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Créativités autochtones actuelles au Québec: Arts visuels et performatifs, musique, vidéo
Créativités autochtones actuelles au Québec: Arts visuels et performatifs, musique, vidéo
Créativités autochtones actuelles au Québec: Arts visuels et performatifs, musique, vidéo
Livre électronique739 pages8 heures

Créativités autochtones actuelles au Québec: Arts visuels et performatifs, musique, vidéo

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À propos de ce livre électronique

Les Premiers peuples issus du territoire nommé Québec connaissent depuis quelques années un rayonnement culturel considérable. En fait preuve cet ouvrage qui rassemble des témoignages et des comptes rendus d’expressions visuelles, performatives, musicales et vidéographiques, ainsi que des entretiens avec des artistes autochtones. Il montre bien comment les oeuvres d’art, en tant que canal privilégié de communication, permettent aux communautés d’exprimer leurs conditions, mais aussi de reprendre contact avec le meilleur d’elles-mêmes, d’inscrire leur vision dans l’espace et dans la durée, et de participer aux processus de désaliénation, d’affirmation et de décolonisation. En plus de fournir des repères historiques, le livre offre une véritable cartographie des aspirations de ces artistes, ainsi que de leurs démarches, leurs choix techniques et thématiques et leurs stratégies d’affirmation et de reconstruction à la fois culturelle, sociale et politique.
LangueFrançais
Date de sortie13 avr. 2023
ISBN9782760646377
Créativités autochtones actuelles au Québec: Arts visuels et performatifs, musique, vidéo

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    Aperçu du livre

    Créativités autochtones actuelles au Québec - Louise Vigneault

    Sous la direction de Louise Vigneault

    Créativités autochtones actuelles au Québec

    Arts visuels et performatifs, musique, vidéo

    Les Presses de l’Université de Montréal

    Titres parus dans cette collection

    Alliances. Penser et repenser les relations entre Autochtones et non-Autochtones

    Lynne Davis

    Histoires souveraines. Poétiques du personnel dans les littératures autochtones au Québec

    Isabella Huberman

    Mythologie huronne et wyandotte (réédition)

    Charles Marius Barbeau

    Collection «Expressions autochtones»

    La collection «Expressions autochtones» se donne pour objectif de rassembler des travaux théoriques et pratiques de langue française sur les peuples autochtones. Elle privilégie une approche interdisciplinaire des questions d’actualité, de société et de culture qui se posent au Québec et ailleurs dans le monde.

    Sous la direction de Louise Vigneault, professeure titulaire au Département d’histoire de l’art et d’études cinématographiques de l’Université de Montréal.

    Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales du Québec et Bibliothèque et Archives Canada

    Titre: Créativités autochtones actuelles au Québec: arts visuels et performatifs, musique, vidéo / sous la direction de Louise Vigneault.

    Nom: Vigneault, Louise, 1965- éditrice intellectuelle.

    Description: Comprend des références bibliographiques.

    Identifiants: Canadiana (livre imprimé) 20220005907 | Canadiana (livre numérique) 20220005915 | ISBN 9782760646353 | ISBN 9782760646360 (PDF) | ISBN 9782760646377 (EPUB)

    Vedettes-matière: RVM: Arts autochtones—Québec (Province)

    Classification: LCC NX513.3.A4 C74 2022 | CDD 704.03/970714—dc23

    Couverture: Détail de l’œuvre de Gabriel Nuraki Uqaituk, Ulluriaq (Étoile), 2021. Avec l’aimable autorisation de l’artiste.

    Mise en pages: Chantal Poisson

    Dépôt légal 2e trimestre 2023

    Bibliothèque et Archives nationales du Québec

    © Les Presses de l’Université de Montréal 2023

    www.pum.umontreal.ca

    Cet ouvrage a été publié grâce à une subvention de la Fédération des sciences humaines de concert avec le Prix d’auteurs pour l’édition savante, dont les fonds proviennent du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada.

    Les Presses de l’Université de Montréal remercient de leur soutien financier le Conseil des arts du Canada et la Société de développement des entreprises culturelles (SODEC).

    Remerciements

    Nous tenons à remercier d’abord les créateurs et les créatrices autochtones, qui continuent d’inspirer des publics de plus en plus nombreux, de perpétuer des prises de parole, d’occuper l’espace en nous faisant saisir leurs détresses comme leurs enchantements. Tiawenhk, Tshinashkumitin, Mikwetc, Mîkwêk, Niá:wen, Nakurmiik.

    Merci aux commissaires et intervenant·es culturel·les, qui permet­tent de mettre en valeur et en honneur ces démarches de désaliénation et d’appel aux dialogues.

    Cet ouvrage a été réalisé grâce au soutien financier du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada. Nous sommes également redevables au Centre de recherche interuniversitaire sur la littérature et la culture québécoises (CRILCQ), au Département d’histoire de l’art et d’études cinématographiques et à la Faculté des arts et des sciences de l’Université de Montréal.

    Nous souhaitons rendre hommage à notre collaboratrice Élisabeth Kaine, décédée subitement pendant le processus d’édition de cet ouvrage. Soulignons son grand dévouement et son apport dans l’essor de la muséologie autochtone et l’actualisation des pratiques artistiques.

    Renouveler les alliances par l’art

    Conversation entre Louise Vigneault et Guy Sioui Durand.

    Kwe Guy Sioui Durand.

    Ndio, Kwe Louise Vigneault.

    — Je suis ravie que nous introduisions ensemble cet ouvrage collectif intitulé Créativités autochtones actuelles au Québec.

    Tiawenhk, Ahskennon’nia’ iye’s, merci, j’en suis aussi très heureux, et cela, pour plusieurs raisons. Au regard du temps long dans notre vision circulaire, j’ai le sentiment que notre conversation poursuit, au XXI e siècle, le dialogue amorcé au temps de la signature de la Grande Paix de Tiötiàh:ke (Montréal) en 1701. La différence est que l’échange a lieu aujourd’hui entre un Wendat, héritier de la longue filiation du chef Kondiaronk, et une historienne de l’art, héritière, elle aussi, du renouvellement des relations à la suite des sociologues Jean-Charles Falardeau et Denys Delâge, de l’historien de l’art François-Marc Gagnon et de l’anthropologue Rémi Savard. Qui plus est, notre dialogue, qui a commencé en 2008 autour du legs du premier artiste wendat moderne au XIX e siècle, Zacharie Tehariolin Vincent, restaure le principe protocolaire iroquoien de la rencontre d’émissaires et des échanges de wampums, que l’on appelle le rituel de purification (des yeux, des oreilles, de la langue parlée), pour renouveler aujourd’hui les alliances par l’art, et l’art par l’art autochtone et les connaissances qu’il véhicule.

    — Si la Grande Paix de Montréal avait inauguré 50 ans d’alliances entre les instances françaises et 39 nations autochtones (qui ont entraîné, toutefois, la libre colonisation du territoire laurentien), l’appel à de nouvelles bases collaboratives a effectivement été lancé par des artistes dont les productions s’inscrivent en amont des actions politiques, là où se conjuguent la réalité concrète, l’imaginaire et la sphère symbolique. Les œuvres ont aussi le pouvoir de bouleverser les sensibilités en rendant possible et perceptible ce qui a été camouflé, nié, occulté. En témoigne notamment Dans l’attente, de Nadia Myre, installé sur l’îlot Bonaventure de Tiötiàh:ke (Montréal), qui invite la population à renouveler l’entente de 1701 afin de vivre en harmonie «de nation à nation1».

    — J’ajouterais, Louise, que l’art tend à changer le monde et l’art autochtone tend à changer l’art, puisque nos imaginaires ajoutent à l’esthétique cette part d’éthique, de spiritualité, au sens de rapports sacrés avec la nature, mais aussi de vie des idées, soutenant ainsi une tout autre forme d’immatérialité. Au quasi-effacement du réel historique a résisté le «pouvoir des rêves», l’«anima», ce qui s’anime et ce qui est animé. L’ohterah’, une notion en langue wendat, exprime ce tout invisible et indivisible. C’est pourquoi il faut rêver plus. Le rêve forge les individus-espoirs et les sociétés-espoirs. Là sont nos visions du monde.

    — Tout à fait Tsie8ei (Sioui). En se prolongeant dans le temps et l’espace, les productions artistiques permettent aussi de toucher les consciences en profondeur et, par conséquent, de transformer l’existence des artistes et de leur communauté. Les francophones du Québec le savent bien, pour avoir connu eux-mêmes cet éveil culturel, identitaire et politique au cours des années 1960 et 1970. Depuis quelques années, ils apprennent désormais à reconnaître l’essor des cultures autochtones, à l’accueillir et à s’en inspirer, dans le cadre d’échanges de plus en plus féconds. Face aux négociations qui s’éternisent et qui s’empêtrent dans des rhétoriques et des discours de surface, qui ternissent les confiances et épuisent les patiences, les artistes répondent par un dialogue qui incite à s’engager dans la voie d’une reconnaissance mutuelle.

    À ce sujet, je me rallie au constat que tu avais formulé dès les années 1990, selon lequel la présence significative des artistes autochtones dans le réseau de diffusion a été redevable, à l’époque, moins aux institutions, qui ont trop longtemps eu le réflexe de perpétuer une image ethnique des Premières Nations et de les séparer des non-­Autochtones, qu’aux réseaux parallèles et aux organisations gérées par les individus et par les communautés elles-mêmes. Ces milieux, qui correspondent davantage aux valeurs d’engagement et de résistance des artistes, ont d’ailleurs offert un potentiel spatial et expérimental mieux adapté à leurs besoins d’appartenance et de rayonnement2. Grâce à ces initiatives, les créatrices et les créateurs sont en mesure aujourd’hui d’occuper les territoires carrefours et d’imprégner leur conception du monde, tandis que les commissaires autochtones réussissent à créer des zones sécuritaires (safe spaces) autonomes et souveraines et à accueillir les visiteurs issus de tous les milieux. Ces espaces s’avèrent nécessaires pour abolir les modèles imposés par l’héritage colonial et instaurer des changements significatifs. Les populations non autochtones doivent aussi accepter de réévaluer leurs préconceptions, de se mettre avec humilité dans un état de réception afin d’adopter de nouvelles perspectives.

    — Je dis souvent qu’il faut d’abord se changer soi-même pour changer le monde, se décoloniser pour ensuite décoloniser l’art par l’art autochtone. Alors la légitimité du bouleversement sensible, la lucidité lient quête identitaire et aventure commune.

    — Ton constat me rappelle les propos de la défenseuse des droits des peuples autochtones aux Nations unies, Erica-Irene Daes, qui soulignait qu’à force de subir des pressions d’assujettissement, d’intolérance et de discrimination, les individus perdent leur confiance à s’exprimer, à agir, à se protéger, à espérer, et tendent à s’isoler et à retourner la violence et l’oppression contre eux-mêmes3. Leur force réside néanmoins dans leur capacité à s’ancrer dans leurs fondements identitaires, dans les modèles essentiels de responsabilité, de partage, d’entraide et d’empathie, et dans leur disposition à transformer la souffrance en éveil. En restaurant leur sentiment de respect et en réactivant l’estime d’eux-mêmes, ils les imposent alors à autrui et regagnent leur volonté d’autodétermination. Dans ce contexte, les expressions artistiques offrent les moyens nécessaires pour résister aux effets de réduction physique et psychologique et permettent aux individus de retrouver leur dignité. Dotés de ce pouvoir, les créatrices et les créateurs canalisent peu à peu leur capacité à construire et à transmettre, et non plus uniquement à défendre, à revendiquer et à subvertir. Elles et ils récupèrent en somme leur latitude d’action. Cette dynamique s’instaure depuis quelques années au Québec, rejoignant ainsi les avancées que connaissent leurs collègues depuis plusieurs décennies dans le reste du Canada.

    — Louise, cette dialectique me fait penser, à son tour, à l’évocation de l’écrivain, dramaturge et musicien cri Tomson Highway dans sa conférence devenue un petit livre très joyeux intitulé Pour l’amour du multilinguisme. Une histoire d’une monstrueuse extravagance. Il y rappelait combien les anciens ont été stupéfaits de constater que l’entreprise des Européens d’accaparement de nos territoires s’est doublée de celle de «nous renverser la cervelle», c’est-à-dire de remplacer nos cosmogonies et notre spiritualité par ce récit moral d’abandon du territoire appelé «paradis terrestre», lequel a été déserté en attente d’un jugement dernier pour le pardon de fautes originelles. Malgré les épidémies, les malentendus, les mesures de dépossession et d’assimilation aujourd’hui racontés et reconnus, nos aînés sont entrés dans la résilience. Puis, des pionniers et des pionnières se sont faits activistes de la résistance. Nous voici maintenant arrivés à une ère d’affirmation, de décolonisation et de guérison, à laquelle les artistes autochtones participent directement et que j’illustre souvent avec la triade des nouveaux chasseurs-chamans-guerriers4.

    — Tout à fait, Guy. Et que les œuvres aient une forme fictionnelle, documentaire ou poétique, elles ont l’avantage de créer une proximité émotionnelle et sensitive, un rapport très étroit avec le public, chacun les découvrant dans son intimité. Elles ont aussi la capacité de transposer la réalité, de traduire ses dimensions souvent désespérantes au moyen d’un filtre, de manière à mieux composer avec elle. En outre, les productions ont le potentiel de susciter l’empathie du public et de le sensibiliser plus aisément que les arguments rationnels et les discours politiques, comme l’a efficacement résumé le réalisateur et représentant culturel André Dudemaine:

    L’art parle directement à l’âme et atteint les couches inconscientes où est programmé le regard. L’artiste s’avère pour cette raison un bien meilleur ambassadeur que le diplomate le plus habile ou l’orateur le plus éloquent, puisque le détour vers le sensible est le meilleur chemin pour pouvoir s’adresser à l’intelligible.

    Autant pour les Autochtones eux-mêmes, en quête de nouveaux repères identitaires, que pour la population majoritaire qu’il faut rallier à leur cause, l’artiste représente ainsi un guide et un prophète capable d’offrir une grille de lecture du présent et d’ouvrir la porte des possibles futurs5.

    S’imposant de manière croissante depuis plusieurs décennies, les artistes ont le pouvoir de réunir plutôt que de diviser, de créer des ponts, des zones d’interface et de réflexions, comme l’a rappelé l’artiste Megan Kanerahtenha:wi Whyte: «L’art est en fait un espace plus sécuritaire pour ouvrir le dialogue, un médiateur entre deux personnes6.» C’est ainsi que des éclaireurs tels que Zacharie Tehariolin Vincent au XIX e siècle, suivi de Glenna Matoush, Domingo Cisneros, François Vincent, Gilles Sioui, Florent Vollant, Alanis Obomsawin, An Antane Kapesh, Bernard Assiniwi, Joséphine Bacon et Yves Sioui Durand, pour ne nommer qu’eux, ont présenté une conception vivante, à la fois enracinée et dynamique, de leurs réalités.

    — Le terme éclaireur, de même que le tout premier que tu évoques, Zacharie Tehariolin Vincent, est à mes yeux triplement important. En premier lieu, l’expression réitère le vœu déjà prononcé par le sociologue Jean-Charles Falardeau en 1939, alors qu’il rédigeait sa thèse consacrée à Wendake (que l’on appelait le Village-des-Hurons et où vivait son oncle Jos Sioui), d’une histoire de l’art à faire en incluant le point de vue des Autochtones7. Deuxièmement, il m’importe de mentionner ta contribution scientifique et universitaire sur ce volet d’amorce de ce que tu as appelé avec pertinence l’autohistoire critique autochtone pour mieux comprendre l’influence socioartistique du peintre wendat au XIX e siècle. Et troisièmement, pour mettre en lumière la complicité qui existe entre toi et moi, qui se poursuit en ces pages. C’est, à mon avis, le sillon qui va de l’ère moderne à la nôtre, hypermoderne. Et c’est là qu’il me semble opportun de rappeler les essentielles complicités qui soudent ensemble nos routes intellectuelles et que j’aimerais souligner aux lectrices et aux lecteurs. En 2008, j’étais à organiser, sur les quais de l’Espace 400e, dans le Vieux-Port de Québec, l’exposition Zacharie Vincent Tehariolin et ses amis, dans laquelle étaient jumelées des œuvres photographiques d’artistes autochtones, comme Edward Poitras, Greg Staats, Jeff Thomas et Tewatironnyon France Gros-Louis Morin, à celles d’artistes québécois, le tout dialoguant avec les peintures, dessins et photographies de Zacharie Tehariolin Vincent. Dans mes recherches, j’avais repéré celles que tu lui avais consacrées. Tu as répondu à mon invitation en étant présente au vernissage. Depuis, que ce soit par la préface de ton livre Zacharie Vincent: une autohistoire artistique, à laquelle s’est ajoutée une monographie en ligne8, la tenue, au musée de Wendake, de l’exposition Miroir d’un peuple. L’œuvre et l’héritage de Zacharie Vincent9, exposition que j’ai commissariée avec Louis-Karl Picard-Sioui et pour laquelle tu as apporté ton expertise, cette pierre, symbole des grands-pères et des grands-mères qu’est le legs de Zacharie Tehariolin Vincent, a ensuite marqué le Château Ramezay à Tiötià:ke (Montréal) et le Musée national des beaux-arts de Québec, qui a annoncé la refonte de son exposition historique permanente avec une grande bannière extérieure représentant l’autoportrait Zacharie Vincent et son fils Cyprien (vers 1852-1853).

    Cette autohistoire critique, amorcée par Vincent, s’est poursuivie notamment dans les années 1940 et 1950 avec l’activisme de Jules Sioui et de William Commanda. Ces étapes nous auront conduits, après le pavillon des Indiens à l’Expo 67, à la Convention de la Baie-James et à l’aventure du Collège Manitou dans les années 1970, puis au choc de la crise de Kanehsatà:ke (Oka) en 1990. Vingt-sept ans plus tard, en 2017, le Manifeste pour l’avancement des arts, des artistes et des organisations artistiques autochtones au Québec a réuni les voix de plus de 70 signataires, dont la mienne, et a résumé ces avancées, en marquant un pas définitif vers la décolonisation.

    — Ce texte envoie aux institutions artistiques et politiques un message sans équivoque: celui d’une autodétermination, d’un renversement de paradigmes et d’une mobilisation des moyens pour rendre possible cette réoccupation de l’espace culturel. Il adresse ainsi une demande, sans détour ni retour, à toutes les instances quant à leur responsabilité de soutien équitable, aussi bien moral que financier, pour encourager et promouvoir les initiatives créatrices. Les cosignataires rappellent alors que la majorité doit contribuer à l’édification de cet espace de partage et de cohabitation. Si tu es d’accord, citons quelques extraits de cette prise de parole collective au «nous».

    — Plus que pertinent, c’est certain.

    Nous, les artistes et les organisations artistiques autochtones en Kébeq, publions le présent manifeste qui résume les échanges, les conclusions et les demandes issues de ce rassemblement. Il est et restera le témoin de la présence et de l’affirmation des arts autochtones au Kébeq. Ce manifeste se veut une clé pour éliminer l’écart actuel entre les arts autochtones du Kébeq et ceux du reste du Kanata, mais aussi entre les arts autochtones et les arts allochtones au Kébeq même. Une clé pour permettre aux arts autochtones de rayonner au cœur du développement général de l’art et de la culture au Kébeq. Pour inventer des perspectives de développement des arts tant à l’intérieur qu’à l’extérieur des réserves. Une clé pour ouvrir la porte à un avenir où nos jeunes pourront s’ancrer dans leur culture et s’épanouir.

    Nous […] réitérons que nous sommes une partie essentielle du domaine des arts au Kébeq. Nos pratiques et nos démarches, nos cultures et nos langues, nos récits et nos conceptions du monde sont les seuls à être enracinés de façon immémoriale dans le territoire. Les nations autochtones forment depuis toujours le socle identitaire à la base de ce qui est aujourd’hui le Kanata et le Kébeq. […] Nous refusons d’être exclus, ignorés, sous-financés, folklorisés, ou mis en marge du monde de l’Art et de la société.

    Nous nous devons d’avancer. Le temps est venu d’agir: «Idle no More!» C’est notre responsabilité. Il n’y aura pas de retour en arrière. Faire des images! Raconter des histoires! Danser! Chanter! Faire voir! Dévoiler ce qui est caché! Marcher! […] Marcher, portager est l’essence même de notre identité10.

    — Porté par ce message d’affirmation par l’art du sommet sur l’état de la situation des arts autochtones de 2017, qui a connu une suite en 2021, le présent ouvrage offre entre autres, des bilans partiels des expressions artistiques et musicales issues des communautés abénakise (w8banaki), algonquine (anicinabe), atikamekw nehirowisiwok, crie eeyou, huronne-wendat, innue et ilnu, malécite (wolastoqiyik), mi’kmaq, mohawk (kanien’kehá:ka), naskapie et inuk. Ils aident à mieux comprendre les aspirations, les stratégies de dialogue et de négociation des créateurs et des créatrices qui bénéficient d’un rayonnement enviable, tout comme de ceux et celles dont les productions ont été diffusées plus modestement en raison de l’exclusion systémique. Des comptes rendus orientés vers des problématiques ciblées fournissent également un éclairage et une cartographie des voies d’expression, des médiums et des thématiques privilégiées. L’historique de certains organismes voués à la diffusion (La Boîte Rouge VIF) permet, enfin, de rappeler la consolidation des cultures artistiques et de leur rayonnement dans des espaces propres à les accueillir et à défendre leurs particularités.

    — Ce livre propose d’ailleurs ce que j’appelle le «temps long» comme perspective d’une histoire des idées et des pratiques artistiques autochtones à élaborer. Les contributions pourraient être regardées comme la formalisation stylisée des perles signifiantes reliées sur un grand collier de wampum. Elles forment un continuum en participant à la vision globale, indivise, holiste, d’une autochtonie ou «indigénéité» planétaire11. À mon avis, au regard de l’histoire de l’art, une des singularités marquantes de l’évolution de l’histoire des idées au début du XIX e siècle semble être ce retour de la pensée inclusive et animiste autochtone. La conception matérielle et spirituelle du cercle qu’exprime la notion wendat d’ohterha’ côtoie maintenant celle, spatio-temporelle, des hypothèses de la théorie des cordes de la modélisation quantique.

    — À ce sujet, l’artiste et chercheuse Sherry Farrell-Racette a rappelé que l’art renvoie à un processus, à un mouvement, et à une interaction étroite avec les différentes composantes du réel:

    Beyond the cliché that Indigenous languages have no word for art, there are words for artists and creativity. In the Cree and larger Algonquian paradigm, artists are engaged in important intellectual, spiritual, and emotional work. To be creative, kâ-mamâtâwisinâk mamâhtâwi, and to be kâ-mamâhtâwisiwak, a creative one, is to tap into the power of universe12.

    — Ainsi, les chefs spirituels avaient pour fonctions de guérir, de chanter, de danser, d’illustrer et de raconter13. Les principales variables qui définissent nos imaginaires et les arts autochtones se soudent en fait aux dimensions géopolitiques, à nos médecines et à l’importance des rêves. Esthétique et éthique sont indissociables.

    — Dans le même esprit, les formes, les matériaux et les techniques, qui englobent les différentes dimensions de l’existence, se vivent en continuité aussi bien avec les influences étrangères incorporées tout au long de l’histoire qu’avec les langages d’expression comme la harangue, le wampum, le tambour et les récits cosmogoniques. Cette actualisation n’est d’ailleurs pas nouvelle et s’est toujours opérée, comme en a témoigné un Aîné: «[w]e’ve always been contemporary, we’ve always adapted, we’ve always transformed, we’ve always integrated new practices and new material14.»

    — En s’actualisant ponctuellement et en se transformant, en fonction d’un syncrétisme créatif et des défis de revitalisation culturelle, ces expressions permettent aujourd’hui de réactiver le communautarisme, les échanges interculturels et intergénérationnels et de définir de nouvelles formes de territorialité et d’historicité. Il y a d’ailleurs une demande, spécialement de la part des jeunes de nos communautés, pour une spécification identitaire de cette résurgence fusionnelle entre formes traditionnelles et formes de création expérimentale: on s’interroge, par exemple, sur ce qui, dans les tambours, les danses, les régalia, les bijoux, les couleurs et les motifs picturaux, est d’appartenance wendat, innue ou anicinabe. Mais aussi, de plus en plus d’artistes autochtones tendent vers une perspective universelle: ils font de l’art actuel tout en rejoignant les notions d’autochtonie ou d’«indigénéité». À cet égard, l’envolée internationale de Caroline Monnet, Kent Monkman, Natasha Kanapé Fontaine, Soleil Launière, Eruoma Awashish, et Skawennati met en place des territorialités qui actualisent les géographies collectives d’appartenance. Ces initiatives leur redonnent en fait l’historicité, les relient à des formes de baladodiffusion qui amalgament littératures, légendes et contes.

    Nous sommes entrés, avec de grandes avancées de professionnalisation et de technologie, dans une conception de l’art où tout est «inter-»: interidentitaire, interpersonnel, interculturel, international, interdisciplinaire, interactif, interrelationnel, etc. Souhaitons aussi que ces imaginaires soient «insoumis», «indomptés», «pas apprivoisables», comme les qualifiait bellement l’écrivain rebelle Victor-Lévy Beaulieu15. Ces artistes percent les frontières des formes d’expression – peinture, sculpture, cinéma, performance, théâtre, danse, installation, art numérique, remixage, conte, chant, bandes dessinées, art audio et art Web – comme fait artistique total conformément à l’esprit indivis de l’ohterah’. La reconfiguration du champ de l’art en écosystème des arts prenant en compte la Terre-Mère de manière écologiste est en cours.

    — On remarque aussi que les artistes passent aisément du chant au cinéma, de la peinture à la littérature, de la vidéo à l’installation, de la poésie au slam, à la performance et au conte, selon l’efficacité des langages à exprimer et à communiquer une expérience, à transmettre un récit, à gérer un espace, à dénoncer une réalité, à établir des ponts et à nouer un dialogue avec le public. Ces croisements provoquent un décloisonnement salutaire des cadres et des hiérarchies imposés jusqu’à récemment aux pratiques artistiques que reconnaissent les institutions et les organismes subventionnaires.

    — Tout à fait d’accord. J’aimerais aussi souligner le rôle important que plusieurs conservateurs et commissaires indépendants autochtones ont joué en lançant des expositions et des événements qui ont entraîné des déblocages institutionnels réels. Ce faisant, elles et ils ont mis en avant aussi des interprétations savantes pour faire place à des contre-lectures, des autohistoires et des réécritures. Je pense ici aux Tom Hill, Robert Houle, Gerald McMaster, Lee-Ann Martin et Greg Hill. Puis la fondation, par Ryan Rice et Barry Rice, du Collectif des commissaires autochtones/Aboriginal Curatorial Collective donnera un nouveau souffle, pris au vol par les France Trépanier, Nadia Myre, Sonia Robertson, David Garneau, Virginia Pésémapéo Bordeleau et Hannah Claus. Pour ma part, c’est en tant que critique d’art et commissaire de nombreux événements et expositions que je me suis fait leur complice16.

    — Depuis plusieurs décennies, les voix intellectuelles autochtones défendent aussi la nécessité de rapprocher leurs connaissances (historiques et actuelles) et celles que diffusent les institutions en place. Cette initiative demeure fondamentale pour éviter que les résultats ne s’ajoutent aux pressions institutionnelles que subissent déjà les créatrices et les créateurs, éviter qu’ils ne participent au système contre lequel elles et ils luttent et que ne s’opère une «recolonisation».

    — C’est pourquoi, Louise, je pense que les textes qui composent cet ouvrage collectif viennent enrichir la prise en compte de la vision autochtone pour mieux comprendre le paradigme Temps/Territoires. Le Temps correspond à la durée, à la mesure de la vie qui s’écoule. Il renvoie aussi à la conscience historique, à la mémoire collective ainsi qu’à nos récits de vie et à nos souvenirs personnels. Il engage, enfin, la nécessaire Transmission (enseignements, initiations et pédagogie). C’est ce qui me fait dire que les artistes autochtones contemporains sont aussi nos sociologues et nos historiens par l’art. Toutefois, c’est ton essai bien nommé «Le territoire artistique» qui fait le pont entre les Temporalités et les Territoires, la théorie et les témoignages d’artistes qui viennent s’y greffer. Pour moi, les entrevues avec Eruoma Awashish et Gilles Sioui colligées ici, de même que les écrits des artistes Pierre Sioui, Virginia Pésémapéo Bordeleau et Tehariulen Michel Savard m’apparaissent parmi les plus précieuses perles de coquillage de cet ouvrage pluriel aux allures d’un grand collier de wampum.

    — À partir d’un vaste échantillon de créations réalisées en arts visuels et performatifs, j’ai tenté de laisser émerger les pratiques, les formes, les matériaux et les thématiques qui présentent des récurrences et des résonances depuis le XIX e siècle. Il en ressort une cartographie qui, sans être exhaustive, révèle la diversité des orientations esthétiques qui ont été transmises, renouvelées et transformées. Des écrits d’artistes introduisent ce bilan, tandis qu’une entrevue avec Eruoma Awashish vient le clore.

    — Dans un texte personnel, Élisabeth Kaine éclaire l’apport indéniable de l’organisme La Boîte Rouge VIF aux mutations de la muséologie17 en relatant la manière dont l’engagement pédagogique de celui-ci et ses collaborations à une série de projets consacrés à la culture matérielle autochtone ont contribué à pallier l’absence de ces corpus dans l’histoire du design moderne. Considérées aujourd’hui comme des exemples de développement durable, les productions réalisées au sein des communautés permettent d’actualiser et de reconsolider le lien entre le passé et le présent, la créativité et le fonctionnalisme, la forme et le contexte.

    — Relatant l’historique de la création du Collège Manitou (1973-1976), premier établissement d’études postsecondaires conçu par et pour les Autochtones, Édith-Anne Pageot explique en quoi le sous-­programme Visiting Craftman = Artisans visiteurs, offert au Département des arts et des communications, a contribué à la reconstruction des réalités culturelles et aux efforts d’autodétermination, grâce à son approche expérientielle et pluridisciplinaire, de même qu’à ses initiatives de revalorisation des savoirs et des savoir-faire, de transmission et de mentorat.

    — Véronique Audet propose, de son côté, un bilan de l’univers musical des rythmes et des sons, qui occupe une place importante dans les arts autochtones du Québec18. Rappelant d’abord la manière dont les musiques se transforment et s’actualisent depuis de nombreuses décennies, elle présente ensuite des données biographiques, des entrevues menées avec des musiciens et des musiciennes de la scène contemporaine, de même que des analyses des formes musicales et des textes de chansons, afin de dégager les aspirations et les préoccupations qui habitent les artistes et leurs communautés. Une revue de leurs conditions de création et de rayonnement, de leurs moyens de diffusion et des défis de reconnaissance de leur travail nous amène à constater l’ampleur de leur trajectoire. À titre de complément, des entrevues avec l’auteur-compositeur-interprète Gilles Sioui (2008-2009) sont fournies en annexe.

    — Michèle Garneau plonge, quant à elle, dans les réalisations vidéo­graphiques du Wapikoni mobile pour analyser la transmission des codes de l’oralité et de la performativité à partir du motif du tambour. Cet instrument, qui prend place dans de nombreuses productions, tiendrait lieu de parole adressée à la fois aux créatrices et aux créateurs, à leurs communautés et au public élargi. En tant que véhicule émotionnel et relationnel, cet objet vivant instaure une présence et une action, invite le public à une écoute attentive, tout en aménageant un espace de communication, de ressourcement et de guérison, lequel est rendu possible par et grâce à cette relation. Ainsi, l’expression vidéographique s’actualiserait dans ce mode de communication traditionnel au bénéfice d’une médiation renouvelée.

    — Sophie Guignard, qui se penche ensuite sur les usages et les stratégies photographiques autochtones, m’a aussi captivé par son amorce d’une thématique peu étudiée. Principalement centré sur les documents seconds des catalogues d’exposition, le texte a réveillé chez moi un sentier de faits photographiques, depuis les clichés de Zacharie Tehariolin Vincent tirés au studio de Louis-Prudent Vallée, à Québec, dans les années 1870, jusqu’à la réédition grand public, dans les années 1980, de la production du photographe états-unien Edward Sheriff Curtis19, en passant par la célèbre photographie prise au studio Notman, à Tiöhtià:ke (Montréal), du duo Sitting Bull et Buffalo Bill, en 1885. L’autrice a constaté notamment que la technique photographique a attiré l’attention des créatrices et des créateurs autochtones du Québec, non seulement en ce qu’elle offre un potentiel d’autoreprésentation et de réinscription dans l’Histoire, mais également pour la manière dont elle s’est intégrée à des projets multidisciplinaires et dont elle a dialogué avec d’autres langages.

    — Marianne Desrochers présente enfin des réflexions sur l’actuel débat à propos de «l’appropriation sans l’assimilation». Elle expose les principaux enjeux politiques et économiques auxquels les artistes et leurs communautés ont été confrontés, les défis qu’ils ont relevés et les stratégies déployées pour répliquer aux instances et aux systèmes de représentation. Un parcours chronologique permet de rappeler les embûches qu’ils ont rencontrées et les progrès qu’ils ont accomplis, et de constater la diversité et l’efficacité des actions visant à rétablir la justice et à apaiser les tensions.

    — Par cet ouvrage, de nouveaux pas s’inscrivent ainsi dans les anciens. Ils contribueront au processus de décolonisation en cours, à mettre en perspective, à s’objecter, à rectifier, à assurer le portage en partage «jamais plus sur nous sans nous». Là où nous sommes, les territorialités20, et qui nous sommes, l’historicité.

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    Guy Sioui Durand

    Sociologue de l’art, commissaire indépendant, conférencier, auteur, professeur, membre de la nation des Hurons-Wendat

    Louise Vigneault

    Historienne de l’art et professeure, Université de Montréal


    1. Nadia Myre, Dans l’attente… = While Waiting…, Proposition d’une œuvre de Nadia Myre pour la place publique Bonaventure, Bureau d’art public, Montréal.

    2. Guy Sioui Durand, L’art comme alternative: réseaux et pratiques d’art parallèle au Québec, 1976-1996, Québec, Éditions Intervention, coll. «Sociologie critique», 1997, p. 15; Pricile De Lacroix, Exposer, diffuser et faire entendre sa voix: présence de l’art contemporain autochtone au Québec entre 1967 et 2015, mémoire de maîtrise, Université du Québec à Montréal, 2016, p. 72, 94-102.

    3. Erica-Irene Daes, «The experience of colonization around the world», dans Marie Battiste et al. (dir.), Reclaiming Indigenous Voice and Vision, Vancouver, UBC Press, 2000, p. 3-8.

    4. Voir, notamment, «Pionniers parmi les chasseurs-chamans-guerriers de l’art», Inter: art actuel, no 104, hiver 2009-2010, p. 8; ainsi que le dossier consacré à «La notion d’autochtonie dans la littérature et les arts visuels contemporains», Captures, vol. 3, no 1, 2018.

    5. André Dudemaine, «En toute visibilité. Notes sur l’inscription du discours identitaire des Premières Nations dans l’imaginaire québécois via la création artistique et l’occupation d’espaces culturels signifiants», Zeitschrift für Kanada-Studien, 36, 2016, p. 145.

    6. Citée dans Valérian Mazataud et Sarah R. Champagne, «Recréer le lien social à travers l’art et la tradition», Le Devoir, 4 juillet 2015. http://www.ledevoir.com/societe/actualites-en-societe/444245/megan-whyte

    7. Jean-Charles Falardeau, Ce qu’il est advenu d’une ancienne tribu de sauvages canadiens: préhistoire, histoire et description contemporaine de la réserve des Hurons de Lorette, thèse de baccalauréat en sociologie, Laval, 1939; Jean-Charles Falardeau, «Les Hurons de Lorette», dans Denis Vaugeois (dir.), Les Hurons de Lorette, Québec, Septentrion, 1996, p. 62-79.

    8. Louise Vigneault, Zacharie Vincent: une autohistoire artistique, Wendake, Éditions Hannenorak, 2016; Zacharie Vincent: sa vie et son œuvre, [livre d’art en ligne], Toronto, Art Canada Institute/Institut de l’art canadien, 2014. https://www.aci-iac.ca/zacharie-vincent

    9. Louis-Karl Picard-Sioui et Guy Sioui Durand, Miroir d’un peuple: l’œuvre et l’héritage de Zacharie Vincent = Mirror of a people: The works and legacy of Zacharie Vincent, Wendake, Musée huron-wendat, 2016.

    10. Manifeste pour l’avancement des arts, des artistes et des organisations artistiques autochtones au Québec, 2018. Voir aussi État des lieux sur la situation des arts autochtones au Québec, rencontre tenue à Tiöhtià’ke (Montréal), les 17 et 18 mai 2017, au Cœur des sciences de l’Université du Québec à Montréal, organisée par Ondinnok, dans le cadre de la 3e édition du Printemps autochtone d’arts. https://www.ondinnok.org/fr/manifeste-pour-lavancement-des-arts-des-artistes-et-des-organisations-­artistiques-autochtones-au-quebec

    11. Après le colloque de 2013 tenu à l’Institut national d’histoire de l’art (INHA), à la Sorbonne (Paris), Art contemporain et identités autochtones: une contre-écriture de la mondialisation, inspiré de l’exposition Sakahàn. Art indigène international, présentée la même année au Musée des beaux-arts du Canada, l’École normale supérieure (Paris) tenait à son tour, en mars 2021, des journées d’étude sur le thème «Arts contemporains et indigénéités», cette fois sous l’influence de l’exposition Àbadakone, présentée aussi au Musée des beaux-arts du Canada en 2019-2020.

    12. «Au-delà des stéréotypes selon lesquels la notion d’«art» n’a pas qu’équivalent dans les langues autochtones, il existe des mots pour artiste et créativité. Selon les modèles cri et algonquin, l’artiste est engagé dans un travail intellectuel, spirituel et émotionnel important. Être créatif, kâ-mamâtâwisinâk mamâhtâwi, et être kâ-mamâhtâwisiwak, «un être créatif», reviennent à puiser dans le pouvoir de l’univers.» Sherry Farrell-Racette, «Tawâyihk: Thoughts from the places in between», RACAR: Revue d’art canadienne = Canadian Art Review, vol. 41, no 1, 2016, p. 31. NDLR: À moins d’indication contraire, les citations originales ont été traduites en français par Gilles Saint-Louis.

    13. Sylvie Paré, «Du grenier à la forêt: le musée de l’immatériel», Recherches amérindiennes au Québec, vol. 33, no 3, 2003, p. 73-74.

    14. «Nous avons toujours été contemporains, nous nous sommes toujours adaptés, nous nous sommes toujours transformés, nous avons toujours intégré les nouvelles pratiques et les nouveaux matériaux.» Cité dans Jamaias DaCosta, «Trépanier on building bridges and awakening memory with Anglo and Francophone Indigenous artists», Muskrat Magazine, 14 novembre 2014. http://muskratmagazine.com/trepanier-on-building-bridges-and-awakening-memory-­with-anglo-and-francophone-indigenous-artists/

    15. Victor-Lévy Beaulieu, Désobéissez!, Trois-Pistoles, Éditions Trois-Pistoles, 2013.

    16. Voir http://www.siouidurand.org.

    17. Guy Sioui Durand, «Un Wendat nomade sur la piste des musées: pour des archives vivantes», Anthropologie et Sociétés, vol. 38, no 3, 2014, p. 271-288.

    18. Voir «Les musiques de Maku», AuxSons – Musiques et vibrations du monde, webmédia, février 2019-mars 2020, p. 79-82. Aussi en ligne à l’adresse suivante: http:/www.AuxSons.com.

    19. Edward Sheriff Curtis, The North American Indians, 20 vol., 1907-1930.

    20. À visionner sur le site La Fabrique culturelle, Télé-Québec: http://www.­lafabriqueculturelle.tv/dossiers/7565/artistes-autochtones-11-nations.

    Introduction

    LOUISE VIGNEAULT

    À travers la porosité des disciplines, des langages et des techniques, les initiatives artistiques autochtones du Québec révèlent leur richesse, comme on le découvrira dans cet ouvrage. Au-delà des institutions qui résistent, en aval, à des transformations profondes et salutaires à court terme, l’imaginaire artistique impose, en amont, des processus de déconstruction et des dialogues, assume des déminages et les concrétise. Les collaboratrices et les collaborateurs font partager, à ce titre, les résultats de leurs explorations et de leurs réflexions, en espérant qu’ils éclairent les phénomènes artistiques, de même que les enjeux sociopolitiques qui les sous-tendent. Ils participent également au démantèlement des catégories figées et des discours polarisants, pour que les artistes se dégagent des étiquettes dans lesquelles leur travail demeure enclavé et qu’ils déterminent eux-mêmes leur identité21, leur appartenance et les créneaux dans lesquels ils souhaitent s’inscrire. En 1992, l’anthropologue Jacqueline Bouchard pointait déjà le fait que «[l]’espace de production d’une œuvre est toujours tributaire de son espace de réception et [que] ces deux moments circonscrivent le champ d’action où se négocient les propositions identitaires22», concluant du même coup que les discours savants entourant les démarches créatrices font partie de cette réception. Linda Tuhiwai Smith rappelait toutefois, plus récemment, que «Decolonization […] does not mean and has not meant a total rejection of all theory and research or Western knowledge. Rather, it is about centring our concerns and world views and then coming to know and understand theory and research from our own perspectives and for our own purposes23».

    Si l’expression «artiste autochtone» évoquait, il n’y a pas si longtemps, une posture d’exclusion ou d’invisibilité, ou qu’elle enfermait les œuvres autochtones dans les catégories folklorique ou commerciale, elle est aujourd’hui de plus en plus considérée comme un essentialisme «stratégique» exprimant une résistance face à l’hégémonie, à l’absorption dans une mondialisation qui a pour effet de diluer les particularismes culturels ou les conditions individuelles. Il semble toutefois que ce mouvement se transforme peu à peu, laissant entrevoir des espaces de rencontre, des croisements féconds entre les initiatives créatrices autochtones et non autochtones. Les travaux présentés dans ce livre se gardent toutefois d’être des «infrastructures intangibles24» qui se contentent de critiquer à distance les modes d’évaluation et les organismes de subvention ou de diffusion existants. Ils visent plutôt à éclairer ces instances sur la réalité des créations autochtones de sorte qu’elles ajustent leurs critères de soutien moral et financier. Il importe aussi de contribuer, par les mots et les idées, à réduire les problèmes systémiques de représentabilité, en tentant de transformer les établissements d’enseignement et les organismes de recherche et de contourner leur pouvoir, dans le but de faire place à de nouvelles instances et à des espaces significatifs de rencontres et de collaborations. J. Edward Chamberlin a d’ailleurs souligné que les théorisations doivent constituer non pas un point de vue unique, mais une route menant à des voies diverses qui se complètent en ce qu’elles ne font pas que conforter une vision, mais obligent aussi à la remettre en question si nécessaire25. Accueillir et assumer les tensions et les contradictions permet également de dénouer les conflits, les impasses séculaires, de déraciner les binarismes et les catégorisations, pour qu’émerge une cohabitation équitable d’idées et de valeurs. Espérons que, dans un proche avenir, ces postures plurielles s’imposeront naturellement et que leur reconnaissance par la majorité et les institutions ne se fera plus de façon occasionnelle et intéressée, mais dans le cadre d’engagements responsables et fertiles.

    Les lieux d’où l’on parle

    Compte tenu du fait que les communautés autochtones vivant sur le territoire de l’actuelle province de Québec bénéficiaient, à l’origine, d’un rayonnement physique qui dépassait les limites politiques et toponymiques fixées par les occupants européens26, nous avons hésité à imposer ce même cadre de référence à l’ouvrage. Aborder les expressions artistiques issues de la péninsule gaspésienne à la vallée du Saint-Laurent, le long de ses bassins hydrographiques s’étendant d’Eeyou Istchee Baie-James à la Côte-Nord, n’a en fait d’autre objectif que d’établir un bilan des avancées dans ce territoire. De combler aussi en partie les carences de reconnaissance et de soutien des créateurs et des créatrices, ainsi que les retards accumulés dans les initiatives d’analyse, la mise en forme de lieux de formation adaptés et de réseaux de diffusion collaboratifs. On peut également déplorer le fait que la voix de ces artistes commence tout juste à se faire entendre dans les institutions et les débats publics.

    Un bref retour dans le temps permet de rappeler que l’appareil colonial et législatif a trop souvent isolé et fragilisé les initiatives culturelles autochtones. Après la Seconde Guerre mondiale, sous la pression externe des politiques humanitaires obligeant les gouvernements coloniaux à protéger les pratiques et les particularismes culturels des groupes minoritaires et marginalisés, le gouvernement canadien lève l’interdiction promulguée en 1884 des rituels et des œuvres artistiques réalisées dans ce contexte. Malgré ce changement, les organismes politiques et les institutions continuent d’exclure les créateurs et les créatrices du système dominant. Dans son rapport (1951), la Commission royale d’enquête sur l’avancement des arts, des lettres et des sciences (commission Massey) constate d’ailleurs que leurs productions connaissent un déclin significatif et sont même vouées à disparaître, en raison notamment d’une rupture dans la transmission des connaissances et des savoir-faire. Est alors recommandé aux artistes d’exploiter leur talent «à la façon des autres Canadiens», soit de «l’élever» à la hauteur de l’art, tel que l’a défini la tradition européenne, et de l’adapter au contexte national27. Le Conseil des arts du Canada, créé en 1957, exclut également dans son mandat initial l’appui des créations autochtones, soutien qui n’entrera en vigueur qu’en 199428.

    Depuis 50 ans, l’expansion des expressions autochtones est motivée par des événements de rayonnement tels qu’Expo 67, où les artistes et commissaires Andrew Tanahokate Delisle, Norval Morrisseau, Alex Janvier et Jean-Marie Gros-Louis ont présenté le pavillon des Indiens du Canada comme un espace à la fois autonome et résistant29. Cette période charnière est également marquée par une vague de réactions face aux déracinements et aux pertes subies, un nouvel éveil activiste et une réaffirmation des cultures, grâce à une mobilisation des intervenants culturels et des aînés qui prennent alors conscience de l’urgence d’une transmission et d’une actualisation des savoirs. Parmi les événements qui ont aussi encouragé les résistances, mentionnons la crise d’Oka (1990) et les commémorations colonialistes, comme le 500e anniversaire de l’arrivée de Colomb, les 350e et 375e anniversaires de la fondation de Tiötiàh:ke (Montréal) en 1992 et 2017. En 1998, la première Biennale de Montréal, dont l’exposition centrale est intitulée Capteurs de rêve, ne comprend toutefois aucun artiste autochtone. Les créateurs et les créatrices sont également peu sollicités pour les festivités du 300e anniversaire de la Grande Paix de Montréal, en 200130. Il faut attendre en fait le 400e anniversaire de la fondation de Québec-Stadaconé par Champlain, en 2008, pour que des expositions et des événements autochtones soient envisagés dans la programmation31.

    En 2012, la grève de la faim menée par la cheffe d’Attawapiskat, Theresa Spence, en riposte au projet de loi omnibus C-45 du gouvernement canadien qui met en péril les droits territoriaux autochtones, motive la création du mouvement Idle No More, devenu au Québec Finie l’inertie. Soutenues par les réseaux sociaux et des organismes internationaux, ces initiatives contribuent à ouvrir une brèche dans les dynamiques décisionnelles du pays et à semer un possible. Ces événements forcent, chaque fois, les représentants de la majorité et leurs vis-à-vis autochtones à établir des ententes susceptibles de reconnaître les droits des Autochtones, leurs visions, de même que leurs réalités historiques et culturelles. Dans ces contextes, les productions artistiques jouent un rôle

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