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Itinéraires d'un enfant perdu: Ou comment j'ai traversé le siècle
Itinéraires d'un enfant perdu: Ou comment j'ai traversé le siècle
Itinéraires d'un enfant perdu: Ou comment j'ai traversé le siècle
Livre électronique319 pages5 heures

Itinéraires d'un enfant perdu: Ou comment j'ai traversé le siècle

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À propos de ce livre électronique

C'est le récit autobiographique, souvent drôle et sans complaisance d'un homme qui a traversé le siècle, l'Europe, l'Afrique et leurs philosophies de vie.
LangueFrançais
Date de sortie12 juil. 2017
ISBN9782322142507
Itinéraires d'un enfant perdu: Ou comment j'ai traversé le siècle
Auteur

Emmanuel Magne

Emmanuel Magne est né le 18 juillet 1921 à Albigny sur Saône, dans le Rhône. Ses 'itinéraires d'enfant perdu' l'ont tour à tour conduit en internat dans un collège de jésuites à Villefranche, en Allemagne, mobilisé pour le Service de Travail Obligatoire, puis à Paris et Alger de 1947 à 1962. D'Alger, il a parcouru l'Afrique en biais, comme il aime à le raconter: le Sahara, le Cameroun, le Congo et Madagascar. De retour en France, il se fait fort de bien se réintégrer à la société française en ... étudiant au Collège de France! Ce qui l'a encouragé à s'ouvrir, découvrir, toujours apprendre? La lecture de l'Ethique de Spinoza...

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    Aperçu du livre

    Itinéraires d'un enfant perdu - Emmanuel Magne

    SOMMAIRE

    OUVERTURE

    PREMIERS ACTES

    APPRENTISSAGE DU COLLEGE

    ANNEES TROUBLES

    LA VIE ANARCHIQUE

    RETOUR EN FRANCE

    AFRIQUE

    CHAPITRE I : MADAGASCAR

    CHAPITRE II : KINSHASA

    CHAPITRE III : ENCORE ALGER

    RETRAITE

    OUVERTURE

    « Je me suis mis à écrire avec l’intention de dire la vérité sur mon compte. Quelle tâche vaine ! Que peut-il y avoir de plus fictif que l’histoire de sa propre vie ? (Henri Miller)

    Je voudrais bien savoir si je me mets à écrire quelque chose sur ma vie passée comment je trouverais une seule personne au monde pour s'y intéresser ? En effet en quoi la vie d’un homme est-elle différente de la vie d'un autre homme ? Comme a si bien dit Jean Paul Sartre « Je ne suis qu'un homme, rien qu'un homme, fait de tous les hommes, et qui les vaut tous, et que vaut n'importe qui ». L'être humain ne vit jamais qu’une expérience unique sous des formes variées. J'ai eu à résoudre dans ma vie les mêmes problèmes que n’importe quel autre homme, et je me suis heurté aux mêmes difficultés, et j’ai éprouvé les mêmes souffrances, les mêmes frustrations, les mêmes révoltes ! En fait ma vie a été aussi banale que n’importe quelle autre ! « Toutes les vies se ressemblent. Elles commencent par la naissance et elles finissent par la mort. C'est d'une banalité écœurante. C’est toujours la même chose. » écrit Jean d’Ormesson dans La Douane de mer ! Certes chaque aventure humaine semble unique, car si elle renouvelle des évènements analogues, elle les répète chaque fois de façon différente. A tel point que chacune de ces aventures individuelles paraît un véritable exploit pour celui qui la vit. Pourtant ces aventures obéissent à des lois universelles, mais ces lois coordonnent des configurations particulières, qui constituent les personnalités de chacun. Et leurs développements expriment les histoires personnelles de chacun. Rechercher dans la mémoire les évènements de cette histoire est une véritable gageure. La mémoire n'est-elle pas souvent une lectrice aveugle qui s’acharne à déchiffrer un texte effacé ? Pourtant il arrive parfois que le souvenir redonne vie à ce qui semblait perdu ! Où était donc caché ce passé invisible ? Enfoui au plus profond de moi-même il y dormait d'un sommeil silencieux. Pourquoi, et surtout comment le réveiller ? Je l’ignore; mais ce que je sais, c’est que de façon inattendue, un voile se soulève sur ce sommeil, et que, comme au sortir d’un rêve, une image en surgit, un peu floue, mais suffisamment nette pour que je la reconnaisse. .Le regard que je porte sur elle lui redonne vie. L’émotion identifie ce retour en arrière et provoque une relecture de P évènement. Ainsi en moi se produit, en même temps que la vision de ce passé revisité, une nouvelle interprétation de ces choses oubliées. Quelle est la valeur de cette réinterprétation V La psychanalyse du Docteur Freud repose sur ce phénomène ! C’est assez inouï que d’être ainsi à la fois ailleurs, dans le passé, et en même temps ici, à cet endroit, dans le présent de ma conscience actuelle. Je suis là et ailleurs. Mais où suis-je donc vraiment moi-même dans ces moments passés ? Qu'est-ce donc que le temps ? Si je suis encore ce que j'ai été, pourquoi ne serais-je pas déjà ce que je vais bientôt être ? Cette partie de moi-même qui assure l’être en moi n'est-elle pas insensible au temps qui passe ? Elle pourrait donc se souvenir de tout. Le temps est -il autre chose que le support et l’aliment de la mémoire ? La mémoire est-elle autre chose que le temps suspendu ? Et moi-même suspendu dans le temps, j’attends ! «O temps ! Suspends ton vol ... » s’exclame le poète.

    J’ai emprunté le titre « Ouverture » à Michel Serres. J’ouvre une fenêtre sur ma vie, sur mon passé, et je ne vois pas encore très bien les détails du panorama qui va se découvrir devant mes yeux étonnés. J’ouvre un livre dont les pages ne sont pas encore écrites, et je me demande qui va les écrire. Moi, ou un autre ! «Je est un autre » dit Rimbaud. Oui ! Mais qui ? Et comme écrit Richard Precht : « Qui suis-je ? Et si je suis, combien ? »

    Comment suis-je devenu ce que je suis maintenant ? L’histoire de ma vie n’est que la recherche d’une réponse à cette question. Et comme l’empereur Hadrien au début de ses mémoires je peux dire ce que Marguerite Yourcenar lui fait dire : « J’ignore à quelles conclusions ce récit m’entrainera. Je compte sur cet examen des faits pour me définir, me juger peut-être, ou tout au moins pour me mieux connaître avant de mourir.» Qui peut prétendre se connaître, tellement le regard que chacun porte sur soi est obscurci par l’amour-propre. Nous devenons presbytes dès que nous essayons de lire en nous-même. Et nous sommes myopes quand nous voulons déchiffrer notre passé. Devant le présent je crois que nous sommes à la fois presbytes et myopes. "Je crois me souvenir, je m'invente", écrit Louis Aragon.

    De l’enfant insupportable, de l’adolescent irresponsable, du pseudo adulte toujours immature, comment l’homme que je suis maintenant a-t-il pu apparaître et se former petit à petit? Cet homme est bien entendu le produit de toute une évolution nourrie de toutes les influences et de tous les événements qu’il a vécus. Revenir sur ces événements n’a pas d’autre intérêt que chercher à comprendre l’influence que chacun a pu avoir sur cette évolution. Cela ressemble un peu à une sorte d’auto- psychanalyse. Ne dit-on pas que Freud a mis au point sa méthode en se psychanalysant lui - même ! Et s’il y a beaucoup à dire, et à médire, de cette méthode (voir à ce sujet Le livre noir de la Psychanalyse, ainsi que le truculent Crépuscule d’une idole de Michel Onfray) il reste que seule cette descente au plus profond de la mémoire permet de retrouver les traces de ce long itinéraire qu’est la vie. Ah ! La mémoire ! Cette trace du temps passé qui perdure à travers les aléas de nos itinéraires ! Nos cellules auraient tout enregistré de notre existence depuis la minute de la conception. Mais, dans un sens et peut-être heureusement, nous avons tout oublié. Il faut essayer maintenant de nous souvenir, sinon de tout, du moins des moments les plus importants, ceux qui nous ont le plus marqué. Ah ! Le souvenir ! C’est comme un chien perdu de vue et qui sort soudain des buissons avec un perdreau entre les dents ! Cette anamnèse peut nous aider à comprendre par où nous sommes passés avant d’en arriver là où nous sommes. Il s’agit d’écrire une histoire, d’en suivre l’itinéraire, d’en décrire les étapes, mais sans autre témoin que nous même. Comme le danger est grand de nous tromper, de nous abuser nous-mêmes par vanité ou par honte ! La vanité me semble plus fréquente que la honte !

    Avant d’évoquer le berceau qui m’a vu naître, ne faut -il pas essayer de raconter ce qui l’a précédé, ce qu’on appelle maintenant, dans le jargon des sciences dites humaines (comme si les autres étaient inhumaines), l’environnement «socioculturel» de ma famille, le paysage que mes yeux ont découvert quand ils ont commencés à s’ouvrir à la lumière terrestre. Je suis de «bonne famille». On me l’a dit assez souvent pour que j’en sois convaincu. Pourtant toute ma vie j’ai cherché à comprendre ce que cela voulait dire, et je n’y suis pas encore parvenu ! En fait, à l’époque où je me place pour commencer ce récit je ne me posais pas beaucoup de questions. J’étais de bonne famille, un point c’est tout, et autour de moi, les autres ne l’étaient pas. Pierrot, le fil s du boulanger, n’était pas de bonne famille. Pas plus que les autres gosses du village, (étant proche de Lyon je devrais dire les « gones ») ! De ce fait, je n’avais pas le droit de les faire entrer dans notre jardin pour jouer avec moi. Sur quoi reposait exactement cet ostracisme ? Je l’ignorais. Tout ce que je savais, c’est qu’ils n’étaient pas de bonne famille. Etaient-ils donc de « mauvaise famille » ? Je ne l’ai jamais entendu dire. Mais seulement qu’ils n’étaient pas de « notre monde ». II y avait donc deux mondes sur cette terre, le nôtre et le leur. Et ces deux mondes semblaient incompatibles. Je sentais que nous étions des privilégiés, des êtres un peu au-dessus des autres. Personne ne m’expliquait pourquoi. C’était un fait acquis, apparemment de toute éternité. Une classification sans doute voulue par Dieu qui, dans son immense sagesse, récompensait par-là ceux qui croyaient en Lui, et qui avaient ainsi le monopole social de sa représentation. Une autre expression intéressante disait : « ils ne sont pas de notre milieu ». Cette expression soulevait, elle aussi, un problème inattendu. De quel milieu pouvait -il bien s’agir ? Le milieu d’un cercle, par exemple, se trouve à égale distance de tous les autres points du cercle. Si nous étions au milieu de notre monde, nous n’étions au-dessus de personne, étant à égale distance de tous les autres. Mais nous étions quand même différents. Tous sont égaux peut - être, à condition que chacun respecte une certaine distance avec les autres. Rester à sa place et surtout ne pas vouloir changer de place, c’était la base morale et politique de la vision sociale de ma famille. Dire de quelqu’un qu’il ne sait pas «tenir son rang» exprimait une sorte d’excommunication. Il est déclassé. J’en ai fait la cruelle expérience plus tard. On verra comment ! Tout était ainsi figé dans cette vision du monde, et vouloir la conserver était le principal souci de mon entourage. Je vivais sans le savoir dans un milieu conservateur, c’est-à-dire un milieu froid, car comme chacun sait le froid conserve, ce qui a fait la fortune de la marque Frigidaire !

    En fait nous étions tout simplement des « bourgeois », la classe bourgeoise se considérant depuis la Révolution la classe dirigeante. Avant elle, la classe dirigeante était l’Aristocratie. Cette classe avait été constituée dès les origines par les meilleurs d’entre les meilleurs, qui s’étaient distingués sur les champs de bataille par leur courage et leur héroïsme, aussi leur avait-on accordé comme récompense de nombreux privilèges. Il y avait une hiérarchie soigneusement établie et soigneusement respectée. Le roi nommait les ducs et les comtes, à qui étaient attribués des territoires plus ou moins grands. Une multitude de grades fut créé selon les besoins, et l’aristocratie formait une société constituée d’éléments disparates aux fortunes diverses. Avec le temps leurs descendants n’étaient devenus souvent que des parasites, plus ou moins dégénérés. Aussi, la Révolution les avait chassés et avait permis à une nouvelle classe sociale d’accéder au contrôle de la société. Le Tiers-Etat avait engendré la Bourgeoisie, cet ensemble hétéroclite qui, en fait, était composé de beaucoup de morceaux. L’histoire avait changé bien des choses et je n’avais pas l’impression de faire partie de la « classe dirigeante ». Au fil des temps une autre forme de bourgeoisie avait évincé la nôtre. Mes parents parlaient alors des « nouveaux riches », avec une pointe de mépris évidente. Il y avait en quelque sorte plusieurs bourgeoisies dans la Bourgeoisie. Ma famille appartenait à une bourgeoisie bien spécifique, traditionaliste, catholique, nostalgique de la monarchie et par conséquent située politiquement à droite, une bourgeoisie archaïque et en quelque sorte fossile. Mon père ne chantait pas la Marseillaise. Je m’en suis aperçu un jour où il m’avait emmené à une réunion du PSF (Parti Social Français fondé par le colonel de la Rocque). A la fin de la réunion, alors que l’assistance entonnait une vibrante Marseillaise, j’ai vu que mon père, très gêné, regardait obstinément ses chaussures sans chanter ! Evidemment mes parents furent pétainistes. Qui ne l’a pas été autour de nous ? « Travail-Famille-Patrie » ! Quel programme émouvant, et qui permettait de bien remettre chacun à sa place. Ils l’ont été sans excès, ce qui leur a permis de devenir gaullistes quand ce fut nécessaire, lentement et sans jamais donner l’impression que c’était une trahison. Je me rappelle même qu’à la Libération nous avons caché un cousin compromis pour collaboration et recherché. Nous lui avons ainsi sauvé la vie. Mes parents ne furent jamais antisémites. Curieusement les Juifs ne semblaient pas exister pour eux. J’ai mis très longtemps à apprendre qu’il existait un peuple juif et que l’existence de ce peuple posait problème. Et pourtant Notre Seigneur Jésus-Christ n’était-il pas juif? On l’avait complètement oublié, de même que la Vierge Marie. La mère de Dieu n’était qu’une petite juive de Palestine et son fils n’est pas seulement le «Dieu des juifs», il est génétiquement parlant le «Dieu-Juif » par excellence ! Mais ses géniteurs ne l'ont pas reconnu. Ses adorateurs se distinguent du reste des hommes, ils sont à part, ce sont les préférés, les élus ! On ne peut nier que l’histoire du peuple juif ne soit une histoire étrange et à nulle autre pareille. Comment expliquer que ce petit peuple occupe une place aussi disproportionnée dans l'Histoire? Comment expliquer qu'un Etat, comme l'Etat national-socialiste d'Hitler en ait fait le principal objet, ou presque, de son programme politique? Comment expliquer qu'un pays de trois cent millions d'habitants, comme sont actuellement les Etats-Unis d'Amérique, voit sa politique étrangère complètement sous l'influence d'une minorité d'une dizaine de millions de Juifs ? Il faudrait plusieurs tomes d'une .Histoire des hommes pour expliquer ce phénomène, et même Arnold Toynbee ne semble pas y être arrivé !

    Nous étions donc une bonne famille. Une caractéristique essentielle de cette bonne famille, caractéristique fondamentale qui a eu une influence considérable sur ma vie et sur mon évolution, était que nous étions une famille très catholique, croyante, pratiquante, fidèle à l’Eglise, à ses pompes et à ses œuvres. Il est difficile de comprendre à quel point l’Eglise pouvait encore imprégner la vie familiale, à la fois par le poids du dogme qui structurait les esprits, par la morale qui exerçait son contrôle, direct ou indirect, sur tous les actes de la vie quotidienne, et par les rituels qui permettaient au clergé d’affirmer l’influence incontournable de l’Eglise. Tous les dimanches, à la messe hebdomadaire et obligatoire, le curé du village avait comme mission de rappeler aux fidèles rassemblés dans l'église paroissiale ce qu’il fallait croire et comment il fallait le croire. Certes, contrairement à ce qui se passe dans la plupart des mosquées islamiques, le prêtre ne rentrait pas trop souvent dans le détail de la vie sociale. Il est vrai que le Coran n’est pas seulement un livre religieux, mais tout autant un code social et juridique régentant le fonctionnement même de la vie civile. Notre curé ne donnait pas de directives trop précises en matière politique, sauf dans des circonstances exceptionnelles. J’ai découvert plus tard qu’il n’en était pas de même partout. En fait, beaucoup de prêtres ne se gênaient pas pour faire de la politique en chaire, vilipender les ennemis de la religion, et donner des directives électorales en faveur des candidats sérieux qui, comme par hasard, étaient toujours les candidats de la droite conservatrice, sinon réactionnaire. Dans beaucoup d’autres pays européens ç’était encore pire qu’en France. L’histoire de l’Espagne, de l’Italie et d’autres Pologne, nous le confirme amplement. Non seulement les curés de paroisse agissaient ainsi, mais toute la hiérarchie de l’Eglise, les évêques, les archevêques, les cardinaux, et même le pape ! L’histoire nous montre à quel point ces représentants de l’Eglise de Jésus-Christ se sont identifiés à des régimes politiques et à certaines classes sociales. Pourtant l’Evangile est très net sur ce point : « Rendez à Dieu ce qui est à Dieu et à César ce qui est à César ». On peut presque dire que l’Evangile a ainsi posé les bases de la séparation de l'Eglise et de l'Etat. Mais César, en la personne de Constantin, a décidé de mettre Dieu à son service? Et l'Eglise, de son côté, s'est emparé de la société civile pour en faire la Chrétienté, société dont elle entendait contrôler tous les niveaux d’activité, même l’activité sexuelle de ses fidèles. L'Islam a fait encore pire. Dans une telle perspective, les « politiques » ne sont plus que le bras armé de l’Eglise. On sait comment tout cela s’est terminé ! Maintenant, ne sont- ils pas tous devenus ces Fonctionnaires de Dieu qu’Eugène Drewermann stigmatise dans le fameux livre du même nom ? Cette identification de l’Eglise avec la droite politique ne vient-elle pas d’une lecture au premier degré de l’Evangile qui affirme qu’au moment du Jugement dernier Dieu mettra les bons à sa droite et les méchants à sa gauche ? Et puis gauche en latin se dit « sinistrum » ! Comment, dans ces conditions, quand on est à droite ne pas avoir horreur de ce qui est à gauche ? Même dans le langage courant « gauche » ne veut-il pas dire être « mal-adroit » ! Pour mes parents les partis de gauche représentaient l'abomination de la désolation. Ce n’est que plus tard que j’ai entendu parler de «catholiques de gauche», expression presque blasphématoire pour des catholiques orthodoxes comme étaient mes parents. De tout cela, il faudra que je reparle de façon plus approfondie. Mais je dois dire, en souvenir d’un homme pour qui je continue d’éprouver un respect mérité, que ce n’était pas le cas du curé de notre paroisse. L’abbé Roullet était un homme simple, qui ne cachait pas ses origines paysannes, d’une conviction religieuse profonde. Ses parents étaient agriculteurs en Savoie, pas loin d'Aix-les-Bains, détail qui prendra une certaine importance dans une vingtaine d'années. II faisait penser au curé d’Ars, cette figure hors du commun de «curé de campagne» attaché uniquement à la gloire de Dieu, en dehors de toutes préoccupations politiques. Ma mère disait de l’abbé Roullet : «C’est un saint homme». Ce qui dénotait de l’admiration, mais aussi quelques réserves. «Pourquoi ne s’occupe-t-il que du Bon Dieu, et pas plus de nos intérêts terrestres?» Inutile de dire qu’à cette époque mes parents étaient abonnés à l’Action Française, le trop célèbre journal par lequel Charles Maurras exaltait par la violence de ses articles l’esprit réactionnaire de cette bourgeoisie. Ils se sont désabonnés quand le pape a condamné ce journal. La religion, pour eux, passait quand même avant la politique. Quoiqu’il en soit, notre saint y curé était invité à dîner une fois par semaine. En son honneur nous récitions le Bénédicité avec componction et nous ne devions pas ouvrir la bouche de tout le repas afin de ne pas perdre un mot de la conversation profondément spirituelle de ces soirs là? («Allons, Emmanuel, tu sais bien qu’on ne parle pas à table sans permission». Il était / presque toujours question de moralité, l’abbé ayant à cœur de nous rappeler comment un bon chrétien doit se comporter dans sa vie quotidienne. Il y eu quand même parfois des moments d’une drôlerie inattendue, 'comme le soir, ce devait être le premier, où le «saint homme», ignorant ce qu’était un rince-doigt, avala purement et simplement le contenu de ce petit bol situé à côté de son assiette. Ma mère n’a plus jamais mis de rince-doigt à table pour les dîners du curé. En y réfléchissant, je me demande si le saint homme était tellement enthousiaste de ces invitations. Elles le compromettaient de façon évidente avec le bourgeois du village. Et c’était bien le but recherché par la famille. Cela se passait de la même façon dans toutes les familles de la bourgeoisie catholique. Il fallait montrer autant que faire se peut que le curé était bien des nôtres. Il y avait alors une profonde connivence entre l’Eglise et cette classe sociale, chacun défendant les intérêts de l’autre. Nous vivions encore, sans le savoir, dans des séquelles sociales de l’Ancien régime, Pendant combien de v temps les pesanteurs de l’Histoire,(pour ne pas dire les puanteurs) peuvent-elles se faire sentir ? Personne ne l’a jamais vraiment mesuré, mais l’expérience montre que ça dure très, très longtemps. Je n’insiste pas davantage pour le moment sur cet aspect du problème.

    Famille ! Faut-il accepter la proclamation provocatrice de Gide : « Familles, je vous hais ! » Je n’ai jamais eu envie d’aller jusque-là, ma famille a été ce qu’elle a été et j’en faisais partie sans que je me pose la question de savoir si c’était bien ou mal. La famille, ce sont d’abord les parents, le papa et la maman, ces deux associés qui par leur association ont créés cette cellule de base à laquelle ils vont donner sa spécificité et qu’ils vont peupler de leur descendance. Tout commence par ce moule d’où je suis sorti. Il faut alors me résoudre à parler de mes parents, cet homme et cette femme sans lesquels je ne serais pas là, penché sur mon ordinateur, en même temps que penché sur mon passé pour essayer de le comprendre. Comprendre le passé ? Raconter ce qui s’est passé ? Comment ça s’est passé ? Pourquoi les choses ont été ce qu’elles ont été et pas autrement ? Quels en ont été les principaux acteurs et quel a pu être le rôle de chacun ? Est -ce possible ? Suis-je vraiment bien placé pour en parler ? Aurais-je l’objectivité nécessaire ? Mes souvenirs sont-ils aussi fiables que je le pense ? Mes sentiments personnels, des émotions refoulées mais encore vivantes, ne vont-elles pas parasiter, obscurcir, déformer les situations, défigurer les êtres ? Pardon papa ! Pardon maman ! Je vais peut-être dire sur vous des choses que je n’aurais jamais osé dire de votre vivant, des choses qui vous feraient de la peine, que vous ne pourriez pas comprendre. Ces choses, j’ai mis moi-même beaucoup de temps pour les comprendre et je crois les avoir au moins en partie comprises grâce à vos confidences. Alors pourquoi ne pas en parler ?

    A dire la vérité je vous en ai longtemps voulu de la façon dont vous m’avez élevé, de l’influence sur ma vie de vos idées et de vos comportements. Mais j’ai fini par admettre que vous n’étiez pas coupables d’avoir été ce que vous avez été. Responsables, mais pas coupables ! Vous étiez vous mêmes les victimes d’un système qui, après vous avoir formaté dans un certain carcan psychologique, vous a brisé en éteignant en vous toute possibilité de comprendre la vie, son évolution et sa vraie beauté. On vous avait sclérosé. Et vous étiez sans le savoir,-et donc sans le vouloir, devenus les vecteurs de cette sclérose collective qui est la marque de votre milieu. Comment pour ma part ai-je fini par échapper à ce phénomène, échapper ainsi à ma famille, à ses préjugés et à toutes ses idées préconçues, c’est un mystère auquel je n’ai toujours pas de réponse ? Il est vrai que cette libération s’est faite lentement et dans la douleur, comme un accouchement; il en reste toujours le souvenir d’un arrachement et des cicatrices qui font parfois souffrir comme des rhumatismes. Quand une feuille de papier a été pliée et que vous voulez la déplier et la faire revenir à son état primitif vous vous apercevez à quel point c’est impossible. Elle garde indéfiniment la trace du pli qu’elle a reçu. C’est comme une blessure impossible à guérir complètement, et dont la cicatrice donne des douleurs toute la vie. C’est le prix à payer pour la lucidité et pour sa sœur jumelle, la liberté. Je pense être devenu assez lucide, mais je me demande souvent dans quelle mesure je peux me croire vraiment libre. Qui peut l’être ? Celui qui proclame bien haut, à qui veut l’entendre, qu’il l’est, n’est-il pas au même moment conditionné sans le savoir par des contraintes inconscientes. Spinoza a appris un jour beaucoup de choses à ce sujet !

    Je ne suis pas encore né quand je parle de tout cela... Et pourtant la matrice dont je vais sortir est en place et prête à me recueillir. Cette matrice, qui est à la fois la mer dans laquelle l’embryon, ce petit têtard, va nager, et la mère qui s’apprête à recevoir la semence paternelle. Cette rencontre, à la fois imprévue et aléatoire, où l’apport génétique d’une lignée et celui d’une autre vont se mélanger, comme deux fleuves se rencontrent. Qui pourra jamais dire lequel des deux aura le plus d’influence sur la mise en place des structures biologiques qui vont constituer le tempérament de l’enfant ? On oublie trop souvent que la création d’un être humain provient de ce brassage génétique. On oublie trop souvent que tout, ou presque, est donné d’un être humain dès l’instant de cette rencontre entre la semence et la matrice qui la reçoit. L’Astrologie semble l’ignorer puisqu’elle ne prend en compte l’histoire de l’individu qu’au jour de sa naissance. Or, ce jour-là, l’individu existe depuis neuf mois. Il est vrai que c’est seulement au moment où l’enfant sort du ventre maternel qu’il peut recevoir l’influence éventuelle des fréquences cosmiques du monde extérieur ! L’Hindouisme pense que l’âme de l’individu pénètre en lui à ce moment précis. Les fréquences cosmiques ont-elles une influence sur l’enfant qui vient de naître? On peut en douter. Mais il arrive parfois que l'Astrologie donne des indications étranges. J’ai trouvé une concordance incontestable entre mon tempérament et la description qu’en a donné mon portrait astrologique ! Il est vrai que l’Astrologie n’est jamais qu’un «système symbolique» et que la référence aux astres du Zodiaque n’est qu’un langage arbitraire, une sorte de poème artistique ! Et il faut beaucoup d'humilité et de prudence pour en interpréter les résultats. Depuis neuf mois déjà l’individu qui va naitre a été mis en place une fois pour toutes avec son système nerveux, ses métabolismes, sa configuration sexuelle, ses expériences prénatales et leurs souvenirs. Son corps sait quelles tendances et quelles impulsions fondamentales le pousseront à être un conformiste ou un créatif, un homosexuel ou un hétéro, un criminel ou un honnête homme, avec déjà ses névroses et ses complexes psychologiques ! Cette partie du passé constitue l’inné, cette infrastructure biologique qui détermine de façon inéluctable le tempérament. C’est aussi déjà pendant ces neuf mois de gestation que se forme l’inconscient personnel qui contient à notre insu tant de sensations et tant de souffrances oubliées et dont la plupart ne seront jamais connues. Freud semble ne s’être intéressé aux problèmes psychologiques de l’être humain qu’à partir de sa naissance ; il semblerait avoir négligé que l’histoire d’un être humain commence dès la minute de sa conception. Heureusement que d’autres que lui se sont penchés sur le problème et ont réussis à l’élucider en grande partie. Je pense à C.G Jung, avec ses analyses de l’inconscient collectif, et surtout au psychiatre américain Stanislas Groff, qui a su montrer à quel point les racines de la psyché trouvent leur nourriture dans un terreau antérieur dont l’origine se perd dans la nuit des temps. Par ailleurs, il peut se produire, et plus souvent qu’on croit, des « accidents génétiques » qui engendrent de véritables disfonctionnements. L’homosexualité n’est-elle pas un simple disfonctionnement génétique ? Et de ce fait comment la mettre sur le même plan que l’hétérosexualité ? Même si certains ne sont que des incidents sans gravité apparente ils ont une influence sur les comportements futurs. Ainsi je suis né avec un kératocône à l’œil gauche dont je n’ai eu connaissance que vers dix-huit ans. J’étais borgne sans le savoir. Cette infirmité m’a interdit d'envisager certaines activités, comme l’aviation ou la marine. Ai-je été aussi borgne psychologiquement ? Je me le demande parfois quand je vois les erreurs de perspective que j’ai commises dans ma vie. Il y a en ce moment des discussions parfois violentes sur l’importance à donner à cet apport génétique par rapport aux évènements du vécu historique, entre l'inné et l'Acquit. Le problème reste posé. En tout cas, cette infrastructure a une double origine, celle du père et celle de la mère, même si ceux-ci ne sont en définitive que les vecteurs d’un flux génétique dont l’origine se perd dans la nuit des temps. On peut du reste la

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