Découvrez des millions d'e-books, de livres audio et bien plus encore avec un essai gratuit

Seulement $11.99/mois après la période d'essai. Annulez à tout moment.

L'art d'être infidèle: Un essai sur la monogamie à travers le monde
L'art d'être infidèle: Un essai sur la monogamie à travers le monde
L'art d'être infidèle: Un essai sur la monogamie à travers le monde
Livre électronique308 pages4 heures

L'art d'être infidèle: Un essai sur la monogamie à travers le monde

Évaluation : 0 sur 5 étoiles

()

Lire l'aperçu

À propos de ce livre électronique

De Paris - New York - Tokyo - Moscou, Pamela Druckerman lève le voile sur l'infidélité

À l’heure de la mondialisation, qu’en est-il du « cinq à sept », ce légendaire rendez-vous des époux volages ? De Paris à Shenzhen, de Moscou à Chicago, de Tokyo à Johannesbourg, Pamela Druckerman est allée à la rencontre de psychologues, de sexologues, de conseillers conjugaux et de couples infidèles, pour comparer les entorses à la monogamie et établir un palmarès international de l’adultère.

Un essai sociologique édifiant !

CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE

- "Une enquête inédite sur la pratique de l’adultère dans le monde [..] La journaliste américaine Pamela Druckerman a délaissé quelques années l’univers économique et financier pour s’intéresser au tabou de l’infidélité. Et jette un regard circonstancié – celui d’une américaine exilée à Paris - et nuancé sur une pratique façonnée par nos sociétés." (Metronews.com)

EXTRAIT

Bienvenue en Amérique

Voici April, et deux ou trois choses que je sais d’elle. Son aventure a pris fin il y a bientôt deux ans. En vingt ans de mariage, c’était le seul coup de canif dans le contrat. Depuis, elle a été mutée et ne travaille plus dans le même bureau que son ancien amant. D’après elle, ça n’était pas une histoire d’amour mais une simple passade, pimentée d’e-mails torrides (du genre « J’ai trop envie de glisser ma main dans ta culotte ») et de rencontres furtives dans des parkings ou des chambres d’hôtel. C’est arrivé à un moment où son couple était en crise : April et son mari Kevin venaient de perdre toutes leurs économies à la bourse et de déposer le bilan d’une entreprise à leurs deux noms. Quand Kevin découvrit cette liaison, elle était déjà terminée. 
LangueFrançais
ÉditeurSaint-Simon
Date de sortie3 déc. 2014
ISBN9782915134803
L'art d'être infidèle: Un essai sur la monogamie à travers le monde

Auteurs associés

Lié à L'art d'être infidèle

Livres électroniques liés

Psychologie pour vous

Voir plus

Articles associés

Catégories liées

Avis sur L'art d'être infidèle

Évaluation : 0 sur 5 étoiles
0 évaluation

0 notation0 avis

Qu'avez-vous pensé ?

Appuyer pour évaluer

L'avis doit comporter au moins 10 mots

    Aperçu du livre

    L'art d'être infidèle - Pamela Druckerman

    occasions.

    1.

    Bienvenue en Amérique

    Voici April, et deux ou trois choses que je sais d’elle. Son aventure a pris fin il y a bientôt deux ans. En vingt ans de mariage, c’était le seul coup de canif dans le contrat. Depuis, elle a été mutée et ne travaille plus dans le même bureau que son ancien amant. D’après elle, ça n’était pas une histoire d’amour mais une simple passade, pimentée d’e-mails torrides (du genre « J’ai trop envie de glisser ma main dans ta culotte ») et de rencontres furtives dans des parkings ou des chambres d’hôtel. C’est arrivé à un moment où son couple était en crise : April et son mari Kevin venaient de perdre toutes leurs économies à la bourse et de déposer le bilan d’une entreprise à leurs deux noms. Quand Kevin découvrit cette liaison, elle était déjà terminée.

    Pourtant, deux ans après, l’infidélité d’April continue de hanter leur mariage. À 62 ans, Kevin en est encore tout secoué. Il est persuadé que ce n’est pas la première fois que sa femme l’a trompé et, qu’à 48 ans, ce n’est sans doute pas la dernière.

    On voit mal comment elle pourrait en trouver l’occasion. En guise de représailles, Kevin lui a imposé une sorte de burqa mentale. April ne sort de la maison que pour aller au bureau ou se promener sous la surveillance de son mari. Elle n’a plus le droit de voir ses amis et, si elle a le malheur de s’attarder quelques minutes en rentrant du travail, Kevin laisse des messages de plus en plus menaçants sur son portable. Même quand elle revient à l’heure, Kevin la soumet à un interrogatoire systématique pour savoir à qui elle a parlé au cours de la journée. Il fouille son sac, vérifie ses factures de téléphone et appuie au hasard sur la touche de rappel pour savoir qui elle vient d’appeler. Il lui est même arrivé de cacher un magnétophone dans sa voiture pour enregistrer ses éventuelles conversations téléphoniques sur le chemin du bureau.

    « Je ne suis plus la même qu’avant. Je n’ose plus parler à personne. Kevin risquerait de croire que je couche à droite et à gauche », dit April. Depuis que Kevin a découvert son aventure, elle a pris 30 kg et son taux de cholestérol a atteint la zone à risques des maladies cardio-vasculaires. Mais dès qu’elle enfourche son vélo d’appartement, Kevin devient soupçonneux et lui fait des remarques : « On sait ce qui s’est passé la dernière fois que tu as perdu du poids… » Du coup, elle reste prostrée sur son canapé.

    Quand ils sont ensemble, c’est-à-dire presque en permanence, Kevin et April passent leur temps à se faire des psychodrames. Kevin a réussi à reconstituer dans les moindres détails tous les rendez-vous d’April avec son amant. Il se documente sur l’adultère à l’aide d’ouvrages de psychologie et participe toutes les semaines à un groupe de soutien. Pour lui, « une relation doit être fondée sur la transparence absolue, sans aucun secret ». Récemment, après avoir fait l’aller-retour en voiture jusqu’à Nashville pour assister à un séminaire sur les liaisons extraconjugales, il est revenu avec la ferme conviction que l’infidélité était héréditaire et que, malgré ses dénégations, April avait forcément des parents adultères. Une précision : l’amant d’April était noir (Kevin et April sont blancs), ce qui n’a pas arrangé la situation.

    Ma première rencontre avec Kevin et April a eu lieu dans un restaurant près de chez eux, dans une banlieue pavillonnaire de Memphis. Bien que la moitié des habitants de la région soient noirs, leur quartier est presque exclusivement blanc. Les voitures qui circulent dans les larges avenues bordées d’arbres portent sur leurs pare-brise des autocollants « Bébé à bord » et « Je crois aux miracles ». Les résidents ont des revenus plus de deux fois supérieurs au salaire moyen du Tennessee. April est potelée, elle a des taches de rousseur et de longs cheveux blonds. Kevin, lui, a une bonne bouille et la voix d’un présentateur radio. Je venais à peine de m’asseoir qu’April était déjà en train d’arroser de larmes son rôti de porc purée, tandis que Kevin se mettait à débiter pour la énième fois la liste des péchés de sa femme.

    Apparemment, je les avais cueillis juste au bon moment. « On ne pleure plus autant qu’avant, c’est grâce aux antidépresseurs », me confie Kevin. Ils envisagent le divorce. Pourtant, j’ai comme l’impression que cette liaison a donné une raison d’être à leur couple, qui battait déjà de l’aile. Il fallait les entendre, on aurait dit qu’ils évoquaient le bon vieux temps :

    « Tu te souviens du jour où j’ai déchiré ta photo en mille morceaux ? », demande Kevin à April. « Je suis monté à l’étage, je me suis assis par terre, j’ai attrapé un portrait d’elle et je me suis défoulé dessus. »

    Sur la scène du crime, au deuxième étage, Kevin entrepose sa collection de maquettes d’avions. Un jour, il est resté prostré là des heures avec son revolver plaqué sur la tempe, pendant qu’April le suppliait de ne pas faire de bêtise.

    Les réactions d’April et Kevin peuvent sembler un peu excessives, mais, à bien des égards, leur expérience est typiquement américaine. Deux ans de traumatisme après une infidélité, c’est assez commun. Et, comme bien d’autres de ses compatriotes, April a du mal à se considérer désormais comme une « femme adultère ». Elle a eu une éducation religieuse et elle se vit comme une « madame tout le monde ». « Je crois que je n’étais plus vraiment moi-même. J’étais devenue quelqu’un d’autre », dit-elle. « Je n’aurais jamais imaginé que j’étais du genre à avoir une aventure. »

    Depuis les années 1970, les Américains se montrent plus tolérants en matière de sexe. Ils ont progressivement accepté l’homosexualité, le concubinage, le divorce et la procréation hors mariage. La plupart des Américains ont leur premier rapport sexuel avant 17 ans, mais ils ne se marient que vers 26, ce qui leur laisse environ neuf années d’activité amoureuse en tant que célibataires.

    Comment se fait-il donc que les Américains soient devenus plus stricts concernant les relations extraconjugales ? En 1973, 70 % d’entre eux considéraient que les aventures adultères étaient « toujours mauvaises ». En 2004, ils étaient 82 %, et la plupart des autres trouvaient qu’elles l’étaient « presque toujours ». Dans un sondage Gallup réalisé en 2006, les Américains estimaient qu’en termes d’éthique, l’adultère était plus condamnable que la polygamie et le clonage.

    Beaucoup de sujets divisent les Américains mais, bizarrement, quand il s’agit d’adultère, ils parlent d’une seule voix. Kevin et April votent républicain, ils vivent dans la Bible Belt, région des États-Unis connue pour son rigorisme religieux. Mais, à les entendre parler d’adultère, on pourrait tout aussi bien avoir affaire à des progressistes de New York, le revolver en plus. Face à l’infidélité, même les Américains qui ne pratiquent aucune religion croient entendre résonner les trompettes du jugement dernier.

    « Quand on trompe sa femme, on se sent forcément coupable. On fait du mal à tout le monde, y compris à soi-même », affirme une femme libérée de 32 ans travaillant dans la mode, qui vit dans un loft à Manhattan, entourée d’amis qui pensent comme elle. « C’est malhonnête, et la malhonnêteté vous entraîne dans une spirale. On a beau jouer au plus malin, ça finit par vous consumer. »

    Aux États-Unis, j’ai entendu plusieurs adultères me dire, comme April, qu’ils n’étaient pourtant pas du genre à tromper leur conjoint. Qui pourrait leur en vouloir pour cette petite faille dans leur logique ? La véhémence avec laquelle les Américains condamnent les relations extraconjugales est telle que les époux infidèles ne sont pas considérés comme des gens ordinaires qui auraient commis une incartade ; ce sont des pécheurs, à mettre au ban de la société. C’est une chose que d’avoir le béguin pour un collègue de travail, c’en est une autre d’être stigmatisé comme adultère.

    Dans certains milieux, comme le terrain de sport ou le cabinet d’avocats, l’infidélité est tolérée, voire encouragée. Les libéraux semblent les mieux disposés à en plaisanter ou à remettre en question la viabilité de la monogamie. Mais l’opprobre jeté sur l’adultère est tel qu’il est difficile de rester indifférent, surtout quand il s’agit d’un de vos proches.

    Dans un café de l’Upper West Side où il habite à Manhattan, je rencontre un homme d’affaires qui m’assure être toujours resté fidèle à sa femme tout au long de ses vingt ans de mariage. Bien sûr, il a pu avoir des tentations, mais apparemment ça lui donne des cas de conscience. Parmi ses amis haut placés, l’infidélité est tellement rare qu’« elle est vécue comme une exception, une anomalie, une crise ». On réfléchit à deux fois avant de mettre en danger le double salaire de son couple, et on redoute « ce que les enfants vont penser de moi ».

    Les quelques personnes de son entourage à avoir des aventures en ont beaucoup. Elles s’abandonnent à des appétits sexuels débridés, ce qui à ses yeux est révélateur de troubles de la personnalité. « On connaît tous des gens comme ça, des gens qui d’une certaine façon s’écartent de l’ordre établi. Il ne s’agit pas tellement de sexe : c’est plutôt une question d’excentricité, de mise en scène », remarque-t-il. L’infidélité suggère par ailleurs un lien douteux avec les classes inférieures de la société américaine, qui n’ont ni les moyens ni la discipline nécessaires pour prendre leur destin en main. Risquer de leur ressembler d’une façon ou d’une autre serait préjudiciable à son standing : « Je ne voudrais pas être considéré comme un mari infidèle. Ça ne serait pas bon pour mon image. »

    La monogamie rehausse le statut social des Américains. Elle indique qu’ils sont de bons parents, d’honnêtes employés, des commerçants dignes de confiance, et qu’ils partagent les valeurs de la société décente. Une femme de médecin à Miami m’a avoué qu’au fond, ça ne la dérangerait pas vraiment que son mari couche avec une autre. Au mieux, ça l’exempterait de ses devoirs conjugaux hebdomadaires. En revanche, elle serait traumatisée par ce que la pratique de l’adultère dirait sur son mari. Il est considéré par tous comme un monogame résolu et satisfait. S’il la trompait, on penserait qu’il roule tout le monde dans la farine, et qu’il n’est pas celui qu’on croyait.

    Les anecdotes sur l’adultère en Amérique sont souvent des leçons de morale et aboutissent, après une brève incartade, à un retour dans le périmètre sécurisé de la monogamie. Exemple : Betsy, rédactrice de More, un magazine pour femmes de plus de quarante ans, s’entiche de son ostéopathe et éprouve aussitôt de la culpabilité à imaginer nu un autre homme que son mari. Pourtant, elle se rend compte que ses copines elles aussi ont des toquades de ce genre. Il est même arrivé qu’une de ses amies photographe tombe dans les bras de son garçon de piscine. Mais elle l’a « vite regretté. Ce petit fantasme m’avait entraînée trop loin. J’étais en train de faire n’importe quoi. Personne ne l’a jamais su, mais j’ai eu honte de moi », raconte l’amie en question.

    Les chroniques de conseillers conjugaux dans la presse et les forums de discussion sur Internet ressassent le même scénario. Dans l’un d’eux, une divorcée raconte qu’elle sort avec un homme merveilleux, mais qu’à l’occasion d’une virée entre copines elle s’est laissée offrir un verre par un autre homme. « À la fin de la soirée, j’avais pas mal bu, et je crois que je l’ai embrassé. C’était juste un petit bécot, et encore. À vrai dire je m’en souviens à peine. Mais maintenant je suis catastrophée et dégoûtée. Ce n’était tout simplement pas moi, et je sais que jamais, au grand jamais, ça ne se reproduira. Dois-je en parler à mon compagnon ? Comment surmonter cet épisode ? J’ai l’impression que je ne suis plus digne de lui. Je vous en prie, dites-moi quoi faire. »

    J’aurais pu croire que c’était là une réaction normale face à l’adultère, si je n’avais pas su que, dans d’autres pays, les gens gèrent la situation de façon tout à fait différente. La plupart d’entre eux trouvent nos méthodes bizarres. Nos paniques, nos menaces rituelles de divorce, notre foi dans le pouvoir rédempteur des conseillers conjugaux, et même notre principe selon lequel l’honnêteté est la pierre angulaire du couple, tout cela les laisse perplexes. Ils s’amusent tout particulièrement du numéro de Docteur Jekyll et Mister Hyde que les Américains ont mis au point après qu’un mari adultère transformé en gourou a publié ses Mémoires pour apprendre à ses semblables comment « survivre » à des crises extraconjugales. Mais ce ne sont pas seulement les conséquences des liaisons qui sont différentes. En dehors des États-Unis, les gens ont leurs propres idées sur le choix d’un amant, les obligations mutuelles de l’un et l’autre parti, et même sur l’issue à donner à toute l’affaire.

    On pourrait croire que l’adultère est un royaume affranchi des lois, dans lequel on s’engage en son âme et conscience. Et pourtant, même les relations extraconjugales sont soumises à des règles, qui nous sont inculquées par des aveux et des rumeurs. Ces récits partagés définissent la « normalité » et jalonnent les longues années de mariage. Certes, nul ne peut respecter ces règles à la lettre. Il arrive même que certains dévient de leur objectif. Mais le fait est que tout le monde les connaît et sait à quoi s’en tenir.

    « Il suffit que les gens me racontent quelques épisodes de leur vie, je n’ai pas besoin d’en entendre davantage », dit Peggy Vaughan, une Californienne qui a monté une cellule d’assistance téléphonique pour personnes ayant découvert l’infidélité de leur conjoint. « Je ne veux pas savoir le pourquoi ni le comment : quels que soient les détails, les conséquences émotionnelles ne sont que trop prévisibles. Je devine la suite de l’histoire. »

    D’après le scénario américain, le mari trompeur est censé révéler à sa maîtresse qu’il est malheureux avec sa femme. En d’autres termes, qu’il n’est pas un parfait salaud, mais une âme sensible en manque d’amour. En Chine, cependant, j’ai découvert qu’il n’était pas inhabituel que les hommes mariés fassent l’éloge de leur femme auprès de leurs maîtresses, pour prouver qu’ils respectent la gent féminine et qu’ils ont fixé des bornes à leur liaison.

    Dans le reste du monde, on peut aussi jouer sur ce registre sentimental. Mais chaque culture adapte son propre scénario, nous enseignant ainsi quelles émotions convoquer selon les circonstances. Une épouse japonaise est restée bouche bée quand je lui ai demandé si elle culpabilisait d’avoir un amant. J’ai dû répéter ma question plusieurs fois. Il ne lui était même pas venu à l’idée de se sentir coupable, dans la mesure où elle remplissait scrupuleusement ses devoirs envers sa famille. Un Français à qui j’ai demandé si le but de sa psychothérapie était de mettre de l’ordre dans sa double vie s’est senti pris de court. En fait, il avait arrêté d’aller voir son psy peu de temps après avoir rencontré sa maîtresse, puisqu’il venait enfin de trouver le bonheur.

    Évidemment, il y a des motifs universels. Même dans les pays réputés tolérants envers l’adultère, qui n’aurait pas le cœur brisé en apprenant que son conjoint le trompe ? Mais, dans le détail, on constate beaucoup de variantes. En dehors des États-Unis, le principe de « la grande discussion », cette règle courtoise en vigueur en Amérique qui veut qu’une relation ne soit pas monogame tant que l’un et l’autre parti n’ont pas explicitement convenu qu’elle l’était, est incompréhensible. Les étrangers n’en reviennent pas d’apprendre que les Américains continuent de mettre à jour leurs profils sur les sites de rencontre, bien après avoir entamé une relation, et ce jusqu’à ce que les deux partis aient décidé de franchir le pas de la monogamie. « Ne vous imaginez pas avoir l’exclusivité tant que vous n’en avez pas discuté », prévient le webmestre d’un site de rencontres. Et si vous abordez enfin le sujet, « sachez présenter votre requête en termes modérés, montrant que vous êtes ouvert au dialogue ».

    En effet, rares sont les cultures qui connaissent le flirt « à l’américaine », cette période d’expérimentation où il est permis de jongler avec plusieurs liaisons balbutiantes. Aux États-Unis, la saison de parade pluri-amoureuse tend à se prolonger plus longtemps que partout ailleurs. Et si les gens d’autres pays reconnaissent bien sûr franchir des étapes dans leurs relations amoureuses, ils n’ont pas pour habitude d’en discuter ouvertement. Dans un de ses livres, Bernard-Henri Lévy raconte que, dans une file d’attente à l’aéroport de Washington, il a surpris la conversation d’un jeune couple qui essayait de déterminer s’ils en étaient encore au stade du flirt ou s’il était temps de définir de nouveaux paramètres. Il constate que c’est là « une manière très peu française de transformer la relation amoureuse en une entité séparée, vivant sa vie propre à côté des deux amoureux ».

    Même après « la grande discussion », les jeunes Américains continuent à coucher à droite et à gauche (bien plus que pendant le mariage). Ils voient défiler des dizaines de candidats potentiels sur une période de dix à vingt ans. Quand enfin un homme et une femme arrêtent leur choix et décident de se marier, c’est comme s’ils avaient franchi la ligne d’arrivée. De l’autre côté de cette ligne, les règles de la fidélité ne sont plus les mêmes. Si l’on peut tolérer quelques passades pendant la saison des premiers ébats, les jeunes mariés sont censés faire preuve d’archi-monogamie. Les femmes se disent : « S’il m’aimait vraiment, il ne pourrait même pas bander à la vue d’un autre corps, d’une autre paire de seins. » « Il suffit que leur mari pose les yeux sur une autre fille à la table d’à côté, pour que les femmes piquent une crise d’hystérie », constate Diane Sollee, gérante d’une organisation de défense du mariage à Washington. « Nous les Américains, nous sommes tellement romantiques… Pour nous, la moindre entorse à la carte du Tendre est un motif de divorce. »

    Soumis à une telle vigilance et une telle culpabilisation, comment les Américains pourraient-ils bien réussir à tromper leur femme ? La réponse, c’est que les normes en vigueur sont diverses. Officiellement, la règle veut que l’adultère soit un mal absolu. C’est du moins ce que les gens disent aux sondeurs. Mais, officieusement, les conjoints adultères suivent un tout autre code. Comme le fait remarquer le sociologue James Farrer, chaque culture s’accorde pour valider certaines configurations dans lesquelles il est permis d’être infidèle.

    Aux États-Unis, l’épanouissement dans le couple est bien plus qu’un idéal. Il est revendiqué comme un droit. Un trader du New Jersey, qui commençait à se lasser de sa deuxième femme et envisageait de la quitter pour s’installer avec sa maîtresse, m’a lancé un regard larmoyant en expliquant : « J’ai besoin d’être heureux. » La quête du bonheur ou de l’amour fou est une ritournelle que les Américains ressassent pour justifier leurs liaisons et apaiser leur conscience.

    Pour être infidèle, il ne suffit pas de se draper dans sa mauvaise foi. Il faut d’abord avoir l’occasion de passer à l’acte. Est-ce que les hommes et les femmes ont le droit de nouer des amitiés et de rester en tête à tête ? Est-ce que les maris et les femmes sont censés passer tous leurs loisirs ensemble ? Est-ce qu’il est facile de trouver une baby-sitter ? Est-ce que la maison est assez grande ? Au cours de mon voyage à Moscou, un psychologue familial me fait remarquer que la plupart des Russes habitent des clapiers à lapin, parents et enfants dormant tous ensemble dans une pièce, et grands-parents juste de l’autre côté de la cloison. « Vous imaginez si c’est pratique pour un couple de faire l’amour… Dans ces conditions, mieux vaut prendre un amant que d’entendre les grands-parents taper contre le mur », conclut-il.

    Les thérapeutes américains sont quant à eux confrontés à un tout autre problème : la découverte d’une liaison devient parfois le point de focalisation d’un mariage pendant des années. Ils considèrent cette crise adultérine prolongée, pendant laquelle tout le reste passe à l’arrière-plan, comme un phénomène courant.

    Certains ne s’en sortent même jamais. Il y a vingt-cinq ans, Neil a reçu un coup de téléphone l’informant que sa femme était à l’hôpital. Elle avait été tabassée par son patron, dans ce qui semblait être une querelle d’amoureux. Neil, qui approchait alors de la quarantaine et était vice-président d’une organisation caritative à Baltimore, soupçonnait depuis longtemps qu’il y avait quelque chose entre eux. En voyant ses doutes confirmés, il a sombré dans un état qu’il qualifie de « catatonique », et dont il prétend ne pas s’être remis. Je rencontre Neil, aujourd’hui 64 ans, sur le parvis d’une église dans la banlieue de Memphis. Il est encore assez bel homme, grand, élégant, à la mâchoire carrée. Il est fan de basket-ball et aime jouer avec ses petits-enfants. Mais à mesure qu’il me raconte les détails de son histoire, il perd toute dignité et ses traits patriciens s’effondrent. Ce chef de famille modèle se décompose littéralement sous mes yeux.

    « Pas un jour ne passe, vous entendez, pas un jour, sans que je pense à cette histoire. Et je n’y pense pas en l’air. Non. C’est comme un mal de dos insidieux et lancinant. Ça ne s’en va jamais. » Neil ne comprend pas comment la douleur provoquée par la liaison de sa femme a pu durer aussi longtemps. C’est un homme intelligent. Il a surmonté bien d’autres épreuves dans sa vie. Je trouve cela étrange, moi aussi. Certes, cette situation doit être angoissante, humiliante, effrayante. Mais j’ai rencontré plusieurs autres Américains qui, à l’instar de Neil, m’ont laissé entendre qu’ils n’étaient pas simplement tristes et blessés. C’est leur vision du monde tout entière qui s’est écroulée. « On est dépossédé de son propre passé », dit une de ces « épouses trahies ». « On n’arrive plus à distinguer la vérité et le mensonge. »

    L’Association Américaine pour le Mariage et la Thérapie Familiale nous met en garde : « Les réactions de l’époux trahi ressemblent aux symptômes de stress post-traumatique des victimes de catastrophes. » Ceux qui essayent de décrire leur dépression ont recours à des métaphores d’une extrême violence. Une quadragénaire qui vit près de Seattle prétend que « les images du 11 septembre [lui] ont rappelé ce [qu’elle avait] ressenti alors. Un effondrement total ». Une autre, qui témoigne sur un site Internet pour époux délaissés, compare la découverte de la liaison de son mari avec le tsunami qui s’est abattu sur l’Asie en 2004, faisant des centaines de milliers de victimes.

    « Beaucoup de femmes ont l’impression de perdre complètement les pédales », écrit Jo Ann Lederman, une conseillère conjugale de Miami, dans sa chronique. « Il faut s’attendre à des lésions dans le système nerveux et les capacités cognitives. » Lederman rapporte qu’une patiente lui aurait dit : « Je me sens encore plus mal que quand notre enfant est mort. À l’époque, je savais que les médecins avaient fait tout leur possible. Jamais je n’aurais imaginé que mon mari, mon meilleur ami, deviendrait mon bourreau. »

    La monogamie est inscrite dans le patrimoine génétique des États-Unis. Les puritains qui fondèrent les colonies américaines au XVIIe siècle administraient des châtiments exemplaires aux adultères, avec des flagellations et même des exécutions en règle sur la place publique. Ils les obligeaient aussi à porter la lettre A, pour « adultère », sur le revers leur habit, comme le firent les juges de Hester Prynne dans le roman de Nathaniel Hawthorne La Lettre écarlate. Les puritains se fondaient sur la définition biblique de l’adultère, qui pointe du doigt les femmes mariées ou fiancées et leurs amants. Les maris volages, eux, étaient accusés du crime plus bénin de « fornication ».

    Quand au XVIIIe siècle les colons américains s’insurgèrent contre l’Angleterre, celle-ci légitima sa domination en faisant valoir que les deux peuples étaient comme parents et enfants. Cette analogie fut perçue comme un anathème par les colons, qui préféraient quant à eux une relation consentante à l’Angleterre, du type de celle qui lie mari et femme.

    Avec la Déclaration d’indépendance, les dirigeants américains prirent à nouveau le mariage comme métaphore de la manière dont la nouvelle république devait se gouverner elle-même. L’historienne Nancy Cott l’a remarquablement bien décrit dans son ouvrage Public Vows : A History of Marriage and the Nation (Vœux gouvernementaux : une histoire du mariage et de la nation). D’après elle, les

    Vous aimez cet aperçu ?
    Page 1 sur 1