1 L’ARRIÈRE-PLAN
Àla fin du printemps 1358, des dizaines de milliers de ruraux se révoltent contre les nobles au nord et à l’est de Paris, entre la Normandie et la Champagne. Dix ans après la terrible épidémie de peste noire (50 à 60 % de morts), le niveau de vie des survivants s’est pourtant amélioré. Depuis deux ans, le climat de ce « mini-âge glaciaire » est plutôt clément, les récoltes s’annoncent excellentes. Il ne s’agit en rien d’une insurrection de la misère, mais bien plutôt d’une crise politique: le ressentiment devant une fiscalité injuste et les échecs militaires.
La guerre de Cent Ans est en effet financée par un impôt extraordinaire dont le poids retombe principalement sur la classe moyenne rurale. Les nobles bénéficient d’un bouclier fiscal très avantageux, au motif qu’ils acquittent « l’impôt du sang» en servant le roi dans sa guerre. Mais pour quel résultat? Après une grave défaite à Crécy (1346), la chevalerie a de nouveau failli à Poitiers (1356), où le roi Jean II a même été capturé. La rancœur se répand dans le royaume. On accuse la noblesse d’une double trahison. À la cour, les favoris du roi détourneraient à leur profit le produit des impôts. À la guerre, les chevaliers prendraient soin de ne combattre que mollement leurs homologues anglais, préférant, de concert avec eux, piller les villageois, sans risque et à meilleur profit.
Le Dauphin Charles, lieutenant général du royaume en l’absence de son père Jean détenu en Angleterre, veut apaiser les tensions. Pour cela, il doit négocier avec les états généraux. Les représentants des trois ordres (clergé, noblesse et bourgeoisie) y appellent à de grandes réformes pour rétablir la situation militaire et fiscale. Si les « réformateurs» sont largement majoritaires face au « parti du roi» qui rejette toute concession, ils sont toutefois très divisés. On y compte d’abord de nombreux nobles mécontents que le roi Jean ait réservé ses faveurs à une petite coterie (comme celle de la famille de Tancarville). Leur chef de file est le roi de Navarre, Charles le Mauvais, prince capétien (il est petit-fils de Louis X le Hutin par sa mère) qui possède une principauté en Normandie.
Les représentants des villes, comme Étienne Marcel, prévôt des marchands de Paris, ne veulent pas se contenter d’élargir les faveurs royales à un plus grand nombre de nobles: ils souhaitent une réforme complète de l’État, qui aboutirait à placer la monarchie sous tutelle. Désormais, les états généraux seraient autorisés à se réunir périodiquement, sans être convoqués par le roi. Leur rôle ne se réduirait plus au seul vote de l’impôt, mais s’étendrait au contrôle des dépenses et même à la supervision de l’armée.
Certains réformateurs vont jusqu’à préconiser de recruter les combattants parmi les « Jacques Bonhommes» (surnom donné aux miliciens ruraux qu’on avait timidement levés pour faire face aux Anglais en 1355 et 1356), plutôt que parmi les nobles. Ces derniers peuvent se rendre à tout moment: l’ennemi ne les tuera pas pour en