Mes années Malraux: Biographie et galerie de portraits
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À propos de ce livre électronique
Entre 1964 et 1969, Janine Mossuz-Lavau écrit une thèse sur André Malraux et le gaullisme. Elle rencontre nombre de personnalités. Avec Mes années Malraux elle offre au lecteur une galerie de portraits : celui de Malraux bien sûr, qu’elle a vu jusqu’en 1974, mais également celui des personnes qui l’ont côtoyé, de ses débuts en littérature à son bureau du ministère. À travers eux se dessine le profil d’une génération marquée par l’Histoire. Janine Mossuz-Lavau éclaire l’auteur de L’Espoir d’un jour sensible et profondément humain.
Livre préfacé par Florence Malraux, fille d’André Malraux
Découvrez la biographie d'André Malraux, rédigée par Janine Mossuz-Lavau, qui a côtoyé l'écrivain et homme politique de 1964 à 1969.
EXTRAIT
Malraux estimait d’ailleurs dépendre du seul Général et n’avoir rien à faire avec le Secrétariat. Jacques Baumel établit alors pour moi le bilan de ce qu’André Malraux a apporté au RPF : l’écrivain a donné des idées, il a été un inspirateur. Il a joué un rôle « psychologique » important, notamment en incitant le général de Gaulle à créer, face aux partis politiques « classiques », un mouvement original, d’un style très différent. Hanté par l’existence du Parti communiste et par le risque d’une troisième guerre mondiale, Malraux voulait construire une force capable de résister à cette éventualité. Une force qui en impose par sa capacité démonstrative. D’où son insistance pour que l’on organise des meetings dont on dirait aujourd’hui qu’il les concevait comme de grands spectacles. Et là, note Jacques Baumel, « Malraux éclatait de tout son rayonnement ». En prenant la parole juste avant le général de Gaulle, ce que, d’après le député, il était le seul à pouvoir faire. Il rappelle alors le Vel’d’Hiv’ ou encore les Assises de Marseille. On reverra d’ailleurs ce scénario sous la Ve République. Selon Jacques Baumel, c’était Charles de Gaulle qui demandait directement à André Malraux d’intervenir avant lui. Mais l’écrivain refusera toujours d’être candidat à des élections.
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Aperçu du livre
Mes années Malraux - Janin Mossuz-Lavau
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DE LA THÈSE AU LIVRE
À l’orée de l’aventure
1963. Début juillet : je suis diplômée de l’Institut d’études politiques de Paris. J’aurai 21 ans en septembre. Dès lors, je sais que je devrai travailler. C’est entendu avec mes parents qui n’ont pas les moyens de m’entretenir plus longtemps. Mais je n’ai pas pour autant envie d’arrêter mes études. J’ai même le souci de demeurer étudiante toute ma vie. Donc, tout en collectionnant des petits boulots, je décide de faire une thèse. À l’origine, par goût, je suis plutôt une littéraire. Je ne peux que choisir un sujet inscrit dans le vaste champ intitulé « Littérature et politique ». Mais à quel écrivain consacrer plusieurs années de mon existence ? À quel auteur vivant sur lequel il n’y aurait pas déjà trente-six études exhaustives ? Ma décision est vite prise. Ce sera André Malraux, dont j’aime l’œuvre (à l’époque d’ailleurs, je ne l’ai pas encore entièrement lue), dont je connais l’engagement antifasciste des années trente mais sur le choix gaulliste de qui rien n’a encore été écrit. Je dépose le sujet « André Malraux et le gaullisme ». Je ne sais pas dans quelle aventure je m’engage mais je suis enthousiaste. Il faut cependant régler quelques formalités. On ne fait pas une thèse comme cela, simplement parce qu’on en a le désir. Il faut être admis à ce que l’on appelait alors le troisième cycle de l’Institut d’études politiques, être acceptée par un patron de thèse. En l’occurrence, ce sera Jean Touchard, secrétaire général de l’IEP, spécialiste des idées politiques. Mais, pour ce qui concerne le troisième cycle, une première tentative échoue. Pas seulement la mienne d’ailleurs. Nous sommes trois amis, qui nous sommes rencontrés en conférence de méthode, lors de la dernière année du cursus : Michel-Antoine Burnier, Frédéric Bon et moi. Michel-Antoine, considéré par les autorités d’alors comme un brillant sujet destiné à une exceptionnelle carrière universitaire, est admis. Frédéric Bon et moi sommes priés de nous représenter l’année suivante. Nous ne sommes acceptés que comme « auditeurs ». Nous suivrons donc le même enseignement que les admis mais c’est une scolarité « qui ne compte pas ». Nous ne serons des étudiants à part entière du troisième cycle qu’un an plus tard. Pour la petite histoire, Michel-Antoine quittera très vite la rue Saint-Guillaume pour se livrer aux joies du journalisme et du roman, Frédéric Bon et moi resterons dans les services de recherche et d’enseignement. Frédéric jusqu’à sa mort en 1987 et moi sans doute jusqu’à la mienne.
Dès septembre 1963, je trouve un travail, à mi-temps, strictement alimentaire, fastidieux, une chambre au pair, et je commence les lectures et relectures des livres d’André Malraux. J’y prends un tel plaisir que je ne me pose pas les graves questions qui agitent certains de mes condisciples (comme « Ai-je bien fait de choisir ce sujet ? », « Est-ce que cette thèse est faisable ? », « Vais-je y arriver ? », etc.). Le principe de plaisir est au rendez-vous et il va s’imposer pendant très longtemps.
En février 1964, j’ai la chance de pouvoir quitter mon emploi du moment pour entrer au CEVIPOF (à l’époque le Centre d’études de la vie politique française contemporaine) comme collaboratrice technique à mi-temps. Je sais, cela fera sans doute rêver les étudiants d’aujourd’hui qui ne peuvent être candidats à un poste de chercheur que si, à la fois, ils ont soutenu leur thèse, publié des articles dans des revues à comité de lecture, tout en étant suffisamment jeunes. Moi, à l’époque, j’ai 21 ans et quelques mois, un sujet de thèse et d’abondantes lectures sur le sujet. C’est tout. Michel-Antoine Burnier et Frédéric Bon, qui ont obtenu dès octobre un poste similaire, m’ont alertée sur le fait « qu’on cherche quelqu’un pour travailler sur une enquête dirigée par le psycho-sociologue Guy Michelat ». Je suis engagée, mais l’enquête a pris un peu de retard, ce qui me laisse du temps pour poursuivre mes études Malraux. En attendant, on offre mes services à une femme très gentille, Aline Coutrot, spécialiste de la jeunesse, qui me charge de découper pour elle Salut les copains et Nous les garçons et les filles. Je suis donc « installée » à l’IEP de Paris, avec une des meilleures bibliothèques de France, et toute la collection du Rassemblement, toute celle de Liberté de l’Esprit que je vais dépouiller régulièrement en salle de lecture. Il s’agit de la presse du RPF (Rassemblement du peuple français) créé en avril 1947 par le général de Gaulle, et dont Malraux devient alors le délégué à la propagande, Jacques Soustelle en étant le secrétaire général. Pendant les premières années, Malraux intervient beaucoup dans les meetings du parti gaulliste, écrit très fréquemment dans ses journaux et il y a de quoi faire pour découvrir toute cette littérature, comprenant au demeurant quelques textes admirables (comme celui consacré à Staline, se contemplant lui-même devenu dictateur avec ses yeux de jeune homme censé espérer autre chose, article publié dans Carrefour¹).
Rencontrer des témoins
À l’époque, c’est-à-dire quand je me lance dans cette aventure, André Malraux est ministre. Ministre du général de Gaulle, chargé en 1958 de l’information, puis à partir de 1959, des Affaires culturelles. Mon but est de le rencontrer un jour mais ce n’est pas imaginable dans l’immédiat. Il me faut avant beaucoup travailler. Non seulement sur les textes mais aussi en interrogeant des témoins. Ceux qui l’ont côtoyé aux divers moments de son engagement gaulliste. Et tout d’abord pendant la Seconde Guerre mondiale qui marque pour lui un basculement de la première importance. Puis au temps du RPF, ensuite au cours de la traversée du désert, et enfin à partir de 1958. Or, je suis à gauche, les gens que je connais appartiennent plutôt à ce bord-là. Je n’ai pas de contacts avec les milieux gaullistes. Il faut pourtant que j’en trouve. Un peu au hasard, je ne sais plus d’ailleurs par quel intermédiaire, j’y parviens. Je rencontre Jean-Michel Royer qui dirige le journal gaulliste de gauche Notre République. Il me mettra en relation avec Brigitte Friang, qui fut entre autres, l’attachée de presse de Malraux au temps du RPF et entre 1958 et 1959. Une petite femme très vive qui me raconte ses années aux côtés du grand homme boulevard des Capucines puis rue de Solférino.
Grâce à eux, je vais recevoir une invitation pour la cérémonie du 19 décembre 1964 : l’entrée des cendres de Jean Moulin au Panthéon saluée par un discours mémorable d’André Malraux. J’ai une petite place tout au fond d’une tribune officielle. Il fait un froid de Sibérie ou presque. Mais malgré les frissons, je ne bronche pas. C’est la première fois que je « le » vois en vrai. À quelques mètres – ou dizaines de mètres – de moi. Et quand s’élève le célèbre « Entre ici, Jean Moulin, avec ton terrible cortège », je suis presque en larmes. Mon père a été un grand résistant. Toute mon enfance a été bercée par les récits des maquis. J’ai le sentiment que c’est aussi un peu à lui que l’on rend hommage. Lui, anonyme dans sa Haute-Savoie natale, qui récupérait – avec ses compagnons de lutte – les armes parachutées par les Anglais, qui les essayait dans la cave de notre maison et les montait ensuite au Plateau des Glières. Ai-je perçu ces détonations lorsque j’étais dans mon berceau, ou plus tard quand je gambadais sur mes petites jambes tout autour de la maison ? Toujours est-il que je n’ai jamais entendu sans sursauter les pétards du 14 juillet, les grondements du tonnerre ou n’importe quel bruit s’en approchant.