Manstein passe pour le meilleur général d’Hitler, pour un génie de la conduite des opérations. Mais au vu de ses succès, on est surpris qu’il n’ait jamais reçu les plus hautes distinctions. À la différence de Rommel, Kesselring, Model et Schörner, Manstein n’appartient pas en effet à la petite cohorte des 27 soldats auxquels Hitler a décerné la Croix de chevalier avec feuilles de chêne, épées et brillants. Il n’a même obtenu les épées, attribuées 148 fois durant la guerre, qu’in extremis, en consolation de son renvoi au printemps 1944. Qu’il n’ait pas reçu cet honneur suprême tient sans doute à son caractère malcommode, pas seulement aux yeux d’Hitler mais aussi de beaucoup de ses supérieurs et collègues.
Quand, en septembre 1939, Hitler déchaîne la Seconde Guerre mondiale en attaquant la Pologne, Manstein est chef de l’état-major du groupe d’armées Sud. Dans les faits, c’est lui qui conduit les opérations: son supérieur, von Rundstedt, suit purement et simplement ses propositions et se contente de signer les ordres qu’il a conçus et rédigés. C’est ainsi directement sur proposition de Manstein que Rundstedt lance la bataille d’encerclement sur la rivière Bzura et brise définitivement l’essentiel de l’armée polonaise. À l’issue de la victoire, Manstein est donc fort déçu de ne pas recevoir la croix de chevalier promise par Rundstedt. Il ne l’épinglera qu’en juillet 1940 lors de la campagne de France, en récompense du bon comportement de son corps d’armée qui s’est trouvé au coeur de la bataille d’Abbeville puis a poussé de la Somme à la Loire. Mais la distinction est alors noyée dans le flot de récompenses attribuées par Hitler à ses généraux après la victoire à l’ouest.
Le scénario se répète au début de l’opération Barbarossa alors que Manstein commande le 56e corps motorisé dans la partie nord du front. De nombreux généraux ont reçu les plus hautes décorations pour les grandes victoires remportées durant l’été 1941. Mais, encore une fois, Manstein est oublié. Pourtant sa formation a réalisé une performance spectaculaire à Dünaburg (Daugavpils, en Lituanie, voir encadré ci-dessous). Cet « oubli » n’est certainement pas sans rapport avec les divergences de vues qui ont surgi avec son supérieur direct, le colonel général Erich Hoepner, commandant du groupe Panzer 4 que Manstein jugeait incompétent en matière opérationnelle.