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Le monde des AA: Alcooliques, gamblers, narcomanes
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Livre électronique178 pages2 heures

Le monde des AA: Alcooliques, gamblers, narcomanes

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À propos de ce livre électronique

Comment expliquer que, malgré l’augmentation du nombre de regroupements anonymes, l’incidence des problèmes de dépendance continue à croître ? Peut-on parler de succès ? Quels sont les acteurs, les idées et les dynamiques qui permettent la construction sociale du discours des AA ? Existe-t-il d’autres options à ce mode de gestion des problèmes sociaux liés aux dépendances qui ne considèrent pas leurs membres comme des personnes souffrant de perte de contrôle sur une base permanente ?
LangueFrançais
Date de sortie25 mars 2011
ISBN9782760529069
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    Aperçu du livre

    Le monde des AA - Amnon Jacob Suissa

    2007).

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    INTRODUCTION

    Si depuis plus de deux cents ans, l’alcoolisme est considéré principalement comme une maladie physique (prédisposition héréditaire, maladie progressive, allergie, carence hormonale, neuronale ou génétique), le mouvement d’entraide anonyme constitue l’espace relais idéologique par excellence, voire une plaque tournante, dans la validation de cette conception. Rappelons que le discours médical dominant dans le champ des dépendances s’appuie fondamentalement sur les quatre arguments classiques inspirés des travaux de Jellinek (1960) : les caractéristiques de prédisposition, l’aspect progressif du problème, la perte de contrôle et enfin l’abstinence. Loin d’être neutre, la définition du terme dépendance revêt une grande importance et constitue un terrain propice à de multiples interprétations et controverses. En fait, elle représente un enjeu crucial autant au plan scientifique que social et thérapeutique.

    Bien que la philosophie des AA soit très populaire sur le continent nord-américain et dans certaines parties du monde, il ne semble pas y avoir de consensus social clair quant à son acceptation de la part des principaux acteurs. Dit autrement, on peut souligner que diverses écoles de pensée coexistent dans le champ des dépendances par rapport au traitement en 12 étapes. Si la conception de l’être humain, selon la philosophie des AA, s’appuie essentiellement sur certaines normes et valeurs : impuissance, abstinence comme condition à l’adhésion au mouvement et au traitement, perte de contrôle, maladie progressive, croyance à un plus grand pouvoir, celui de Dieu, principe de l’anonymat, solidarité sociale, etc., plusieurs éminents chercheurs dans le champ des dépendances ont développé une approche de nature plus globale et psychosociale. Critiques de la philosophie des AA, ces auteurs questionnent les fondements sous-jacents : les concepts de pathologie/maladie, de la permanence du statut (une fois dépendant/toujours dépendant), de la perte de contrôle, de l’abstinence à tout prix comme modalité de participation au traitement, de la croyance à Dieu, d’un certain échec du processus de socialisation en privilégiant le tissage des liens, non pas avec une diversité sociale, mais principalement à l’intérieur des AA comme microsociété, etc.

    Ils critiquent également l’application de cette philosophie à des conditions et comportements compris comme des maladies : dépressifs, obèses, joueurs compulsifs, narcomanes, dépendants affectifs anonymes, vulgaires, etc. Parmi les chercheurs critiques de la philosophie anonyme, mentionnons Peele (2004) ; Peele, Bufe et Brodsky (2000) ; Ragge (1998) ; Bufe (1998) ; Gilliam (1998) ; Trimpey (1996) ; Ellis et Velmet (1992). Le débat est donc bien vivant quand il s’agit de savoir si le mouvement d’entraide anonyme contribue, par exemple, à réduire la fréquence globale des problèmes psychosociaux de dépendance ou s’il ne fait qu’alimenter la multiplication des comportements de plus en plus considérés comme étant des pathologies/maladies.

    Le discours des mouvements anonymes, faut-il le rappeler, s’appuie sur une idéologie qui prône la médicalisation : allergie, maladie progressive de la volonté, des humeurs, perte de contrôle ou désordre d’impulsion, etc. Cet étiquetage opère sur les individus et leur milieu une déculpabilisation morale et sociale des gestes tout en leur offrant un espace de solidarité sociale, d’écoute, d’absence de jugement et d’entraide mutuelle (Suissa, 2007a). Ces effets, considérés comme positifs a priori, placent simultanément les membres anonymes dans une trajectoire sociale particulière. Par particulière, il faut comprendre une déresponsabilisation des comportements de l’individu au nom de la maladie, et ce, même s’il a été abstinent durant plusieurs années. De plus, cet étiquetage s’applique généralement aussi aux membres de la famille, communément appelés les codépendants. Ces derniers doivent généralement adhérer aux principes sous-jacents du mouvement : la dépendance est d’origine biologique, le dépendant doit reconnaître qu’il a une maladie, il doit se soumettre à un pouvoir plus puissant (Dieu), l’expert en traitement est un ex-dépendant généralement des AA, etc.

    Ce qui est frappant avec ce mouvement, c’est qu’il réussit à créer des liens sociaux en incluant les membres et en brisant leur isolement social, mais il les exclut simultanément de la sphère plus large de la socialisation en les étiquetant de malades à vie. Cette différenciation sociale et adaptation secondaire, dans le sens de Spector (1972), entre les malades et les autres, produit deux résultats majeurs. D’un côté, on assiste à une forte solidarité sociale soudée par les principes sous-jacents au discours de la maladie. De l’autre, il y a une exclusion de milliers d’individus étiquetés comme malades sociaux par l’espace social élargi, d’où la nécessité du principe de l’anonymat comme règle de fonctionnement.

    Afin d’avoir une vision d’ensemble du phénomène à l’étude, nous suggérons de faire, dans un premier temps, un retour en arrière pour saisir les composantes historiques dans la construction sociale de cette philosophie et de ce mouvement. Dans un deuxième temps, et à la lumière d’une mise à jour de la littérature scientifique et de plusieurs résultats de recherche, nous examinerons et analyserons d’un point de vue critique les forces et les faiblesses de ce mouvement. Au cœur de ce débat, et dans la mesure où la conception et la définition d’une condition exercent un impact direct sur la compréhension du phénomène, nous accorderons une place centrale au concept de dépendance qui représente un enjeu psychosocial majeur. Nous terminerons en explorant les avenues considérées comme les plus prometteuses dans le champ des dépendances, et ce, sans se considérer pathologiques ou malades à vie. En guise de conclusion, nous mettrons en lumière quelques pratiques d’intervention qui se situent en dehors des circuits anonymes et qui permettent un transfert de pouvoir aux personnes, à leurs familles et à leurs réseaux.

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    CHAPITRE 1

    HISTOIRE DES AA

    1.1. LE PASSÉ ÉCLAIRE LE PRÉSENT

    Le premier mouvement d’entraide anonyme, soit les Alcooliques anonymes, s’est fortement inspiré de principes du Groupe d’Oxford (Oxford Group) qui était, à la fin des années 1930, un mouvement évangélique religieux populaire. Selon McGee (2000, p. 12) les racines les plus anciennes des AA remontent à la période de la tempérance dans les années 1800 avec le mouvement des Washingtonians. En fait, l’aventure américaine avec l’abstinence comme mode de vie s’inscrit dans la foulée des mouvements évangéliques religieux qui constituent encore une réponse aux problèmes sociaux pour des dizaines de millions d’Américains (Warner, 2008). En illustrant le cas du président Georges W. Bush, Warner montre explicitement comment ce président a cessé de boire en 1986, non pas seulement parce qu’il avait éprouvé des problèmes de surconsommation d’alcool en 1966 et en 1976, mais parce qu’il s’identifiait plus comme un évangélique chrétien et adhérait aux préceptes de ce mouvement. Ainsi, Bush a appliqué, durant sa présidence, l’abstinence dans la gestion de divers problèmes sociaux : abus de drogues et d’alcool, abstinence sexuelle des adolescentes, des filles-mères et des populations aux prises avec un problème de sida, etc. Comme mouvement évangélique prônant des valeurs telles que la pureté sexuelle et la nouvelle virginité, ce type de discours, axé sur l’abstinence, s’est transporté dans les mouvements missionnaires en Grande-Bretagne et en Afrique subsaharienne. Cela étant, on ne peut dire que la droite religieuse américaine détient le monopole de l’abstinence. Gandhi pratiquait également l’abstinence sexuelle comme principe révolutionnaire de même que la féministe radicale Andrea Dworkin défendait ce mode de vie, qui selon elle, servait à répudier le pouvoir qu’exerçaient les hommes sur les femmes.

    Selon Kelly (2003), c’est en 1840, dans la ville de Baltimore au Maryland que des activités visant à joindre les fraternités de sobriété ont pris place graduellement dans la plupart des espaces publics tels que les hôpitaux et les tavernes. Ce type de rassemblement sera, jusqu’à un certain point, le modèle précurseur des réunions des AA. En fait, le mouvement des Washingtonians commence à s’impliquer auprès des alcooliques en privilégiant les témoignages des personnes en public (Kelly, 2003 ; White, 1998). Riche de plus de 600 000 membres, et bien que ce mouvement ne soit pas exclusivement consacré à aider les alcooliques, il est ouvert à toute personne qui désirait arrêter de boire. Alors que son ascension comme mouvement sera très rapide, son déclin le sera également une vingtaine d’années plus tard.

    Selon Driberg (1964) et Bufe (1998, p. 14), l’histoire du mouvement des AA commence vraiment avec Frank Nathan Daniel Buchman, un pasteur luthérien né le 4 juin 1878 à Pennsburg en Pennsylvanie d’une riche famille conservatrice. À 24 ans, il devient officiellement pasteur luthérien et, dès 1905, il inaugure un hospice pour jeunes adultes. Plus tard, il entreprend une expérience de conversion en Angleterre pour occuper le poste de secrétaire du collège d’État du YMCA en Pennsylvanie. Fort de ces succès auprès de diverses communautés où il prêche la bible et les croisades évangéliques, il introduit la méditation et le temps de méditation (quiet time) où les participants passent du temps à lire la Bible, à prier et à écouter les paroles de Dieu. Alors que le mouvement s’appelle originalement Fraternité chrétienne du premier siècle (First Century Christian Fellowship), le mouvement d’Oxford est officiellement inauguré en 1908 par Buchman. En 1915, il démissionne pour entreprendre un voyage en Orient et il se rend à Kuling, en Chine, et en 1918 il organise son premier rassemblement appelé « house party ». La spécificité de ce mouvement est qu’il prêche l’évangélisme non pas dans les institutions religieuses ou les églises mêmes, mais il invite plutôt les personnes à la maison (house party) durant les fins de semaine pour des activités sociales à saveur évangélique. L’atmosphère informelle qui y règne conjugue les prières, les moments de méditation, les parties de bridge ou de golf. Cela étant, certaines activités sont réservées à la confession des pêchés au cours desquelles les membres sont invités à partager des témoignages afin de changer leur vie à partir des principes du Dr Buchman.

    Selon Howard (1961), l’un des secrets bien gardés de Buchman est qu’il est en butte à des difficultés d’obsession sexuelle, ce qui causera, en 1924, son expulsion du campus de l’Université de Princeton par le président de l’institution qui le déclarera persona non grata. Ceci n’empêchera pas Buchman de continuer sa marche de conversion en multipliant les actions de ses membres dans tout le pays pour ensuite s’installer à Oxford en Angleterre d’où l’appellation du mouvement

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