La politique, peut-on la quitter vraiment ?: Témoignages d'anciens ministres
Par Thalie Rapetti
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À propos de ce livre électronique
Peut-on vraiment quitter la politique ? Existe-t-il une autre vie en dehors d’elle ? Comment s’opère le passage dans cet ailleurs dépourvu à la fois des fastes, des obligations et de la reconnaissance qui, après avoir formé la substance même d’une existence, ne sont plus que souvenirs ?
Thalie Rapetti, auteure du présent ouvrage, nous apporte des réponses à travers la retranscription d’interviews sincères de nombreuses personnalités ayant exercé les plus hautes fonctions au service de l’État et de leurs concitoyens. Leur témoignage direct sur cet « après » – considéré encore pour une grande majorité comme tabou – apporte un éclairage nouveau sur l’évolution de notre société, comme un signe des temps, alors qu’une nouvelle génération de femmes et d’hommes vient d’émerger dans le paysage politique français.
Découvrez un ensemble de témoignages sincères de nombreuses anciennes personnalités politiques
EXTRAIT
Je trouve qu’il y a beaucoup de vanité, non pas dans l’action politique, mais dans la représentation politique, dans le fait de se précipiter vers les honneurs, de chercher à plaire aux électeurs plutôt qu’à les mener vers les bonnes solutions. Être député, c’est très prenant, cela m’a paru, à titre personnel, très lourd. On tient des permanences, j’en ai beaucoup tenues dans mon bureau à Montbéliard, mais aussi en allant dans les différentes communes pour expliquer ce qui se passait au plus haut niveau de la machine d’État. C’est très complexe et, la plupart du temps, les gens se fichent pas mal des grandes questions. Ils ne viennent pas pour discuter de politique, ils viennent trouver quelqu’un qui plaidera leur cause, demander un titre de séjour, une place en crèche. À l’inverse, quand les agriculteurs du Doubs venaient me trouver pour m’exposer leurs problèmes de retraite ou attirer mon attention sur la question des quotas laitiers, cela nourrissait ma réflexion et mon positionnement à l’Assemblée nationale. À part cela, les interventions relevaient plus de la demande individuelle. Certains députés allaient tout à fait dans ce sens.
À PROPOS DE L'AUTEUR
Thalie Rapetti est collaboratrice parlementaire au Sénat depuis 2004.
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Aperçu du livre
La politique, peut-on la quitter vraiment ? - Thalie Rapetti
interrogées.
ENTRETIENS
Huguette Bouchardeau
Jeudi 17 novembre 2016 – C’était un après-midi de novembre, triste et gris, comme souvent en cette saison à Paris. Très simplement, Huguette Bouchardeau m’avait proposé de la rencontrer chez elle, « bien que ce soit un peu petit », comme elle me l’avait confié au téléphone, dans son appartement du XVe arrondissement, situé au 9e étage d’une vaste résidence.
Thalie Rapetti : À partir de quel moment considérez-vous avoir quitté la scène politique ? Quel rôle attribuez-vous aux circonstances dans ce choix ?
Huguette Bouchardeau : Cela s’est fait graduellement, au moment de la première cohabitation. En 1986, je cherchais un travail et j’ai accepté celui de député que m’offrait le parti socialiste. J’avais laissé mon poste à la faculté depuis longtemps et je n’avais pas envie d’y retourner. Je me sentais comme déphasée par rapport à ce que je venais de vivre. Lionel Jospin qui était à la tête du PS m’a demandé si j’avais une préférence. Étant Stéphanoise, j’aurais voulu aller à Saint-Étienne. J’avais l’impression que j’aurais des facilités, mais j’ai vite compris que le poste était pris. Il y avait deux sièges possibles : l’un à Lisieux, l’autre à Besançon. Lisieux ne me disait rien du tout car, pour moi, Lisieux c’était la petite Thérèse, en revanche le Doubs me tentait : j’avais beaucoup de copains à Besançon qui étaient originaires du PSU comme moi. Je suis donc partie dans le Doubs où je pensais retrouver des gens comme Charles Piaget qui s’était engagé dans la bataille de Lip.
L’accueil sur place n’a pas été particulièrement chaleureux. Le député socialiste qui devait prendre la tête de liste s’appelait Guy Bêche, il n’était pas content du tout… J’ai dû accepter de figurer en second sur la liste. L’issue était incertaine, la gauche mal en point. Lionel Jospin pensait que si j’étais là, cela aiderait la liste à démarrer (le scrutin de député était alors départemental). Ce fut le cas et j’ai été élue à Besançon. Deux ans après, il y a eu à nouveau des élections, par circonscription. J’ai choisi de rester dans le Doubs, mais à Montbéliard, circonscription que j’ai occupée jusqu’en 1993. Très vite, j’en ai eu assez, l’atmosphère n’était pas bonne pour la simple raison que je n’étais pas entrée au parti socialiste. Je n’en avais aucune envie, j’avais assisté à certaines réunions de sections où la seule préoccupation consistait à savoir qui on allait présenter à tel ou tel endroit. Cela m’a paru une caricature de la vie politique, c’était très différent de ce que je faisais au PSU, dans le mouvement des femmes notamment où je pouvais me donner complètement. C’était un parti bouillonnant, un parti de luttes ; on participait à la mobilisation des comités, on était à l’écoute de ce qui se passait dans les villes, dans les quartiers. On ne pouvait pas passer notre temps à ne penser qu’aux élections.
TR : Est-ce que l’on quitte vraiment définitivement la vie politique ?
HB : J’ai eu une remontée de désir politique, si l’on peut dire, quelque temps après. Nous avions acheté, mon mari et moi, avant même que je ne devienne ministre, une vieille maison à Aigues-Vives, dans le Gard. Quand j’ai quitté l’Assemblée nationale, nous sommes allés vivre là-bas, c’était fort plaisant mais évidemment, dès les élections municipales de 1995, on m’a demandé si j’accepterais d’être maire. J’ai accepté et j’ai été maire d’Aigues-Vives durant un mandat, de 1995 à 2001, cela semblait davantage correspondre à ce que je recherchais. J’ai lancé à la même époque ma propre maison d’édition. Je ne me suis pas représentée ensuite.
Je n’ai pas trouvé déplaisante l’activité de maire. Aigues-Vives était un gros village de deux à trois mille habitants. Lorsque j’ai réuni les gens qui voulaient entrer au conseil municipal, je leur ai dit : « Je suis quelqu’un de gauche, je ne vous impose absolument rien de ce que j’ai fait, vous n’avez pas à redouter d’avoir des opinions différentes. Je demande une seule chose, qu’il n’y ait jamais dans notre conseil municipal et entre nous, d’expression du racisme. » Dans cette région du Midi, du Gard et de l’Hérault, il y avait vraiment des montées du racisme. Par exemple, dans les rangs de la police municipale, on entendait parler des « gris » à propos des ouvriers agricoles d’origine africaine ou maghrébine qui travaillaient là. Il y avait un racisme latent qu’il ne fallait pas laisser s’exprimer.
TR : Est-ce que l’on ne garde pas toujours en soi l’envie secrète d’être rappelé aux plus hautes responsabilités ?
HB : Quand on parle de la période où j’ai été ministre, je me demande toujours si on va parler de moi. C’est le dernier petit reste d’amour-propre que je conserve de cette époque ! À part cela, non, je ne crois pas. Par la suite, j’ai accepté, parce que j’avais été ministre de l’Environnement, de faire une mission dans la région de Perpignan. Cela concernait le chantier de Vingrau, où l’on extrayait du marbre dans des carrières. C’était localement très tendu. Cette mission m’avait été confiée par Dominique Voynet, alors ministre de l’Environnement. J’étais très contente de faire cela, non seulement parce que je retrouvais quelques facilités de vie, on venait me chercher en voiture et pour aller à Perpignan depuis Aigues-Vives, cela faisait quand même assez loin, et puis je sentais que ma parole était à nouveau un peu écoutée. C’est intéressant en un sens de se dire qu’on n’est pas complètement naze ! J’ai donc fait cette mission et cela a bien marché. Le maire de Montpellier qui, à l’époque, était Georges Frêche, voyait d’un très mauvais œil que quelqu’un d’autre que lui s’occupe d’affaires de ce genre. Rien ne devait lui échapper ! J’ai été l’objet d’attaques injurieuses dans le Midi Libre de la part de l’un des responsables locaux du PS. C’était affreux, jamais je n’avais été ainsi injuriée ! Tout cela parce que nous n’avions pas choisi la solution que proposait le PS qui n’était pas du tout raisonnable et que nous avions choisi une solution qui allait tout à fait dans le sens des gens. D’importants travaux devaient être engagés à flanc de montagne et qui pouvaient être lourds de conséquence pour l’avenir, les gens avaient peur pour leurs cultures de raisin qui étaient à côté, les femmes avaient fait une grève de la faim contre ce projet. Avec cette mission, j’ai eu un grand plaisir d’intervention réussie même si j’ai pu constater que les politicailleries n’avaient pas cessé !
Je me souviens également d’une fête du livre, toujours à Montpellier, quand j’étais éditrice. Cela se passait place de la Comédie, j’étais à mon stand et Georges Frêche était venu faire un discours. Il avait sorti des tas de trucs contre moi, disant que j’étais la honte du coin, tout cela parce que je venais dans son fief ! Il se sentait vraiment comme un féodal, je ne lui prêtais pas allégeance, je n’allais dans aucune de ses réunions et il ne le supportait pas ! Si vous pouviez savoir comme cela me réjouit de voir un Macron qui tente d’échapper au système ! Je ne dis pas que tout est bon et que c’est gagné mais vraiment cela me réjouit !
En 1998, j’ai écrit un petit livre qui s’appelle Le Déjeuner dans lequel je mettais en scène, au cours d’un déjeuner fictif, un politique et un journaliste. La journaliste en question portait les initiales de Christine Ockrent qui, à l’époque, faisait beaucoup de portraits politiques et le politique dont je ne dévoilais pas le nom n’était autre que Guy Bêche. Il présidait la fédération socialiste du Doubs. J’y relatais, entre autres, cette anecdote : un jour, en me raccompagnant à l’aéroport et alors que nous passions tout près de sa circonscription, Bêche m’avait dit : « Tu vois, mon territoire commence là. » Autrement dit, je n’avais pas intérêt à venir empiéter sur ses plates-bandes ! Dans ce contexte, en 1993, j’ai décidé de ne pas me représenter. Moscovici s’est présenté à ma place et n’a pas été élu la première fois. Ce n’était pas facile !
TR : Une fois la page tournée, comment avez-vous envisagé et géré votre retour à la vie « ordinaire » ?
HB : J’avais commencé à écrire essentiellement des livres sur les femmes, leur rapport au pouvoir, quand j’étais à la tête du PSU. Une fois députée, j’ai repris la plume, en particulier pour des romans. J’avais vu un petit peu les problèmes des éditeurs et j’ai eu cette idée folle de créer une maison d’édition. Je le faisais avec d’autant plus de facilité qu’il y avait une vie importante de l’édition qui était organisée dans la région Languedoc-Roussillon et qui nous aidait pas mal à trouver les subventions nécessaires, à nous mettre en rapport les uns avec les autres. Ainsi, je me suis lancée dans cette carrière – c’est un bien grand mot – et dans laquelle on perd beaucoup argent ! C’était d’autant plus fou que je n’avais que ma seule retraite, rien d’autre, je n’avais préparé aucun plan de financement !
TR : Avez-vous et peut-on conserver des amitiés en politique ?
HB : J’en ai conservé quelques-unes, mais pas tellement parmi les députés. J’avais conservé quelques contacts, notamment avec mon prédécesseur au ministère de l’Environnement, Michel Crépeau, que j’aimais bien et qui ne se prenait pas au sérieux. J’aimais bien aussi le député Belorgey qui m’avait invitée, alors que j’étais ministre de l’Environnement, à faire des conférences. J’ai gardé quelques bons rapports comme cela, mais pas tellement autrement, si ce n’est avec mon assistante parlementaire, Catherine Bourassin, avec quelques-uns des membres de mon cabinet. C’est peut-être de ma faute ; je n’ai jamais cherché à courir les réunions, les invitations alors que dans le mouvement des femmes j’avais gardé des contacts beaucoup plus importants et chaleureux. Je suis aussi restée en contact avec Dominique Voynet, nous nous entendions bien. Elle en a bavé, elle aussi, après. Elle était médecin anesthésiste et championne de natation, regardez ses épaules bien carrées ! Elle a pourtant été battue à Montreuil par un accord entre politiques installés.
TR : Concernant votre action en tant que secrétaire d’État chargée de l’Environnement et de la Qualité de la vie puis ministre de l’Environnement, avez-vous des regrets ? Quelles sont vos plus grandes satisfactions ?
HB : En 1986, j’ai écrit un livre à la fin de mon ministère pour témoigner de ce que j’ai fait. Il s’intitule Le Ministère du possible. J’ai décrit en détail les actions que j’ai menées. D’une façon générale, j’avais tout à fait conscience que l’écologie n’était pas dans l’air du temps. Les gens qui se battaient pour la défense de l’environnement étaient des pionniers. En ce qui me concerne, j’ai eu la chance de me trouver à la tête de ce ministère. J’essayais de pousser des projets. Je me souviens de la manière dont Brice Lalonde que je connaissais bien en tant que militante autrefois, était venu me voir peu après mon arrivée au ministère : « Écoute, Huguette, m’avait-il dit, le mieux, c’est que tu me dises sur quoi tu voudrais agir et sur quoi on pourrait t’aider. » C’était très raisonnable et beaucoup plus raisonnable que la plupart des « écolos » de l’époque qui étaient assez rudes.
TR : En tant qu’ancien ministre de l’Environnement, quel regard portez-vous sur les avancées réalisées ces dix dernières années, depuis le Grenelle de l’environnement jusqu’à la COP21 ?
HB : C’est incontestablement plus fort, c’est énorme ! Quand j’ai été appelée à l’Environnement par François Mitterrand, il faut savoir que les écologistes n’existaient pas. Il y avait seulement le mouvement de Brice Lalonde, « Les Amis de la Terre ». Le PSU était le grand parti de la gauche écologiste et donc je dois avouer que ce ministère me convenait comme un gant ! J’ai eu l’appui de Mitterrand directement, de Delors, également, qui était très sympathique, il était passé par le PSU. Mitterrand regardait tout cela de très haut. Je me souviens très bien des bagarres que j’ai menées au plan européen pour faire adapter notamment les pots d’échappement catalytiques qui n’existaient pas. La pollution automobile était énorme et Fabius, à l’époque Premier ministre, manquait de courage à ce sujet. Je n’arrivais pas à obtenir d’accord avec le ministère de l’Industrie. Or, il faut savoir que lorsque les débats s’engagent au niveau européen, il n’est pas question qu’il y ait des dissensions entre les ministères d’un même pays, comme cela pouvait être le cas en France entre les ministères de l’Industrie et de l’Environnement. Les constructeurs français, Peugeot et Renault, étaient très remontés contre ce projet. Ils prétendaient que ce serait la ruine si on mettait ces pots d’échappement catalytiques et que l’avenir de l’industrie automobile française s’en trouverait menacé. Je me souviens de Fabius me disant : « J’ai appris que tu voulais faire passer cette affaire-là, il n’en est pas question. » J’ai réuni les constructeurs français pour essayer d’obtenir une solution modérée et de disposer d’un peu de temps pour le faire, mais c’était difficile. Je me souviens d’une discussion jusqu’à deux heures du matin au Conseil européen au cours de laquelle j’avais obtenu un compromis, et de Fabius me disant : « Tu n’accepteras aucun compromis sans me le soumettre. » J’ai téléphoné à Matignon dans la nuit, Fabius n’était pas là, c’est un conseiller qui m’a répondu : « Si vous avez obtenu un compromis, allez-y ! ».
Une autre fois, je suis intervenue dans Le Progrès de Lyon, malheureusement pour Fabius, au sujet d’un projet de surgénérateur qui devait être installé dans l’Ain. J’ai dit tout le mal que je pensais de ce projet. Au Conseil des ministres suivant, Fabius, qui était assis à côté de moi, m’a dit à voix basse, évidemment, car cela ne faisait pas partie de l’ordre du jour : « J’ai vu ton interview, je t’avertis, la prochaine fois que tu fais un pas de travers comme cela… » Je lui ai répondu qu’il n’y avait pas de pas de travers, mais que le gouvernement ne disait rien, laissait faire et laissait s’affronter des écologistes lyonnais contre des écologistes allemands et que tout simplement les gens essayaient de s’en sortir du côté français. Ce n’est pas très gentil de dire cela mais Fabius n’était pas un modèle de courage. Avec ses ministres en revanche, il ne craignait rien.
La seule fois où il m’a demandé quelque chose qui l’intéressait, c’est quand je me suis rendue dans la région rouennaise, au Petit-Quevilly, pour un projet de construction de murs antibruit. Tout le monde y était favorable. Au Conseil des ministres, Fabius s’est approché de moi et m’a félicitée pour ce que j’avais fait là-bas. Il avait lu plein d’articles en ce sens dans la presse !
TR : Quand vous regardez le chemin parcouru, est-ce votre vie de femme politique ou celle qui s’est dessinée par la suite qui vous a apporté le plus de satisfaction personnelle ?
HB : J’ai eu beaucoup de vies. J’ai fait des études de philosophie, je suis agrégée de philosophie et j’ai donc enseigné cette matière au lycée. J’adorais ce métier. J’adorais faire découvrir à des jeunes cette discipline que l’on n’enseigne, en France, qu’à partir de la classe de terminale. J’adorais aussi leur faire découvrir la psychanalyse, leur parler de la place des femmes dans la société, en plus de la métaphysique, de Kant et de Bergson. J’aimais leur parler de peinture car, venant d’un milieu social modeste, je l’avais découverte grâce à un ami qui suivait des cours d’esthétique. Bref, je voulais leur faire découvrir un tas de choses. C’était merveilleux, j’avais l’impression d’être utile, de faire des choses bien, à tel point que, chaque année, j’organisais dans mon lycée un voyage à l’étranger. Nous sommes ainsi allées en Yougoslavie, en Israël, au Maroc, en Tunisie, en Algérie, pendant un mois. Pour payer ces voyages, bien qu’ils soient très bon marché, nous montions chaque année une pièce de théâtre. C’est ainsi que nous avons donné durant plusieurs années de suite La Maison de Bernarda Alba de Federico Garcia Lorca. C’était la seule que je connaissais dans laquelle il n’y avait que des femmes,