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Portraits-Souvenirs: Témoignage politique et personnel
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Livre électronique245 pages3 heures

Portraits-Souvenirs: Témoignage politique et personnel

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À propos de ce livre électronique

Philippe Moureaux nous révèle le vrai visage souvent méconnu de plusieurs personnages qui ont marqué sa vie et notre histoire récente.

Il les décrit avec une réelle sérénité et toujours une certaine empathie y compris pour ses adversaires politiques. On ne sera pas étonné de trouver dans cet ouvrage les portraits de ses proches, de sa famille mais aussi de ses amis ainsi que de ses rivaux politiques.
Philippe Moureaux, homme politique (PS), Ministre d’État, Ministre de l’Intérieur, Ministre de la Justice, député, sénateur, a exercé la fonction de bourgmestre de Molenbeek de 1992 à 2012.

Une galerie de portraits inédits dressés par une figure marquante de la politique belge !

EXTRAIT

Elio ! Oui ! Elio ! Monsieur le Premier ministre, Monsieur le Président, Camarade Président, Monsieur le Ministre-Président, Monsieur le Ministre d’État, Monsieur le Bourgmestre et bien d’autres titres plus ou moins prestigieux, mais au sein du PS et en bien d’autres lieux, foin de cette titraille. Elio est Elio. Il a réussi à faire de son prénom une appellation contrôlée qui induit le plus grand respect.
L’âge d’Elio ? Il n’a pas d’âge. Il est jeune, toujours jeune, toujours fringant, toujours alerte. Regardez-le marcher, il a la démarche souple et rythmée du jeune fauve conquérant. Il adore les vêtements à la mode dans la jeunesse sportive. Certes, il se plie au protocole, mais il affiche alors sa marque de fabrique, un nœud papillon digne de la nuée de souliers de Carrie Bradshaw dans Sex and the City. Il a d’ailleurs quelque chose du New-Yorkais progressiste, aussi bien dans ses convictions politiques que dans son mode de vie.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Docteur en philosophie et lettres, Philippe Moureaux est historien, professeur émérite de critique historique et d’Histoire économique de l’Université Libre de Bruxelles.
LangueFrançais
ÉditeurJourdan
Date de sortie13 juin 2017
ISBN9782390092698
Portraits-Souvenirs: Témoignage politique et personnel

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    Aperçu du livre

    Portraits-Souvenirs - Philippe Moureaux

    Portraits-souvenirs

    Introduction

    Arrivé à un certain âge, au moment où la nécessité d’une action intense s’estompe, on est toujours tenté de se retourner, d’esquisser un bilan de son propre passé. La démarche a des aspects irrationnels. Ce qui fut, fut et le tourner et le retourner dans son esprit a quelque chose de malsain. Comment conjurer cette sorte de besoin lancinant ?

    Pour aller au-delà de l’évocation permanente du passé, il existe une méthode qui a fait ses preuves : prendre à bras-le-corps ce qui pourrait devenir une occupation permanente de la pensée, l’évoquer sans retenue, faire l’effort de mémoire que cela implique et saisir, figer dans l’existence, tous ces souvenirs qui quitteront en partie votre esprit en s’imprimant sur une feuille de papier.

    Le recueil qui suit répond à cette thérapie que beaucoup pratiquent sans en prendre conscience, comme Monsieur Jourdain faisait de la prose sans s’en rendre compte. Encore faut-il choisir le fil conducteur pour remonter dans le temps. La méthode la plus classique consiste en une écriture de ce qu’on appelle pompeusement des « mémoires ». L’exercice est périlleux et conduit souvent à écrire des pages sans fin où l’auteur tente de reconstituer artificiellement l’ensemble de son parcours, y compris des épisodes sans réel intérêt.

    Professeur de critique historique, je mettais en garde mes étudiants contre ces comprimés de passé sans spontanéité, parfois habités par une volonté de gloriole.

    L’autre méthode consiste à vous arrêter aux faits importants qui ont marqué au fer rouge votre cheminement et en décrire le souvenir que vous en avez conservé. Rarement utilisée, cette technique a ses mérites.

    J’ai cependant choisi une troisième méthode, celle de l’humain, l’évocation du passé, parfois ancien, parfois récent, à travers des portraits de quelques personnes qui nous ont marqués.

    ***

    Un ami, à qui j’avais demandé son avis sur un des textes que je publie aujourd’hui, m’avait suggéré de ne pas entamer mon récit à la première personne, ce qui donnait l’impression que j’étais le principal acteur de cette évocation. Sa remarque était pertinente, mais elle faisait fi du fait que « mes portraits » ne sont ni l’œuvre d’un historien, ni celle d’un journaliste. Ce sont des portraits-souvenirs. Les paragraphes descriptifs ou à caractère historique sont uniquement là pour mettre mes souvenirs en perspective.

    Dans ces textes, je ne présente pas au lecteur des biographies condensées de quelques personnes que j’ai croisées dans ma vie. Je tente modestement de les évoquer à travers mon témoignage personnel.

    Travail subjectif, donc ! Cela ne fait aucun doute mais ne m’a pas empêché de l’entreprendre dans un esprit d’honnêteté. Je ne cherche pas à noircir les uns ou à blanchir les autres, mais à donner l’image que j’en ai conservée à travers le temps, parfois à travers des anecdotes.

    L’entreprise que j’ai mise en route avec le portrait d’André Cools, une des personnes qui a compté le plus dans ma vie, aurait pu me conduire au-delà du raisonnable en alignant des dizaines de textes… J’ai donc choisi quelques personnes, parfois en fonction du rôle qu’elles ont joué, parfois simplement parce qu’elles me paraissent représenter un type d’homme ou de femme intéressant à croquer.

    Pour la première partie de ma vie, je me suis contenté de brosser un portrait de mes parents. J’aurais pu parler de ma sœur, de mon frère, d’autres membres de ma famille, de mes instituteurs, des amis de mes parents. Que dire des personnes qui travaillaient chez papa et maman et qui m’ont initié au monde du dur labeur manuel que je ne connaissais pas dans ma famille bourgeoise ? Noël et Lucienne, lui ancien mineur, elle ancienne ouvrière dans une verrerie, tous deux originaires de la région de La Louvière, anciens militants communistes, m’ont apporté la foi dans le nécessaire combat de gauche. Marcel, ancien ouvrier de l’industrie dans le Nord de la France, m’a ouvert les yeux sur la richesse du marxisme qu’il avait découvert dans les formations de la CGT. Noël, la générosité personnifiée, me montrait ses bras noircis par les poussières de charbon qui avaient pénétré sous sa peau. Il me racontait ses exploits pendant la guerre, lorsqu’il participait à la résistance armée. Marcel, Flamand venu de Mouscron, avait un discours plus âpre, plus militant, mais aussi plus structuré. Leur école a joué un rôle décisif dans ce que je deviendrai, plus tard. Je leur dois beaucoup !

    À l’université, j’ai eu la révélation de la liberté et de la connaissance. Des professeurs d’exception, l’historien Stengers, aussi érudit que passionnant, le géographe Gourou, venu de France et modèle de pédagogie structurée. Bien sûr, Maurice Arnould, mon maître, celui qui m’a formé, avec son bagage intellectuel exceptionnel, son érudition incroyable et ce sens du détail qui fait l’historien accompli, celui qui recherche pas à pas la vérité dans les textes du passé.

    La découverte des femmes ! Vivant très enfermé dans la maison familiale et élève d’un athénée pour garçons, je connaissais les filles uniquement par mes déplacements, des regards furtifs dans le tram, malgré une timidité sans pareille. J’avais ma sœur qui présentait tous les atouts d’une belle adolescente. À travers elle et ses amies, je pouvais esquisser quelques rêves.

    L’université me plonge du jour au lendemain dans un univers mixte. Je n’en dirai pas plus. Je n’aborde pas dans ce livre mes rapports avec les femmes qui ont pris cependant une grande importance dans ma vie. Je dirai simplement que j’ai vécu de grandes passions et que, d’une façon générale, j’ai rencontré beaucoup plus de courage et de générosité chez les femmes que chez les hommes.

    Dans mes premières années de vie professionnelle, surtout dans les années où je préparais ma thèse de doctorat, je me suis replié sur mon travail, tel un bénédictin dans son scriptorium. Il m’est difficile de comprendre aujourd’hui comment j’ai pu m’astreindre à pareille discipline. Mon parcours universitaire m’a fait rencontrer Hervé Hasquin qui, un peu plus jeune que moi, a suivi la même formation avec le même patron. Ensemble, nous avons œuvré à l’accélération de la scission linguistique de l’ULB. Ultérieurement, lorsque j’étais membre du bureau de l’université, j’ai été propulsé dans la commission très resserrée qui était chargée de préparer cette scission. Je m’y suis retrouvé en compagnie du gouverneur de la Banque nationale, le Baron Anciaux, personnage un peu archaïque qui avait quelque fierté à nous réunir sous les ors de l’imposant édifice de la banque. Je m’initiais aux difficultés communautaires qui occuperont ultérieurement une grande partie de ma vie politique.

    Ma thèse de doctorat. Un sans faute universitaire. Elle m’ouvre la voie d’une carrière professorale.

    Très vite, Mai 68, mon engagement dans la contestation, mais toujours avec une volonté pragmatique qui me séparaît de la partie la plus exubérante du mouvement. Au moment des examens, grand débat de principe : les professeurs et assistants contestataires doivent-ils refuser d’organiser ces épreuves ? Deux conceptions s’opposent. Je prends la tête du groupe qui refuse de pénaliser les étudiants en pratiquant le boycott. Nous décidons d’organiser une réunion entre tous les enseignants qui participent au mouvement. La joute oratoire me met face à un brillant assistant en philosophie, qui portait haut le drapeau de la contestation radicale, Georges Miedzianagora. Les échanges sont véhéments. En fin de réunion, intervient un vote qui donne une large majorité à la tendance à laquelle j’appartiens. Cet épisode en général passé sous silence dans les évocations des événements de 68 m’apparaît comme essentiel. Il me conforte d’ailleurs dans ma position de médiateur.

    En effet, dans la foulée, à l’initiative du professeur Jottrand de la faculté polytechnique, nous formerons un quatuor d’une redoutable efficacité. Jacqueline Liberski pour le personnel de l’université, Pierre Motyl pour les étudiants et moi-même pour le corps scientifique, nous négocierons l’accord qui permettra à l’ULB de redémarrer avec succès dans un contexte entièrement neuf. Je raconte la suite des événements dans mon portrait d’Henri Simonet. Ma proximité avec ce leader incontesté du socialisme bruxellois de l’époque me fait prendre conscience de l’intérêt qu’il y a, pour les idées que je défends, à collaborer avec une formation progressiste qui a une influence réelle sur la vie sociale. Je m’inscris au PSB¹ (encore unitaire). Ce changement d’attitude va m’ouvrir une opportunité exceptionnelle, celle de rencontrer et de travailler plus étroitement avec André Cools. Je raconte cette belle aventure qui se termine tragiquement avec l’assassinat de celui que je considère comme mon deuxième père.

    Après mon passage dans un cabinet ministériel, André Cools m’emporte dans ses bagages quand il devient président du parti. Il m’installe dans un petit bureau situé au deuxième étage de l’immeuble du boulevard de l’Empereur, avant de me faire désigner comme directeur de l’Institut Vandervelde.

    Grâce à lui, je découvre des personnalités attachantes. La plus remarquable de ces rencontres est constituée par un quatuor d’intellectuels qui avaient fait des études littéraires à l’Université de Liège. Tout commence avec Alain Van der Biest qu’André Cools me propose de rencontrer après avoir fait sa connaissance lors d’une assemblée de la section locale de Grâce-Hollogne. Nous nous voyons d’abord dans mon modeste cagibi. Ensuite, nous nous retrouvons devant une table de restaurant. Je découvre une personnalité séduisante, faite d’un mélange harmonieux de culture, d’intelligence et de maîtrise de l’ironie la plus décapante. Il professe des idées de gauche, proches de celles du Français Jean-Pierre Chevènement. Le courant passe à merveille et nous décidons sans hésitation de collaborer. Pendant quelques années, l’entente sera parfaite. Elle commence à vaciller lorsqu’Alain, accumulant succès sur succès, devient de plus en plus mégalomane, pour ensuite se faire rattraper par un goût immodéré pour l’alcool, qui le conduira à sa chute. J’aurais pu faire un portrait vivant, contrasté, attachant et inquiétant de cet homme au destin tragique. J’ai hésité et renoncé finalement, me sentant incapable de rendre compte de la complexité de celui qui, avant d’avoir pris ses distances à l’égard d’André Cools et de moi-même, avait été un grand ami.

    Dans le petit groupe auquel appartenait Alain, il y avait d’autres personnalités tout aussi attachantes et plus équilibrées.

    François Pirot, le grand lettré, médiéviste accompli, qui, après avoir servi André Cools, devient le conseiller le plus proche du président Spitaels. Cet homme à l’intelligence multiforme et foisonnante a accepté malheureusement de s’occuper des finances du parti qui, à l’époque, reposent en grande partie sur des dons de firmes privées. François sombre avec ce système contestable, mais pratiqué par toutes les formations politiques. Pour son grand malheur, il est abandonné en rase campagne par son patron qui, pour se défendre, n’hésite pas à l’accabler !

    Georges Bovy, issu aussi de la section romane de l’université de Liège, m’a rejoint un peu plus tard pour devenir un de mes collaborateurs les plus brillants. D’une intelligence robuste et d’une force de travail hors du commun, il fait ses preuves dans les domaines les plus inattendus. Cet ancien professeur de français est à l’aise aussi bien dans les arcanes de nos institutions que dans les problèmes financiers. Je lui dois beaucoup. Pondéré, imaginatif et chef d’équipe apprécié de tous, il a dirigé mon cabinet ministériel pendant les années les plus délicates de mon parcours au sommet de l’État.

    Le quatrième mousquetaire, Maurice Demolin, grand ami d’Alain Van der Biest lorsque je l’ai connu, est devenu secrétaire de la fédération socialiste de Liège. Il a été victime de la purge qui a suivi l’assassinat d’André Cools. Un exemple parmi d’autres qui nous rappelle que, contrairement à l’adage, souvent, le crime paye !

    ***

    Je reviens à mon parcours. Au moment où les socialistes rejoignent le gouvernement, André Cools désigne comme vice-Premier ministre un vieil ami de la gauche socialiste, Léon Hurez, personnalité d’une grande sincérité et d’une réelle intelligence, mais aussi, personnalité parfois intimidée face aux manœuvres de partenaires retors, en particulier Léo Tindemans, Premier ministre que j’évoque en quelques traits dans ce livre.

    André Cools me propulse à la tête du cabinet de Léon Hurez pour être la vigie de la mise en œuvre du pacte d’Egmont, le projet de réforme de l’État qui était soutenu par un kaléidoscope de partis politiques. Cette mission, je l’accomplis avec une volonté de réussir qui occupe mes jours et mes nuits, au point de me faire craquer psychologiquement. Je me sens dans un état d’épuisement et je confie à André Cools mon souhait de décrocher. Il me regarde et, très paternel, me prescrit un mois de repos ! Je suis son conseil et, revenu aux affaires, je reprends les choses en main avec fougue. Je connaîtrai ultérieurement des périodes encore plus dures à la fois en termes psychologiques et en termes physiques. Je passerai à travers. Je m’étais endurci.

    Après l’échec du pacte d’Egmont et une longue période d’incertitude, un nouveau gouvernement se constitue sous la houlette de Wilfried Martens. Je conserve mon job de chef de cabinet mais, désormais, sous la direction de Guy Spitaels. Dans l’esquisse que je fais de la personnalité de celui qui deviendra ultérieurement président du PS, j’évoque ces moments délicats de mon cheminement politique.

    Je ne m’attarde pas sur la suite des événements dans la mesure où ils sont décrits dans le cœur de cet ouvrage.

    Un grand absent, dans mes portraits : Jean-Luc Dehaene ! En écrivant ces lignes, je m’interroge. Pourquoi ai-je renoncé à évoquer de façon détaillée cet homme politique belge d’une envergure exceptionnelle, avec qui j’ai vécu de grands moments en parfaite symbiose ? Timidité ? Peur d’altérer une image que j’aurais voulue sans tache ?

    Jean-Luc, je l’ai connu comme chef de cabinet du Premier ministre Martens. Au départ, nos rencontres, nos discussions, nos ébauches de solutions étaient la suite logique des fonctions que nous assumions respectivement. Débroussailler les dossiers délicats s’impose à nous comme une mission que nous devons remplir pour les deux principales forces politiques du pays. Très vite, je constate, lui aussi, je crois, que nous avons l’un et l’autre une propension assez rare en politique, celle de vouloir comprendre « l’autre » et, celle de défendre sans complexe les thèses de nos formations respectives ! Sans oublier une discrétion sans faille sur nos entretiens en tête à tête.

    On ne se rencontre pas fréquemment, mais chacun de nos rendez-vous permet soit de contourner un obstacle que connaît le gouvernement, soit d’arbitrer un dossier difficile qui pointe à l’horizon. Le public averti connaît nos connivences en matière institutionnelle, qui permettront notamment de créer la Région wallonne et de donner un statut d’autonomie à la Région bruxelloise, mais ignore nos interventions nombreuses et nos décisions dans d’autres domaines, en matière budgétaire et en matière de politique internationale.

    À cette époque, vice-Premier ministre, je suis au four et au moulin, je me lie d’amitié avec mon voisin au Conseil des ministres, Hugo Schiltz, le représentant de la Volksunie, allié indispensable au sein du gouvernement de l’époque. Hugo, élégant, cultivé, affable, me séduit par sa franchise et son ouverture d’esprit. Il me fait comprendre la perception flamande du dossier de l’amnistie. On prend conscience que nous pourrions, si nous étions suivis par nos formations politiques, coudre un compromis qui permettrait d’enlever cette épine du pied de la malheureuse Belgique. Lorsque nos collègues, emmenés par Jean-Luc, interrompent une réunion ministérielle et se précipitent pour suivre un match de foot, nous restons un peu esseulés face à des chaises vides. C’est le moment des confidences politiques et des discussions interminables sur des sujets culturels. Curieux, cet espace d’amitié qui se crée entre le porte-parole du petit peuple de Bruxelles et le chantre de la bourgeoisie flamingante.

    Au sein même du gouvernement, j’apprends à mieux connaître Philippe Maystadt, un politique entouré d’une sorte d’aura qui le situait pour beaucoup en dehors du monde politique proprement dit. J’ai utilisé la formule « j’apprends à mieux connaître » pour indiquer que cette démarche n’était pas simple. Le « gendre idéal » est affable avec ses collègues. Il élève rarement le ton, esquivant habilement les critiques qui lui sont adressées. Il le fait avec d’autant plus de talent que ce travailleur, à l’intelligence aiguisée, connaît parfaitement ses dossiers. Dans ce gouvernement où les socialistes pèsent lourd après quelques années d’absence, la direction de son parti n’a pas confié à un démocrate-chrétien la fonction de vice-Premier ministre PSC², qui est occupée par Melchior Wathelet senior, classé à droite au sein de sa formation politique.

    Philippe Maystadt représente pour moi le prototype du centriste animé d’un réel sens social. Prudent, il a réussi l’exploit d’occuper le ministère des Finances sans faire de vagues. Le monde de l’argent appréciait son pragmatisme et les syndicats ne boudaient pas certaines de ses sorties médiatiques. Un exemple ! À la veille de la confection du budget, opération déjà délicate à cette époque, il présente à la presse quelques idées qui, à son sens, doivent guider le travail gouvernemental. À cette occasion, il n’hésite pas à briser une lance en faveur d’une contribution sociale généralisée pour financer le secteur social. La première fois que je prends connaissance de sa prise de position, je me réjouis, convaincu d’avoir un allié en faveur d’une mesure qui me paraît nécessaire. Les travaux budgétaires commencent et je me lance dans une tirade pour la création de cette cotisation généralisée. Très vite, je déchante. Je ne reçois aucun appui de mon collègue démocrate-chrétien. Je suis totalement isolé. Je lui demande des explications à la sortie de la réunion et il me répond avec ce fin sourire qui le caractérise, qu’il ne faut pas perdre son temps à défendre une cause juste, mais dont on sait qu’elle n’a aucune chance d’aboutir dans ce cénacle.

    À sa décharge, on doit rappeler qu’en politique, il y a toujours une différence entre l’idéal et le réel. N’empêche que j’ai toujours regretté que cet homme de qualité n’ait pas profité de sa position de ministre des Finances pour participer à un débat qui, de toute façon, devait un jour aboutir, d’une manière ou d’une autre. 

    Willy Claes, dont je fais le portrait, nous étonne toujours par son pessimisme teinté

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