ; Lefebvre, 2016). Pourtant, un nouveau venu doit s’ajuster à son nouveau champ de pratique et en connaître les enjeux, les défis, les règles et les codes afin de s’y intégrer du mieux possible. C’est

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