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Les plus grands destins qui ont changé le monde: Biographies des personnalités
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Les plus grands destins qui ont changé le monde: Biographies des personnalités
Livre électronique354 pages4 heures

Les plus grands destins qui ont changé le monde: Biographies des personnalités

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À propos de ce livre électronique

Voici les biographies – passionnantes et souvent étonnantes – des hommes qui ont eu une influence durable sur nos sociétés.

Tout le monde connaît des centaines d’hommes et de femmes célèbres. Mais la célébrité correspond-elle à l’importance ? Un tel connaît le roi Dagobert et saint Éloi. Mais furent-ils aussi « importants », pour l’humanité, qu’Albert Einstein ? Un autre s’intéresse à la vie et à l'œuvre du marquis de Sade, ou aux amours de Frédéric Chopin et de Georges Sand. Mais Sade, Chopin et bien d’autres noms illustres eurent-ils autant d’impact, sur la vie des hommes, qu’Henry Ford ou que William Boeing, ou que Jules César ? L’histoire, c’est d’abord l’histoire des hommes dont la pensée ou l’action ont vraiment changé le monde, de ceux qui ont influencé profondément la condition humaine. Voici donc l’histoire des hommes qui, vraiment, eurent la plus grande et la plus décisive et la plus durable influence sur le sort de l’humanité dans son ensemble. Des hommes dont il faut connaître la vie et l’oeuvre pour comprendre l’histoire. Voici donc l’histoire de l’humanité, résumée en quelques récits, ceux des plus grands destins. Des récits captivants, depuis l’évocation de Thalès de Milet, l’inventeur de la philosophie et de l’esprit scientifique, c’est-à-dire l’inventeur même de la civilisation, jusqu’à la passionnante et passionnée biographie de Bill Gates, à qui l’on doit que des millions d’ordinateurs dans le monde modifient de fond en comble la condition humaine. Des découvertes étonnantes de personnalités pas toujours parmi les plus connues, mais toujours parmi les plus décisives pour l’aventure humaine.

Des vies à découvrir, sans lesquelles l’humanité ne serait pas ce qu’elle est…

EXTRAIT 

L’objectif principal de cet ouvrage est de situer, dans le temps et dans l’espace, c’est-à-dire dans l’Histoire, la trentaine de personnes qui ont joué un rôle majeur dans le développement de l’Humanité. C’est la raison pour laquelle je les présente dans l’ordre chronologique (d’après l’année de leur naissance), car il me semble que, surtout chez les jeunes, du fait d’un enseignement de l’histoire souvent basé, dans les écoles primaires et secondaires, sur des principes pédagogiques vicieux, la chronologie des grands faits du passé est mal connue, sinon totalement ignorée. Qui sait encore, aujourd’hui, en France, parmi les moins de 25 ans, la date de la bataille de Waterloo (qui a changé le monde…) ou du traité de Verdun (à l’origine, ce n’est tout de même pas négligeable, des deux États que sont l’Allemagne et la France) ?

À PROPOS DE L'AUTEUR

Après une double formation en chimie et en philosophie, Jean C. Baudet enseigne l'histoire des sciences et la philosophie au Congo ex-belge (de 1966 à 1968) puis au Burundi (de 1968 à 1973). Tout en poursuivant son enseignement, il étudie la biologie à l'Université de Bujumbura. De 1973 à 1978, il est chercheur en biologie, à la Faculté agronomique de Gembloux et à l'Université Paris-VI. En 1978, il revient à la philosophie et fonde à Bruxelles la revue Technologia, consacrée à l'histoire des sciences, des techniques et de l'industrie. Depuis 1996, Jean-Claude Baudet est membre de la rédaction de la Revue Générale (Bruxelles).
LangueFrançais
ÉditeurJourdan
Date de sortie2 mars 2015
ISBN9782390090304
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    Aperçu du livre

    Les plus grands destins qui ont changé le monde - Jean C. Baudet

    d’Etat).

    c. 625 – c. 547

    THALÈS de MILET

    La philosophie

    La philosophie a été inventée par Thalès de Milet ou, du moins, Thalès fut-il le premier philosophe dont on trouve mention dans les écrits des Anciens. Thalès est ainsi le premier inventeur dont je dois rendre compte, car les inventeurs précédents, de la taille de la pierre, du langage, du feu, de l’écriture, du bronze, du fer, de la pirogue, de l’alphabet, du verre, de la roue, de l’agriculture, de l’élevage, de la céramique, du tissage et de tant d’autres novations décisives, sont restés inconnus.

    A vrai dire, ma biographie sera très courte, car nous savons très peu de choses sur Thalès de Milet. Il vivait au début du VIe siècle avant notre ère, à cette époque où le plus ancien empire était celui des pharaons d’Egypte, avec Amasis (qui a régné de 571 à 526), et où l’empire le plus puissant était, en Mésopotamie, celui de Nabuchodonosor, roi de Babylone, dont le règne va de 605 à 562.

    A cette époque, tous les peuples connus ont une religion nationale. Les Egyptiens vénèrent Osiris, Isis et Horus, et d’autres dieux encore. Les Babyloniens sont également polythéistes, comme les Phéniciens, les Perses, les Etrusques et les Grecs, dont la divinité suprême est Zeus, maître de l’Olympe, mais qui rendent un culte à de nombreux dieux et déesses. Ces Grecs, situés au nord-ouest de l’axe qui relie les deux pays les plus puissants – l’Egypte et la Babylonie –, ne forment pas un Etat unique, mais sont répartis en un grand nombre de cités, dont les plus importantes sont Milet, Ephèse, Halicarnasse, Samos, Colophon, Clazomènes, Chios, toutes situées en Ionie. Athènes, appelée à un prestigieux avenir, n’est encore, en ce temps-là, qu’une bourgade politiquement peu importante, dirigée par l’archonte Solon.

    Notre première histoire, celle de Thalès, se passe donc à cette époque où s’affrontent dans des combats fameux la puissance des pharaons et celle de Nabuchodonosor, et se passe à Milet. C’est un port, très prospère, de la mer Egée, en Ionie.

    Thalès y est né, du moins c’est ce que nous disent les auteurs les plus anciens qui le citent, et il est probablement mort dans sa ville natale. Et c’est à peu près tout ce que nous savons de l’homme Thalès. On ignore la date de sa naissance – peut-être vers 625. On ignore la date de sa mort – 547 ou 548 selon certains auteurs. On ignore quel fut son milieu social d’origine – mais l’on peut supposer qu’il était d’un milieu aisé, car il faut avoir des loisirs pour penser, et Thalès a beaucoup pensé.

    Certes, on connaît plusieurs anecdotes sur la vie de Thalès, mais toutes sont signalées par des auteurs tardifs, aucune n’est avérée selon les critères de la recherche historique, et ce que l’on trouve dans les livres sur le premier philosophe appartient sans doute plus à la légende qu’à la réalité. C’est ainsi que l’on raconte qu’un soir, marchant en observant les étoiles, il est tombé dans un puits. On le disait aussi capable de prévoir la date des éclipses. Tout cela est bien sûr vraisemblable, mais il ne s’agit pas de « faits historiques ».

    Les auteurs anciens, muets sur la biographie de Thalès, sont plus diserts à propos de son œuvre, encore sont-ils très imprécis. On lui attribue quelques découvertes, mais il n’est pas impossible que certaines de celles-ci aient été faites par d’autres, et qu’une tradition se soit instaurée pour en attribuer la paternité à Thalès. Il est assez courant, dans l’histoire, que l’on attribue plus aux héros que ce qu’ils ont réellement fait. Et Thalès est un héros, le premier des « héros de la pensée » chez les Grecs.

    Certains disent que c’est Thalès de Milet qui a découvert qu’un morceau d’ambre (ηλεκτρον) frotté devient capable d’attirer des fétus de paille ou de petits morceaux de papyrus. C’est l’attraction « électrique », phénomène curieux qui va être étudié par les physiciens des temps modernes, ce qui conduira à la découverte de l’électricité.

    On prétend aussi que Thalès fut le découvreur d’un autre phénomène d’attraction. La pierre de Magnésie a la propriété étrange d’attirer de petits morceaux de fer, alors qu’elle est sans action sur les autres métaux comme l’or, l’argent, le cuivre, etc. Dans les temps modernes, l’étude de cette attraction va conduire à la découverte du magnétisme.

    Thalès de Milet fut également un mathématicien. Il se serait spécialement intéressé à la géométrie et à l’astronomie. On lui attribue le théorème de… Thalès. C’est une tradition qui remonte à Euclide, le célèbre mathématicien qui rédigea, vers 290 avant notre ère, à Alexandrie, une magistrale synthèse des connaissances mathématiques de son temps. Les Anciens présentent généralement cette question en expliquant que Thalès avait découvert un procédé pour déterminer la hauteur d’un édifice sans devoir effectuer une mesure directe. Il mesurait la longueur de l’ombre de l’édifice (OE) et, au même moment, il mesurait l’ombre d’un bâton vertical (OB) dont il connaissait la hauteur (HB). Si l’on appelle HE la hauteur (inconnue) de l’édifice étudié, on a HE/OE = HB/OB, et donc on peut calculer HE, et l’on trouve HE = OE × HB/OB.

    Si l’anecdote est véridique, Thalès avait en effet trouvé une relation géométrique intéressante, à savoir que le rapport entre la hauteur d’un objet dressé quelconque et la longueur de son ombre est une « constante ». Si, à un moment donné (car cela dépend évidemment de la position du Soleil), un bâton de 5 coudées produit une ombre de 3 coudées, un bâton de 10 coudées, au même moment, aura une ombre de 6 coudées. C’est intéressant, mais ce n’est pas encore un véritable théorème. Car, en mathématiques, on appelle ainsi une proposition démontrée. Or il n’est pas du tout certain que Thalès ait vraiment démontré la constance du rapport entre la hauteur et l’ombre. Et le « théorème de Thalès », tel qu’il est étudié aujourd’hui dans les écoles, correspond à une généralisation dont il est impossible de dire si elle avait déjà été faite au VIe siècle. Cette généralisation conduit à la théorie des triangles semblables, c’est-à-dire dont les angles sont égaux chacun à chacun.

    On ne sait pas non plus si Thalès a enseigné, s’il avait des élèves, ni s’il a écrit. Il a peut-être, mais ce n’est pas sûr et en tout cas s’il existe l’ouvrage est perdu, il a peut-être rédigé un traité Περι φυσεως, ce qui signifie « Sur la nature ». Si la rédaction par Thalès d’un tel traité est incertaine, par contre nous savons que d’autres Milésiens, notamment Anaximandre et Anaximène, ont rédigé des ouvrages portant ce titre et ayant le même objet. De là à faire de ces auteurs des élèves ou des disciples de Thalès il n’y a qu’un pas, généralement franchi dans les manuels élémentaires d’histoire de la philosophie, qui parlent presque tous d’une « école » des « physiciens » de Milet. En grec, φυσις signifie « nature », d’où les termes français physique et physicien. Mais s’agissait-il d’une école au sens strict, avec Thalès pour maître, ou d’un groupe d’amis qui aimaient se retrouver pour la conversation, ou simplement d’une succession de penseurs qui avaient le même objectif, connaître la « nature » des choses ? Autant l’avouer : nous ne le savons pas.

    Qu’il ait écrit ou non un livre « sur la nature », Thalès a certainement réfléchi sur le monde qui l’entoure. Et c’est comme ça qu’est née la philosophie.

    Thalès était à la fois émerveillé et étonné par la diversité des choses : la chair des olives, les feuilles des arbres, les plumes des oiseaux, l’eau de la mer, cette ambre dont il avait probablement étudié les propriétés, le fer, le bronze, le cuivre, les astres dans le ciel, le sable sur la plage. Quelle étonnante multiplicité ! Pourquoi toutes les choses sont-elles si différentes ? Et, au fond, de quoi sont faites toutes ces choses ?

    Il est impossible de savoir si Thalès est vraiment le premier homme à s’être posé toutes ces questions. Le fait est que beaucoup d’hommes, dans l’Antiquité et encore aujourd’hui, ne se les posent pas. La plupart des hommes vivent leur vie sans s’étonner de ce qui les entoure. N’est-ce pas naturel qu’il y ait des oiseaux dans le ciel et des cailloux au fond de la rivière ? Peut-être d’autres Grecs, à Milet, avaient-ils déjà éprouvé ce sentiment d’étrangeté en réfléchissant à la diversité des choses. Peut-être un Egyptien, mille ou deux mille ans avant Thalès, avait-il déjà tenté d’expliquer la complexité du monde. Nous n’en savons rien, et c’est le nom de Thalès qui a été retenu par l’histoire. Parce que Thalès a eu l’audace, l’audace folle, de répondre, et de répondre tout seul.

    Il est très difficile d’essayer de se mettre à la place de Thalès, il y a deux mille six cents ans. Les grands poètes Homère et Hésiode avaient longuement expliqué aux Grecs l’origine du monde, l’action des dieux, la grande diversité de ceux-ci – dieux du vent, dieux du feu, dieux de l’orage, dieux de la pluie, dieux des plantes, dieux des animaux… Les prêtres, dans les temples dédiés à ces différents dieux, expliquaient au peuple l’histoire des dieux, comment ils avaient créé, à partir du chaos primordial, toutes les choses que l’on voit sur terre et dans le ciel. Et qui aurait eu l’idée, à Milet, au temps d’Amasis d’Egypte et de Nabuchodonosor de Babylone, de mettre en doute la parole – sacrée – des prêtres et des grands poètes ?

    Thalès eut cette idée de douter de la tradition religieuse, et c’est comme cela qu’il inventa la philosophie. Car c’est cela, « philosopher » : essayer de répondre à des questions par soi-même, en ne faisant appel qu’à ses propres observations et qu’à sa propre intelligence, sans écouter la tradition des poètes et des prêtres. Philosopher, c’est avoir de la méfiance dans ce que disent les autres, et de la confiance dans ce que l’on peut trouver soi-même. Philosopher, c’est rejeter les traditions, toutes les traditions, et se mettre à construire les réponses à ses questions. Ou, ce qui est une autre manière de dire la même chose, il s’agit de prendre les traditions pour ce qu’elles sont, des propositions (parfois contradictoires d’une tradition à l’autre : les Grecs n’ont pas les mêmes dieux que les Babyloniens !), propositions qu’il s’agit de vérifier avant de les accepter. Le philosophe ne dit pas, a priori, que les religions sont fausses. Il dit qu’il n’est pas sûr qu’elles soient vraies.

    C’est là véritablement le grand accomplissement de Thalès. Avoir pensé que la raison humaine (que les Grecs vont appeler le λογος, ou le νοος) est capable de répondre aux questions qu’elle se pose. Ce n’est pas tellement la réponse de Thalès qui compte – nous allons l’examiner ci-après. Ce qui compte, ce qui constitue la novation inouïe du Milésien, aux conséquences immenses pour l’histoire de la pensée humaine, c’est l’idée de rejeter les discours des autres (prêtres, poètes, législateurs…) afin de penser avec ses seules ressources personnelles. C’est avoir confiance dans son intelligence (et donc dans l’intelligence de chaque homme, pour peu qu’il veuille se mettre à réfléchir et à se méfier des réponses toutes faites).

    Ce n’est probablement pas Thalès lui-même qui a forgé le terme φιλοσοφια (« philosophie »), formé à partir de σοφια (« sagesse ») et du préfixe φιλο qui marque l’intérêt, en l’occurrence l’intérêt pour la sagesse. La philosophie, c’est la réflexion qui a rejeté les traditions, et qui tente de répondre, pour constituer une sagesse, un savoir sûr, une connaissance solide et non illusoire, à toutes les questions. Car, après Thalès, ses successeurs vont en effet tenter de répondre à toutes les questions, et pas seulement à celle de la composition et de la diversité du monde. La philosophie est ainsi une attitude (rejeter les traditions) et une recherche (la compréhension de tout). Une méfiance (la tradition peut se tromper ou mentir) et une confiance (la raison humaine peut trouver la vérité). Elle n’est pas une discipline spécialisée, comme l’astronomie qui ne s’occupe que du mouvement des astres, ou comme la médecine qui ne s’intéresse qu’aux maladies, ou comme la politique qui ne se soucie que des lois de la cité. La philosophie est l’étude de Tout, l’étude critique la plus exigeante qui soit de la Totalité.

    A quoi est arrivé Thalès dans sa réflexion sur la nature des choses ?

    Il a d’abord observé que des multiplicités peuvent provenir d’une unicité. Un père peut avoir plusieurs enfants. D’une racine unique une plante se développe en produisant de nombreuses fleurs et de nombreuses feuilles. Avec quelques mots, je peux construire d’innombrables phrases différentes. Il s’est alors convaincu que la multiplicité des choses provient d’une chose « fondamentale », « originelle », unique, formant la nature profonde de tout ce qui existe. Cette chose première et fondatrice est ce que Thalès appelle αρχη, que l’on peut traduire en français par « principe » ou « élément ». Et, poursuivant sa réflexion, Thalès arrive à la conclusion que l’αρχη est l’eau (υδωρ, qui donnera en français le préfixe hydro). Le fait est que l’eau est très abondante, constituant de la mer mais aussi présente sous terre (les sources) et dans le ciel (la pluie). D’autre part, des corps aussi solides que les métaux les plus durs peuvent être liquéfiés par la chaleur, c’est-à-dire transformés en « eau ». Enfin, remarque qui a sans doute été décisive dans la réflexion de Thalès (que je tente de reconstituer, car je rappelle que ses écrits, s’il y en eut, ne nous sont pas parvenus), l’eau est nécessaire à la vie des plantes, des animaux et des hommes.

    Les successeurs de Thalès accepteront son idée d’un principe unique. Anaximène de Milet, cependant, prétendra que le principe est l’air et non l’eau. Héraclite d’Ephèse, lui, pensera que la source de toutes choses est plutôt le feu. Et un quatrième « physicien », Xénophane de Colophon, admettra la terre comme principe ultime du monde. Enfin, Empédocle d’Agrigente (mort vers 430), faisant la synthèse des avis des physiciens d’Ionie, proposera d’admettre qu’il existe non pas un principe unique, mais quatre : l’eau, l’air, le feu et la terre. Cette théorie des quatre éléments sera acceptée par la majorité des philosophes grecs, et sera enseignée pendant tout le Moyen Age, et encore après jusqu’à la fin du XVIIIe siècle.

    Thalès de Milet, dont on sait si peu de choses, a fondé un mode de pensée qui ne s’est présenté nulle part ailleurs, basé sur le rejet absolu des traditions. Ni les Egyptiens, ni les Babyloniens, ni les Phéniciens, ni les Hébreux, ni les Hittites, ni les Perses, ni – plus loin du centre civilisateur que fut le Croissant fertile – les Indiens du brahmanisme et du bouddhisme, ni les Chinois du confucianisme, ni les Japonais du shintoïsme, ni les Arabes du mahométisme, n’auront cette audace stupéfiante de penser par eux-mêmes. C’est l’invention de Thalès qui marque la distinction profonde entre la pensée « occidentale », qui trouve son origine en Grèce, et toutes les autres traditions de pensée connues. Aucune de celles-ci, aucune, n’a vu naître cette idée inouïe et héroïque : oser penser par soi-même, en rejetant les traditions les plus solennelles, les plus sacrées, dictées par les dieux, enseignées par les doctes, propagées par les prêtres, protégées par les chefs. C’est de la pensée de Thalès que sortira – mais il faudra attendre des siècles – la science. Et si l’on parle parfois de « philosophie » chinoise, de « philosophie » indienne, et même de « philosophie » bantoue, c’est par abus de langage, car les Chinois, les Indiens, les Bantous, comme d’ailleurs tous les autres peuples, ont vénéré leurs traditions. Ont été incapables d’y renoncer.

    La philosophie est la tradition qui exclut les traditions !

    En osant penser par lui-même, Thalès le Milésien a instauré une immense et grandiose réflexion, sans cesse reprise par les penseurs les plus exigeants, sur les rapports entre la Nature – la φυσις – et la Raison – le νοος –, entre la Matière et l’Esprit, entre le Monde et l’Homme. Vingt-cinq siècles plus tard, les philosophes n’ont pas encore répondu à toutes les questions qu’implique la mystérieuse relation entre les choses qui existent et l’homme qui s’en étonne et qui pense.

    384 – 322

    ARISTOTE

    La logique

    Aristote fut le plus important, le plus abondant, le plus considérable, le plus pénétrant des philosophes de l’Antiquité. Si Thalès fut l’inventeur de la pensée philosophique, c’est Aristote, parmi les Grecs, qui fit atteindre à cette pensée ses plus hauts sommets, qui ne seront à nouveau atteints que par les Modernes. Nous ne savons rien de la vie de Thalès. Nous sommes bien mieux renseignés sur l’existence d’Aristote.

    L’histoire commence dans la colonie grecque de Stagire, en l’an 384 avant notre ère, alors que la Macédoine est placée sous l’autorité du roi Amyntas II. Il faut se rendre compte qu’à cette époque la Grèce est devenue le centre du monde civilisé, ayant vaincu le puissant et prestigieux empire perse, pendant les « guerres médiques ». Athènes est devenue le centre du monde hellénique, bien que sa puissance politique ait beaucoup baissé depuis la terrible guerre du Péloponnèse. La Grèce est prestigieuse par la force de ses armées, mais aussi par la splendeur de ses productions culturelles. Le monde admire le Parthénon des architectes Ictinos et Phidias. Plus encore, sans doute, il est subjugué par les philosophes, ces personnages qui connaissent des choses qu’ils ont apprises par la seule force de leur intelligence, et dont on ne trouve l’équivalent ni chez les Egyptiens, ni chez les Babyloniens, ni chez les Perses. On admire l’historien Hérodote d’Halicarnasse, les dramaturges Sophocle et Euripide, le mathématicien Pythagore de Samos, l’astronome Eudoxe de Cnide, et sans doute plus encore Platon d’Athènes, qui en 387 a fondé à Athènes l’Académie, une école de philosophie qui, bien que n’existant encore que depuis trois ans, a déjà acquis un prestige qui rayonne bien au-delà des cités helléniques.

    Et donc, en cette année 384, Phaéstis, une Grecque de l’île d’Eubée, a un fils que l’on nomme Aristote. Le mari de Phaéstis est Nicomaque, le médecin personnel du roi Amyntas. C’est dire que le petit Aristote naît dans un milieu favorisé.

    Aristote grandit. Il est curieux de tout, comme d’ailleurs beaucoup d’enfants de son âge. Il écoute son père, qui lui expose parfois certains principes de son métier. Et, en 367, à l’âge de dix-sept ans, il décide de quitter la cour du roi de Macédoine pour acquérir des connaissances et devenir philosophe. Car c’est son choix professionnel : il ne succèdera pas à son père, même s’il est intéressé par la médecine. Car il ne saurait se contenter d’une spécialisation : il veut tout connaître. On n’est pas sérieux, quand on a dix-sept ans…

    Et la question est : où aller quand on veut tout apprendre, sous le règne du roi Amyntas, deuxième du nom ? Ou plutôt, la question ne se pose même pas, tant la réponse est évidente : il faut aller à Athènes, où se trouvent de nombreuses écoles de philosophie.

    Aristote quitte donc sa famille, richement pourvu de moyens financiers pour vivre la vie d’étudiant dans la ville la plus intelligente du monde. Il choisit d’abord de suivre les cours d’Isocrate, mais il est peu satisfait, et il succombe au prestige de l’Académie. Il faut savoir que les écoles de philosophie, comme les boutiques des parfumeurs et les officines des marchands d’épices, tentaient d’attirer le plus de clients possible, car les philosophes doivent boire et manger, et se vêtir, de même que les parfumeurs et les épiciers. L’enseignement est un commerce. Les écoles essayaient donc d’acquérir un prestige suffisant pour attirer les étudiants les plus riches. Deux mille et trois cents ans plus tard, cela n’a pas tellement changé, sauf que les hautes écoles sont aujourd’hui beaucoup plus nombreuses qu’à l’époque d’Aristote, et que les plus prestigieuses – et les plus chères – sont aux Etats-Unis d’Amérique du Nord, et pas vraiment en Grèce.

    Aristote s’inscrit à l’Académie en 367. Il se révèle un excellent élève, et après quelques années Platon, le scolarque (chef d’école), le prend comme assistant. Aristote commence à enseigner parallèlement à son maître, et il commence à rédiger des dialogues, comme le faisait Platon. Hélas, tous les dialogues d’Aristote sont perdus, alors que l’on dispose encore de la collection complète de ceux de Platon. Les années passent. Tout en enseignant, Aristote réfléchit, et il commence à construire sa propre doctrine, qui s’éloigne de plus en plus du système platonicien. Il écrit des traités, qui eux nous sont parvenus, sur les Catégories, les Topiques, les Analytiques, etc.

    Cette vie d’étudiant puis d’assistant va s’arrêter en 346, à la mort de Platon. Celui-ci avait souvent répété qu’Aristote était son élève préféré, mais c’est néanmoins à Speusippe (un neveu de Platon) qu’est transmise la direction de l’Académie. Aristote est profondément dépité, car il se voyait déjà scolarque de la plus prestigieuse des écoles de philosophie. Il quitte l’Académie avec deux condisciples, Théophraste et Xénocrate.

    Mais où aller ? Il se fait que le tyran d’Atarnée, en Troade ou Mysie, qui s’appelle Hermias, est un ami d’Aristote. Le philosophe décide d’aller le rejoindre. Aidé par Hermias, il s’installe dans la ville d’Assos, où il ouvre une école. C’est à cette époque de sa vie qu’Aristote commence à s’intéresser à la faune, et il écrira de nombreux traités sur les animaux.

    En 344, Hermias meurt et Aristote se retrouve sans protecteur. Il quitte Assos et s’installe à Mytilène, dans l’île de Lesbos, où il fonde une deuxième école. Elle sera plus éphémère encore que la première, car le roi de Macédoine, qui est maintenant Philippe II, lui fait savoir qu’il aimerait qu’il devienne le précepteur du prince héritier Alexandre. A la cour du roi, on se souvenait du fils du médecin Nicomaque. Aristote accepte et, au lieu d’enseigner à un petit groupe d’étudiants, il enseigne à une seule personne, qui est un futur roi. Les relations seront excellentes entre le pédagogue et l’élève.

    En 335, ayant achevé la formation intellectuelle d’Alexandre, dont on ne sait pas encore que l’histoire l’appellera « le Grand », Aristote retourne à Athènes, où l’Académie est maintenant dirigée par son ancien compagnon Xénocrate. Bien entendu, Aristote pourrait briguer un poste d’enseignement chez Xénocrate, mais il préfère avoir son propre établissement. Il fonde donc, avec d’ailleurs l’aide financière substantielle d’Alexandre, sa troisième école, à Athènes, qui est le Lycée. Le Stagirite s’installe dans un ancien gymnase, situé près du temple d’Apollon lycien, d’où son nom.

    Aristote a cinquante ans. Il est en pleine possession de ses moyens intellectuels, qui sont exceptionnels. Sa réputation est excellente, non seulement comme ancien précepteur du roi de Macédoine, mais aussi en tant que philosophe préféré de Platon. Car Platon fut un des plus prestigieux philosophes de l’époque et ses avis étaient très respectés. Et puis, Aristote le Stagirite bénéficie aussi de l’amitié et de l’appui financier d’un monarque puissant. Tout va donc très bien pour Aristote, qui est peut-être en train d’atteindre le bonheur, ce « souverain bien » qui est le véritable objet de la recherche philosophique.

    Aristote enseigne.

    Aristote pense.

    Aristote écrit. Il écrit beaucoup, et cette dernière partie de sa vie est surtout consacrée à l’éthique et à la politique. Il écrit La Constitution d’Athènes, il écrit Ethique à Nicomaque (dédiée à son fils, qui a le même nom que son père), il écrit Ethique à Eudème, et il écrit encore. La production du Stagirite est énorme, mais on en a perdu une grande partie, dont, comme je l’ai dit, les dialogues qu’il a publiés dans sa jeunesse, et dont la réputation était très grande, tant pour leur intérêt philosophique que pour leur valeur littéraire.

    Et pendant qu’Aristote pense, peut-être le plus grand penseur de tous les temps, Alexandre bataille, peut-être le plus grand guerrier de toute l’histoire. Aristote unifie dans sa pensée prodigieuse tous les savoirs de son époque : physique, astronomie, zoologie, rhétorique, économie, éthique, politique, et surtout ces disciplines qui n’ont pas encore de nom qui sont exposées dans de nombreux traités, dont j’ai cités quelques-uns : Catégories, Analytiques, etc. Alexandre unifie sous son autorité implacable les empires des Grecs, des Babyloniens, des Egyptiens, des Perses, et mène ses armées d’hoplites jusqu’à la vallée de l’Indus, répandant partout la civilisation, celle de Thalès, de Pythagore, d’Hérodote et d’Aristote.

    Mais le géant de l’Action, Alexandre, meurt en 323.

    Aristote, qui n’a plus de protecteur, est menacé par le parti anti-macédonien d’Athènes, et pour ne pas subir le sort de Socrate, il s’enfuit et se réfugie à Chalcis, la ville de sa mère, dans l’île d’Eubée.

    Le géant de la Connaissance y meurt en 322.

    La vie d’Aristote est finie. L’histoire de l’aristotélisme commence.

    Théophraste a pris la direction du Lycée dès le départ d’Aristote, et s’efforce de perpétuer l’enseignement du fondateur. Sans atteindre la profondeur de pensée de son maître ni l’ampleur grandiose de ses préoccupations – Aristote a vraiment touché, magistralement, à presque tous les domaines du savoir – Théophraste va faire progresser la connaissance, notamment en publiant des ouvrages sur

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