La tentation libertine: Certains y ont succombé, beaucoup en rêvent

Par Rodolphe Fouano

Entre bonheur, déception, attentes et lassitude, une immersion au coeur du libertinage et de l'échangisme moderne.

Faut-il rêver sa vie ou vivre ses rêves ? Le libertinage et l’échangisme apparaissent comme une tendance sociétale récurrente. Les années 1970 ont fait frissonner avec Emmanuelle et Histoire d’O. Plus récemment, la planète s’est enflamme pour Cinquante Nuances de Grey.
La mode des clubs privés non-conformistes, la libéralisation des moeurs favorisée par Internet ainsi que le pornochic ont déghettoïsé le milieu libertin qui reste pourtant mystérieux et constitue une insondable fabrique de fantasmes.
Ce livre-document rassemble seize témoignages de femmes, d’hommes ou de couples en mode séduction qui développent une sexualité originale, à travers des expériences libertines, ou qui en ont, à un stade de leur vie, éprouvé la tentation. En toute confiance, ils se confient à leur interlocuteur, dans un échange libre d’un ton inédit.
Les discussions lèvent le voile sur des pratiques secrètes et pourtant répandues. Tous confient les plaisirs qu’ils ont découverts, leurs attentes intimes, leurs bonheurs et leurs déceptions, jusqu’à la lassitude qui les saisit parfois. Malgré des protestations de franchise, de confiance, d’amour, sautent aux yeux du lecteur les failles de ces êtres en quête de sens, qui jouent avec le feu et souvent se brûlent...

Plongez-vous sans plus attendre dans ces témoignages intimes et découvrez un monde secret mais aux pratiques de plus en plus répandues : le libertinage.

EXTRAIT

Vous semblez être entrés en libertinage comme d’autres entrent en religion. Comment cela a-t-il commencé ?
Antoine : Sur l’oreiller, au moment de faire l’amour, je parlais de plus en plus souvent de mes fantasmes. J’évoquais l’idée de faire des trucs à plusieurs : avec un couple, un homme seul ou une autre femme... C’est devenu assez systématique.
Sonia : Moi, je n’avais pas trop envie. J’avais surtout peur. Je souffrais de complexes. Mais Antoine a tellement insisté que j’ai fini par franchir le pas pour lui faire plaisir. J’ai organisé une surprise en prenant l’initiative de la première fois. Depuis, je me suis beaucoup libérée, mais ce fut une lente évolution.
Antoine : Quand je suis rentré, un soir, Sonia m’a dit qu’elle avait répondu à l’annonce d’un homme seul sur un site internet et qu’ils avaient convenu d’un rendez-vous.
Nous l’avons retrouvé dans un hôtel et nous avons eu une relation à trois.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Docteur ès Lettres de l’Université Paris-Sorbonne, Rodolphe Fouano est journaliste. Il collabore à différents supports dont Challenges et L’avant-scène théâtre où il traite de sujets sociétaux et culturels, en marge de l’art de vivre.

• Langue: Français
• Éditeur: La Boîte à Pandore
• Date de sortie: 17 déc. 2018
• ISBN: 9782390093275

Aperçu du livre

Avant-propos

en forme de mise en bouche

S’il vous arrive de vous imaginer dans les bras de l’acteur ou de l’actrice du film que vous regardez avec votre ami(e), votre mari ou votre épouse ; si, en suivant les élucubrations des présentatrices météo de la télévision annonçant un « temps chaud et humide », vous pensez à autre chose qu’au « pourtour méditerranéen », comme elles disent ; si la question posée sans malice par la boulangère : « Je vous la tranche ? » vous fait esquisser un pas de recul ; si vous souriez sans oser lui dire (toute) la vérité devant sa naïve et rituelle interrogation : « Vous désirez autre chose ? »…

Si, étant une femme, vous vous demandez à quoi ressemble un câlin avec une autre femme ; si vous n’avez jamais osé lui en parler, mais que vous y pensez chaque fois que vous voyez votre meilleure amie, votre femme de ménage ou la baby-sitter de vos enfants ; si, quand votre partenaire — ami, amant, mari... — vous tient dans ses bras, vous regrettez qu’il n’ait pas une main de plus, deux mains de plus, dix mains de plus, une seconde bouche, un sexe supplémentaire, deux, trois, davantage... car l’appétit vient en mangeant et vous sentez, intuitivement, qu’une grande bouffe vous changerait des régimes diététiques auxquels votre quotidien, la morale et le politiquement correct vous ont habituée…

Si vous avez regretté, en voyant Eyes Wide Shut de Stanley Kubrick, de n’être jamais invité(e) à des bals masqués où l’on propose des jeux plus inventifs que la chenille et la danse du tapis ; si la vue d’un œuf dur vous rappelle une scène culte de L’Empire des sens d’Oshima ; si vous ne pouvez pas entamer un paquet de beurre sans penser au Dernier Tango à Paris ; si La Saveur de la pastèque vous a donné envie de vivre à Taïwan ; si vous estimez que l’expérience de Séverine dans Belle de jour de Buñuel, d’après le roman de Joseph Kessel, est plutôt excitante ; si, après avoir vu Proposition indécente d’Adrian Lyne, les seules questions que vous vous posez sont : « Aurais-je accepté ? » (si vous êtes une femme) et « Mon épouse, mon amie, ma compagne... aurait-elle cédé à Robert Redford ? » (si vous êtes un homme)…

Si le slogan publicitaire de la marque de lingerie Barbara : « Quand mon banquier me dit non, j’enlève le haut », vous a amusé(e) ; si les « leçons » d’Aubade constituent un manuel dont vous avez fait votre livre de chevet ; si les collections d’Agent Provocateur ou de Bordelle vous donnent des ailes ; si vous vous damneriez pour approcher les anges de Victoria’s Secret ; si l’hystérie des chiennes de garde et autres apparentées vous désole ; si, en croisant votre voisin(e) ou un(e) inconnu(e) dans la rue, vous vous dites qu’il doit y avoir des expériences plus traumatisantes que de passer ensemble une heure au lit…

Si, troublé(e) par le massage du cuir chevelu que vous prodigue la shampouineuse de votre salon de coiffure, vous avez l’intuition qu’elle pourrait vous faire découvrir d’autres plaisirs ; si vous avez toujours rêvé d’entrer dans un sex-shop sans oser écarter le rideau ; si vous comprenez pourquoi les godemichés ont longtemps été l’un des articles les plus vendus par La Redoute ; si savoir que Nathalie Rykiel propose des substituts phalliques dans sa boutique de Saint-Germain-des-Prés vous soulage de votre mauvaise conscience alors que vous avez parfois eu honte de jouer avec une carotte ou un concombre de retour du marché ; si, filant le parfait amour, vous vous dites néanmoins qu’il serait bon d’élargir le cercle de temps en temps...

Si, pendant des vacances, le bien-être que vous avez découvert sous les doigts vigoureux du masseur vous a heureusement surpris(e) ; si vous êtes parfois troublé(e) par le regard de votre moniteur d’aquagym… Si, prenant une douche avec vos copines dans votre club de sport préféré, vous avez été étonnée de ne pas vous sentir mal à l’aise alors que vous êtes si timide d’ordinaire ; si le sourire de votre meilleur(e) ami(e) vous semble parfois ambigu et délicieusement envoûtant…

Si vous vous demandez comment c’est avec deux hommes, avec trois... Si vous décodez la pub d’un parfum Chanel montrant un mannequin fort entouré comme une incitation à la pluralité masculine ; si le mot « sandwich » n’évoque pas seulement pour vous un sec-beurre-cornichons...

Si, aimant les cerises et les fraises, les babas au rhum et les religieuses, vous ne comprenez pas pourquoi il faudrait choisir entre les brunes et les blondes ; que dis-je ? choisir uniquement et « pour la vie » (sic) une brune OU une blonde, et renoncer aux quelque quatre milliards d’autres femmes qui, vous en êtes convaincu, n’attendent que vous et pensent exactement la même chose des blonds ET des bruns..., ce livre est pour vous !

Rêver sa vie ou vivre ses rêves ? Là est la question ! Beaucoup d’individus fantasment durant toute leur existence, bridant leur libido, étouffant leur goût du romanesque par de sages refoulements que canalise le bovarysme entretenu par le cinéma, la mode, la publicité et qui atteint son paroxysme dans le porno chic dont de cyniques marchands tirent les ficelles. À l’opposé, d’autres franchissent le pas.

C’est à ces derniers que nous nous sommes intéressé en regroupant seize témoignages de femmes, d’hommes ou de couples qui ont succombé à la tentation libertine.

Comment devient-on libertin(e) ? Dans un effort d’auto-analyse, certains croient pouvoir déceler les prémisses de cette orientation, en identifier les étapes progressives. À l’inverse, Monique, dont le témoignage ouvre la série de confidences, assure être « tombée libertine » comme on tombe amoureuse. D’un coup. Et cette révélation a bouleversé sa vie.

Tous confient leurs intimes souvenirs, les plaisirs qu’ils ont découverts, leurs attentes, leurs bonheurs et aussi leurs déceptions, leur lassitude, le dégoût qui les saisit parfois... Sans oublier les dangers de certaines pratiques à risques, rien de ce qui est libertin n’est éludé.

Le libertinage est devenu résolument tendance. Il anime sans complexe les conversations de salon : « Comment, ma chérie, tu n’as jamais essayé le gang bang ? Comme je te plains ! Moi, je ne pourrais plus m’en passer. »

Plus besoin d’appartenir à d’obscurs réseaux, de suivre de minutieuses et secrètes initiations pour être invité(e) à des soirées spéciales, jadis ultraconfidentielles.

Dans le sillage des pionniers qui ont ouvert à Paris les premiers clubs privés dévolus à ces pratiques au début des années 1980, non sans démêlés parfois avec la justice, de nombreux établissements offrent désormais aux adeptes de l’amour libre un cadre dédié où s’épanouissent tous les plaisirs de la chair. Feydeau avait écrit L’Hôtel du libre échange où se retrouvaient des hommes ou des femmes « mariés ensemble ou séparément » ; les années 1980-2000 ont consacré les autels des libres échanges.

Mais l’authentique libertinage se situe ailleurs, hors ghetto, loin de ces établissements qui sont d’abord des entreprises à but commercial. On n’est pas libertin(e), parce que c’est samedi soir et que l’on s’est costumé(e) pour sortir en boîte « non conformiste », ou que l’on est inscrit sur un site internet spécialisé, facilitant la mise en relation, voire « l’adoption » (sic), les rôles traditionnels homme/femme fussent-ils inversés… Le libertinage, qui repose sur un système de croyances, est bien plutôt une culture, une philosophie ; il participe d’une vision du monde.

Les témoignages réunis ici émanent d’un panel représentatif de sept femmes seules, de sept couples et de deux hommes. Ils plongent le lecteur au cœur de la vie de « vraies gens » et de leur quête singulière qui — et ce n’est pas la moindre des surprises — ne se réduit pas à la recherche de plaisirs faciles. Loin s’en faut.

Le libertinage épanoui s’y révèle plutôt le fruit d’un cheminement hasardeux, parfois long, aux étapes circonstanciées : la maîtrise de ses complexes et le dépassement d’une image négative de soi, l’acceptation d’un corps souvent mal aimé, et qui donc, croit-on, ne peut pas être désiré par les autres... D’où le besoin de multiplier les expériences dont chacune est comme une vérification que « ça marche ». En résulte une quête effrénée de séduction si ce n’est d’amour, en tout cas un désir de l’autre jamais assouvi.

Qu’il soit vécu par une personne seule ou en couple, le libertinage apparaît comme une expérience à risques. Et malgré des protestations récurrentes de franchise, de confiance, d’amour, sautent aux yeux du lecteur les failles de ces êtres en quête de sens qui jouent avec le feu et quelquefois se brûlent¹.

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1. Les prénoms des témoins ont été changés pour garantir leur anonymat.

I -

« Tomber libertine »

(Monique)

On connaît l’expression « tomber amoureuse ». On a le sentiment que vous êtes « tombée libertine ».

Monique : Je suis tombée amoureuse d’un libertin, et du coup, je suis en effet tombée libertine. L’expression est juste, tout à fait conforme à mon expérience.

Au départ, j’étais très coincée. De nature plutôt réservée, j’avais jusqu’alors connu une vie de couple qui ne sortait pas des sentiers battus. Le matin, on partait travailler chacun de son côté ; le soir, on se retrouvait. De temps en temps, nous dînions avec des amis en fin de semaine. Au bout de sept ans, nous n’avions plus grand-chose à nous dire, nous avons brisé là. Et puis, un matin, j’ai reçu une curieuse lettre à mon bureau. Un homme avec lequel j’avais voyagé en covoiturage quelques semaines auparavant avait retrouvé ma trace. Sa lettre était enflammée, explicite. C’était d’autant plus étrange que j’étais incapable de mettre un visage sur son nom.

Intriguée par sa détermination, j’ai accepté son invitation à dîner. Il a été direct : « Soyons clairs : nous ne nous marierons jamais, nous n’aurons pas d’enfants, nous ne vivrons pas ensemble non plus, mais je vous veux. » J’étais abasourdie. Il a poursuivi : « Un détail : j’ai deux autres copines, j’espère que ça ne vous choque pas. » Là, j’ai éclaté de rire, peut-être pour me protéger de son toupet. J’étais sciée. Je lui ai cloué le bec en lui répondant que ce type de relations ne m’intéressait absolument pas.

Pendant six mois, nous avons continué à nous voir sur le mode de la saine camaraderie. Journaliste, il avait une certaine vie mondaine, et me proposait souvent de l’accompagner dans des inaugurations ou des vernissages. Et c’est moi qui suis tombée amoureuse de lui ! Je l’ai dragué. Il m’a rappelé son mode de vie. Je lui ai répondu : « Je ne te plais plus ? Essayons… »

Au départ, c’était un peu bizarre. Il m’avait attribué le jeudi. Comme il avait deux autres copines, une solide organisation s’imposait, d’autant qu’il rencontrait aussi des couples. Le bougre était polygame et échangiste : j’avais décroché le gros lot ! (Rires)

Il me racontait tout ce qu’il faisait avec d’autres en pensant que tôt ou tard, cela deviendrait aussi ma vie. Et il ne se trompait pas !

Un jour, il a décommandé notre rendez-vous : il était convié à une partouze qu’il ne voulait pas manquer. Nous avons convenu de nous voir le lendemain et il a raccroché. Sans scrupules. Au moins, il était franc, me suis-je dit. Mais j’étais très déçue, j’avais trop envie de le voir. Je l’ai rappelé : « Je viens. » Il m’a dit : « Tu es sûre ? » J’ai répondu : « Oui », sans doute pour me convaincre moi-même.

Je voulais me prouver que j’étais capable de l’accompagner.

Mentalement, vous étiez-vous programmée pour participer ?

Monique : J’étais décidée à suivre mes envies. Je me disais : on verra.

Le dîner réunissait trois couples et quatre hommes seuls. Tout le monde a été adorable avec moi, fort prévenant. Sachant que c’était ma première fois, ses amis lui avaient dit que je pouvais rester voyeuse si je le souhaitais. Mais il ne me l’a dit qu’après.

En fait, dès les premières caresses entre femmes, alors que nous étions encore à table, je me suis sentie gagnée par le désir. Au départ, il n’y avait rien de sexuel, mais une troublante sensualité.

Plus tard dans la soirée, nous avons fait l’amour avec un couple, puis un troisième homme nous a rejoints. Mon premier quinté !

Qu’avez-vous ressenti en franchissant le pas ?

Monique : J’étais heureuse de voir mon copain excité par ce baptême. Il était content que je le rejoigne dans son univers libertin. Je me suis laissé faire. J’ai trouvé cela agréable. Qu’il soit avec une autre femme sous mes yeux ne m’a, curieusement, pas dérangée.

J’avais conscience de franchir un cap, d’échapper au poids de mon éducation, de me détacher des normes sociales. Je m’émancipais. Mon grand-père est missionnaire, un de mes oncles pasteur... D’un coup, j’étais projetée sans ménagement loin de l’austérité protestante.

J’avais déjà dévié en vivant quelques années en concubinage, mais là j’adoptais une cadence de combat !

Avez-vous recommencé rapidement ?

Monique : Non, il m’a fallu un certain temps. Par moments, une petite voix intérieure raisonnable semblait me rappeler à l’ordre sur fond de pression sociale, et étouffer mes velléités. On se sent glisser, devenir marginale, alors on résiste, en tentant de se raccrocher aux branches.

Pourtant, je n’ai pas eu de remords après cette soirée. J’avais pris du plaisir, sans pour autant éprouver immédiatement l’envie de recommencer.

J’ai continué de fréquenter mon copain dans une relation à deux. Il m’a fait découvrir les jeux érotiques. Mon expérience précédente de sept ans de vie commune était triste à mourir. Je respirais enfin.

Pour moi, jusque-là, l’amour était une petite gymnastique de fin de semaine, en deuxième partie de soirée, et puis de temps en temps le dimanche matin ! Avec lui, c’était tout autre chose. Il m’ouvrait la porte sur un nouveau monde dont je compris rapidement que je