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Une semaine entre deux dimanches: Roman
Une semaine entre deux dimanches: Roman
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Livre électronique222 pages3 heures

Une semaine entre deux dimanches: Roman

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À propos de ce livre électronique

En 2017, un député doit choisir s'il se présente ou non dans le village qui l'a vu naître et grandir.

François Jacpierre, député depuis 2007, a dit qu’il ne solliciterait jamais un troisième mandat. Pourtant, ce dimanche 7 mai 2017, à l’issue des élections présidentielles, son parti lui demande de se représenter, non dans sa circonscription d’élection mais à Elbeuf, ville qui l’a vu naître et grandir.
Avant de donner sa réponse, François parcourt une semaine durant les lieux de son enfance, de son adolescence, de sa jeunesse.
Cette semaine nous conduit au dimanche 18 juin 2017 pour découvrir sa réponse. L’occasion de confier son histoire, celle de la vie quotidienne d’une famille nombreuse des années 50 dans un quartier populaire, celle des silences et des non-dits, celle des rires et des pleurs, celle de la vie et de la mort, celle des copains, des amours, des premiers engagements.
Candidat ou non, est-ce le plus important ?

Découvrez ce roman dans lequel un homme est confronté à un choix bien difficile qui pourrait changer sa vie. Une immersion dans la France populaire des années 50.

EXTRAIT

Nous arrivons à Elbeuf et engageons la voie sur berge jusqu’à sa sortie de la rue de Rouen.
François joue le GPS :
— Au rond-point prendre la deuxième sortie, direction Elbeuf épicerie SANAC de la Rue de Rouen.
Face au numéro 17, François me fait stationner la voiture sur le parking d’un immeuble. Devant nous une alignée de maisons à deux étages en briques rouges, séparées par un couloir fermé. Le numéro 17 ne présente rien de plus si ce n’est sa grande fenêtre en façade.
— C’est l’emplacement de la vitrine de l’épicerie. Comme tu vois, il n’y a plus d’épicerie, la vitrine a laissé place à une baie vitrée double battant.
Assis dans la voiture, François sort de son sac à dos le thermos, les dosettes de café et le chocolat noir à la pointe de fleur de sel bien entendu.
— Je ne peux pas te parler du déménagement. C’était pendant l’été et nous étions à la colo. Mais je me souviens de ce dimanche 15 janvier 1961. J’ai vraiment réalisé le changement
Le ciel est gris ce dimanche. Le lendemain j’ai sept ans.
Depuis le début de l’hiver il fait doux. Ce n’est pas comme l’an dernier où, au moment des anniversaires, il y avait plein de neige. Pendant une semaine, on a fait des glissades monstrueuses dans la descente vers la place du Bassin, à l’école et au Jardin public. Même le jeudi à La Londe c’était super.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Philippe Lebeau est né à Elbeuf (76) le 16 janvier 1954 dans le quartier du Puchot avant sa déconstruction et sa réhabilitation dans les années 60. Il est le dernier d’une famille de 6 enfants.
De manœuvre à chimiste, il a travaillé pendant 20 ans dans une usine de l’agglomération elbeuvienne avant de partir diriger une Auberge de Jeunesse dans les Alpes pendant 4 ans. De retour en Normandie, il reprend ses études et dirige plusieurs associations d’éducation populaire dans les domaines de l’action sociale et de l’économie sociale et solidaire.
Ancien militant syndical et politique, il est, aujourd’hui, fortement engagé dans la mouvance associative de l’éducation populaire.
Une semaine entre deux dimanches est son premier roman
LangueFrançais
ÉditeurEx Aequo
Date de sortie16 oct. 2018
ISBN9782378734695
Une semaine entre deux dimanches: Roman

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    Aperçu du livre

    Une semaine entre deux dimanches - Philippe Lebeau

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    Table des matières

    Résumé

    Préface

    Note aux lectrices et lecteurs

    Prologue

    Chapitre 1

    Chapitre 2

    Chapitre 3

    Chapitre 4

    Chapitre 5

    Chapitre 6

    Chapitre 7

    Remerciements

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    Résumé

    François Jacpierre, député depuis 2007, a dit qu’il ne solliciterait jamais un troisième mandat. Pourtant, ce dimanche 7 mai 2017, à l’issue des élections présidentielles, son parti lui demande de se représenter, non dans sa circonscription d’élection mais à Elbeuf, ville qui l’a vu naître et grandir.

    Avant de donner sa réponse, François parcourt une semaine durant les lieux de son enfance, de son adolescence, de sa jeunesse.

    Cette semaine nous conduit au dimanche 18 juin 2017 pour découvrir sa réponse. L’occasion de confier son histoire, celle de la vie quotidienne d’une famille nombreuse des années 50 dans un quartier populaire, celle des silences et des non-dits, celle des rires et des pleurs, celle de la vie et de la mort, celle des copains, des amours, des premiers engagements.

    Candidat ou non, est-ce le plus important ?

    Philippe LEBEAU est né à Elbeuf (76) le 16 janvier 1954 dans le quartier du Puchot avant sa déconstruction et sa réhabilitation dans les années 60. Il est le dernier d’une famille de 6 enfants.

    De manœuvre à chimiste, il a travaillé pendant 20 ans dans une usine de l’agglomération elbeuvienne avant de partir diriger une Auberge de Jeunesse dans les Alpes pendant 4 ans. De retour en Normandie, il reprend ses études et dirige plusieurs associations d’éducation populaire dans les domaines de l’action sociale et de l’économie sociale et solidaire.

    Ancien militant syndical et politique, il est, aujourd’hui, fortement engagé dans la mouvance associative de l’éducation populaire.

    Une semaine entre deux dimanches est son premier roman.

    Philippe LEBEAU

    Une semaine entre deux dimanches

    Roman

    ISBN : 978-2-37873-469-5

    Collection Blanche : 2416-4259

    Dépôt légal septembre 2018

    ©couverture Ex Aequo

    © 2018 Tous droits de reproduction, d’adaptation et de traduction intégrale ou partielle, réservés pour tous pays. Toute modification interdite.

    Éditions Ex Aequo

    6 rue des Sybilles

    88370 Plombières les bains

    www.editions-exaequo.fr

    Préface

    Les souvenirs du héros nous offrent un monde misérable où l’enfance n’a guère le temps de s’exprimer. Une mère qui n’en est pas une, un père absent et violent, l’ambivalence d’épiciers d’Elbeuf, obligent les petits à grandir plus vite et à rechercher avec avidité l’attention de rares adultes capables d’un peu d’humanité.

    Mais au-delà des larmes qui coulent en circuit fermé, à l’abri des regards, l’auteur transforme avec tendresse le monde ingrat des grandes personnes en un terreau enrichi de valeurs. Sa résilience devient un moteur, sa connaissance des faibles, une arme de justicier, son empathie, une lueur d’espoir.

    Peu à peu, cet être malmené dans son enfance va devenir un militant puis un homme politique qui force le respect.

    Ce roman ou récit de vie, nous réconcilie avec l’engagement par les urnes tant décrié de nos jours. Émotion et respect des êtres font ici très bon ménage.

    Jean-François ROTTIER

    Il n’y a que le déraisonnable qui vaille de se battre pour le faire paraitre raisonnable

    Á ma Mère, à ma sœur et à mes frères

    Note aux lectrices et lecteurs

    Tout ce qui va suivre est totalement vrai sauf ce que mon esprit a inventé pour vous emmener sur les chemins de ma mémoire, ce que ma mémoire a enjolivé ou adouci, ce que ma plume a laissé surgir et s’écouler entre mes vérités.

    Tous les personnages de ce roman ont existé sauf ceux que j’ai mis au monde pour vous mener dans les méandres de cette histoire. Chacun d’entre nous peut y retrouver un peu de lui-même, de sa vie, de son passé. Ces personnes ne sont pas une mais multiples en chacune ; elles se veulent « reflet ».

    Prologue

    Dimanche 24 avril 2017

    « Il y en a qui contestent

    Qui revendiquent et qui protestent

    Moi je ne fais qu’un seul geste

    Je retourne ma veste

    Je retourne ma veste

    Toujours du bon côté

    Je suis de tous les partis

    Je suis de toutes les patries

    Je suis de toutes les coteries

    Je suis le roi des convertis. »

    L’Opportuniste

    Jacques LANZMANN

    Emmanuel Macron 24.01 %,

    Marine Le Pen 21.30 %,

    François Fillon 20.01 %,

    Jean-Luc Mélenchon 19.58 %,

    Benoit Hamon 6.36 %,

    Nicolas Dupont-Aignan 4.70 %,

    Jean Lassalle 1.21 %,

    Philippe Poutou 1.09 %,

    François Asselineau 0.92 %,

    Nathalie Artaud 0,64 %,

    Jacques Cheminade 0.18 %.

    Il est 23 heures ce dimanche soir. François Jacpierre quitte la préfecture. Il en a assez entendu, assez vu. Le parti, son parti ne sera pas au second tour de l’élection présidentielle et avec quelle claque, quel désaveu.

    Il est 23 h 30 ce dimanche soir. François Jacpierre ne regrette pas sa décision prise il y a cinq ans, de ne pas se présenter pour un troisième mandat de député.

    Il est minuit. François Jacpierre, un peu groggy par le verre de Beaujolais qu’il vient de boire pour accompagner son morceau de fromage, va se coucher et s’endort les rêves tournés vers d’autres aventures.

    Chapitre 1

    Lundi 8 mai 2017

    « (…) De passage, de passage

    Triste, heureux voyage,

    Dans ce monde en rage

    Dis-toi bien, je suis seulement de passage

    Auprès de Roosevelt encore, La nuit avant sa mort,

    Il dit - un monde uni doit naitre de ce carnage -

    Qu’on soit russe, noir ou blanc, on a tous le même sang

    Tous ensemble on est seulement de passage (…) »

    De Passage

    Graeme Allwright

    — Tu n’es pas sérieux, tu rigoles, dit François, franchement tu y crois à ce que tu dis ? Tu n’as pas l’impression de me pousser dans les orties ?

    Tout comme lui, je m’interroge sur le sens du discours que vient de nous tenir Alain.

    François, le sourire en point d’interrogation, insiste :

    — J’ai toujours dit que je m’arrêterai à la fin de ce second mandat. Nous y sommes.

    — Tu connais la circonscription, persiste Alain, tu y es né, tu y as vécu longtemps, fait tes études, travaillé, milité. Tu as encore de la famille là-bas.

    — Oui au cimetière, l’interrompt François avec son sourire vachard.

    — Écoute François, s’obstine Alain, tu ne peux pas faire autrement, on ne peut pas perdre cette circonscription. Il n’y a que toi qui puisses limiter la casse ici. Réfléchis.

    — Je ne suis pas le sauveur, même si nous avons un point commun lui et moi, celui d’être seulement de passage. Justement, ce passage s’achève le 18 juin à minuit. Dans un mois et dix jours pour être précis. Mon cher secrétaire fédéral, avec l’élection de Macron hier on change d’époque et de génération politique. La droite, la gauche absente du deuxième tour. Notre score ridicule au premier. Les partis ont déjà implosé avant d’exploser. Tu me parles de sauver les meubles mais je n’ai pas envie d’être un vieux bahut qui sent le moisi.

    D’un regard appuyé, il m’invite au départ en précisant à l’intention d’Alain :

    — Vous voulez me parachuter. Je n’ai plus ni l’âge, ni l’envie de sauter dans le vide. Non, Alain, je veux profiter de la vie, de ma Femme, de mes enfants, des enfants de mes enfants ! Je veux m’accorder de dire ce que je veux, quand je le veux, à qui je le veux et comme je le veux. Plus de calcul, de faux semblant, de oui pour des non, des je vais voir pour des circulez il n’y a rien à voir, des peut être pour des impossibles.

    Douze ans que je côtoie François et dix que je suis son attaché parlementaire. Ses cheveux ne sont pas aussi blancs qu’à l’époque, mais toujours aussi longs. Il a et garde toujours ce look des années 68, cheveux sur la nuque et barbe de huit jours sauf que côté crane ça se dégarnit sacrément sur le haut.

    Douze années de pratique, de découvertes, d’apprentissage avec lui.

    Son histoire est celle d’une époque qui va lâcher les rênes aujourd’hui.

    Á seize ans, viré du lycée catho pour avoir balancé son poing dans la figure d’un fils de toubib

    — Il a traité mon Père de pauvre con d’ouvrier.

    Quinze jours plus tard, il entre comme manœuvre de laboratoire.

    — C’est un copain de parti politique où est le Père qui m’a pistonné. Mais attention celui de Lecanuet… La honte !

    Manœuvre, Os, Aide-laborantin, Laborantin. JOC, CFDT, PSU. Cours du soir, formations éduc-pop, syndicales et politiques.

    L’armée en 1974, l’espoir Mitterrand, l’élection de Giscard, le retour à la vie civile et à l’usine avec l’autogestion plein la tête.

    En 77, la gauche gagne les élections municipales. Elbeuf, Saint-Pierre, Caudebec, Cléon passent au PS.

    — On fête ça à la mairie d’Elbeuf. René avec l’écharpe tricolore tenant son premier discours de Maire, Popaul, rouge écarlate d’émotion, qui chiale dans les bras de Pierrot son ennemi préféré du PC. Et tous les autres avec qui on a collé, distribué, argumenté. Au rez-de-chaussée, les perdants, ceux du centre de Lecanuet qui n’en reviennent pas de leur défaite. Parmi eux, le Père. Il ne l’a pas fait lui son deuxième mandat.

    Aide-chimiste, Chimiste

    — Quand j’ai mon premier bulletin de salaire avec écrit chimiste dessus, je vais voir mon ancien prof de maths pour le lui montrer. Il m’avait dit lors de mon renvoi du lycée que je ne serai qu’un bon à rien même pas capable d’être balayeur. La vengeance est un plat qui se mange froid. Je l’ai mis au congélateur pendant quinze ans.

    81, nouvel espoir, Mitterrand. 83, le virage de la politique de la rigueur anéantit cet espoir. L’éloignement du syndicat et la pause politique, la chanson, le théâtre et après vingt ans de chimie, le départ dans les Alpes pour y prendre la direction d’une Auberge de Jeunesse.

    Quatre ans plus tard, le retour en Normandie et à la politique. Mitterrand quitte la scène, Chirac se plante en 97, Jospin en 2002. Député en 2007 malgré la vague Sarkozy

    — Pas de gros mots s’il te plait, on dit l’autre, le nain, l’hystérique, tout ce que tu veux mais pas ce gros mot !

    L’espoir Hollande. La déception Hollande et aujourd’hui

    — Je suis socialiste et je le resterai mais je me demande où est passé le parti ?

    Chapitre 2

    Mardi 9 mai 2017

    « (…) On choisit pas ses parents on choisit pas sa famille

    On choisit pas non plus les trottoirs de manille

    De Paris ou d’Alger

    Pour apprendre à marcher

    Je suis né quelque part

    Laissez-moi ce repère ou je perds la mémoire (…) »

    Né quelque part

    Maxime Le Forestier

    — Avant, ici il n’y avait pas d’immeubles. Imagine des maisons en colombage mais pas comme celles que tu vois aujourd’hui ici, à Rouen ou ailleurs, bien refaites, bien repeintes, avec des fenêtres et des portes à double vitrage. Non celles dont je te parle sont reliées entre-elles par des passerelles qui enjambent le Puchot. Au bout de chacune d’elle, une cabane brinquebalante qui permet de se soulager de ses besoins naturels. Pas besoin de bombe désodorisante après. Le surplus de tes intestins et de ta vessie tombe à l’eau et les planches disjointes, permettent une aération efficace. Les fenêtres sont souvent dépourvues de carreaux et les portes laissent passer le froid, l’humidité et des locataires indésirables qui, non seulement, ne paient pas leur loyer mais se nourrissent sur le dos et dans les gamelles des humains qui y survivent. Rats, souris, cafards, poux, tout ce que la terre a inventé de parasites trouve à se loger, se reproduire et s’engraisser ici. Je suis né là.

    Deux jours après le second tour de la présidentielle, j’accompagne François pour une première réunion de préparation de campagne électorale.

    — Une semaine, je m’accorde une semaine sur le terrain avant de donner ma réponse définitive.

    Il n’a pas encore dit oui. Il ne dit plus non ! Passion ? Défi ? Dernier challenge ? Devoir ? Ou n’est-ce tout cela avec en prime une once de curiosité et le désir de revenir chez lui, de s’y faire reconnaitre ?

    Nous arrivons avec une demi-journée d’avance

    — j’ai besoin de me replonger dans l’Elbeuf d’aujourd’hui, me dit-il en partant ce matin. Dans celui d’aujourd’hui ou celui d’hier ?

    Son sourire au coin des yeux, il m’emmène à l’emplacement de son quartier d’origine. Des immeubles s’alignent sur notre passage, des tours s’élancent, - « il y en avait trois ici. Elles ont été détruites dernièrement pour aérer le quartier. Tu vois l’aire de jeux, et bien ici c’était la Place du Bassin. C’est là que j’arrive au monde le 16 janvier 1954. »

    Nous marchons vers ce qui fut son enfance, dans son quartier d’hier.

    — Ce 16 janvier 54, un froid polaire envahit la France et s’y installe. Il règne un froid intense et dur qui dure. Un de ceux qui n’arrive que rarement mais qui laisse son empreinte dans les souvenirs de famille racontés chaque année.

    — C’est cette année-là qu’une banquise s’est formée à Dunkerque ! Á la radio ils ont même dit qu’il était tombé quatre-vingt-cinq centimètres de neige à Perpignan ! Pas vrai René ? affirme ma mère chaque dimanche suivant le 16 janvier.

    — Ah ça oui, même que la Seine était complètement gelée. Heureusement que tu as accouché à la maison maman !

    L’abbé Pierre lance son appel depuis Paris. Il pourrait le lancer de notre quartier. La misère et la mort y rôdent et s’invite dans les maisons délabrées et infestées de rats et de vermines.

    J’arrive mal ce jour-là. Il est 12 h 30. L’heure de la deuxième livraison du laitier et celle d’intense activité de l’épicerie et du café. Ma mère a dû fermer pour me mettre au monde car ma sœur et mes frères sont à l’école ce samedi et mon père fait sa tournée. Personne ne peut la remplacer. Je tombe plutôt mal. Le magasin sera rouvert quand Bertrand reviendra de l’école vers 18 heures ce soir. Ma mère reprendra sa place à sept heures demain matin. Surtout ne pas louper la recette du dimanche ! C’est la meilleure de la semaine.

    J’arrive accidentellement après une sœur, l’ainée, et quatre frères. Dix-sept ans me séparent d’elle.

    L’année de ma naissance elle part de la maison afin de poursuivre des études de laborantine à l’hôpital de Rouen où elle est hébergée à la « Protection de la jeune fille » précurseur des Foyers pour Jeunes Travailleurs. Quand elle revient le premier week-end, elle n’a plus de chambre, les parents l’ont donnée à Bertrand. Alors, à chaque retour, elle dort dans le même lit que Xavier.

    Bertrand a treize ans quand je viens le perturber dans ses démontages-remontages et re-démontages de réveils et pendules. La semaine dernière, le Père est allé en vélo, visiter le lycée agricole Du Neubourg. Son rêve est de voir son fils ainé reprendre la ferme du Grand-père. Bertrand a surpris tout son monde en faisant part, à la fin du compte rendu du Père, de son désir d’être prêtre. Difficile à entendre pour qui cette race de profiteur n’est bonne qu’à être bouffée.

    — Tu passes tes bacs et on verra après, éructe mon père à demi KO. Il n’y a pas que le Père à être surpris, la Mère l’est également.

    — Réfléchis bien, dit-elle, il vaut mieux être un bon laïc qu’un mauvais prêtre.

    Elle n’y croit pas vraiment, à moins qu’elle ne craigne que ne se renouvelle ce qui s’est passé avec l’Oncle Augustin, son frère, au temps de son enfance. Ce dernier aussi tombe des nues. Son poulain n’est pas Bertrand, trop indépendant, trop réactif à son égard. Son espoir repose sur Jean-Paul. Raté…

    Jean-Paul fêtera ses dix ans le mois prochain. C’est le taiseux de la famille, on l’entend peu et comme l’école n’est pas son fort, il ne présente que peu d’intérêt aux yeux de ma mère sauf pour me promener en poussette autour de la place quand le temps le permet. Avenir tracé d’avance, certificat d’étude et apprentissage.

    Xavier est entré en CP au mois de septembre et déjà, il étonne tout le monde par sa facilité à apprendre. Espiègle et rapide, le Grand-père Jacpierre le surnomme « le courant électrique ». Il a un caractère de cochon et se confronte à toute personne désireuse de le commander. Mon Père dont la patience n’est pas la principale qualité, a souvent la main et la laisse du chien très lestes à son égard.

    Denis est le protégé de ma Mère. Il a quatre ans et a contracté une méningite dans sa deuxième année. Il ne doit son salut qu’à l’arrivée massive de la pénicilline après-guerre. Il lui en reste des séquelles. Enveloppé, lent et maladroit tant physiquement qu’intellectuellement, il est souvent l’objet de sarcasmes, de moqueries et de vacheries d’un Xavier vif argent. Il penche du côté de la famille de ma mère. Cette dernière le défend plus que de raison.

    L’épicerie-café où je suis né, occupe l’un des angles de la place du Bassin. Au bout de l’épicerie, sa porte centrale bordée de deux fenêtres-vitrines donne sur la pompe où le quartier se ravitaille en eau, boisson (uniquement pour les jeunes enfants), toilette (pas souvent), lessive (pas plus), ménage (c’est quoi ?). Au centre de l’épicerie trône le comptoir et ma Mère. Épicière (un peu), confidente (beaucoup), écrivain public (souvent), matériel gueulant de la maison (très souvent) après ses six enfants et l’ainé d’entre eux, mon Père.

    Ma Mère règne et impose sa loi à tous du haut de son mètre cinquante. Entre deux clientes de l’épicerie, elle traverse l’arrière cuisine et s’engouffre dans le café où elle ne parvient pas à désaltérer les gosiers perméables de

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