Clandestine 70
Par Gaelle Kermen
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À propos de ce livre électronique
Clandestine 70 est le Journal de mon année 1970.
Une année où j’ai rencontré des gens exceptionnels, de l’abbé Pierre à Michel Polac, en passant par Jacqueline Kennedy-Onassis.
Une année où j’ai publié mes premiers articles dans la revue Esprit, fait mes premières émissions de télé à Post-Scriptum.
Une année où j’ai commencé mon unique roman de jeunesse, Aquamarina, devenu Aquamarine 67.
Une année de voyages en Bretagne, en Italie, en Angleterre, autour de la France. L’année du Festival de musique de Wight 70 et du Tour Auto 70.
Une année d’études, de travail et de fêtes dans des milieux très différents. Un tourbillon qui ne s’arrêtait que lorsque j’étais terrassée par des crises d’asthme.
Je tenais mon Journal pour faire le point, analyser ce que j’observais, croquer les gens de rencontre, prendre du recul, engranger des réflexions, imaginer l’avenir.
Clandestine 70 est le récit littéraire, poétique, à la précision presque scientifique, de cette année d’exception dans l’ambiance d’une faculté d’avant-garde : le Centre Universitaire Expérimental de Vincennes qui a aidé à former ma personnalité.
Vous voulez savoir comment vivait une étudiante parisienne en 1970 ?
Voici mon témoignage cinquante ans plus tard.
Embarquement.
Bon vent !
Gaelle Kermen
Gaelle Kermen
Née le 3 mars 1946, étudiante à Paris dans les années 60-70, diplômée de la Sorbonne et de l'université Paris 8-Vincennes (Philosophie, Droit-Sciences Po, Sociologie).Sur Mac depuis 1992, sur Internet dès 95, webmaster en 97, blogueuse.Auteur-éditeur depuis 2010, elle publie en numérique les cahiers de son Journal, tenu à son arrivée de Bretagne à Paris en septembre 1960.Conseil en gestion du temps, elle cherche toujours des méthodes pour simplifier la vie.Scrivener user, fan et evangelist, elle publie un guide francophone "Scrivener plus simple".Elle restaure elle-même sa chaumière en Bretagne et son domaine en tenant un cahier de chantier.Gaelle Kermen écrit sur la vie, le temps, la nature, le rythme des saisons, la littérature, la musique, la peinture, la politique, l'histoire du monde, les technologies, le jardin, le travail du bois ou du chanvre, la sculpture du paysage, pour la construction d'un cadre de vie permettant l'épanouissement de chacun en harmonie avec le monde qui le porte.Concept de vie : marcher dans la beauté.
En savoir plus sur Gaelle Kermen
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Avis sur Clandestine 70
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Aperçu du livre
Clandestine 70 - Gaelle Kermen
Aux étudiantes et étudiants de l’année 2020
En 1970, nos vies n’étaient pas toujours faciles,
mais, dans nos têtes, nous nous sentions libres.
En 2020, le confinement politique vous coupe les ailes
et vous musèle dans la solitude et le désespoir.
Pour vous tenir sages,
par peur du ferment révolutionnaire
que représente la jeunesse de toute éternité.
En cette période anormale,
allez au fond de vos propres ressources.
Cultivez vos talents, ce sont vos richesses.
Ne comptez que sur vous-même.
Rêvez votre vie.
Un jour, vos rêves prendront forme réelle.
Le rêve est créateur.
Je peux vous l’affirmer avec le recul de cinquante ans.
Haut les cœurs, camarades !
Avec toute ma compassion,
Gaelle Kermen
Kerantorec
21 décembre 2020
Année 1970
Clandestine 70 est le Journal de mon année 1970.
Une année où j’ai rencontré des gens exceptionnels, de l’abbé Pierre à Michel Polac, en passant par Jacqueline Kennedy-Onassis.
Une année où j’ai publié mes premiers articles dans la revue Esprit , fait mes premières émissions de télé à Post-Scriptum .
Une année où j’ai commencé mon unique roman de jeunesse, Aquamarina, devenu Aquamarine 67 .
Une année de voyages en Bretagne, en Italie, en Angleterre, autour de la France. L’année du Festival de musique de Wight 70 et du Tour Auto 70.
Une année d’études, de travail et de fêtes dans des milieux très différents. Un tourbillon qui ne s’arrêtait que lorsque j’étais terrassée par des crises d’asthme.
Je tenais mon Journal pour faire le point, analyser ce que j’observais, croquer les gens de rencontre, prendre du recul, engranger des réflexions, imaginer l’avenir.
Clandestine 70 est le récit littéraire, poétique, à la précision presque scientifique, de cette année d’exception dans l’ambiance d’une faculté d’avant-garde : le Centre Universitaire Expérimental de Vincennes qui a aidé à former ma personnalité.
Vous voulez savoir comment vivait une étudiante parisienne en 1970 ?
Voici mon témoignage cinquante ans plus tard.
Embarquement.
Bon vent !
Gaelle Kermen
Personnages principaux
Les noms des célébrités rencontrées sont dans le chapitre Repérages 70 en fin d’ouvrage.
Les noms de certaines personnes proches ont été modifiés pour en faire des personnages dignes d’un roman.
Famille proche
Marine, Gaelle ou Marie, la narratrice, 24 ans, étudiante en droit-science politique et sociologie.
Anne, sa sœur, de six ans son aînée, l’héberge au 10 boulevard Poissonnière, Paris, 9e, depuis l’époque du Pot de Fer et du Buci (voir cahiers précédents des années 60 et le roman Aquamarine 67).
Youennig, le frère aîné, dirige le Centre Emmaüs d’Esteville avec son épouse Rosa. Naissance du bébé Sophie.
Philibert, le jeune frère, 19 ans, étudiant.
Bruno, le petit frère, 12 ans, collégien.
La mère et le père habitent la maison de Saint-Leu-la-forêt avec Bruno.
Voisins de Saint-Leu-la-forêt
Christian et Joséphine Bloch, dite Madame Bloch.
Famille étendue
L’oncle Francis, les cousins Simon, Gabriel et Jakez Morpain (au festival de Wight 70).
Les personnages d’ Aquamarine Voir le Journal 60 et Aquamarine 67.
Hélène, Jean, Brendan, Ava, Élise, Benoit, Christine, Pierre le Malgache, Yannis, César, Jane.
Les camarades de Vincennes
Didier, Michel Lecalot, Michel Doumerc, Hélène 2, Valérie Coquerel-Jeanneau, Myriam, Luc, Christian Duc, Rémy Kolpa-Kopoul, Philippe Houzé, Patrick Mulquin, Alain Schuller, Marc Jeannot et Catherine, Paul le Savoyard et Monique, camarades de grève de la faim en décembre 1969, Nicole Hantcherian, Ulla, Alita.
Les amants
Pierre le Malgache dit ensuite Pierre 1, Bébé, Jan, Fern, Don, Manuel, Platon Karataev, Pierre 2, Jean-François J., Michel Polac.
Les professeurs de Vincennes
Casamayor, Madame Savonnet, Platon Karataev, Manuel, Pierre-Henri Dubois, Mikis Demetrios, Nikos Poulantzas, Grossein, Larrère.
Maison de couture Louis Féraud
Kiki Féraud, Yves Sunhill, Louis Féraud, Zizi Féraud.
Fin 1969/début 1970
sur la grève de la faim
fin décembre 1969
cette grève de la faim a été dure et pénible
mais enrichissante
mentalement j'étais prête
j'aurais pu tenir longtemps
je connais mieux mon corps
ses limites comme ses possibilités
j'ai perdu presque 4 kilos
mais si c'était à refaire je le referais
le deuxième jour a été le plus pénible
lourdeur du corps qui ne répond plus
le troisième jour j'ai eu envie d'aller à la messe
j'avais retrouvé l’âme de brendan mon ami mystique du pot de fer et du buci
la veille j'avais reconnu lanza del vasto à la radio et mon esprit désincarné retrouvait les réminiscences des expériences de jeûne à l’arche de bolène
gandhi
m'avait demandé la charmante madame savonnet notre prof de droit constitutionnel qui s'inquiétait pour moi
oui les histoires non-violentes de gandhi ont bercé mes dernières années de lycée par les bouches de maman et de shantidas
je ne suis pas allée à la messe
j'étais trop fatiguée quand même
je n'ai pas su prier non plus
j'ai pu lire le nouvel observateur et je me suis demandée si je n'allais pas enfin prendre la décision de m'inscrire au p s u
j'avais oublié yves sunhill et le design
le fric et l'exploitation
j'ai lu l'article sur bernard thareau le renard dans le poulailler
j'ai su aussi que c'est là que j'irais
vers la campagne
irréversiblement
même si maintenant ça fait encore rire quand j'en parle
j'aurais aimé méditer
mais le calme était impossible
mon ami michel d est venu comme promis le lundi midi
l'esprit s'aiguisait
mais nous ne pouvions plus lire
on lisait pif le chien
et on ne comprenait pas tout
impossibilité d'écrire aussi
attendre la fin
méprendre la faim
j'ai su que mes problèmes ne s'arrangeraient pas de sitôt
que la grève de la faim n'était qu'un trompe-l'œil
michel l venait me voir
il avait faim
michel d passait
discret
mon ventre se creusait
le problème
trouver l'essentiel
ne pas gaspiller ses forces
être non-violente jusqu'au bout
ne pas se laisser dominer par l'agressivité vis-à-vis des autres
la fatigue des discussions pseudo-politiques
l'anar contre le situa
l'anar et le situa contre le marxiste-léniniste
les dissensions stupides
mais le plaisir du premier repas pris ensemble
la douceur de la pomme de terre cuite à l'eau
resteront longtemps dans ma mémoire
la grève de la faim je l'ai faite parce que j'en avais ras le bol des discussions des palabres des engueulades interminables de groupuscules débiles en arrêt devant l'hypothétique volonté d'action sur l'extérieur
la grève de la faim c'est un moyen de fermer sa gueule et d'agir efficacement
et de payer de sa personne comme me l'a écrit ma belle-sœur rosa
j'ai payé de ma personne
nous avons obtenu le versement de nos bourses en retard et l'obtention des bourses de l'enseignement supérieur aux étudiants non-bacheliers inscrits à vincennes
c'est une première dans l'université française
début d’année 1970
l undi 5 janvier 1970
je vais terminer ce cahier noté dans un agenda
j'ai reçu cet après-midi
après la sieste impromptue occasionnée par ma crise de ce matin
un mot de casamayor mon prof de libertés publiques
très généreux et sensible
il me serre sur son cœur
ce soir en quittant la fac j'ai rencontré madame savonnet mon prof de droit constitutionnel
avant son départ à la montagne elle avait essayé de contacter casamayor pour lui faire savoir que je faisais une grève de la faim dans les locaux de vincennes
mais elle n'avait pu le joindre
elle s'inquiétait pour moi
je l'ai rassurée
je vais bien
cette femme a un charme fou un charme qui ne laisse place à aucune critique
elle est restée envers et contre tous l'enseignant le plus populaire du département droit de l'an dernier
je l'aime beaucoup
elle m'a dit
j'ai toujours pensé gaelle que vous étiez essentiellement mystique qu'au fond vous étiez faite pour une vie monacale et ascétique
comment le sait-elle
comme a-t-elle pu me trouver entre deux articles de la constitution de 1958 ou celle des états-unis de 1787
curieux
moi qui de plus en plus ai envie d'être moine
didier est un con
michel l est un petit con
j'en ai fini avec ces gamins
j'ai l'amitié de casa
c'est beaucoup plus important
et je n'ai toujours pas le droit de perdre mon temps ni de me perdre
j'ai à faire
lettre de casamayor
adressée 10 boulevard Poissonnière, Paris, 9e
le 5/1/1970 de la rue Marcadet
Enveloppe et papier à en-tête de la revue Esprit
19 rue Jacob, Paris VIe
Gaelle je vous serre sur mon cœur.
Votre mot est tellement gentil.
Je n'étais pas à Paris. Sans quoi je serais venu sans aucun doute.
Bonne année !
Je voudrais que vous soyez heureuse
et que les camarades aussi le soient.
En tous cas, qu'ils fassent face (ça se lit mieux que ça ne s'entend) avec malice et entêtement.
Affectueusement à vous tous
Casa
fin de l'agenda 69 par gaelle kermen
Janvier 1970
début d'année 1970
dates repères janvier 70 en fin d’ouvrage
voilà je commence un nouveau cahier bien épais
le vieux libraire à qui je demandais un bon gros cahier m’a donné celui-ci avec une marge et des grands carreaux des lignes et même des interlignes
j’ai un peu peur de me lancer dans l’écriture de cette nouvelle année 1970
mon dernier cahier s’est terminé avec l’année dernière
c’était l’agenda 1969 et j’étais limitée par le cadre d’une page par date
évidemment il y avait des jours où je vivais peu et d’autres trop remplis qui m’étriquaient le cerveau sur la feuille pas assez grande pas assez longue
maintenant je peux écrire autant que je veux
j’ai trois cents pages devant moi sans numéro
juste ces carreaux de mon enfance sur lesquels j’ai appris à tracer les majuscules les points et les virgules que je n'utilise plus
j’ai l’impression d’écrire pour les autres
est-ce d’avoir reçu hier ce mot tellement gentil de casamayor qui me donne la certitude cette année de me révéler enfin
je vais tenter de ne plus jamais me gaspiller
je ne peux pas décevoir mon professeur de libertés publiques de la fac de vincennes
j’ai envie de blanc
de murs blancs
de bottes blanches
pour me laver de l’angoisse d’hélène ma plus ancienne amie de saint-leu-la-forêt
j’ai peur pour ce bébé qu’elle attend de yannis
j’ai peur pour hélène parce que très bientôt nous ne pourrons plus l’aider
elle refuse les quelques conseils qui nous paraissent évidents
ne serait-ce que pour son alimentation
je ne veux pas admettre que l’on puisse faire un bébé entre deux cachets d’amphétamines entre deux paquets de cigarettes et deux nuits blanches à parler parler parler pour essayer de se trouver à défaut de rencontrer l’autre
je veux croire qu’un enfant est la plus belle création de la femme la seule création au monde le reste n’est que logorrhées élucubratives
je veux croire qu’on puisse créer les conditions nécessaires à la bonne conception de l’enfant et à sa gestation
je ne veux pas admettre qu’on puisse encore faire un enfant par hasard
ça fait maintenant presque trois ans que je prépare un enfant en moi
c’est long
mais je veux le faire
je sais qu’à force de volonté et de désir j’approche du but
est-ce parce que je me sens plus forte plus sereine plus équilibrée que j’ai téléphoné à madame bloch notre ancienne voisine de saint-leu
j’ai ressenti le besoin d’entendre la voix d’une femme épanouie
je suis plus disponible mentalement pour pouvoir lui parler alors qu’il y a quelques mois je me sentais partir très loin d’elle trop installée dans son confort bourgeois
bien sûr je vais bientôt commencer la layette du bébé d’hélène
je suis terriblement fière d’être assez intelligente pour savoir me servir de mes mains
j’ai rêvé que je retrouvais brendan sur la route et qu’ensemble nous continuions un grand voyage
brendan mon amour platonique perdu de l’époque du pot de fer
je dois désormais me lever tôt avant qu’il ne soit trop tard pour vivre
je regretterai sans doute toujours malgré mon équilibre de femme forte s’affirmant un peu plus chaque jour de n’avoir pas été un homme pour parcourir les routes du monde
seul
avec peu de choses en bagage
et le cœur en bandoulière
on the road
j’avais rêvé que je retrouvais brendan
et c’était un grand bonheur
une vie nouvelle
extrêmement lumineuse
avec des points de fuite
au loin
et puis un bébé est né
notre première nièce
elle s’appelle sophie
ce rêve était très beau très pur
comme les yeux bleu irlandais de brendan
ma belle-sœur aussi aimait brendan
tout le monde aimait brendan
l’abbé pierre à la maternité de rouen
nous sommes allés voir le bébé à la maternité de rouen
sophie est adorablement finie
toute jolie dans les bras de rosa qui n’a jamais été aussi belle aussi heureuse aussi transcendante
youennig essaie de ne pas avoir l’air trop idiot
l’abbé pierre est arrivé en fin de visite
il descendait juste du train de paris
très beau sourire et crâne très harmonieux au-dessus de la barbe grise
un peu le genre de crâne de casamayor
il a eu de très beaux gestes tendres envers rosa et sophie
il a dit ce qu’aucun de nous n’avait encore pensé
même moi avec mon mysticisme toujours en latence
il a dit
nous devons beaucoup prier
rosa était très émue
sophie sérieuse
en quelque sorte il l’a baptisée
c’est vraiment la plus belle chose au monde que la maternité
surtout lorsqu’on a mené la conception la grossesse et l’accouchement de main de maître comme l’a fait rosa
avec un souci constant de perfection dans la création
après la visite à la maternité de rouen youennig nous a conduits à la communauté d’emmaüs à esteville qu’il dirige avec rosa
ils sont bien installés
sophie a une très jolie chambre décorée avec amour par son papa
elle ne manquera de rien
dehors elle verra les arbres et au fond du pré trois moutons avec le poney du shetland que personne n’a jamais monté
un petit chat
ce soir nous avons rapporté de saint-leu le petit chat blanc gwenig à taches fauves tout tendre
anne a mis quatre ans à accepter l’idée d’avoir un être vivant dont elle serait responsable
grâce à bernard son dernier amour
le bon peut-être
gwenig a eu très peur dans la voiture
surtout des lumières stridentes qu’il n’a jamais vues
il a eu peur dans l’ascenseur
mais ici quand je lui ai enlevé son collier
celui qui avait servi à chloé la chatte siamoise d’hélène la fille de zazie la chatte siamoise de jane notre amie anglaise de l’époque du pot de fer
il a bondi littéralement de joie
ronronnant comme un fou avec sa bronchite
il est émouvant ce chat
il va manquer à papa qui le préférait à son petit frère tigré
j’espère ainsi que papa viendra nous voir plus souvent
kiki m’a appelée ce matin
histoire de me demander si je connaissais quelqu’un qui saurait tricoter des chaussettes pour la collection louis féraud de l’été prochain
oui maman sait faire ça
maman sait tout faire
kiki appelait peut-être aussi pour renouer le contact
d’ailleurs j’en suis à me demander pourquoi je ne la vois plus
elle me manque
nous n’avons pas eu d’explications
c’est comme si depuis la grève de la faim une certaine anesthésie s’était abattue non seulement sur moi mais aussi sur eux kiki et yves son mari designer mon dernier patron
elle semblait un peu triste au téléphone
peut-être m’aime-t-elle plus que je ne le croyais
à part ça le chat est un amour qui tousse encore un peu trop
à vincennes
au cours objet de la science politique j’ai assisté au groupe de madame savonnet qui était assistée de platon karataev
tous les deux adorables
je n’avais jamais remarqué avant ce jour le charme touchant de karataev
une certaine timidité
les yeux cherchant on ne sait quoi on ne sait qui
tournés vers un ailleurs invisible
tous les deux m’ont donné une furieuse envie de travailler et de préciser ma propre pensée
je peux désormais être moi-même dans mes recherches à la fac
les profs me connaissent m’estiment et attendent beaucoup de moi
j’ai enfin la jouissance de pouvoir aller hors des sentiers battus
hélène 2 mon amie de vincennes au très beau visage p â le entre les cheveux sombres a perdu le bébé qu’elle attendait
son mari m’a enfin appelée
j’étais inquiète cette semaine
c’est affreux comme une fausse couche peut foutre en l’air une femme
hélène 2 était trop heureuse d’attendre ce deuxième bébé dont je devais être la marraine spirituelle et intellectuelle
j’avoue être moi aussi déçue
mais nous sommes fatalistes hélène 2 et moi
nous voulons croire que c’est mieux ainsi
passage à paris de mon oncle francis
hier tonton francis était de passage à paris avant son départ en provence ce matin
je l’ai appelé à neuilly chez sa belle-sœur l’adorable et merveilleuse tante denise de mes cousins
pour lui offrir mes vœux et lui annoncer la naissance de la première petite-fille de son frère
je l’aime terriblement
je l’aime d’avoir tout le dynamisme que n’a pas eu papa son frère
mon propre dynamisme je l’ai hérité de maman
je l’aime d’être sensible
de s’attacher à des tas de valeurs anciennes que j’ai oubliées dans ma vie mais que j’aime retrouver chez lui
je l’aime de m’avoir accueillie comme sa fille sans jamais me juger après mon mai 68 à la sorbonne
je l’aime de m’avoir ouvert des horizons qui m’étaient jusqu’alors insoupçonnés en me faisant connaître bernard lambert dont il était le suppléant à la députation en 1958
hier il me parlait de rialland le président de la chambre d’agriculture de nantes
il lui a parlé de moi et de mes travaux
rialland serait ravi de me rencontrer et de m’entendre
ce qui m’effraie
j’ai au contraire tant à apprendre des paysans à la base
mais tonton francis caresse l’espoir de voir ma signature dans la revue le paysan nantais
il a raison
pourquoi pas
je rêve moi aussi de faire des articles dans des journaux
et j’y arriverai
par la bande
sans avoir fait l’école du journalisme
sans doute grâce à casamayor qui dit à tout le monde que j’écris merveilleusement bien
j’espère justement faire des articles sur l’agriculture
ou alors sur la mode
le rêve
pouvoir faire les deux sujets en même temps
valérie camarade de vincennes
ce soir j’ai retrouvé ma jolie petite valérie
maoïste à croquer de vincennes l’an dernier
nous étions ensemble en sociologie au cours de grossein dans le groupe sur le front populaire et en droit au cours de casamayor sur les libertés publiques
nous nous sommes aimées tout de suite
j’aimais son extrême féminité empreinte parfois d’une causticité poignante
nous riions toujours beaucoup
ensemble nous étions allées interviewer georges monnet ministre de l’agriculture sous le front populaire un homme charmant au charisme encore fort
aux beaux jours elle venait bronzer sur la terrasse du sixième étage du boulevard poissonnière en face du rex
nous parlions souvent de bébés
elle avait été élevée au parti communiste
ballottée toute son enfance dès son berceau par ses parents militants de meeting en réunion de cellule
jusqu’à ce qu’elle devienne maoïste évidemment
je l’adorais
eh bien cette salope s’est mariée sans rien nous dire
enfin je le savais
mais quand même
c’est toujours emmerdant de savoir ça
quand je l’ai revue au moment des inscriptions
valérie m’avait avoué qu’elle s’ennuyait chez elle
ben voyons
on ne la voyait plus à vincennes
et elle me manquait cette valérie jolie
nous nous sommes retrouvées ce soir
dans un café d’enghien
près de la gare
comme je sortais avec ma sœur de chez le docteur fleury
valérie était là avec yves jeanneau son mari très jeune
ils sont beaux tous les deux
elle est toujours jolie le visage lisse et les yeux vibrants vers on ne sait quoi
cherchant quelque chose d’autre
elle va peut-être entrer au journal elle comme journaliste et elle avait pensé à moi pour l’aider pour la mode et tout le tremblement
je suis sûre qu’elle plaira beaucoup à ces vieilles putes de la revue elle avec lesquelles je m’entendrais aussi fort bien sans doute
chez le médecin à enghien-les-bains
dans la salle d’attente du docteur fleury
une petite vietnamienne asthmatique en crise
anne et moi la regardons
fascinées hallucinées
anne parce qu’elle me revoit au même âge
moi parce que je me retrouve au même âge
ses poignets
ses poignets si frêles qui dépassent de la manche
ses poignets si maigres sur lesquels elle s’appuie pour s’aider à respirer
le souffle fort la toux sifflante
les yeux s’excusent de faire tant de bruit
je lui ai souri pour ne pas me mettre à pleurer sur mon enfance horrible qui ne serait qu’un mauvais souvenir enterré à jamais si je ne savais que d’autres enfants la vivent toujours
avec la même force dans la fragilité
la même virulence dans l’arrachement
me revoir dans d’autres m’est insupportable
je ne regrette pourtant pas d’avoir eu cette foutue maladie qui m’a si longtemps fait ressembler à un épouvantail à moineaux
je m’en suis bien sortie
intellectuellement surtout
mystiquement aussi
c’est ça qui m’effraie peut-être le plus pour les autres
que l’asthme ne soit pour eux qu’un cauchemar
et pas une révélation
je donnerais n’importe quoi
ma vie si elle était bonne à quelque chose
pour pouvoir empêcher les crises de philibert en été
mon asthme je sais le transcender
mais philibert ne mérite pas cette souffrance
pas mon propre frère chéri
cette idée est plus insupportable que la plus grave des crises
et cette petite fille de même pas dix ans aussi étriquée et ténue que je l’étais non elle ne mérite pas ça non plus
restaurant dans l’île saint-louis
nous avons mangé comme des ogres dans l’île saint-louis
non loin du numéro de la rue saint-louis-en-l’île où j’habitais avec anne il y a encore un an
non loin de la rue où j’ai passé deux ou trois de mes plus belles nuits d’amour avec don le décorateur à la mode
j’aimais cette île et la couleur des ciels les matins en traversant le pont vers notre-dame
en passant dans ce square qui me rappelait brendan mon amour platonique du pot de fer
je suis loin de tout ça
je ne regrette rien
ça fait à peu près un an que je me suis délivrée de pierre le malgache de la rue visconti
le premier homme avec qui j’ai vécu
j’essaie d’être et de rester une femme
à vincennes
je passe de plus en plus de temps à parler avec mon prof de droit constitutionnel madame savonnet
elle semble y prendre elle-même beaucoup de plaisir
j’attends avec une certaine hâte son prochain cours lundi avec platon karataev
hier un camarade a rencontré casamayor qui me fait une bise
ça se précise
je dirais même que c’est l’escalade
du baisemain en passant par son cœur on en arrive à ma joue
je comprends trop casa pour que ça me gêne
j’ai peur et j’en suis furieuse de tomber en amour avec platon
je suis arrivée en retard au cours
comme d’habitude
un peu exprès sans doute
histoire de ne pas rater mon entrée
j’avais aujourd’hui mon long manteau de laine brune d’auvergne tricoté par moi-même sur l’ensemble pantalon en jersey rouge signé féraud junior
j’étais terre et feu
cette espèce d’abruti que monique appelait nounours qui venait nous voir pendant la grève de la faim le ventre en avant comme s’il venait de manger un porcelet et que monique s’est tapé le dernier soir fallait vraiment qu’elle n’ait rien mangé pendant cinq jours bref nounours ou je ne sais plus comment il s’appelle christian peut-être était assis à côté de platon
il m’a fait un signe
platon s’est poussé pour me faire de la place et a eu la politesse de se tourner vers moi pour ne pas me tourner le dos
j’étais ravie à l’aise
j’espérais être jolie
madame savonnet était adorable
pourtant elle râlait intérieurement contre l’apathie désolante de la salle
je suis la première à en avoir honte car moi-même j’ai dû dire six mots en tout
sur ce foutu manifeste de marx que j’étudiais pour la demi-douzaine de fois au moins
rien
le vide sidéral le désert intégral
était-ce platon qui m’impressionnait
quand il parle c’est toujours brillant et évident
je ne sais rien ajouter à l’évidence
surtout lorsque je me sens fondre de maternité devant son regard interrogateur de gosse qui quête un assentiment
surtout lorsque je surveille avec une presque inquiétude la transpiration qui perle sur son front tant il parle
surtout lorsque j’observe ses jeans son col roulé beige clair en camaïeu avec sa peau
mais zut
là il se passe quelque chose
cette peau que je devine sous la manche
ce regard brillant
c’est
et ça je n’en veux pas je n’en veux plus
mais c’est pierre le malgache
merde
non platon a cette timidité brûlante qui me vrille à vif
et que pierre n’avait pas
et puis il ne savait pas vraiment parler au fond
il gueulait plutôt
et le problème n’est plus là
pierre je m’en fous maintenant je l’ai oublié
je fais gaffe c’est tout
aux black bastards aux métèques et aux gueules de pâtre grec
enfin platon a presque réussi à me brûler avec sa cigarette
dommage j’aurais aimé me faire plaindre et consoler
il me fascine
simplement
j’ai honte de si peu travailler de n’avoir pas encore pu depuis le début de l’année me mettre à ma table avec mes bouquins mes papiers et mon stylo en tirant la langue
j’ai besoin aussi d’être amoureuse et d’enfin me passionner pour mon travail
manuel
deux heures du matin
il vient de partir
platon
non hélas
mais son collègue manuel
parce qu’il ressemble à bob dylan enfant
parce que j’ai envie d’être en amour avec platon
parce que platon n’était pas là ce soir à l’a g de droit-sciences po
parce que manuel me parlait de platon
et je n’osais comprendre qui était platon
et nous sommes allés dîner rue xavier privas
marc m’invitait
je l’aime beaucoup mon camarade
j’étais entre marc et pierre-henri dubois notre brillant enseignant de sciences politiques en relations internationales
très sympa
nous avons fini la soirée chez lui rue de la huchette
j’ai parlé de madame savonnet pour ne pas parler de karataev
platon c’était lui
j’avais pensé à l’ami de pierre bezhoukov qui lui avait tant appris dans guerre et paix
c’est ainsi que je l’appelle pour moi-même
manuel m’a dit
tu es belle
mais dieu que c’est triste de faire l’amour sans amour surtout lorsqu’on le fait si bien
j’ai aujourd’hui cette langueur dans les muscles que j’aime tant parce qu’elle me donne une conscience aiguë de mon corps
la conscience peut-être d’avoir fait du bon boulot
les problèmes d’après l’amour je n’en fais jamais
je sais rester discrète
clandestine
personne ne sait
par chance je n’irai pas à vincennes avant trois jours
j’agis comme un garçon
je prends
je donne aussi
le lendemain je veux oublier
je veux avoir la paix surtout
avec un certain remords de m’être gouré de mec
didier disait chez dubois c’est bien gaelle tu l’auras ton u v
marc était jaloux
il a tort je l’aime plus que les autres
et c’est bien pour ça que je ne ferai jamais l’amour avec lui
dubois m’a dit au revoir gaelle reviens quand tu voudras
je veux rester responsable
manuel lui-même parlait du charme gosse de platon
et j’avais le ventre noué en l’entendant parler de la femme de platon
il me regardait fixement en disant qu’elle était belle
elle aussi
bien sûr
pendant le cours j’avais regardé fascinée les lignes bien nettes de la main de platon
sa ligne de vie rejoignait fermement sa ligne de tête
comme sur ma main
je voudrais croire que je me raconte des histoires comme une petite fille et que ça va durer trois semaines
platoniquement c’est le cas de le dire
la vie est passionnante
quand je pense à toutes ces angoisses à toutes les déchirures par lesquelles j’ai dû passer pour en arriver là je me dis que ça valait le coup de ne pas mourir
terriblement
savoir que j’ai une place
quelque part
entre des gens et des idées
savoir que je suis bien en moi
dans ma peau
dans ma tête
savoir que je vais faire quelque chose de ma vie
faire ma vie telle que je la veux
remo forlani et ses interprètes aphones
remo forlani nous avait fait dire par nicole du nouveau guide gault-millau qu’il nous attendait vendredi soir au théâtre de la renaissance pour assister à sa nouvelle pièce madame écrite pour et avec barbara
malheureusement barbara était aphone
décidément forlani n’a pas de chance
lors d’une des premières représentations de guerre et paix au café sneffle jean-pierre marielle était aussi aphone
au moment où son talent devient évident et populaire
toujours pierre
ce que je regrette le plus de pierre
c'était sa façon de dire merci après l’amour
ça me manque
alors maintenant c’est moi qui remercie
sur platon
j’espère avoir enfin commencé à travailler
sans doute pour ne pas avoir l’air trop stupide au cours de madame savonnet et karataev
journée perdue
soirée jolie
je m’étais levée tôt et j’avais travaillé toute la matinée
j’étais à deux heures à vincennes
je savais qu’il n’y aurait pas cours à cause de l’a g
dommage
heures perdues à entendre redire les mêmes choses
ligne de masse
luttes de classes
je ne comprends jamais de quoi il est question c’est trop abstrait
manuel est là il ne me quitte pas il a l’air de me considérer un peu comme à lui sans trop insister heureusement
il m’invite à prendre des pots et j’accepte
j’espère qu’à un moment ou à un autre notre ligne trouvera un point d’intersection avec celle de platon
je le guette platon
je le cherche
je l’attends
je l’espère
je le suis des yeux
je le veux
follement
je sais qu’il a passé la nuit sur le capital de marx pour nous faire ce cours qui n’a pas eu lieu
manuel aussi d’ailleurs
mais j’ai moins envie de l’écouter
une voiture nous emmène jusqu’à censier
manuel est près de moi
je suis derrière platon uniquement préoccupée de lui
j’ai tort je sais
a g rasante
comme toutes les a g
à censier comme à vincennes
sortie
nous sommes une vingtaine à nous étirer sous la pluie pour trouver un coin où bouffer
finalement nous partons tous les trois manuel platon et moi
dîner couscous
platon n’aime pas le couscous
mais il boit du vin rouge
il habite avec une nana
tant pis
mais il travaille comme un fou
bien
passionnément et profondément
j’ai appris beaucoup de choses sur lui
il sait faire la cuisine
il pleure toujours au cinéma
il adore le vin rouge
il aime les spaghetti s
il a un accent pourri de charme et de naïveté apparente
à athènes il vivait comme un paresseux
il a quitté la grèce en 1967
après il est allé aux états-unis c’est pour ça qu’il connaît bien la sociologie américaine et c wright mills en particulier
il y a quatre ans david l’urbaniste américain qui arpentait paris à pied pour en sentir la structure sous ses semelles m’avait parlé au pot de fer de ce sociologue et m’avait conseillé de lire son livre le plus connu power elite
platon est en france depuis le mois de mai 1968
à part ça j’ai aussi appris que manuel connaissait brice lalonde depuis l’âge de quatre ans
je me disais aussi qu’ils avaient quelque chose de commun tous les deux l’un en face de l’autre à cette a g idiote
ça m’amuse toujours de voir mes petits amants en présence
mais brice ne m’émeut plus
je voudrais être amoureuse de quelqu’un qui sente le chèvrefeuille parce que je ne sais pas ce que c’est
j’ai été flouée de la révolution malgache
aurai-je plus de chance avec la révolution grecque
je suis nietzschéenne dans mes affinités électives
je tombe toujours sur des chefs
est-ce une volonté de puissance
ou le masque de mes carences
manuel et moi parlions de moto
platon m’a demandé si c’était par insatisfaction et frustration que je restais à vincennes
subtile question qui était peut-être une façon de faire remarquer que je montrais trop mon cul
il m’a demandé si j’avais des problèmes
peut-être
si la vie m’avait durcie
sûrement pas
et pour cause
je recommence stupidement à fondre de tendresse et de désir
ô combien je l’aimerai
un jour ou l’autre
demain ou plus tard
ces moments d’approche sont les plus beaux
casamayor boulevard poissonnière
le ciel a des velléités de printemps
casamayor vient de m’appeler
il a besoin de moi
j’ai un peu peur
je ne sais jamais si je saurais dire quelque chose
il vient demain soir ici
pour m’éviter d’aller jusqu’à esprit
je découvre que je suis peut-être marxiste
je crois à la faim et au vide des ventres
ça seul me touche
c’est ce qui nous sépare hélène et moi
elle est peut-être sincère quand elle affirme que les problèmes psychologiques sont primordiaux
les problèmes alimentaires sont secondaires pour elle
pour moi non
casa est venu ici
avec sa chaleur habituelle et sa gentillesse de gentilhomme
il s’inquiétait pour son ami paul ricœur doyen de nanterre qui vient d’être molesté quelque peu par des étudiants
je l’ai mis en contact téléphonique avec michel doumerc qui continue à aller en même temps à vincennes et à nanterre
casa a caressé le chat tout le temps de sa visite
il trouve que karataev est très bien
ce qui me ravit
à vincennes
j’ai de très belles bottes de cuir fauve qui me donnent une démarche fort martiale
j’ai enfin touché ma bourse et je me sens nettement mieux
parce qu’hier ça n’allait plus du tout
manuel m’énervait
zut j’aime être libre de mes mouvements
et puis j’ai eu un cauchemar au cours où manuel avait pris soin de se placer entre platon et moi
cours intéressant d’ailleurs où j’ai enfin commencé à comprendre la théorie économique marxiste que j’étudie depuis un bout de temps quand même
à un moment j’ai vu karataev
sans doute pour se décontracter
poser ses mains bien ouvertes sur ses cuisses puis se frotter les genoux en remontant
je l’avais déjà vu faire ça mais jamais je n’avais fait le rapprochement avec pierre mon malgache
c’était le cauchemar retrouvé
à en gémir
à en hurler
de terreur
j’ai posé ma tête sur la table
prête à me répandre
avec la certitude de devoir retrouver un enfer si je me laissais faire par le charme de la silhouette sombre et brillante de platon
un camarade