Nouveaux départs: Des pages tournées, des vies changées, des destins réinventés
Par Mylène Moisan
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À propos de ce livre électronique
Ce livre redonne un sens au mot inspiration en proposant une rencontre avec des gens qui ont choisi de changer leur vie.
Ils ont quitté le sport de compétition, la politique ou « la grosse job payante ». Fui l’alcool et la drogue, se sont libérés des étouffantes théories du complot, de la polémique ou de la honte. Ont réalisé leur plein potentiel en quittant leur sexe de naissance, leur nom, l’analphabétisme, leur région, leur pays et même leur sofa! Ils ont aussi repensé leur alimentation, leur rapport à la beauté et, ultimement, choisi de quitter la vie, de la manière la plus digne possible. Que ces changements aient été désirés ou imposés, ils représentent assurément un départ vers autre chose.
Les voix qui s’élèvent dans ce livre touchant permettent de mieux comprendre l’adaptation, l’acceptation, le courage et la résilience nécessaires à l’accueil du changement dans nos vies. Plus que tout, elles démontrent à quel point ces transformations peuvent s’avérer positives, parfois même vitales, tant pour les personnes qui les vivent que pour leur entourage.
Des témoignages qui bouleversent, imposent le respect et forcent une réflexion sur notre propre existence.
Mylène Moisan
Auteure et chroniqueuse au journal Le Soleil, Mylène Moisan prend plaisir à raconter l’histoire de gens hors du commun qui ne font pas les manchettes. Journaliste depuis un quart de siècle, elle a fait ses premières armes à Toronto, a travaillé au Devoir avant de revenir en 2000 à Québec, sa ville natale. Elle a reçu en 2013 le prix Judith-Jasmin pour sa chronique Treize minutes de trop et en 2018, le prix Jules-Fournier pour l’efficacité de son écriture.
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Aperçu du livre
Nouveaux départs - Mylène Moisan
Avant-propos
Il n’existe pas de
nom commun pour
exprimer l’action de
quitter quelqu’un
ou quelque chose.
Ce n’est peut-être
pas un hasard.
Les banquiers ont droit à la quittance, une attestation qui certifie que vous leur avez payé votre dû, que vous avez, en somme, quitté votre dette. Il y a aussi quittation, rarissime, « action de rendre quitte ». Pour le reste, rien.
C’est peut-être parce que l’action de quitter se confond avec celle de prendre un nouveau départ. Quitter est un commencement.
Même le mot « départ » contient à la fois la fin et le début. Nous sommes sur notre départ quand nous quittons la maison d’un ami, les athlètes se placent sur la ligne de départ en attendant le début d’une course. Il y a l’ultime départ, dont on ne revient pas, quand nous franchissons le fil d’arrivée de la vie.
Ce livre est né d’une fascination pour les gens qui changent le cours de leur existence, par les passages qu’ils ouvrent et qu’ils empruntent, souvent sans même regarder derrière, avec la conviction de prendre le bon chemin. Chacune à sa façon, les personnes qui racontent ici leur histoire nous font réfléchir à la nôtre.
Le nouveau départ est parfois un saut dans le vide, il peut être aussi un fruit mûr qu’on cueille le moment venu ou une façon d’avancer autrement, quand un obstacle vient barrer le chemin. Chaque départ est une porte qu’on choisit d’ouvrir, un pas qu’on franchit pour traverser de l’autre côté.
On y va ?
Mylène Moisan
Décembre 2007,
Régis Labeaume
vient d’être élu à
la mairie de Québec
à la surprise presque
générale. L’homme
de 51 ans est un
phénomène arrivé
de nulle part dans
le paysage politique
de la capitale.
Quitter la politique
Raymond Giroux, alors journaliste à Ottawa, me prévient : « Méfiez-vous des millionnaires qui s’ennuient. »
Vrai, Régis Labeaume s’ennuyait, mais ça n’avait rien à voir avec le solde de son compte bancaire. « La vie était bonne avec moi, j’étais indépendant financièrement. Mais je m’ennuyais, il faut quand même que je l’avoue. Je ne m’ennuyais pas parce que j’étais millionnaire, c’était beaucoup plus profond que ça. J’aimais trop la politique, j’avais trop le goût de réaliser quelque chose, de faire du service public. J’étais insatisfait de ma vie professionnelle, même si tout allait bien. »
Il aurait tout de même pu rester dans son confort, continuer à s’impliquer comme il le faisait entre autres pour la Fondation de l’entrepreneurship dont il était président, mais l’appel de la politique était trop fort. « Je voulais faire quelque chose. Et ça, c’est un sentiment profond qui alimentait beaucoup ma frustration, mon insatisfaction. J’essayais de voir ce qui m’allumerait professionnellement, et puis je revenais toujours à la politique. Fatigant en maudit, ça ! »
Dès qu’il a su lire, il s’est mis à dévorer les pages politiques du Soleil. À 24 ans, il deviendra l’attaché politique du ministre péquiste Jean-François Bertrand et le restera pendant 5 ans, après quoi, en 1985, il investit dans l’industrie minière, notamment dans l’amiante, et fait fortune. Régis Labeaume ne manque de rien, il est un homme d’affaires respecté et prospère.
Or, l’appel de la politique revient le hanter. Il brigue en 1998 une investiture dans une circonscription de Québec, mais se casse les dents. « J’ai perdu, je méritais de perdre, j’étais tellement mauvais. » Difficile à croire, il était trop timide. « J’étais trop gêné pour aller voir le monde. J’avais peur de déranger. » L’homme encaisse le coup. « Ce n’est pas la défaite qui m’a fait mal, mais l’idée que, finalement, j’aimais ça encore ! »
En 2005, rebelote, il essuie un autre revers, mais de peu, dans la course à la direction du Renouveau municipal de Québec, le parti de Jean-Paul L’Allier, qui vient de tirer sa révérence après 16 ans aux commandes de la capitale. « Québec était une ville basée sur le cynisme, et le cynisme, c’est très insidieux. Moi, j’étais écœuré, écœuré, vraiment écœuré. »
Deux ans plus tard, le décès subit de la mairesse Andrée Boucher change la donne et procure à Régis une autre occasion de tenter sa chance. « J’étais convaincu que je pouvais apporter quelque chose à la société… pis j’étais comme tout le monde, je regardais les politiciens et ils me décevaient. Je me suis dit : Arrête de chialer, pis vas-y
! » Et il l’a fait en toute connaissance de cause.
« C’est ben beau de dire que tu veux faire de la politique, mais quitter ton confort, ce n’est pas si évident. »
Alors un soir, avec une gang de chums, il a décidé de tenter sa chance comme candidat indépendant à la mairie de Québec. « On se dit : qu’est-ce qu’on fait ? On y va. Et après, on connaît la suite de l’histoire. »
Mais le reste de l’histoire, c’est aussi ses trois enfants et leur mère, Louise, qu’il a entraînés avec lui dans sa décision. « On en a jasé le soir, avec les enfants et Louise, on a longuement discuté. Louise aimait la politique, beaucoup, ça a aidé. Mais les deux plus vieux, eux, ils voyaient le danger. »
Il en aurait fallu beaucoup plus pour le faire changer d’idée.
Alors il s’est lancé corps et âme avec la passion qu’on lui connaît et un seul objectif : « J’allais là pour gagner, tabarouette ! » Mais quand les premiers sondages sont sortis, il était très loin derrière avec à peine 2 % ou 3 % d’appuis. Il admet « avoir crochi un peu ».
Louise, elle, entendait siffler le train de la défaite. « Un moment donné, je pense que c’était une dizaine de jours avant le vote, elle m’a dit : Régis, il va falloir que tu parles aux enfants. Ils pleurent, ils sont malheureux, il faut que tu leur expliques qu’on va perdre…
J’ai dit : Jamais de la vie, je ne ferai jamais ça !
J’étais fâché. Louise voulait bien faire… effectivement, selon les chiffres, à l’époque, je perdais. Mais une semaine après, le vent a tourné, j’étais en avance dans les sondages… »
Le 2 décembre 2007, Régis Labeaume est devenu le 37e maire de Québec avec 59 % des votes.
Comment explique-t-il sa victoire ? « Dans la vie, il y a quelque chose qu’on appelle le timing. Quand je regarde ça avec le recul, t’arrives dans une communauté et, pour différentes raisons, t’es le bon gars, au bon moment, à la bonne place. C’est sûr que je suis pas pire, j’ai fait une campagne pas pire ; mais ultimement, il faut regarder ça froidement : je suis arrivé au moment où les gens de Québec avaient probablement besoin d’un gars comme moi. »
Il l’a senti tout de suite. « J’ai pris mon fuel dans la rue, moi. J’ai reçu beaucoup d’affection dans la rue. Ah, mon Dieu ! Pis c’est drôle, parce que la phrase que j’ai entendue le plus souvent, c’est Lâchez pas !
. Les gens étaient conscients que faire de la politique dans l’environnement médiatique de Québec, c’était tough. »
Il n’avait aucune intention de lâcher.
photo en noir et blanc, un arbre avec ses branches, sans feuillesDès le jour 1, Régis a tout de suite adoré son nouveau boulot. Dans un entretien au Soleil deux semaines après son élection, il a lancé au chroniqueur François Bourque : « J’ai la plus belle job à Québec. Je vais essayer de la garder. À 51 ans, je me sens rendu là. Je vais être totalement heureux. »
Lors de son assermentation, le nouveau maire a fait cette promesse. « Si j’ai cette ville dans le sang, j’ai aussi un profond sentiment d’attachement envers ceux et celles qui y habitent. Je me sens le devoir de leur transmettre ma fierté, de mettre fin à cette impression de cynisme qui prévaut depuis quelques années. Je souhaite qu’ils retrouvent le respect qui est dû à Québec, le respect envers ses dirigeants et ses institutions. »
Un de ses premiers gestes aura été de sauver in extremis les festivités du 400e anniversaire de la ville, dont les préparatifs piétinaient.
Depuis son élection, il n’a jamais regretté d’avoir quitté son confort, de s’être « botté le cul » pour se lancer en politique. « Je n’ai jamais eu de regrets. Dès le départ, je me suis senti comme un poisson dans l’eau, j’étais sur mon X ! Ah, j’étais heureux en commençant, même à 2 % ou 3 % dans les sondages, j’étais heureux ! »
Il ne pouvait plus chialer. Il avait enfin les coudées franches pour agir, pour apporter ce « quelque chose à la société ». Il en a fait une mission. « Au-delà de ce que les gens peuvent penser, moi je suis une espèce de missionnaire, j’aime ça avoir une mission. Autrement, quand je n’ai pas de mission, je suis incapable de me motiver. J’avais fait de l’argent, retourner en affaires pour en avoir plus, ça ne me tentait pas… »
L’argent le laissait sur sa faim. « L’argent, je n’en ai pas besoin de tant que ça, je l’ai compris un peu sur le tard. J’étais en affaires pour réaliser des choses et un moment donné, je me suis dit : J’ai juste fait de l’argent dans la vie…
Je n’ai pas pris ça dans le bon sens. »
Ça ne donnait pas un sens à sa vie.
N’empêche, cette indépendance financière lui a permis de rester au-dessus de la mêlée. « L’argent, ça me donnait toute la liberté, ça m’a donné une indépendance. Alors pour moi, ça a été très utile. »
Il l’admet, son caractère vif et bouillant ne l’a pas toujours servi, mais, avec le temps, il a appris à s’en servir. « Au comité exécutif, je fais une petite crise une fois par six mois pour que le monde se raplombe un peu. Je savais pertinemment que les politiciens au fédéral et au provincial disaient : Crisse, le fou à Labeaume se fâche, on va faire attention.
Je savais qu’il y avait cette crainte-là qui existait. »
Et quand il se mettait un pied dans la bouche, il ne se défilait pas. « Je ne suis pas une victime. Je suis un gars qui assume. Je mets rarement la faute sur le dos des autres. Je m’assume. Je pense que j’ai été un des premiers politiciens au Québec qui s’est ridiculisé publiquement. »
Depuis 2007, celui qu’on a surnommé « le Napoléon de la Grande Allée » a donné des coups et il en a pris. « Il y a des choses qui m’ont touché, les cochonneries des radios-poubelles, y a des limites. Que les enfants aient été touchés, ça, ça m’a fait mal. » Même chose quand il s’est attiré les foudres des syndicats en voulant renégocier les fonds de pension des employés de la Ville. « L’hostilité était tellement forte que j’ai dû un jour être populiste, on va le dire. Mais c’était la seule façon de s’en sortir. Ce bout-là, je l’ai trouvé pas mal rough, c’est peut-être là où j’ai été le plus blessé. »
Ce bras de fer avec les syndicats a duré des mois, son domicile a été vandalisé, il a même déposé des poursuites en diffamation. À la fin de 2012, il a perdu deux conseillers qui dénonçaient son style de gestion autoritaire.
Il a gardé le cap.
Malgré quelques tempêtes au fil des années, il est resté heureux.
« Si t’as besoin de te réaliser, de te distinguer, la politique bien faite, ça te permet ça. La beauté de l’affaire, c’est que tu es le boss, tu prends les décisions, avec ta gang. Ce qui est magnifique dans cette job-là, c’est que si tu as une idée pas trop folle, tu la partages avec tes collègues et tu dis : Go, on part !
Et tu le fais. Bon, ce n’est pas toujours aussi facile, mais tu as quand même la capacité de réaliser tes idées, c’est un