L' ARME DE LA BIENVEILLANCE
Par Ani Lodrö Palmo
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À propos de ce livre électronique
Ani Lodrö Palmo
À 50 ans, Ani Lodrö Palmo part à la quête de sa vie spirituelle et prend les vœux monastiques. Après avoir passé 9 ans au Cap Breton, dans un monastère isolé de toute civilisation, elle revient à Montréal, où elle enseigne, entre autres, à la Maison des Leaders, au centre Shambhala et à l’UQAM, dans le cadre d’un projet pilote sur la méditation et le travail.
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Aperçu du livre
L' ARME DE LA BIENVEILLANCE - Ani Lodrö Palmo
Beauduin
PROLOGUE
Une petite communauté
monastique
au bout du monde
Au Québec, et dans les pays de l’Ouest en général, le mot « monastère » évoque tout de suite l’image d’un cloître chrétien relativement austère où moines et moniales vivent en silence et complètement retirés du monde, dans leurs couvents respectifs bien sûr, afin de consacrer une bonne partie de leur temps à la prière. À l’abbaye de Gampo, le monastère bouddhiste où j’ai vécu, les choses sont assez différentes. Pour bien vous situer et éviter tout malentendu, je crois qu’une brève présentation s’impose.
L’abbaye de Gampo est située au Cap-Breton, à quelques kilomètres de Pleasant Bay, un petit village qui compte tout au plus 200 habitants durant la belle saison. L’endroit est donc complètement isolé . En hiver, par mauvais temps, on y est complètement coincé. Ces jours-là, il m’arrivait parfois de penser : « Ma belle, si tu as une crise cardiaque ici, tu es fichue ! »
En 1984, lorsque Chögyam Trungpa, le fondateur de la tradition Shambhala, a visité les lieux avant de donner son accord à l’établissement du monastère, il a dit en riant : « Je n’ai qu’une seule réticence… C’est si beau que les moines vont passer leur temps à léviter ! » Je n’ai jamais vu personne léviter, mais je me suis retrouvée souvent muette et tranquille devant la splendeur du lieu. Pendant mes années au monastère, la nature a été une perpétuelle source d’émerveillement et de guérison pour la fille de la ville que j’étais. Dans les moments difficiles, j’ai certainement trouvé dans la beauté de mon environnement un apaisement et un encouragement à persévérer. Dans les moments heureux, j’y ai vu une bonne raison d’apprécier la richesse du monde et ma propre vie. Imaginez un peu… Les bâtiments principaux sont situés sur une falaise assez élevée . Pas très loin devant, la mer et le ciel à l’infini . Derrière, les montagnes et les vastes forêts qui prennent la couleur des saisons, chacune avec la qualité d’enchantement qui lui est propre.
En été, du balcon de l’abbaye, on peut voir les baleines. Les orignaux ne craignent pas de brouter tout près et, jusqu’à récemment, une famille de renards avait l’habitude de venir manger dans nos mains. De gros corbeaux noirs hantent le voisinage et il arrive que l’on puisse voir un aigle à tête blanche voler haut dans le ciel. De nombreux écureuils mènent une inlassable guerre de territoire en poussant leurs petits cris stridents. Un jour de printemps, alors que j’étais en retraite dans un ermitage proche de l’abbaye, j’ai ouvert ma porte pour trouver un ours en train d’explorer avec une concentration exemplaire le sac d’ordures que j’avais malencontreusement laissé sur la véranda !
Une petite communauté non cloîtrée d’une dizaine de moines et de nonnes réside en permanence à l’abbaye. La mixité des genres m’a tout de suite plu. J’aime la compagnie des hommes. J’aime aussi que les énergies féminine et masculine soient toutes deux présentes dans une communauté. J’aurais sans doute eu de la difficulté à vivre dans un environnement exclusivement féminin. La vie des moines et des nonnes s’organise autour de trois grandes activités : la pratique de la méditation, l’étude de la sagesse bouddhiste et shambhalienne, et le service à la communauté qui peut prendre diverses formes, de la lessive à l’enseignement .
Le silence tient une place importante dans la vie quotidienne, mais il y a de nombreux moments où l’on peut s’exercer à l’art important de la conversation. En été, il arrive même que l’on fasse une « grosse sortie » à Pleasant Bay pour acheter une crème glacée. Aussi, à chaque 1er juillet, les résidents du monastère jouent une partie de balle-molle au village avec les pompiers volontaires. En 20 ans, ils n’ont remporté qu’une seule victoire, et cela même quand les pompiers jouent avec leurs bottes !
L’abbaye est également ouverte aux laïcs bouddhistes – hommes et femmes, jeunes et moins jeunes. Ils séjournent au monastère de six mois à deux ans en moyenne. Ils vivent, pratiquent et travaillent avec les moines et les nonnes . Durant leur séjour, il leur est possible, s’ils le souhaitent, de prendre des vœux temporaires et de porter les robes monastiques .
L’été, l’abbaye offre des retraites ouvertes au grand public et, parfois, un programme de quatre semaines destiné aux jeunes de 18 à 25 ans qui veulent faire une brève expérience de la vie monastique. Comme dans la plupart des monastères, c’est aussi la saison durant laquelle les touristes affluent .
Depuis 1990, des méditants qui ont l’entraînement requis ont la possibilité de faire une retraite traditionnelle de trois ans, qu’ils aient pris les vœux monastiques ou non. Cette retraite a lieu dans un bâtiment réservé à cette fin, dont le nom, Söpa Chöling ou Forteresse de la patience, est pour le moins évocateur ! L’abbaye de Gampo fait partie intégrante de Shambhala International, une organisation par ailleurs essentiellement laïque .
Shambhala affirme sans hésitation que la nature fondamentale de tout être humain est bonté, chaleur et intelligence. Cette nature peut être dévoilée grâce à la méditation et à l’intégration personnelle de profonds enseignements de sagesse . Elle peut s’épanouir dans notre vie quotidienne – qu’on soit laïc ou moine – pour rayonner dans notre famille, notre cercle d’amis, notre communauté et enfin dans la société tout entière . En ce sens, Shambhala est un mouvement de transformation à la fois spirituel et social.
Shambhala International est sous la direction spirituelle du Sakyong Mipham Rinpoché qui a demandé à Ani Pema Chödron, nonne et auteure bien connue, d’être l’acharya ou enseignante principale de l’abbaye . Elle y réside donc pour des périodes de plus ou moins longue durée, en particulier durant la Retraite du temps des pluies qui a lieu en hiver et qui dure sept semaines .
L’abbé du monastère, le Vénérable Thrangu Rinpoché, ne réside pas à l’abbaye mais, jusqu’à tout récemment, il y séjournait quelques jours chaque année malgré un agenda chargé. Ses enseignements et ses directives ont contribué à modeler et à inspirer la vie des moines et des nonnes.
La direction administrative du monastère est assumée par des laïcs, en général des pratiquants de longue date assistés par un conseil monastique qui regroupe tous les moines et nonnes ayant pris des vœux à vie. C’est dans cette petite communauté perdue au bout du monde que j’ai atterri à l’âge de 50 ans. Pur délire ou grande sagesse, avant de débarquer avec armes et bagages, je n’y avais jamais mis les pieds. J’arrivais toute fraîche, complètement ignorante et le cœur empli d’espoir…
INTRODUCTION
Le monastère
dans notre cœur
« Il existe un moine en
chacun de nous. Nous voulons
vivre cette vie de silence et de
perfection . Quand nous perdons
contact avec cette aspiration,
nous souffrons beaucoup. »
– Révérend Norman Fisher
Avez-vous déjà pensé à vous faire moine ou nonne ? Je parie que non.
Chose certaine, la vocation monastique, voire l’entrée en religion comme on disait autrefois, n’apparaît plus comme un choix de vie intéressant ni même valide. En effet, elle est souvent perçue comme une folie, une négation inutile et insensée des simples joies humaines, ou encore comme une fuite du monde avec toutes les responsabilités et les contraintes que la vie moderne impose .
Étrangement, en parallèle avec cette désaffection, au Québec comme en Europe, les hôtelleries monastiques sont très fréquentées. Elles accueillent généreusement des laïcs souvent fatigués, stressés, en mal de silence et de solitude.
En mal de sens aussi.
De plus, certains longs métrages qui évoquent la vie monastique chrétienne ont connu un succès étonnant. Je pense au film Le grand silence qui illustre la vie austère et profonde des chartreux et à Des hommes et des dieux qui raconte de façon bouleversante comment un engagement indéfectible envers la paix et la fraternité humaine peut dicter des choix incompréhensibles au commun des mortels.
Aussi, parmi les leaders spirituels de notre temps les plus lus et les plus respectés, on compte de nombreux moines et nonnes bouddhistes dont le Dalaï-Lama, Thich Nhat Hanh, Ajahn Chah, Matthieu Ricard et Ani Pema Chödron. On aime ou on n’aime pas, mais on ne reste pas indifférent devant une façon de vivre tout à fait à contre-courant de la culture dominante en ce début du 21e siècle.
Certes, les monastères se vident . Toutefois, la vie et la culture monastiques intéressent toujours et même fascinent . Il semble que plus le désarroi, l’anxiété, l’agression, l’ambition, la confusion et la solitude des humains de notre siècle augmentent, plus ces îlots de calme et de silence exercent un puissant pouvoir d’attraction. Consciemment ou non, nous sommes touchés par la folle aventure de ces femmes et de ces hommes dont les modestes habits nous rappellent silencieusement qu’il y a quelque chose de si important et de si précieux dans l’expérience humaine que cela vaut la peine d’y consacrer toute sa vie.
Partir
Le Révérend Norman Fisher, un prêtre zen, disait : « Il existe un moine en chacun de nous. Nous voulons vivre cette vie de silence et de perfection. Quand nous perdons contact avec cette aspiration, nous souffrons beaucoup. » J’ai tendance à le croire parce que cette perte de contact, je l’ai vécue. J’ai alors touché jusqu’à la nausée l’ennui, le désarroi et la souffrance qu’elle fait naître .
En l’an 2000, j’avais, à 50 ans, ce qu’on peut appeler « une bonne vie ». Je venais d’emménager dans un appartement de rêve. Mon fils Xavier était de retour au pays après une longue tournée comme trapéziste au Cirque du Soleil. J’avais un cercle d’amis fidèles qui m’apportaient le confort affectif dont j’avais besoin. Je n’aimais pas mon travail au Conseil régional de développement de l’Île de Montréal¹, mais je gagnais un bon salaire et mes compétences étaient reconnues .
Sur le plan spirituel, au terme d’une quête de plusieurs années, j’étais devenue bouddhiste, séduite par la profondeur de cette tradition, sa proclamation de la bonté, de la dignité et de l’intelligence humaines, son approche non dogmatique ainsi que les moyens simples et concrets qu’elle offre pour se libérer de la confusion et de la souffrance. J’avais aussi trouvé une communauté au sein de laquelle je me sentais à l’aise, le Centre de méditation Shambhala à Montréal . Toutefois, mes réalisations spirituelles me semblaient bien minces. Je ne pouvais blâmer que moi-même, car je faisais les choses à moitié et cela me rendait misérable. Pour tout dire, j’avais le sentiment d’être une fraude ambulante. Il m’arrivait trop souvent d’avoir honte de ma conduite . L’attention au moment présent, le calme mental, la douceur et la compassion, toutes ces belles qualités que l’on associe habituellement au bouddhisme s’envolaient bien loin quand je chaussais les souliers d’une professionnelle hyperactive, ambitieuse, performante, parfois manipulatrice et entêtée .
Je sentais donc un pressant besoin de m’éloigner – ne serait-ce que pour un temps – de la vie trépidante et in-signifiante qui était la mienne. J’aspirais de tout mon cœur à trouver la paix de l’esprit et un sens à ma vie .
La vie monastique me semblait alors la seule façon de réaliser ces buts. J’ai donc tout quitté – mon fils, mes amis, mon travail, mon bel appartement, mon confort, ainsi qu’un tas de petites et grandes choses auxquelles j’étais très attachée – pour me rendre à l’abbaye de Gampo où j’ai vécu pendant neuf ans sous la direction spirituelle du Sakyong Mipham Rinpoché et d’Ani Pema Chödron. Ces années comptent certainement parmi les plus importantes de ma vie et je ne regrette aucunement le choix que j’ai fait alors.
Une question d’orientation
Faut-il en déduire qu’il est impossible de goûter, ailleurs que dans un couvent, la paix, la liberté et le contentement auxquels nous aspirons ? Pour vivre une spiritualité authentique, devons-nous inévitablement prendre les vœux monastiques ou nous retirer du monde ? Bien sûr que non . Si c’était le cas, l’humanité serait dans une impasse .
Je souhaite de tout cœur que la tradition monastique demeure bien vivante dans nos sociétés, et si ce livre inspire quelques lecteurs à prendre les vœux dans la tradition qui est la leur, j’en serai ravie. Toutefois, ce n’est pas la vocation que l’on choisit ou les vêtements que l’on porte qui font de nous une personne engagée sur une voie spirituelle de façon authentique. C’est d’abord et avant tout l’orientation que l’on donne à sa vie.
La tradition du bouddhisme de Shambhala enseigne que tous les êtres humains possèdent « la bonté fondamentale », un immense potentiel inné de sagesse, d’amour et de compassion . Lorsque l’orientation de notre vie consiste à dévoiler et à exprimer ce potentiel, chaque moment, qu’il soit difficile ou non, nous offre exactement le matériau dont nous avons besoin pour réaliser notre but. Ainsi, le monde peut devenir notre monastère… et la vie une belle aventure. On y reviendra !
L’arme de la bienveillance
Comment des gens pressés peuvent-ils s’inspirer de la tradition monastique pour faire de chaque jour une opportunité de pratiquer l’art d’être humain, en développant une bienveillance inconditionnelle envers soi-même et les autres ?
Comment transposer dans nos vies mouvementées certains aspects essentiels de la vie monastique comme l’engagement, la simplicité, le silence et la solitude, la méditation, le travail assidu de transformation intérieure, le souci de la communauté et le service aux autres, le courage devant l’adversité, l’attention à tous les détails de la vie quotidienne, l’humour et un sens de célébration ?
Comment faire pour que « le monastère soit dans notre cœur » tout en vivant dans le monde d’aujourd’hui, avec des amours, une famille, des amis, un travail, des comptes à payer, de nombreuses responsabilités, des loisirs, des projets et des obligations de toutes sortes ?
Dans les pages qui suivent, je propose humblement des pistes de réponse .
Ce projet de livre est né il y a quelques années, durant mon séjour à l’abbaye. Chaque jour apportait son lot d’expériences, de découvertes et d’intuitions. Je rêvais de pouvoir partager tout cela avec mon fils qui avait eu la générosité de me laisser partir, et cela à une époque de sa vie où les choses étaient difficiles pour lui. L’éloignement ne facilitait pas les discussions profondes entre nous . Nos conversations téléphoniques hebdomadaires me laissaient toujours un peu sur ma faim . J’ai donc commencé à lui écrire de longues lettres auxquelles il pouvait me répondre de vive voix s’il le désirait. J’espérais que nos échanges lui permettent de trouver le monastère dans son cœur. Et de le préserver.
Cette conversation a été interrompue par une retraite de quelques mois, puis par mon retour à Montréal. Avec L’arme de la bienveillance, je reprends ce projet de dialogue. Bien que mon fils soit maintenant le propriétaire de mon logement et mon voisin, la vie nous emporte et les occasions d’avoir de bonnes conversations sont rares. L’écriture est donc toujours de mise. Elle l’est d’autant plus que j’écris maintenant avec le souhait que notre conversation soit entendue, qu’elle suscite la réflexion et nourrisse un tant soit peu l’intention de ceux et celles qui désirent répondre à la promesse de plénitude qu’offre une vie humaine.
Ce livre, c’est donc une suite de lettres à mon fils. J’y présente une vision de la spiritualité qui se situe au-delà de toute adhésion à une tradition religieuse particulière. Il existe une nette distinction entre religion et spiritualité . On peut fort probablement se dispenser de religion (c’est de plus en plus le cas aujourd’hui), mais je crois sincèrement qu’il n’en va pas de même avec la spiritualité .
C’est avec notre esprit que nous sentons et ressentons, que nous désirons, pensons, rêvons, communiquons, inventons, créons et façonnons