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Le TEMOIGNAGE SEXUEL ET INTIME, UN LEVIER DE CHANGEMENT SOCIAL?
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Livre électronique517 pages6 heures

Le TEMOIGNAGE SEXUEL ET INTIME, UN LEVIER DE CHANGEMENT SOCIAL?

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À propos de ce livre électronique

On assiste aujourd’hui à une prolifération, dans l’espace public, de récits personnels portant sur la sexualité, l’intimité et l’inclusion sociale. Ces récits abordent l’orientation sexuelle, l’expression de genre, la séropositivité au VIH, le travail du sexe, etc. Leurs thèmes sont tabous et les sujets parlant sont couverts d’opprobre, que ce soit à travers la criminalisation, la pathologisation ou la stigmatisation. Cependant, les histoires véhiculées participent à l’expansion d’un discours sur la justice sociale, lequel s’inscrit dans le sillage des différentes formes d’intervention et d’action sociales menées par des groupes minoritaires. Au-delà des individus et à travers le récit au « je » s’exprime une parole collective qui porte non seulement des identités et des valeurs singulières, mais aussi des manœuvres politiques et une volonté de changement. Émergent des « cultures du témoignage » qui impliquent les témoins, les personnes qui sollicitent les témoignages, celles qui les consomment et l’environnement social et médiatique dans lequel ces récits prennent effet.

Le présent collectif réunit des textes mobilisant des savoirs scientifiques et des expériences du terrain ainsi que des extraits d’entrevues menées avec des personnes ayant témoigné publiquement de leur vécu dans les communautés sexuelles et de genres au Québec. Les auteur.e.s, issu.e.s de milieux variés, exposent les jalons théoriques et méthodologiques du témoignage sexuel et intime comme ceux d’un important levier de changement social.
LangueFrançais
Date de sortie11 oct. 2019
ISBN9782760548213
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    Aperçu du livre

    Le TEMOIGNAGE SEXUEL ET INTIME, UN LEVIER DE CHANGEMENT SOCIAL? - Maria Nengeh Mensah

    CULTURES DU TÉMOIGNAGE ET CHANGEMENT SOCIAL

    L’EXPÉRIENCE DES COMMUNAUTÉS SEXUELLES

    ET DE GENRES AU QUÉBEC

    Maria Nengeh Mensah et A.J. Ausina Dirtystein

    Malgré plusieurs avancements majeurs qu’a connus la société contemporaine en matière d’ouverture à la diversité, force est de constater que les personnes appartenant à des groupes sociaux minorisés en raison de leur sexualité et de leur expression de genre ou du développement de leur corps sexué, sont encore victimes de discrimination et fortement stigmatisées (Bruckert et Chabot, 2010; Bastien-Charlebois, 2011; Hannem et Bruckert, 2013; Parent et al., 2010; Réseau juridique, 2012; Habib et Lee, 2015; Veale et al., 2015; Chamberland et al., 2011). Le motif de leur exclusion sociale étant souvent invisible, le témoignage sexuel et intime représente pour elles une stratégie importante permettant de raconter leurs histoires personnelles jusque-là passées inaperçues, indicibles ou inaudibles. Ainsi, le témoignage public est-il utilisé pour sensibiliser et éduquer, dans un objectif de changement social. À travers des conférences, des entrevues livrées aux médias journalistiques, l’expression artistique et sur les réseaux socionumériques, le témoignage donne la parole au «je», ouvrant sur le ressenti et l’affect et permettant de demander et d’offrir la reconnaissance et l’écoute.

    Trois communautés sexuelles et de genres au Québec usent du témoignage public dans une telle perspective: les personnes LGBTQI2¹, les personnes vivant avec le VIH/sida (PVVIH) et les personnes ayant une expérience de travail du sexe. Pour ces dernières, le témoignage permet d’attester de conditions de travail et de vie diverses, et constitue un moyen privilégié de mobilisation personnelle et politique dans le contexte de la criminalisation de l’achat et de la publicité de services sexuels (Réseau juridique, 2014). Bien que les porte-paroles d’organismes, tels Stella, l’amie de Maimie, refusent de dire publiquement «je suis travailleur du sexe» par crainte d’être discrédité.e.s et d’être marqué.e.s du stigmate de la putain (Pheterson, 1996; Mensah, 2006), c’est pourtant par le biais du témoignage sexuel et intime concernant les effets dévastateurs qu’ont les lois criminelles sur leur sécurité et leur dignité qu’elles parviennent à se faire entendre des chercheurs, des avocats et des juges qui sont prêts à les écouter (Himmel, 2010). Une culture du témoignage existe également chez les PVVIH, qui s’exposent pour leur part à des poursuites criminelles en cas de non divulgation de leur statut sérologique positif au VIH à leurs partenaires sexuels (Réseau juridique, 2012). Cette criminalisation contribue à la permanence du préjugé selon lequel le sida est une maladie honteuse découlant d’une responsabilité manquée et de comportements socialement réprouvés.

    En vue de lutter contre de tels préjugés, des associations comme la Coalition des organismes communautaires québécois de lutte contre le VIH/sida (COCQ-SIDA), travaillent à rassembler les forces des organismes et des divers intervenants qui cherchent à mettre fin à la stigmatisation des personnes séropositives. La révélation publique du statut sérologique positif au VIH est vécue par les personnes séropositives comme une sortie du placard (Mensah et Haig, 2012), leur expérience n’est pas sans faire écho à celle du dévoilement de l’orientation sexuelle par les lesbiennes, les gais et les bisexuel.le.s (coming out), ou de l’auto-identification de genre chez les personnes trans ou queer. Le témoignage relatif à l’expérience du dévoilement de l’orientation sexuelle est d’ailleurs l’outil que le Groupe de recherche et d’intervention sociale (GRIS) de Montréal emploie depuis 1998 afin de démystifier l’homosexualité et la bisexualité en milieu scolaire. Le témoignage est également au cœur des actions de l’Organisation internationale des intersexes (OII), présente sur les médias socionumériques². Les personnes intersexuées ayant subi des chirurgies correctrices à l’enfance, souvent à leur insu, ou de l’hormonothérapie non consensuelle, sont les mieux placées pour dénoncer personnellement ces traitements de la part du corps médical (Gosselin, 2011). Les personnes trans réclament aussi de faire entendre leurs voix (Zimman, 2009; Rak, 2005). Toutefois, bien qu’elles partagent une stratégie d’intervention sociale – ayant diverses formes et modalités – ces communautés sexuelles et de genres ne se sont jamais regroupées formellement pour partager leurs savoirs, confronter ensemble les préjugés et revendiquer collectivement des changements sociaux sur la base des usages qu’elles font du témoignage.

    En réunissant différents textes qui interpellent des savoirs scientifiques et du terrain ainsi que des extraits d’entrevues menées avec des personnes ayant témoigné publiquement au Québec, le présent ouvrage vise à faire connaître la force du témoignage dans le champ du social contemporain. Cette force réside – entre autres lieux, mais pas uniquement – au croisement des positionnements sociaux et identitaires qui la composent, l’affirment et l’interrogent, que sont la corporéité, l’expression de genre, la séropositivité au VIH/sida ou encore le travail du sexe. Ainsi, la force du témoignage est-elle avant tout liée à une régulation particulière dont font l’objet les communautés sexuelles et de genres.

    1.LA FORCE DU TÉMOIGNAGE DANS LE CHAMP DU SOCIAL CONTEMPORAIN

    Pour comprendre la complexité de la régulation sociale qui se joue dans l’intervention par le témoignage, notre réflexion prend assise sur les idées du philosophe Michel Foucault (1969, 1976, 1982), qui a conçu les modalités de cette régulation comme étant à la fois classificatoire et constitutive. Classificatoire puisqu’une série de catégories identitaires collent à la peau des personnes qui témoignent publiquement à propos de leur sexualité ou d’une partie intime de leur vie. Constitutive, en ce que la criminalisation, la pathologisation et la stigmatisation produisent une naturalisation de ces identités, différentes selon le groupe social minorisé et la situation vécue (dossier criminel, diagnostic psychiatrique, interaction stigmatisante, etc.). La régulation à l’œuvre détermine les discours et les savoirs qui sont produits sur les communautés sexuelles et de genres, savoirs qui guident non seulement les politiques publiques et la législation, mais également les imaginaires populaires et les interactions sociales quotidiennes lors desquelles survient la discrimination. Le concept de pratique discursive (Foucault, 1969; Healy, 2005) permet de penser le contexte dans lequel s’inscrivent les pratiques du témoignage public, celui-ci étant exposé d’abord comme stratégie de résistance, d’intervention et d’action, puis comme lieu d’affects, moteur de création d’une parole et d’une identité collectives et contestataires. Dès lors, nous avons privilégié ici de ne pas rester centrées sur les catégories identitaires pour ce qu’elles sont, et plutôt, de nous attarder à décliner l’endos et le revers de la régulation de manière transversale aux multiples positionnements sociaux des personnes et des groupes.

    La lecture transversale des enjeux liés à l’usage du témoignage sexuel et intime chez les trois communautés ciblées et entre elles représente une posture critique originale. Bien qu’elles partagent une stratégie d’intervention sociale, ces différentes communautés sexuelles et de genres ne se sont jamais regroupées formellement pour partager leurs savoirs, confronter ensemble les préjugés et revendiquer collectivement des changements sociaux sur la base des usages qu’elles font du témoignage. Les défis d’un tel assemblage sont de taille: le stigmate de la putain (Pheterson, 1996), le mythe de «l’égalité-déjà-là³» et l’ignorance quasi totale des réalités trans, queer et intersexes dans la majorité des pratiques de recherche et d’intervention en matière de diversité sexuelle et de genre constituent des obstacles importants. Nous pensons que cet ouvrage est un premier pas dans cette direction.

    Par ailleurs, le cadre général des analyses théoriques et des méthodologies qui sont discutées dans cet ouvrage emprunte à plusieurs autres sources, vu le caractère interdisciplinaire du collectif d’auteur.e.s. Premièrement, l’interactionnisme symbolique, par le biais des théories de la stigmatisation (Goffman, 1975; Hannem et Bruckert, 2013; Paugam, 1991; Rintamaki et Weaver, 2008), sont centrales pour penser l’action sociale des personnes minorisées, pour saisir les différentes stratégies que les personnestémoins adoptent afin de contrôler les informations qu’elles livrent et de se présenter comme des sujets politiques capables d’insuffler des transformations sociales. Deuxièmement, des cultural studies (DuGuay et al., 1997; Grossberg, 2010; Hall, 1993), nous retenons deux idées directrices.

    D’abord, bien qu’on lui attribue une origine spontanée, le témoignage public s’inscrit dans une dynamique entre différents acteurs et au sein d’une ou de plusieurs «culture(s) du témoignage» (Ahmed et Stacey, 2001). Est entendu par témoignage public, un objet culturel qui porte sur une partie intime de la vie, en l’occurrence la sexualité, le corps ou l’identité de genre, et qui peut circuler dans plusieurs médias – télévision, radio, vidéo, Internet, médias sociaux et mobiles, conférence devant un groupe, texte imprimé, œuvre artistique, etc. (Gaudard et Modeata, 2003, 2007; Idjéraoui-Ravez, 2012). Le témoignage public revêt donc une dimension vraisemblablement construite, faisant appel à des savoirs et à des pouvoirs particuliers, et mobilisant des appareils médiatiques et des symboles multiples (Foucault, 1976; Frosch et Pinchevski, 2011; Guegan et Michinov, 2011; Lambert, 2013). Puis, la théorisation du sociologue Kenneth Plummer (1995, 2003) qui soutient que les processus de production et de réception des témoignages sont intelligibles à partir des interactions survenant entre quatre acteurs clés: les personnes-témoins; ceux qui sollicitent les témoignages; ceux qui les consomment; et l’environnement social et médiatique dans lequel le témoignage est livré et entendu. Plummer (1995) et Ahmed et Stacey (2001) avancent que les témoignages publics sur le sexe et le genre favorisent l’émergence de communautés de soutien et d’écoute, ainsi que l’essor d’une culture de résistance, d’où la nomination des cultures du témoignage. En prenant l’exemple des récits de victimes d’agression sexuelle, ces auteurs montrent comment les témoignages publics deviennent sources d’empowerment et de transformation. La dynamique de résistance est à analyser, selon nous, selon une perspective féministe critique. Troisièmement donc, les auteur.e.s de ce collectif développent en ce sens. En effet, les théorisations féministes permettent d’entrevoir comment la régulation sociale s’opère pour les groupes sociaux qui sont au cœur de cet ouvrage. On s’interroge, notamment, sur la façon dont les catégories binaires de genre et de désir, mais aussi de race, de langue, d’âge et de capacité (Baril, 2015; Butler, 1990, 2006; Sedgwick, 1990; Scott, 1992; Mohanty, 2003; Ramazanoglu, 1993), reproduisent des rapports de pouvoir spécifiques – le sexisme, le racisme et l’hétéronormativité, pour en nommer quelques-uns. Ces questionnements féministes donnent lieu aussi plus généralement à la production de connaissances élargies sur les interactions sociales et les moyens de réduire même les inégalités (Fraser, 2005; Fricker, 2007; Lamoureux, 2001; Young, 1990, 2000).

    2.DÉFAIRE LES TABOUS, L’EXPRESSION DE VOIX COMMUNAUTAIRES

    Les sujets abordés par les témoignages qui nous intéressent sont tabous aux yeux de l’opinion publique ou méconnus. En effet, on pourrait croire que pour une large part de la population générale, les contenus qu’abordent et véhiculent les témoignages publics des communautés sexuelles et de genres seraient malséants à évoquer, en vertu des convenances sociales ou morales, en dehors d’un contexte thérapeutique ou de confidences intimes. On pourrait banaliser cette matière brute dont s’abreuvent les médias à sensations: orientation sexuelle, travail du sexe, séropositivité, bisexualité, transidentités, intersexuation. Or, les personnes témoins incarnent l’opprobre; elles sont l’objet de la criminalisation, de la pathologisation et de la stigmatisation de la part des institutions médicale, juridique et culturelle (Bastien-Charlebois, 2011; Hannem et Bruckert, 2013; Lavigne, 2012; Manirabona, 2011; Réseau juridique, 2012). Les histoires véhiculées invitent donc à la tolérance et participent ainsi à l’expansion d’un discours sur la justice sociale et la constitution d’une voix collective (Fraser, 1998, 2005; Fricker, 2009). Plusieurs auteurs confirment que ce discours s’inscrit dans le sillage des nouvelles technologies des médias et des différentes formes d’intervention et d’action culturelle menées par des groupes minoritaires (Bromley, 2010; Gillett, 2003; Jochems et Rivard, 2008; Lebow, 2012; Paasonen, 2011; Polletta et John, 2006; Rak, 2005).

    Nous avons développé, ailleurs, l’idée selon laquelle, compte tenu de leurs singularités et de leurs intersections plurielles, les porte-paroles de ces groupes minoritaires forment des communautés (Mensah et al., 2017) ayant en commun l’identification ou l’expression d’une sexualité, d’un corps ou d’une identité de genre hors-normes. Au-delà des individus donc, et à travers le récit au «je», une parole collective s’exprime, la communication d’une expérience partagée par une communauté (Frisch, 1990; Idjéraoui-Ravez, 2003; Mensah et Haig, 2012). Cette voix collective articule non seulement des identités et des valeurs précises, mais aussi des manœuvres politiques et une volonté d’action sociale (Polletta et John, 2006; Pullen, 2009), et le terme le plus approprié pour parler de cet assemblage, selon l’historien Jeffrey Weeks (2000), est celui de la «communauté», des voix communautaires. Dans ce contexte, le témoignage public représente une importante stratégie d’intervention pour revendiquer la valeur sociale des histoires individuelles qui composent ces voix.

    3.UNE RÉFLEXION MULTIDISCIPLINAIRE ET INTERSECTORIELLE

    À ce jour, aucune recherche-action au Canada ou ailleurs, qu’elle soit théorique ou empirique, ne s’est intéressée aux liens existants entre les personnes LGBTQI2, les PVVIH et les personnes ayant une expérience de travail du sexe. La mobilisation des connaissances sur ces trois groupes s’engage résolument dans un champ de recherche encore non défriché en sciences humaines et sociales. La réalisation du présent ouvrage est le résultat d’un premier débroussaillage de thématiques à explorer, que nous avons réalisé lors d’un colloque de mise en commun des travaux de l’équipe de recherche-action Cultures du témoignage | Testimonial Cultures, logé à l’UQAM⁴. Nous avons suscité la rencontre de groupes et de personnes du Québec qui ont en commun une pratique sociale (le témoignage), mais qui diffèrent les uns des autres sur le plan des spécificités sociosexuelles de leurs pratiques testimoniales. Par ailleurs, parce que chacun et chacune font un usage multiple du témoignage (expression personnelle, éducation, plaidoyer, création artistique, réforme juridique, etc.), et ce, sous des formes variées (oral, écrit, audiovisuel, numérique, etc.), une réflexion multidisciplinaire et intersectorielle est nécessaire pour véritablement parler des conditions de production et de réception du témoignage public.

    Soulignons d’emblée la qualité des différentes personnes investies dans cet ouvrage: elles possèdent assurément toutes une connaissance fine du sujet et des enjeux associés au témoignage public dans leur champ d’expertise. Professeur.e.s d’université, chargé.e.s de cours, intervenant.e.s sociaux dans le réseau communautaire et institutionnel, militant.e.s, chercheurs et chercheuses indépendant.e.s, spécialistes des communications, étudiant.e.s, les auteur.e.s proviennent des disciplines suivantes: travail social, communication, études féministes, sociologie, histoire de l’art, sexologie, études littéraires et sémiologie. De plus, les personnes témoins, dont des extraits d’entrevue de recherche sont publiés à la fin de ce livre, ont des profils assez variés allant de retraitée à artiste professionnel, intervenante sociale et escorte, ou encore directeur général d’un organisme communautaire et blogueuse. Cette diversité de statuts et de perspectives chez les auteur.e.s du présent ouvrage constitue un de ces apports importants. Derrière cet ouvrage collectif donc, des auteur.e.s provenant de milieux et de disciplines variés formulent les jalons théoriques et méthodologiques du témoignage sexuel et intime comme ceux d’un important levier de changement social.

    Le livre est divisé en cinq sections thématiques, cinq manières de réfléchir au témoignage public et aux transformations qu’il génère. Chaque section est composée de trois ou de quatre chapitres qui développent le thème, sauf pour la dernière section qui regroupe sept extraits d’entrevues de recherche. Les textes présentés ont le souci d’exercer, les uns par rapport aux autres, la mise en lumière non seulement de l’intersectionnalité des oppressions vécues et dénoncées par le témoignage, mais aussi de nous faire voir la transversalité des enjeux.

    3.1.Savoirs et pouvoirs

    Un des apports majeurs de la philosophie foucaldienne est d’informer notre réflexion sur les pratiques du témoignage au moyen de deux concepts: le savoir et le pouvoir. Le savoir concerne les méthodes et les contenus qui sont considérés comme acceptables à un moment de l’histoire d’une société donnée et dans un domaine défini (Foucault, 1969, 1971). Le pouvoir recouvre, quant à lui, les mécanismes particuliers qui sont reconnus comme permettant d’induire des comportements ou des discours (Foucault, 1976). Ces deux termes n’ont pas pour fonction de désigner des entités mesurables, mais bien de neutraliser les effets de légitimité de certains discours vis-à-vis des autres, et de rendre visible ce qui les rend, à une certaine époque, acceptables et acceptés. Le savoir et le pouvoir sont des termes à penser au pluriel, vu l’existence de rapports de force à la fois multiples et diffus, produisant des discours permettant de contrôler qui est ou non dans la norme.

    Savoirs et pouvoirs constituent ici une grille d’analyse de la réalité, et non la réalité elle-même. Selon la définition que Foucault retient de ces termes, il n’est pas possible de les séparer: il n’y a pas d’un côté, du savoir et de l’autre, du pouvoir. Un élément de savoir, pour être considéré comme tel, doit être conforme à un ensemble de règles et de contraintes caractéristiques, ce qu’il nomme l’ordre du discours (Foucault, 1971). De même, un mécanisme de pouvoir, pour fonctionner, doit se déployer selon des procédures, des instruments, des moyens et des objectifs qui peuvent être validés dans des systèmes plus ou moins cohérents de savoir (Foucault, 1982). Dans cet ordre d’idées, la première thématique explorée met en évidence la position expérientielle de celles et de ceux qui ont choisi le témoignage comme arme de positionnement face au silence que l’avis institutionnel de la médecine, de l’académie, du milieu féministe, littéraire ou journalistique leur ont imposé insidieusement. Cette projection déshumanisante qui oriente à ne pas parler, par honte ou par peur pour soi-même, témoigne d’une lourde tradition politique et religieuse à l’encontre de ce qui structure la sexualité – les sciences humaines et sociales par exemple (Foucault, 1976). Cette dernière, n’ayant pour référence que la maternité et le couple hétérosexuel monogame, camoufle les autres réalités. C’est pourquoi le témoignage de certain.e.s favorise le changement d’angle de vue et permet de rompre avec cette lecture restreinte et stéréotypée des savoirs expérientiels et réflexifs.

    Le premier chapitre est un texte de Janik Bastien-Charlebois, qui invite à réfléchir à la place accordée aux corps qui ne rentrent pas dans les stéréotypes sexuels et de genre. Son puissant témoignage recadre la place de l’individu face à la médecine occidentale soucieuse de plaire aux conventions genrées, imposant finalement l’hétérosexualité. Le récit de la sociologue revoit les limites d’une telle médecine correctionnelle en la décrivant comme une agression et invite à repenser la place de chacune et chacun au sein de la société en tant qu’être complet de fait et non plus en tant que sujet désincarné attendant d’avoir l’approbation d’une institution pour commencer à vivre. Le deuxième chapitre est d’Edward Ou Jin Lee, chercheur, militant et organisateur communautaire à Montréal. Il met en avant l’idée selon laquelle le témoignage est essentiel dans la recherche scientifique participative, en tant qu’outil contextualisant et matière à penser les règles méthodologiques et éthiques de la recherche avec des êtres humains. En revisitant ses propres expériences de recherche avec des personnes LGBTQ, racisées et migrantes, il réinterroge la place de la colonisation des savoirs et de la violence épistémique envers des personnes ayant une identité de genre et une orientation sexuelle en marge.

    Troisièmement, la recherche d’Alexandre Baril aborde l’intersectionnalité entre la normativité linguistique et celle du genre, portée par des féministes anglophones et des francophones cisgenres. Combinant la généalogie critique, la déconstruction et l’autoethnographie, Baril confronte les savoirs et les pouvoirs de l’anglonormativité et de la cisnormativité, et développe la notion du «fardeau temporel» qu’imposent les expériences de traduction linguistique, sociale et culturelle requises pour se voir exister et soutenu dans ses démarches de transition. À travers son parcours personnel d’homme trans francophone, il témoigne en vu d’apporter une solution éthique qui nous permettra de (re)penser les intersections et les solidarités entre les féministes anglophones et francophones, une éthique de la responsabilité. Enfin, le chapitre d’Elizabeth Mercier interroge, quant à lui, le paradoxe entre les discours qui dénoncent l’hypersexualisation des jeunes aux Québec face à la pornographie en ligne et la volonté d’une éducation sexuelle restant dans le domaine du privé, ne jouant pas en la faveur des pratiques et des identités en marges, qui devraient rester dans l’ombre d’après les témoignages médiatisés que l’auteure reprend pour appuyer son propos.

    3.2.Appareils médiatiques

    La deuxième thématique du livre concerne les rouages de trois des dispositifs de dissémination publique impliqués dans les cultures du témoignage des communautés sexuelles et de genres. En effet, une des caractéristiques de notre objet d’étude est qu’il fait appel à des appareils médiatiques et à des symboles multiples. Cette seconde manière de voir le témoignage s’intéresse à la place que tient le témoignage modèle dans le champ des représentations sociales et à ce qu’il apporte en termes de références visuelle et textuelle.

    Le contexte actuel d’accroissement des moyens de production et de diffusion des témoignages et d’ouverture de possibilités de nouvelles formes de socialisation par l’intermédiaire des médias socionumériques est non-négligeable. En effet, les témoignages de personnes séropositives, de travailleuses ou de travailleurs du sexe et de personnes lesbiennes, gaies, bi, trans, queer ou intersexe prolifèrent aujourd’hui, notamment, sur internet, les blogues, les sites Web, Twitter et autres. Ce contexte a-t-il une influence sur la régulation sociale? Favorise-t-il les savoirs et les pouvoirs des personnes marginalisées? Le sentiment de communauté et la mobilisation s’en trouvent-ils renforcés? C’est aussi en référence à ce contexte que sera pensée la réception des témoignages, les retombées de ce dernier en matière de changement social étant au fondement du travail social des organisations communautaires dans ce domaine. S’il devient de plus en plus facile de produire et de diffuser des témoignages à l’aide d’appareils médiatiques variés, il reste à voir si, en contrepartie, il n’est pas plus difficile d’être entendu, de bénéficier d’une audience et d’interagir avec des publics puisqu’une vaste quantité de contenus et d’informations se font concurrence. Autrement dit, est-ce que la banalisation des témoignages sexuels et intimes, des pratiques de dévoilement public qui, selon certains, feraient fonctionner les médias, contribue à banaliser les témoignages des groupes sociaux marginalisés et, ainsi, à limiter leur potentiel d’intervention dans une optique de lutte à la discrimination et à la stigmatisation? En amorçant des réponses à cette question, les collaboratrices et collaborateurs de cet ouvrage approfondissent nos connaissances relatives aux assemblages testimoniaux que sont l’autopornographie, l’œuvre littéraire et la représentation dans les médias de masse, et à leurs conséquences sur la société.

    L’analyse de Julie Lavigne et de Myriam Le Blanc Élie questionne l’autopornographie en tant que témoignage sexuel dans la lignée d’une pornographie féministe éducative et positive. Puis, le texte de A.J. Ausina Dirtystein montre comment l’écrivaine Grisélidis Réal, ayant eu une proximité avec «le monde de la prostitution» et ayant choisi de parler en son nom, développe tout un corpus littéraire qualifié de révolutionnaire. L’écriture testimoniale de Grisélidis Réal a, selon Dirtystein, un rôle de liant entre l’art, le changement social et la politique. Elle permet un activisme inclusif, intersectionnel et transdisciplinaire qui saura inspirer la mobilisation féministe pour les générations à venir. Enfin, la chercheuse Karine Espineira signe le troisième texte de cette section, en abordant les inégalités dans l’espace médiatique vis-à-vis des personnes trans et en soulevant les effets des témoignages dans les programmes de télévision et leur institutionnalisation en France, en tant que construction. Son propre témoignage en tant que femme trans donne à son analyse une double lecture, qui invite à repenser la recherche universitaire souvent refroidie par le positionnement personnel, sous l’angle d’une nécessité, pour déloger les savoirs médiatiques conventionnels de leur structure figée.

    3.3.Communautés interprétantes

    Les troisième et quatrième thématiques du livre s’attardent sur le travail d’interprétation des témoignages que réalisent les diverses communautés. Le concept de «communauté interprétante» a été créé par le critique littéraire Stanley Fish (1980), figure de proue en études culturelles, les cultural studies qui animent notre cadre théorique et méthodologique. Selon sa perspective constructiviste, les communautés interprétantes sont des groupes de «lecteurs» qui s’entendent entre eux sur les éléments qu’ils jugent les plus significatifs d’un objet, d’un phénomène ou d’une situation sociale – les objets, phénomènes et situations sont entendus dans cette perspective comme des «textes sociaux» (DuGuay, 1997; Grossberg, 2010). Chaque communauté développe une interprétation du sens du texte, sa lecture en quelque sorte, en fonction de ses intérêts propres, de ses expériences subjectives. Ainsi, le témoignage public signifie-t-il quelque chose dans la mesure où il est reçu, interprété; sa signification n’existe qu’en lien avec la compréhension que dégage un groupe à partir de référents partagés.

    La thématique des «Communautés interprétantes» s’attarde à expliciter comment le témoignage public est interprété comme une construction sociale dynamique et interactive. Un premier chapitre, rédigé par Olivier Vallerand, Amélie Charbonneau et Marie Houzeau de l’organisme GRIS-Montréal, évoque les recherches que ce dernier a pu réaliser en terme de démystification de l’homosexualité et de la bisexualité dans les classes du primaire jusqu’à l’université. À travers un dispositif toujours en évolution, le GRIS offre une communication entre les personnes témoins et la société qui reçoit leurs témoignages, de façon à établir un dialogue, une compréhension et à améliorer le regard et l’écoute envers les minorités sexuelles dans les écoles. Le deuxième chapitre est une analyse de Simon Corneau, Kim Bernatchez et Dominic Beaulieu-Prévost qui informe et analyse le point de vue des hommes gais sur les minorités ethniques au Québec à travers le médium pornographique. Ces chercheurs et chercheuses questionnent la pornographie actuelle, mettent en évidence le racisme inhérent à certaines représentations et résument la perception des hommes gais à propos de celles-ci et de leur usage de la porno au quotidien. En effet, la pornographie gaie, étant un point de référence pour de nombreux hommes en matière de sexualités, de corps et de genre social, pourrait servir à éduquer et ainsi remettre en cause les idées reçues concernant l’hypersexualisation des minorités ethniques ou racisées, des hommes noirs en particulier. Le troisième chapitre est signé par l’équipe de travailleuses communautaires à la maison d’hébergement Passages pour femmes à Montréal. Valérie Boucher, Geneviève Roberge-Remigi, Karine-Myrgianie Jean-François et Laurence Sabourin-Laflamme décrivent comment le témoignage s’inscrit dans les activités quotidiennes de l’intervention, comme coconstruction des savoirs certes, mais aussi comme lieu de formation professionnelle. Le quatrième chapitre sous cette thématique fait appel à des récits d’expérience de femmes vivant avec le VIH. Les auteures, Marie-Eve Manseau-Young et Maria Nengeh Mensah, présentent les significations, tant individuelles que collectives, de cette mise en visibilité au regard des lectures féministes et interactionnistes qui posent la parole des femmes comme un levier de transformation.

    3.4.Acteurs en interaction

    La section suivante, intitulée «Acteurs en interaction», réunit trois chapitres à propos des processus de production et de réception des témoignages qui sont intelligibles précisément à partir de différentes interactions. Premièrement, Sandra Gabriele et Nathalie Zina Walschots se penchent sur les rapports entre les travailleuses du sexe, les médias d’information et les lois qui criminalisent l’achat et la publicité des services sexuels au Canada. Elles font état d’une recherche-création novatrice qui a conçu et mis en essai un jeu d’actualité, Le plus vieux jeu du monde (The Oldest Game) autour des conséquences matérielles et négatives de la criminalisation du travail du sexe. Cette recherche-création amène les chercheurs et chercheuses à constater les difficultés liées au fait de vouloir rompre avec les aprioris de la représentation des principales concernées dans l’actualité comme dans les jeux vidéo. Se situer du côté du point de vue des femmes qui ont livré leurs témoignages et qui luttent pour la décriminalisation apparaît être la solution qu’elles ont privilégiée. Deuxièmement, François-Xavier Charlebois signe un texte à propos de l’accompagnement social particulier qu’offre le projet d’art communautaire, La Veille Électronique, une installation de sensibilisation au VIH/sida. Finalement, René Légaré et Bruno Laprade témoignent, à leur tour, de leurs rôles respectifs dans la réalisation de la campagne Je suis séropo de la COCQ-SIDA: une personne témoin, Bruno, est accompagnée avant, pendant et après le témoignage sur sa séropositivité; un accompagnateur, René, soutien Bruno et ouvre sur les attentes de chacun quant au processus de dicibilité qu’ils ont vécu. En ressort une réflexion critique sur les besoins des personnes et des organismes qui leur viennent en aide.

    3.5.Expériences

    La dernière thématique de ce livre nous plonge dans sept «Expériences» de témoignage. Pour commencer, Maria Nengeh Mensah aborde la dimension sensible de l’expérience du témoignage: les affects. Conjuguant une approche interactionniste du témoignage à la philosophie du bonheur et de ses valeurs affectives, l’auteure explore comment l’expérience du témoignage public, considéré comme un objet culturel utile à l’intervention sociale, constitue également un lieu d’affects. L’affectivité du témoignage public est vraisemblablement, selon elle, un marqueur de son efficacité et de sa portée transformative.

    L’ouvrage se termine avec sept extraits commentés des entrevues de recherche que nous avons réalisées auprès de personnes témoins⁵. Le but de ces entrevues individuelles était de documenter les expériences des personnes issues de communautés sexuelles et de genres qui ont livré un témoignage dans un média, à travers l’art ou lors d’une prise de parole en public. Nous voulions faire connaître ces expériences.

    Essentiellement, la participation à cette recherche a demandé à ces personnes de consentir à l’enregistrement sonore de l’entrevue d’environ une heure, de choisir les modalités d’identification, de diffusion et de reproduction de l’entrevue et de répondre à une série de questions liées à l’expérience du témoignage. Nous avons ciblé le processus qui les a amenées à prendre la décision de partager un récit intime ou personnel publiquement, leur perception des risques et conséquences possibles, l’expérience de la révélation elle-même aussi bien que sa répercussion immédiate et à plus long terme.

    Les personnes témoins interrogées avaient plusieurs options d’identification de leur entrevue. Elles pouvaient choisir de rendre leur entretien public et accessible à tous, par exemple, en autorisant la publication d’extraits dans ce livre. Si telle était la décision, la personne pouvait utiliser son vrai nom ou un nom d’artiste, selon son degré d’aisance à être reconnue par les éventuels lecteurs et lectrices. Elles pouvaient aussi choisir de garder l’anonymat et nous demander de préserver leur confidentialité, ce qui a été le cas pour plus de la moitié des personnes témoins rencontrées. Les entrevues confidentielles n’ont évidemment pas été incluses dans le présent ouvrage, mais informent toutes nos discussions.

    La première entrevue donne la parole à Monica Bastien, ancienne directrice de l’association Aide aux trans du Québec (ATQ), qui voit dans le témoignage un lieu de partage, un espace qui n’appartient plus vraiment à la personne témoin, mais plutôt à une multitude de points de vue capable de se réapproprier les dires suivant leurs vécus. Pour elle, donner son point de vue sur sa vie et son expérience doit toujours aller dans le sens du ressenti et aucun témoignage ne peut sonner «faux» dans la mesure où chaque voix à sa place puisque chaque existence a sa vérité. Suivent les entrevues de l’artiste Vincent Chevalier et de la militante Annik Delorme. Tous les deux racontent, sous le couvert d’anecdotes, combien l’intolérance face à la diversité peut faire mal. Pour l’artiste, les expériences douleureuses peuvent nourrir l’élan de la création, tandis que chez la professionnelle en relation d’aide, garder l’anonymat est l’ultime facteur de protection de soi. L’entrevue de Maxime Durocher, travailleur du sexe cisgenre et hétérosexuel, renverse la figure patriarcale masculine hétérosexuelle et consommatrice de sexe, l’image du masculin dominateur, au profit d’une personnalité, d’une sensibilité et d’un militantisme pour les droits des travailleuses et des travailleurs du sexe. L’entrevue avec Ken Monteith, directeur de la Coalition des organismes communautaires

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