Les voix politiques des femmes innues face à l'exploitation minière
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À propos de ce livre électronique
Le présent ouvrage s’intéresse à la résistance des femmes innues à ce projet, plus précisément dans un contexte d’exploitation minière. L’analyse proposée découle d’une étude réalisée à Uashat mak Mani-Utenam et à Matimekush-Lac John, des communautés dont l’histoire est intrinsèquement liée au déploiement de l’industrie minière au nord du Québec. L’auteure s’attarde en particulier aux parcours des actrices engagées dans les mouvements de résistance et les situe dans leurs dimensions sociale, culturelle et historique. En conjuguant les théories féministes autochtones, la notion de résistance au quotidien et l’étude des carrières militantes, cet ouvrage vise à démystifier certaines dimensions des voix politiques féminines innues investies dans la défense du territoire.
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Aperçu du livre
Les voix politiques des femmes innues face à l'exploitation minière - Catherine Delisle L'Heureux
Développée en partenariat avec la Société Recherches amérindiennes au Québec, la collection « Peuples autochtones et enjeux contemporains » a pour objectif de contribuer à la connaissance des cultures et des réalités des peuples autochtones du Québec, du Canada et plus globalement, des Amériques. Ouverte aux chercheurs de toutes les disciplines, elle valorise un regard actuel sur les continuités et les transformations des savoirs et des traditions autochtones. À travers des monographies ou des ouvrages collectifs, spécialisés ou didactiques, cette collection propose de mieux comprendre la situation des sociétés autochtones dans le monde contemporain. Elle s’adresse aux spécialistes, aux professeurs, aux étudiants mais aussi au grand public.
Comité de lecture
› Marie-Pierre Bousquet
› Éric Chalifoux
› Laurent Jérôme
› Pierre Trudel
DANS LA MÊME COLLECTION
Le savoir autochtone dans tous ses états
Regards sur la pratique singulière des intervenants sociaux innus d’Uashat mak Mani-Utenam
Christiane Guay
2017, ISBN 978-2-7605-4644-8, 168 pages
Les voix politiques
des femmes innues
face à l’exploitation minière
Catherine Delisle L’Heureux
Préface de Suzy Basile
Presses de l’Université du Québec
Le Delta I, 2875, boulevard Laurier, bureau 450, Québec (Québec) G1V 2M2
Révision
Mélissa Guay
Correction d’épreuves
Sandra Guimont
Conception graphique
Michèle Blondeau
Mise en page et adaptation numérique
Studio C1C4
Image de couverture
Geneviève Giroux
ISBN 978-2-7605-4953-1
ISBN 978-2-7605-4954-8 (PDF)
ISBN 978-2-7605-4955-5 (EPUB)
Dépôt légal : 2e trimestre 2018
Bibliothèque et Archives nationales du Québec
Bibliothèque et Archives Canada
© 2018 – Presses de l’Université du Québec
Tous droits de reproduction, de traduction et d’adaptation réservés
Préface
Les dynamiques sociales et la mobilisation politique des femmes autochtones se retrouvent de plus en plus au cœur de l’actualité politique canadienne et québécoise. Entre le mouvement Idle No More et la mise en place de commissions d’enquête nationales et provinciales dont le principal mandat est de mettre en lumière les causes de la discrimination systémique à laquelle font face les peuples autochtones et plus particulièrement les femmes autochtones au Canada, une plus grande attention de la part du milieu universitaire se manifeste par la prolifération d’études portant sur les enjeux relatifs aux femmes autochtones tentant, les unes comme les autres, de mieux comprendre et d’expliquer « le sort qui les afflige ». Le présent ouvrage n’y fait pas exception. Si la manifestation de l’engagement des femmes innues dans la défense de leurs territoires est de plus en plus visible, leurs actions au sein de leurs communautés, elles, continuent d’établir (et de rétablir) les bases de la société innue. Ainsi se multiplient les recherches anthropologiques ou sociales qui s’intéressent à l’engagement au quotidien des femmes autochtones envers leurs communautés et à la lutte de ces femmes contre l’exploitation des ressources du territoire, qui a toujours été territoire politique, territoire social et territoire culturel et non seulement un territoire économique comme le comprenaient les fondements de la politique coloniale canadienne. Les femmes, écartées du dialogue par ces pratiques coloniales, sont celles qui aujourd’hui contribuent à rappeler et à défendre la valeur sociale et l’importance culturelle du territoire. Effectivement, pour plusieurs de ces femmes, la santé spirituelle individuelle, familiale et communautaire passe aussi par l’accès au territoire. Comme femme autochtone, professeure et anthropologue de formation, la question de l’implication politique des femmes au sein des communautés autochtones m’interpelle au plus haut point. Il semble aujourd’hui que les enjeux qui concernent les femmes soient plus fréquemment choisis comme sujet de recherche par d’autres femmes allochtones et quelques rares autochtones. Le texte de Catherine Delisle L’Heureux représente une volonté de meilleure compréhension entre Autochtones et Allochtones et démontre que ce sont les femmes militantes qui, se reconnaissant mutuellement, opèrent la reprise du dialogue. L’auteure observe les questions relatives à l’engagement communautaire et à la résistance des femmes innues à travers le prisme du biographique afin de situer ses analyses aux différentes « intersections » des voix de femmes confrontées à la multiplicité des oppressions (double discrimination comme femme et comme autochtone). Cet angle de recherche, loin de manquer de données nouvelles et dévoilant parfois des résultats insoupçonnés, souligne un contexte social encore méconnu des chercheurs et chercheuses. Il a le mérite d’assigner une légitimité politique aux actions des femmes qui agissent le plus souvent en « dehors des structures politiques formelles » et qui occupent des « espaces alternatifs » au conseil de bande. Le « récit de vie » adopté comme objet d’analyse sert non seulement à mesurer le degré d’implication communautaire, mais aussi à situer la « trajectoire militante » dans un contexte sociohistorique de même que juridico-historique. Cet ouvrage se concentre sur l’« infra-politique » que sous-tendent les formes de résistance au quotidien et qui seraient « imperceptibles » (p. 36 du mémoire). Ainsi, contribue-t-il à lutter contre le « binarisme » à travers lequel sont d’ordinaire observés les enjeux concernant les peuples autochtones et, qui plus est, dans la perspective de l’anthropologie des mines et de l’étude de projets comme le Plan Nord qui affectent un vaste territoire autochtone au nom du développement économique à tout prix. Les femmes étant aux premières loges des effets multiples de ces bouleversements, ce sont aussi elles qui, les premières, s’assurent de contrer ou de minimiser leurs répercussions par la défense du territoire. Elles veulent s’assurer de pouvoir « transmettre la culture aux prochaines générations ». Chez la plupart des femmes autochtones, le concept de motherwork joue un rôle dans la construction de représentations du rôle féminin dans l’organisation culturelle et communautaire : « la notion de loyauté est pour les femmes autochtones source de prestige. Il s’agit d’un leadership au féminin ancré dans une responsabilité de protéger la vie », comme l’indique l’auteure. L’angle abordé par les femmes dans la lecture de l’appareil social et politique est en train de devenir un précédent dans l’histoire des relations entre nations. Est-ce à dire que la décolonisation et les efforts de guérison des peuples autochtones passent inévitablement par une organisation non patriarcale, par un retour à des valeurs d’équilibre entre les genres, mais surtout entre les classes dirigeantes et la population ? L’avenir nous dira de quelle manière se seront rétablies les relations entre les peuples, mais il y a fort à parier que les femmes auront réussi là où la culture politique masculine aura échoué.
Suzy Basile
École d’études autochtones
Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue
Remerciements
Je tiens d’abord à remercier la population d’Uashat mak Mani-Utenam et Matimekush-Lac John. Plusieurs d’entre vous m’avez reçue chez vous, avez pris le temps de me parler et d’échanger avec moi vos analyses et vos réflexions. Je vous remercie pour votre hospitalité, votre générosité et votre franchise. Je remercie particulièrement Denise, Thérèse, Élyse, Robert, ainsi que leurs familles, de m’avoir hébergée et d’avoir partagé avec moi votre quotidien. Je remercie également les personnes qui m’ont gentiment accueillie à Matimekush, Brigitte et l’Auberge Le Tangon, Lyne et le Cercle des fermières de Moisie et Chantal Gauthier.
Je tiens aussi à remercier les personnes qui ont appuyé la publication de ce livre : Sirma Bilge, Laurent Jérôme, Marie-Pierre Bousquet, Pierre Trudel et Martine Desrochers. Merci aux évaluatrices et évaluateurs pour la relecture attentive de mon manuscrit et pour leurs précieux commentaires. Un grand merci à Suzy Basile, qui a accepté de rédiger la préface de ce livre, ainsi qu’à Geneviève Giroux, qui a accepté que son illustration de la marche des femmes innues soit utilisée pour la première de couverture. Un énorme merci à ma directrice et à mon codirecteur de recherche : Marie-Pierre Bousquet, pour sa grande expertise et la justesse de ses recommandations. Bernard Bernier, pour son appui, ses commentaires constructifs et ses fines analyses. À tous les deux, votre complémentarité a été un grand atout.
Je remercie le collectif de solidarité anticoloniale, mes collègues anthropologues ainsi que les personnes que j’ai côtoyées au laboratoire autogéré du C-3099. Un énorme merci à tous les relectrices et relecteurs de mon mémoire de maîtrise : Michelle Delisle, Nicolas Delisle L’Heureux, Eddy Guarino, Geneviève Dauphin Johnson, Hatouma Sako et Caissey Nicole. Merci à mes proches, qui sont toujours là et que j’aime profondément, en particulier Shawn, KC, Trevor, Sarah-Jeanne, Gigi, Steph et JV. Je remercie de tout cœur ma famille. Maman, papa, Ghyslain, Dan Thanh, Nicolas et Eaubelle, pour leur amour, leur humour et leur présence réconfortante. Merci à ma grand-mère Yvette L’Heureux, une grande source d’inspiration dans ma vie. Merci à Minh Tao, Luuka, Léandre et Aglaé, qui me font rire, qui m’apaisent et qui m’apprennent tant de choses. Enfin, merci à Eddy Guarino, mon allié et complice, pour sa présence tranquille. Merci d’être dans ma vie.
Liste des figures
1 / Mines et projets de fer au Québec
2 / Les communautés autochtones
Liste des abréviations
Introduction
En mai 2011, le gouvernement libéral de Jean Charest lançait en grande pompe le Plan Nord. Ce vaste projet de développement économique prévoyait la mise en valeur et l’exploitation des ressources naturelles au nord du 55e parallèle, sur un vaste territoire vis-à-vis duquel le Québec se déclare souverain. Ce projet comprenait une proposition de partenariat émise par le gouvernement du Québec, proposition qui visait, selon le discours officiel, à renouveler la relation de nation à nation entre le gouvernement et les Autochtones.
Or, dès son annonce, de nombreuses expressions de dissidence autochtone se sont progressivement manifestées. Celles-ci s’articulaient à la base et prenaient des formes multiples : manifestations, blocus, actions directes et rencontres de toutes sortes. Ces mobilisations ne prenaient pas tant part aux débats dans la sphère publique et médiatique qu’elles se positionnaient selon des termes qui leur étaient propres, comme contre-pouvoir. Un écart manifeste séparait aussi ces voix politiques et celles issues des sphères politiques formelles. En effet, la référence au partenariat était totalement absente, elle était pour ainsi dire sans intérêt pour les protagonistes et ne valait apparemment pas l’attention de la critique. Parallèlement, la grève étudiante de 2012 battait son plein, des discours contre le Plan Nord et anticoloniaux se formulaient et de nouveaux liens se créaient entre différents groupes aux intérêts, à première vue, divergents.
Cela dit, la marche des Innushkueua¹ constitua un moment décisif de ce contexte d’effervescence de lutte sociale. Un groupe d’Innuat², en majorité des femmes, entama une marche de 1000 km de Mani-Utenam à Montréal en vue de participer aux manifestations prévues dans le contexte du salon du Plan Nord et du Jour de la Terre. Les revendications alors mises de l’avant se définissaient : 1) pour la protection du Nitassinan ; 2) pour les générations futures ; 3) pour la reconnaissance des droits ; 4) contre le Plan Nord ; 5) pour le respect d’Hydro-Québec à l’endroit des Innuat de Uashat mak Mani-Utenam dans le dossier du projet hydroélectrique de la Romaine. Quelques jours plus tôt, un blocus était démantelé sur la route 138 en bordure de Mani-Utenam et se soldait par l’arrestation d’un homme et de onze femmes innus. La marche jusqu’à Montréal souhaitait aussi dénoncer ces événements.
Cette mobilisation a retenu mon attention, à un point tel qu’elle est devenue le point d’ancrage de mon projet de maîtrise en anthropologie³. Elle a soulevé chez moi un ensemble de questions, à commencer par celle de comprendre pourquoi les femmes innues se levaient, et pourquoi elles semblaient être au-devant des mobilisations. Ou plutôt, comment les femmes interprétaient-elles ces mobilisations ? Percevaient-elles une forte mobilisation des femmes ? Si oui, comment l’expliquaient-elles ? Par ailleurs, quelles étaient leurs perspectives sur le Plan Nord ? Dans quelle histoire locale le Plan Nord s’inscrivait-il et quel sens prenait-il pour elles ? C’est ainsi que j’ai décidé de m’intéresser à ces femmes, au parcours de chacune, à ce qui expliquait qu’elles s’engageaient dans la défense du territoire.
Tout comme bien des nations autochtones du Canada, la nation innue est une entité distincte relativement récente. Au fil du temps, les dénominations prises par les Européens pour parler des différents groupes autochtones occupant le territoire ont changé. Ainsi, les découpages et catégorisations des groupes autochtones ne reflètent pas toujours les réalités culturelles et sociales (Chevrier, 1996, p. 122). On peut toutefois dire que les Innuat, autrefois appelés les Montagnaises et les Montagnais, sont connus comme appartenant à la famille linguistique algonquienne et partagent de fortes affinités culturelles entre eux ainsi qu’avec les nations crie et naskapie. Les Innuat nomment leur territoire ancestral le Nitassinan, ce qui signifie « notre terre » en langue innue, l’innu aimun. Le Nitassinan est un territoire immense qui couvre environ le tiers du Québec et une grande partie du Labrador.
Bien que le processus de colonisation l’ait amenée à se sédentariser, les Innuat étaient autrefois semi-nomades et avaient une économie de subsistance basée sur la chasse, la trappe et la cueillette. Ce mode de vie tenait compte du rythme des saisons, ce qui se traduisait par des transformations cycliques au niveau des unités de regroupement (Viau, 1993)⁴. Ainsi, en hiver, soit environ neuf mois par année, les Innuat parcouraient le territoire, souvent sur de très longues distances, à la recherche de gibier, en particulier de caribou, leur principale source de nourriture. Pendant cette période, ils vivaient dans leur groupe de chasse respectif, ce groupe étant le plus adapté à la survie sur le territoire. Le printemps venu, ils se rassemblaient en bandes, sur les côtes pour la plupart, deux mois durant, le temps de réaliser alliances, mariages, rencontres et de préparer la remontée dans le territoire. Comme l’explique Mailhot (1993, p. 53), ces bandes locales se distinguent des bandes régionales que l’on connaît aujourd’hui. Ainsi, les communautés actuelles résultent de la sédentarisation, laquelle s’est produite graduellement autour des postes de traite.
En conséquence, les Innuat vivent aujourd’hui pour la plupart dans une des onze communautés situées au Québec et au Labrador. Deux de ces communautés sont situées au Labrador, Sheshatshit et Natuashish, tandis que les neuf autres sont situées au Québec. La plupart de ces communautés s’étalent le long du fleuve Saint-Laurent, dans la région de la Côte-Nord. D’ouest en est, on rencontre Essipit, Pessamit (Betsiamites), Uashat, Mani-Utenam (Maliotenam), Ekuanitshit (Mingan), Nutashquan (Natashquan), Unamen Shipu (La Romaine) et Pakua Shipu (Saint-Augustin). Deux communautés se trouvent à l’intérieur des terres, Mashteuiatsh, dans la région du Saguenay–Lac-Saint-Jean, et Matimekush-Lac John aux abords de Schefferville.
Dans le cadre de cette étude, je me suis attardée aux mobilisations telles qu’elles se sont articulées au sein des communautés d’Uashat, de Mani-Utenam et de Matimekush-Lac John⁵. Ce choix fut motivé par plusieurs raisons. D’abord, de nombreuses expressions de dissidence à l’endroit du Plan Nord ont eu lieu au sein de ces communautés, et ce, en dehors des structures politiques formelles⁶. Ensuite, la participation des femmes autochtones aux mobilisations face au Plan Nord fut particulièrement forte dans les communautés d’Uashat et de Mani-Utenam. Puis, à Matimekush-Lac John, la communauté devait affronter une proximité évidente avec un grand nombre de projets miniers à différents stades de développement, dont certains sont des projets miniers vedettes du Plan Nord. Enfin et surtout, comme je l’expliquerai aux chapitres 1 et 2, les résidentes et résidents de Uashat, de Mani-Utenam et de Matimekush-Lac John ont des origines communes et, de façon intéressante, les trajectoires historiques de ces communautés sont intrinsèquement liées à l’industrialisation minière du Nitassinan.
Cet ouvrage s’inscrit en anthropologie des mines et s’intéresse aux communautés locales côtoyant la réalité minière. Comme il en sera question au chapitre 2, l’arrivée du Plan Nord au Nitassinan est un exemple probant du contexte mondial d’explosion des activités minières autour du globe et du fait que celles-ci se déploient souvent dans des zones occupées par des populations autochtones. Alors que la littérature a largement étudié la résistance et les mouvements sociaux autochtones dans le contexte sud-américain et dans celui de l’Asie-Pacifique, dans le contexte nord-américain, elle s’est souvent limitée à exposer le contexte juridico-politique vis-à-vis duquel se positionnent les actrices et les acteurs autochtones. Cette étude se penche sur les luttes autochtones telles qu’elles se déploient au sein des pays occidentaux et surtout en contexte de colonialisme interne. Il s’agit moins d’expliciter les stratégies adoptées, les modes d’action empruntés et les alliances créées que de s’intéresser aux actrices qui participent à ces mouvements.
Ce livre contribue aussi à la littérature relative à la défense du territoire en contexte innu. Je souhaite exposer le contexte historique local dans lequel les mouvements de contestation s’inscrivent, les enjeux qui préoccupent la population innue, les projets qu’elle défend et les perspectives qu’elle a des différentes stratégies employées. De plus, je souhaite mettre en valeur l’ensemble de ces éléments tels qu’ils se développent en dehors des sphères politiques formelles. Ainsi, il y a lieu de mettre en relief la diversité des points de vue et des positions dans la résistance et les répercussions de ces dernières sur les moyens d’action employés. Il convient, entre autres, de situer cette étude de cas au sein de l’histoire des relations entre les Autochtones et l’État. Or, plutôt que de brosser un historique des relations au niveau de la politique formelle, je souhaite voir si une culture de résistance s’est définie avec le temps, si la façon de se mobiliser dans le passé influence la manière dont on le fait aujourd’hui. Par ailleurs, les écrits portant sur la résistance innue donnent beaucoup de place aux actions amorcées par les conseils de bande. Ce faisant, ils tendent à occulter les perspectives des femmes innues, ce à quoi il me semble urgent de remédier.
Enfin, je souhaite contribuer à la littérature abordant le sujet de l’exploitation minière et des femmes autochtones, qui se limite souvent à relater des conséquences minières sur elles. À mon sens, il y a lieu de s’intéresser non seulement aux expériences de marginalisation des femmes autochtones relativement à l’exploitation minière, mais à leurs positions politiques vis-à-vis de ces projets. Ainsi, dans un premier temps, je souhaite explorer le lien entre le vécu des femmes innues et leur parcours d’engagement. Je souhaite voir si, comme le soutiennent Archibald et Crnkovich (1999), Byrne et Fouillard (2000), Kafarowski (2004) et Mailloux (2004), les femmes innues sont engagées dans leur communauté et si cet engagement influence leurs positions politiques. Dans un deuxième temps, j’entends mettre de l’avant les voix politiques des femmes innues dans la défense du territoire. L’étude de la résistance des femmes innues contre les vols à basse altitude de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN) au Labrador indique la pertinence de ce projet (Byrne et Fouillard, 2000 ; Helwig, 1993 ; Penashue, 1999 ; LaDuke, 1990). En effet, ces écrits tissent habilement le lien entre la défense du territoire, la volonté de transmettre le territoire aux enfants et le désir d’assurer la survie culturelle et identitaire d’un peuple. Une expression révélatrice de cette lutte se trouve d’ailleurs dans les écrits d’Elizabeth Penashue (1999) et d’An Antane Kapesh (1976), deux femmes innues qui, à différents moments et lieux, se sont opposées à l’intrusion des colons sur leurs territoires. Leur militantisme s’active, d’une part, contre le colonialisme et l’extinction des droits de leur peuple et, d’autre part, pour la survie culturelle et la poursuite des activités traditionnelles dans le territoire.
Bref, cet ouvrage porte sur la résistance des femmes innues vis-à-vis de l’exploitation minière dans le contexte du Plan Nord. L’angle proposé est celui de l’engagement, particulièrement, du parcours d’engagement des actrices participant aux mouvements de résistance. L’objectif principal est de poser les femmes innues comme actrices et de s’intéresser à leurs voix politiques. C’est ainsi que se formulent les questions suivantes : Comment l’engagement des femmes innues a-t-il évolué vis-à-vis de l’exploitation minière ? Quels sont leurs parcours d’engagement et comment inspirent-ils leur engagement dans la défense du territoire ? Peut-on parler d’une culture de résistance des femmes innues ? Si oui, comment s’articule-t-elle dans le contexte des mobilisations vis-à-vis du Plan Nord ?
Pour répondre à ces questions, je me suis outillée de certains repères théoriques que je présente au chapitre 1. J’y définis et distingue les concepts de résistance et d’engagement, présente des repères théoriques issus des théories féministes autochtones et expose les considérations méthodologiques et éthiques liées à ce projet.
Si l’on souhaite étudier la résistance des femmes innues vis-à-vis du Plan Nord, il y a lieu de situer l’engagement des femmes innues dans le contexte plus large de l’explosion des activités minières autour du globe, des mouvements de défense du territoire en contexte innu et de la participation des femmes autochtones au sein de ces mouvements de résistance. Le chapitre 2 vise à étudier ces éléments de même qu’à décrire plus longuement le Plan Nord ainsi que les différentes actions qui ont marqué les mobilisations vis-à-vis de ce projet au sein des communautés visées par l’étude.
Les trois chapitres suivants constituent la présentation des résultats et le cœur de l’analyse. Dans le chapitre 3, j’aborde de front la question : Comment l’engagement des femmes innues a-t-il évolué vis-à-vis de l’exploitation minière ? À travers une perspective ethnohistorique, je présente des témoignages sur l’expérience minière des femmes et l’émergence progressive d’une culture de résistance dans la défense du territoire, et je mets en lumière la manière dont cette culture s’articule dans le contexte du Plan Nord. Dans le chapitre 4, je m’attarde à la question : Quels sont les parcours d’engagement des femmes et comment inspirent-ils leur engagement dans la défense du territoire ? Ici,