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L' Intégration des immigrants: Cinquante ans d’action publique locale
L' Intégration des immigrants: Cinquante ans d’action publique locale
L' Intégration des immigrants: Cinquante ans d’action publique locale
Livre électronique385 pages4 heures

L' Intégration des immigrants: Cinquante ans d’action publique locale

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À propos de ce livre électronique

C’est essentiellement dans les zones urbaines que se déploient les enjeux de l’intégration des immigrants et des minorités. Pourtant, quand on s’intéresse aux conflits qui marquent la vie publique, on voit rarement les municipalités autrement que comme des gestionnaires de services et non comme les centres de pouvoir politique qu’elles sont.
Analysant plus de cinquante ans d’action publique locale, Aude-Claire Fourot montre la capacité des municipalités à adopter des politiques qui leur sont propres et met en lumière pourquoi deux villes comme Montréal et Laval, soumises aux mêmes contraintes institutionnelles, adoptent des trajectoires politiques différentes en matière d’immigration. Plus que ’intégration dans les villes, c’est aussi l’intégration des minorités par les villes qu’elle permet d’explorer.
LangueFrançais
Date de sortie2 août 2013
ISBN9782760631762
L' Intégration des immigrants: Cinquante ans d’action publique locale

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    Aperçu du livre

    L' Intégration des immigrants - Aude-Claire Fourot

    ePub : claudebergeron.com

    Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales du Québec et Bibliothèque et Archives Canada

    Fourot, Aude-Claire, 1978-

    L’intégration des immigrants : cinquante ans d’action publique locale

    Comprend des réf. bibliogr.

    ISBN

    978-2-7606- 2293-7

    1. Immigrants – Intégration – Québec (Province) – Montréal.

    2. Immigrants – Intégration –Québec (Province) – Laval.

    3. Diversité culturelle – Québec (Province) – Montréal, Région de.

    4. Montréal, Région de (Québec) – Émigration et immigration – Politique gouvernementale.

    JV7295.M66F68 2013      305.9’069120971428      C2013-940346-9

    ISBN

    978-2-7606- 2293-7 [édition imprimée]

    ISBN

     978-2-7606- 3175-5 [édition numérique PDF]

    ISBN

    978-2-7606- 3176-2 [édition numérique ePub]

    Dépôt légal : 2e trimestre 2013

    Bibliothèque et Archives nationales du Québec

    © Les Presses de l’Université de Montréal, 2013

    Les Presses de l’Université de Montréal reconnaissent l’aide financière du gouvernement du Canada par l’entremise du Fonds du livre du Canada pour leurs activités d’édition.

    Les Presses de l’Université de Montréal remercient de leur soutien financier le Conseil des arts du Canada et la Société de développement des entreprises culturelles du Québec (SODEC).

    IMPRIMÉ AU CANADA

    À mes parents, mes frères et sœurs et les 4 A

    Remerciements

    L’écriture de ce livre a nécessité un nombre incalculable d’heures de travail, une gestation de neuf… années ! Mue par des idéaux de justice sociale et de lutte contre les discriminations, marquée par ma propre expérience d’immigration et par celles de mes amis, j’étais déterminée à explorer les questions migratoires dans le cadre de mon doctorat. L’installation urbaine des immigrants, la diversité des sociétés québécoise et canadienne, la renommée de leurs penseurs sur l’immigration et l’environnement de travail exceptionnel de l’Université de Montréal au sein de la Chaire de recherche du Canada en citoyenneté et gouvernance ont constitué un terreau idéal afin de me permettre d’entamer cette quête intellectuelle. Après avoir soutenu ma thèse, je l’ai retravaillée sous la forme d’un manuscrit alors que j’étais postdoctorante à Sciences Po Paris et au MIT, puis professeure adjointe au département de science politique de l’Université Simon Fraser. Je tiens à remercier infiniment mes mentors, mes collègues et mes étudiants de ces grandes institutions universitaires, de même que tous les participants à cette recherche sans laquelle rien n’aurait été possible. La publication de cet ouvrage a bénéficié du soutien financier de plusieurs individus et institutions. Je suis extrêmement reconnaissante au Conseil de recherches en sciences humaines du Canada pour les bourses qu’il m’a octroyées durant mes études doctorales et postdoctorales. Merci également au Centre d’études et de recherches internationales de l’Université de Montréal, qui m’a accordé le prix de la thèse internationale de l’année en 2009, prix assorti d’une subvention pour faciliter la transformation de ma thèse en livre. Jane Jenson, titulaire de la Chaire du Canada en citoyenneté et gouvernance à l’Université de Montréal, l’Université Simon Fraser par l’intermédiaire du programme University Publication Funds et du Arts Research Incentive Grant et par l’intermédiaire de John Craig, doyen de la Faculté des arts et des sciences sociales, de James Busumtwi-Sam, directeur du département de science politique et de Claire Trépanier, directrice du Bureau des Affaires francophones et francophiles, ont apporté leur soutien financier à la publication de cet ouvrage. Qu’ils en soient tous ici chaleureusement remerciés. Je n’aurais pas pu imaginer meilleure directrice de thèse et mentor que Jane Jenson. Intellectuellement et humainement, Jane a été – et demeure – d’un support sans faille, et j’admire sa droiture, sa rigueur et sa générosité. Je lui suis infiniment reconnaissante d’avoir dirigé mes travaux, de m’avoir guidée dans ma carrière universitaire et de m’avoir aidée à toutes les étapes de la réalisation de cet ouvrage. Ma participation dans le cadre de la Chaire a été d’une importance capitale pour ma formation intellectuelle et a été une aventure humaine exceptionnelle. Merci à tous les membres de la Chaire pour toutes les discussions académiques (et moins académiques !) qui ont contribué à façonner cet ouvrage. Je tiens aussi à remercier Caroline Andrew, Laurence Bherer et Denis Saint-Martin, qui ont été sur mon jury de thèse et dont les analyses, questions et commentaires ont contribué à la rédaction de ce livre. Je leur suis aussi particulièrement redevable de m’avoir soutenue depuis dans l’avancement de ma carrière. Un grand merci à Caroline qui a relu et commenté plusieurs chapitres de l’ouvrage et à Denis pour avoir contribué à son lancement lors du colloque de la Société québécoise de science politique. Mon stage postdoctoral à Sciences Po Paris a énormément contribué à la maturation de cet ouvrage et à ma réflexion en termes d’action publique locale. Je tiens à remercier les équipes du CEVIPOF et du Centre d’études européennes, et en premier lieu Patrick Le Galès et le Pôle Sciences Po Villes et territoires pour leur accueil et leur environnement de travail hors pair. Je suis aussi très reconnaissante à Suzanne Berger de m’avoir reçue au MIT et de m’avoir offert la possibilité d’enrichir mon utilisation du concept de mécanisme. Je suis aussi gré à mes collègues du département de science politique ainsi qu’à ceux associés aux programmes en français de l’Université Simon Fraser pour leur accueil en Colombie-Britannique. Analyser le Québec urbain à partir du Pacifique m’a permis de mieux ancrer et mesurer ses spécificités à l’échelle canadienne. J’exprime toute ma gratitude à Antoine Del Busso, à Natacha Monnier et à Nadine Tremblay des Presses de l’Université de Montréal pour avoir cru à ce projet et pour tout leur travail au cours de la publication de cet ouvrage. La parution aux Presses de l’Université de Montréal revêt une signification particulière. Alors que j’étais auxiliaire de recherche à l’Université de Montréal, j’avais travaillé sur le manuscrit de Jane Jenson et de Mamoudou Gazibo – La politique comparée. Fondements, enjeux et approches théoriques – et j’avais accompagné Mamoudou pour choisir la couverture de leur ouvrage. Impressionnée par cette visite, j’ai fait le pari de publier à mon tour dans cette excellente maison d’édition ; je leur suis donc redevable d’avoir rendu ce rêve possible. Je tiens aussi à remercier particulièrement mon amie et collègue Marie-Claude Haince pour ses commentaires, ses précieux conseils sur le manuscrit et son soutien indéfectible. La chasse aux coquilles et aux anglicismes n’aurait pas été possible sans l’œil avisé et le grand cœur d’Emmanuelle Fourcin et de Monique Fourot-Bauzon, qui m’ont relue longuement et patiemment. À mes amis de Montréal, de Paris et de Vancouver, merci pour notre complicité, nos larmes et nos rires. À ma famille, et particulièrement mes parents, merci de m’avoir supportée au sens propre comme au sens figuré pendant toutes ces années. Je vous dédie cet ouvrage. Je vous aime tendrement.

    Introduction

    L’intégration des immigrants et des minorités ethnoculturelles est devenue un enjeu majeur pour les villes canadiennes. La visibilité de la diversité au sein de l’espace urbain, la richesse qu’elle introduit, mais aussi les conflits qu’elle inspire ont grandement contribué à placer cet enjeu au cœur des débats publics. Il ne faut donc pas s’étonner que sociologues, historiens et autres spécialistes des sciences humaines et sociales en aient fait leur objet d’étude.

    Les politologues ont néanmoins mis plus de temps à s’y intéresser. Ainsi, malgré l’urbanisation massive des immigrants, leur intégration a été trop peu problématisée comme un enjeu d’action publique locale. Par conséquent, plus que l’intégration des immigrants dans les villes, c’est bien l’intégration des immigrants par les villes que ce livre se propose d’explorer. Pour mieux comprendre l’action publique locale, mais aussi pour mieux la catégoriser, rien de tel que de la contraster. Avec une approche résolument politiste, cet ouvrage est le premier à comparer l’action publique des municipalités à destination des immigrants et des minorités ethnoculturelles au Québec sur une longue durée (cinquante ans, de 1960 à 2010).

    Ce livre propose une analyse de la différenciation territoriale, devenue primordiale pour comprendre les transformations du Canada urbain. Il compare l’action publique locale en matière d’intégration menée par les deux premières villes d’accueil des immigrants au Québec, Montréal et Laval. Ces deux municipalités ont particulièrement attiré notre attention, car, bien que situées dans la même province et partageant des caractéristiques institutionnelles communes, elles ont fait la promotion de modèles d’intégration distincts. Montréal se réclame d’un modèle d’intégration interculturel alors que Laval privilégie un modèle républicain. Pourquoi et comment ces deux villes en sont-elles arrivées là ? Promouvoir deux modèles différents signifie-t-il nécessairement mener des actions publiques locales différenciées ? Comment analyser les convergences et les divergences quant aux mesures et aux politiques mises en place par les deux municipalités ? Quelle est la genèse et quelles sont les évolutions de l’action publique ?

    Pour répondre à ces questions, l’ouvrage affirme le caractère politique des municipalités. Il démontre leur capacité à adopter des politiques spécifiques les unes des autres et distinctes des politiques provinciales et fédérales. Cette capacité politique leur permet de problématiser de manière spécifique l’intégration des immigrants et d’y répondre de manière différenciée. Les municipalités se montrent alors plus ou moins ouvertes à la représentation des intérêts des immigrants et des minorités ethnoculturelles, conduisant à une prise en compte distincte de ceux-ci sur la scène municipale.

    Analyser l’action publique locale

    Espaces des migrations, des altérités, les villes sont à la fois synonymes de création de richesses, de croissance économique, d’innovations, de métissage, mais sont aussi des lieux d’exclusion, de pauvreté et de divisions. Cette relation entre migration et urbanité est au cœur des travaux des théoriciens de l’École de Chicago, qui ont été des pionniers dans l’étude des communautés ethniques au sein de la ville. L’influence de ce courant de recherche est bien présente au Québec où la production scientifique est marquée par des études sociologiques et ethnologiques dédiées aux relations sociales qui se tissent quotidiennement en ville, aux constructions identitaires qui s’y forment ou encore aux nouvelles pratiques culturelles qui s’y ancrent. Des recherches plus géographiques sur la distribution spatiale des communautés ethnoculturelles et des travaux en histoire sociale ont, quant à eux, proposé des lectures complémentaires de l’intégration des communautés au sein de la ville. Un des intérêts évidents de ces études de cas est de mieux comprendre l’importance du fait urbain et des différents processus d’intégration des immigrants au sein de la métropole montréalaise. Cependant, elles laissent en suspens la question du fait politique municipal et l’analyse des mesures prises à l’endroit des immigrants et des minorités ethnoculturelles. Or, la ville revêt deux dimensions indissociables : en tant qu’espace de vie et en tant qu’entité gouvernementale. Les villes sont alors à envisager comme un territoire, un lieu de (non-) communication et d’échange, un site d’activités quotidiennes, mais aussi comme une entité politique, économique et managériale.

    Suivant cette perspective, la ville renferme un territoire et un espace qui sont éminemment politiques. Ne considérer l’intégration des immigrants et des minorités ethnoculturelles qu’en observant ses formes urbaines (par exemple, l’installation des immigrants, la concentration de la diversité ou la cohésion des espaces urbains) revient à éluder le poids politique des municipalités en ce domaine. Or, en étant les premières à devoir faire face quotidiennement aux problématiques de l’intégration, elles en sont les responsables de fait. Si les villes restent prises dans certaines relations de dépendance vis-à-vis des autres gouvernements, elles connaissent également une autonomie croissante.

    Dans le cas de l’intégration des immigrants, cette double position est frappante. Les municipalités oscillent entre autonomie et tutelle quant aux outils de l’intégration. Les villes restent des entités politiques subordonnées en ce qui concerne les grandes orientations politiques de sélection des immigrants, les programmes généraux d’intégration qui sont définis et financés par les autres ordres de gouvernement, mais elles sont aux avant-postes de nombreux programmes sociaux et culturels qui ont trait aux relations interethniques. Déjà complexe sur le plan des gouvernements fédéral et provincial, étudier l’intégration à l’échelle municipale est d’autant plus délicat que les municipalités canadiennes n’ont pas de compétences formelles dans ce domaine, tout en y étant de plus en plus engagées.

    On aurait pourtant tort de considérer que les champs d’intervention des municipalités sont très limités et que celles-ci sont avant tout des institutions apolitiques et gestionnaires. Si ce biais a été dénoncé dès la fin des années 1960 par des politologues comme Guy Bourassa et réaffirmé plusieurs fois par la suite, il n’en demeure pas moins que cette tendance est toujours bien présente au Québec. Les municipalités y sont désignées comme des administrations municipales plutôt que comme des gouvernements locaux, ce qui illustre la propension à évacuer leur rôle politique pour favoriser celui de prestataire de services. En fait, la conception selon laquelle les municipalités forment un gouvernement mineur est une conception historiquement datée qui occulte les changements cruciaux que les villes ont connus au cours de l’histoire et qui résulte aussi de leur marginalisation par rapport à l’étude des politiques provinciales ou fédérales.

    De plus, l’analyse ne doit pas se limiter au nombre de mandats qui leur sont confiés, par ailleurs très souvent sous-estimé, mais plutôt à leur impact tangible. Si les villes sont, bien entendu, affectées à l’hygiène du milieu (eau, égouts, déchets) et au déneigement des routes, elles ont d’autres compétences. Mentionnons la protection publique comme les services de police, le transport, les sports et les loisirs, l’organisation des services communautaires, la culture ou encore l’aménagement du territoire et l’urbanisme, autrement dit, des responsabilités qui ont des incidences notables sur les immigrants et les minorités ethnoculturelles. Que l’on pense à la question de l’accessibilité aux services – que ce soit le logement social ou l’accès à la culture, aux sports et aux loisirs – ou à celles du soutien aux organismes communautaires, de la reconnaissance de la diversité dans l’espace urbain et des problématiques de discrimination et de justice, de l’établissement des lieux de culte minoritaires, de la représentation politique ou de l’emploi au sein de la fonction publique, les exemples sont nombreux pour illustrer le rôle des municipalités dans le processus d’intégration des immigrants.

    De plus, les villes ne se limitent pas à gérer la diversité ethnoculturelle ou ethnoreligieuse : elles mettent en place des politiques destinées aux immigrants et aux minorités ethnoculturelles, elles développent des pratiques d’intégration, et ce, même si les acteurs – et en première ligne les acteurs locaux – sont parfois très réticents à le reconnaître. Les municipalités ne sont donc pas des ordres de gouvernement seconds ou subalternes, mais bien des acteurs à part entière avec leurs intérêts, leurs stratégies et leurs problématiques spécifiques.

    Le constat qui découle d’une vision encore majoritairement apolitique des municipalités est que nous sommes toujours trop peu outillés pour comprendre le rôle des villes dans l’intégration des immigrants alors qu’il est depuis longtemps admis que l’installation des immigrants et leur intégration sont d’abord des phénomènes urbains. Le but de cet ouvrage est donc de contribuer à combler cette lacune, en se focalisant sur l’action publique des municipalités. En suivant cette perspective, l’ouvrage est consacré à l’étude de l’action publique menée par les villes, seules ou en partenariat avec d’autres acteurs, afin de traiter une situation perçue comme un problème, dans ce cas l’intégration des immigrants et des minorités ethnoculturelles.

    L’intégration comme problème d’action publique

    Tenter de circonscrire le concept de l’intégration en quelques pages apparaît vain, mais aussi superflu dans le cadre de cet ouvrage. En effet, plutôt que de chercher à arrêter une définition, notre intérêt pour la notion d’intégration réside dans la volonté de comprendre comment les gouvernements la problématisent comme un enjeu d’action publique.

    Le terme d’intégration a d’abord été utilisé par Émile Durkheim et concerne l’ensemble d’une société consensuelle par opposition à une société conflictuelle. Selon Durkheim, l’intégration renvoie aux liens sociaux qui rattachent l’individu à d’autres groupes sociaux et permet à ce dernier de se considérer comme un membre d’un tout collectif. Le qualificatif d’intégration s’est progressivement appliqué aux immigrants et à leurs enfants tout en gardant le biais normatif associé à la vision selon laquelle un déficit d’intégration conduit à des formes d’anomie sociale.

    Cette remarque permet de camper une facette à partir de laquelle les gouvernements envisagent l’intégration des immigrants comme problème d’action publique. Sans que rien ne soit encore dit sur le contenu des politiques d’intégration ou sur leur cadrage, il n’empêche que, suivant cette perspective, l’intégration apparaît d’abord comme un but à atteindre : les actions prises par les gouvernements tendent à définir ce que devrait être l’intégration, revêtant dans ce sens une connotation idéologique et prescriptive, au fondement des décisions publiques. Pensée comme un but à atteindre, l’intégration est alors envisagée le long d’un continuum aux extrémités duquel on trouve les balises « mauvaise » et « bonne » intégration. Pour pouvoir juger d’une intégration désirable et réussie, il faut en avoir préalablement déterminé les contours. Or, se définir comme société d’accueil suivant une acception durkheimienne présuppose de s’imaginer comme une société initialement consensuelle et d’envisager les immigrants comme des sources potentielles d’anomie sociale, à l’origine d’une dichotomie nous/eux.

    Suivant cette logique, juger d’une intégration réussie se fait en comparant des données, des pratiques ou des représentations dans les domaines politiques, socioéconomiques ou culturels. Moins l’écart entre immigrants et natifs ou entre minorités et majorité ethnoculturelles est important, plus l’intégration est considérée comme réussie. Au Canada, Peter Li a bien montré comment cette conceptualisation de l’intégration marquait les discours des élus, des fonctionnaires ou des universitaires (Li 2003).

    Ce biais est également présent au Québec. Même si l’intégration y est promue comme un processus d’adaptation dual demandant des ajustements de la part des immigrants et des minorités ethnoculturelles comme de la part de la société d’accueil, il n’en demeure pas moins que la manière dont l’intégration est mesurée reflète qu’elle est essentiellement construite comme un problème de performance – et par conséquent comme une responsabilité – individuelle. En effet, la notion d’intégration qui est véhiculée au Québec renvoie aux choix de l’individu à participer au sein de la société. Cette participation est censée être maximisée par l’assurance que tous les moyens de s’y investir pleinement sont donnés à l’individu. Cependant, la mesure de la performance des institutions – et donc de leur responsabilité – est éludée lorsque l’on parle de l’intégration. Effectivement, c’est bien l’intégration de l’immigrant dont il est question et non de l’intégration des institutions. Ainsi, malgré un discours d’adaptation duale qui appelle la mesure de la performance des individus et des institutions, les gouvernants tendent à analyser de prime abord l’intégration comme le problème de l’immigrant.

    Ce biais ne se limite cependant pas aux acteurs politico-administratifs. En s’intéressant aux indicateurs et aux dimensions de l’intégration, les universitaires contribuent non seulement à renforcer une conceptualisation de l’intégration comme un problème d’abord individuel, mais aussi à associer, dans les représentations collectives, l’immigrant à un problème. Consciente de ces risques, lorsque nous faisons référence aux dimensions politiques, socioéconomiques ou culturelles de l’intégration dans cet ouvrage, nous le faisons en contexte, c’est-à-dire en les incorporant au sein d’une configuration marquée par les intérêts et les identités des acteurs qui s’y réfèrent. Notre utilisation du terme intégration ne relève donc pas d’une analyse normative et prescriptive sur le plan individuel, mais bien de la construction d’un problème d’action publique. Contextualiser l’utilisation de ces indicateurs nous permet alors de comprendre quel est le diagnostic posé par les municipalités en matière d’intégration, ces derniers devenant à la fois des objectifs et des facteurs explicatifs de l’action publique municipale. Ainsi, la formulation, la prise de décision et l’implantation des politiques publiques ne peuvent être séparées de la construction initiale du problème dont on a identifié le biais durkheimien.

    Généralement, l’intégration est problématisée à travers le prisme d’un modèle qui organise les normes à partir desquelles une société se définit comme société d’accueil, proposant des balises d’inclusion et d’exclusion, d’ouverture et de fermeture à la différence culturelle comme l’affirmation de valeurs communes. Un modèle d’intégration est avant tout une construction sociale, qui n’est ni neutre ni fixée dans le temps. C’est aussi une construction traditionnellement nationale, dont on verra qu’elle a tendance à occulter les spécificités infranationales comme à exagérer les différences avec d’autres modèles nationaux, comme gage d’une plus grande cohérence et de simplicité dans sa conceptualisation et sa compréhension. Au Québec, ce modèle est l’interculturalisme.

    Contrairement au multiculturalisme canadien qui a fait l’objet d’une loi en 1988 et qui est enchâssé dans la Charte canadienne des droits et libertés, l’interculturalisme n’a jamais été officiellement et strictement défini par l’État québécois. Le « contrat moral », développé en 1990 dans Au Québec pour bâtir ensemble – Énoncé de politique en matière d’immigration et d’intégration, en est cependant la base. En instituant des droits et des obligations réciproques entre les immigrants et la société d’accueil, cette notion illustre la dualité proclamée du processus d’intégration. Le contrat moral encadre les principales caractéristiques de l’interculturalisme qui sont : le français comme langue commune de la vie publique ; l’encouragement à la participation et à l’engagement à favoriser la contribution de tous ; tout en préconisant la pratique des interactions entre les membres de la collectivité.

    À la différence du modèle d’intégration républicain français, l’interculturalisme québécois ne relègue pas l’expression des particularismes culturels à la sphère privée, sur la base d’une séparation nette entre le statut civique de l’individu et son identité personnelle. Au contraire, le discours de l’interculturalisme valorise les identités culturelles et les reconnaît au sein de la sphère publique dès lors qu’elles s’inscrivent dans le cadre d’une culture commune ayant le français comme langue de la vie publique.

    La situation minoritaire des francophones au sein du continent nord-américain de même que les nationalismes concurrents au sein de l’espace politique canadien ont joué un grand rôle dans la spécificité de l’interculturalisme par rapport au modèle d’intégration multiculturel du Canada, que le Québec a par ailleurs toujours considéré comme inadapté à sa situation. Le français comme langue de la culture commune, par opposition au cadre bilingue et d’égalité des cultures promu par le modèle multiculturel, différencie le Québec du reste du Canada.

    En balisant le processus d’intégration des immigrants tel qu’il est envisagé par l’État québécois et tel qu’il est globalement accepté par la société québécoise, l’interculturalisme guide l’adoption des politiques publiques provinciales en matière d’intégration des immigrants, ces dernières le faisant aussi évoluer au cours du temps.

    La question de la multiplicité des échelles de référence vient alors poser la question de leur porosité. Comment ce modèle, construit sur des bases étatiques (l’État québécois) et nationales (le Québec en tant que nation), s’incarne-t-il (ou pas) à d’autres paliers de gouvernement infranationaux ? En d’autres termes, comment les municipalités incorporent-elles (ou non) ce modèle à leur action publique, dès lors qu’elles peuvent investir un très grand nombre de catégories d’intervention ayant des répercussions sur l’intégration des immigrants ?

    Objectifs et approche générale

    Faire le point sur les différents facteurs explicatifs de l’action publique locale à l’égard des immigrants et des minorités ethnoculturelles implique d’analyser et de comprendre la formation, les mutations et l’évolution des politiques publiques. La compréhension de ces différentes séquences institutionnelles ne peut faire l’économie d’une analyse des articulations entre elles et implique une identification de mécanismes qui sous-tendent ces transformations.

    Ce travail propose donc de retracer l’action publique locale en mettant l’accent sur la multiplication des acteurs et des institutions qui jouent un rôle, dans un contexte de complexification des contraintes et des ressources qui dépasse le cadre national. En proposant une lecture des institutions municipales à la fois comme des contraintes structurant l’action publique et comme un produit des acteurs, nous avons cherché à découvrir les mécanismes qui sous-tendent ces interactions.

    Le chapitre 1 pose les bases conceptuelles pour analyser les variétés d’action publique locale à l’intention des immigrants et des minorités ethnoculturelles. Le chapitre 2 expose nos choix théoriques et méthodologiques.

    Le chapitre 3 s’intéresse aux configurations institutionnelles de Montréal et de Laval à partir des années 1960. Il démontre pourquoi ces dernières n’étaient pas propices à la mise en place de politiques locales envers les immigrants. Alors que cette séquence institutionnelle est commune aux deux villes, leurs trajectoires commencent à diverger au cours des années 1980 à la suite d’une évolution de la configuration institutionnelle. À partir de ce moment, les deux villes enclenchent une action publique qui est sous-tendue par des mécanismes différents. Une bifurcation est nette après des points tournants (turning point [1]) propres à chaque ville. Laval et Montréal suivent alors des trajectoires différenciées.

    Le chapitre 4 montre comment le départ du maire de Montréal, Jean Drapeau, constitue un point tournant dans la trajectoire de Montréal. Il illustre le passage d’une configuration institutionnelle marquée par la construction de l’État québécois à une configuration plus propice à une action publique locale en matière d’intégration et qui repose sur un mécanisme ouvert à la représentation des intérêts des immigrants et des groupes ethnoculturels.

    Le chapitre 5 traite

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