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L' Agression sexuelle envers les enfants
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Livre électronique920 pages10 heures

L' Agression sexuelle envers les enfants

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À propos de ce livre électronique

L’agression sexuelle est un fléau social sans frontières qui touchera 1 fille sur 5 et 1 garçon sur 10. Issues de la recherche ou de l’expérience clinique, des pistes d’intervention sont proposées pour la prévention, l’évaluation et l’intervention auprès des jeunes victimes d’agression sexuelle et leur famille.
LangueFrançais
Date de sortie25 oct. 2011
ISBN9782760530140
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    Aperçu du livre

    L' Agression sexuelle envers les enfants - Martine Hébert

    Québec/Bibliothèque

    Introduction

    Martine HÉBERT

    Mireille CYR

    Marc TOURIGNY

    L’agression sexuelle est un phénomène qui interpelle le public en général, les chercheurs, les intervenants et tout spécialement ceux appelés à œuvrer auprès des jeunes. Si la médiatisation de situations d’agression sexuelle a permis une certaine prise de conscience de l’ampleur et de la réalité des enfants confrontés à une telle situation, il n’en demeure pas moins que les meilleures approches au plan de l’évaluation, de l’intervention et de la prévention en cette matière demeurent encore insuffisamment implantées dans les milieux de pratique. Un des obstacles liés à une vaste implantation réside dans l’accessibilité des résultats de recherche les plus récents, de la diffusion des connaissances et de l’expertise clinique acquise au cours des dernières années auprès des différents acteurs appelés à intervenir auprès des enfants victimes d’agression sexuelle et les membres de leurs familles.

    Cet ouvrage est né d’une préoccupation de vouloir offrir une synthèse des plus récentes recherches et connaissances dans le domaine de l’agression sexuelle envers les enfants, et ce, en langue française. Des progrès importants ont été réalisées au cours des dernières années et plusieurs infrastructures de recherche et de partenariat avec les milieux de pratique ont permis de mieux cerner les enjeux et les pratiques de pointe ayant trait à l’évaluation et au traitement des enfants et des parents non agresseurs confrontés à une situation d’agression sexuelle.

    Ainsi, dès le début des années 1990, le Partenariat de recherche et d’intervention en matière d’abus sexuel (PRIMASE) a amorcé une série de travaux portant sur l’incidence et la prévalence de l’agression sexuelle, les facteurs de risque et la question de la prévention, le profil multidimensionnel des différents acteurs impliqués et les recherches évaluatives des interventions visant à alléger les conséquences chez les personnes victimes de violence sexuelle. Les projets de recherche et les activités scientifiques du PRIMASE ainsi que celles de deux autres équipes travaillant sur les relations interpersonnelles et conjugales ont graduellement été intégrés dans une structure de recherche plus large, jetant ainsi les bases de ce qui allait devenir un regroupement stratégique. Mis sur pied en 2002, le Centre de recherche interdisciplinaire sur les problèmes conjugaux et les agressions sexuelles (CRIPCAS), bénéficiant du soutien du Fonds de recherche sur la société et la culture (FQRSC), s’intéresse aux agressions sexuelles ainsi qu’aux problèmes conjugaux et aux interrelations entre ces deux problématiques. Plus récemment, l’Équipe Violence sexuelle et santé (ÉVISSA), financée par le FQRSC, a consolidé une programmation de recherche sur les conséquences liées à l’agression sexuelle, et ce, dans différents contextes de vie. Par ailleurs, la Chaire interuniversitaire Marie-Vincent sur les agressions sexuelles envers les enfants a entrepris des travaux visant à mieux documenter les profils des enfants et des parents à la suite du dévoilement d’une agression sexuelle.

    Des chercheurs et des cliniciens provenant de différentes disciplines telles que la psychologie, la médecine, la psychoéducation et la sexologie ont contribué à l’ouvrage en apportant une réflexion sur l’ensemble des facteurs susceptibles d’influencer le vécu de l’enfant victime d’agression sexuelle. À partir de synthèses des connaissances issues des recherches et de l’expérience clinique, des pistes d’intervention sont proposées pour la prévention, l’évaluation et l’intervention auprès des jeunes victimes d’agression sexuelle et leur famille. De façon plus particulière, le premier chapitre permet de mieux cerner l’ampleur du phénomène de l’agression sexuelle envers les enfants, tout en repérant les principaux défis méthodologiques impliqués dans ce champ d’études. Les auteurs offrent une synthèse des principaux facteurs de risque liés aux caractéristiques des agresseurs, aux variables personnelles et familiales, facteurs qui semblent influer sur la probabilité de subir une situation d’agression sexuelle. Le deuxième chapitre aborde l’entrevue effectuée auprès de l’enfant afin d’évaluer si les faits rapportés d’agression sexuelle sont fondés. Le chapitre traite des principaux défis rencontrés lors d’une entrevue d’enquête avec un enfant en abordant les dimensions liées à la mémoire et à la suggestibilité des enfants. Le troisième chapitre aborde de façon détaillée les différents aspects liés à l’intervention médicale et médicolégale auprès des enfants et adolescents victimes d’une agression sexuelle. Les principes directeurs de cette évaluation de même que l’interprétation des données issues de cet examen sont abordés.

    Le chapitre 4 trace le portrait des principales conséquences associées à l’agression sexuelle chez les enfants et les adolescents, tout en abordant les différents facteurs qui influent sur l’intensité ou la nature des symptômes associés à l’agression sexuelle chez les jeunes. Ce chapitre aborde aussi les principales considérations quant à l’évaluation des enfants victimes d’agression sexuelle, plus particulièrement aux dimensions à privilégier afin d’orienter le traitement. Le chapitre 5 présente un état des connaissances quant à l’efficacité des traitements offerts aux enfants victimes d’agression sexuelle et un aperçu des principales variables pouvant avoir un impact sur l’effet des traitements. Ce chapitre offre aussi un résumé des études évaluatives récentes visant à décrire quelques-unes des interventions implantées en sol québécois.

    Dans le chapitre suivant, les connaissances actuellement disponibles sur les caractéristiques des parents dont l’enfant a été agressé sexuellement, les réactions psychologiques, le soutien ainsi que la traumatisation secondaire vécue par ces parents à la suite du dévoilement de l’agression sexuelle de leur enfant sont synthétisés. Les différentes dimensions qui doivent être considérées lors de l’évaluation de ces parents sont par ailleurs décrites. Les agressions sexuelles subies dans l’enfance sont susceptibles de provoquer de nombreuses séquelles au plan psychologique, physique, comportemental et relationnel qui peuvent perdurer à l’âge adulte. Une recension des différents programmes d’intervention visant à traiter ces séquelles et de leur efficacité fait l’objet du chapitre 7. L’émergence des comportements sexuels problématiques chez les jeunes enfants est une préoccupation des cliniciens et des chercheurs qui se questionnent sur les modalités d’évaluation et d’intervention à privilégier auprès de ces enfants. L’état des connaissances actuelles sur les facteurs associés aux comportements sexuels problématiques et les lignes directrices en matière d’évaluation et d’intervention seront abordés dans le chapitre 8.

    Les deux chapitres suivants décrivent des interventions destinées aux enfants victimes d’agression sexuelle et ont une orientation résolument plus clinique. Ainsi le chapitre 9 se veut une introduction à l’approche cognitive comportementale axée vers le trauma. Les différentes composantes du traitement sont décrites en fonction du volet enfant, du volet parent et du volet dyadique alors que la chapitre 10 porte sur le traitement basé sur la mentalisation. Finalement, le dernier chapitre se consacre à la question de la prévention des agressions sexuelles envers les enfants. Les auteurs résument les principales stratégies préventives visant le niveau individuel, relationnel, communautaire et sociétal mises en place pour contrer le phénomène de l’agression sexuelle.

    Initialement, ce projet de livre visait à répondre aux besoins des étudiants en formation, inscrits dans différents programmes des sciences humaines dont le programme de sexologie, de psychologie et de psychoéducation, programmes dans lesquels nous sommes appelés à intervenir. Si ce livre est d’abord issu d’une préoccupation d’offrir aux candidats en formation un ouvrage de base résumant les faits saillants de la littérature scientifique dans le domaine de l’agression sexuelle envers les enfants, nous avons aussi voulu que l’ouvrage intéresse les intervenants de différents milieux de pratique, interpellés par le phénomène de l’agression sexuelle, en offrant non seulement une synthèse des données de recherche récentes mais aussi un aperçu des pratiques existantes en ce qui concerne l’évaluation et le traitement des victimes d’agression sexuelle.

    Le lecteur pourra cibler des chapitres ou considérer la totalité de l’ouvrage selon l’intérêt qu’il porte à la problématique. Divers intervenants œuvrant en protection de la jeunesse (intervenant social, policier, procureur, juge) trouveront utile de retrouver dans un même volume une synthèse des défis liés tant à l’entrevue d’enquête, l’évaluation des profils psychosociaux et le traitement des jeunes victimes d’agression sexuelle. Certains chapitres pourraient particulièrement intéresser les milieux scolaires et de garde sollicités par des initiatives de prévention de la violence et qui peuvent être confrontés à des jeunes démontrant des comportements sexuels problématiques en milieu scolaire. Les professionnels du secteur médical trouveront certainement des informations pertinentes concernant l’évaluation médicale des enfants mais puiseront aussi des connaissances leur permettant de mieux saisir la diversité des clientèles rencontrées et les enjeux liés à l’intervention auprès des enfants. Finalement, toute personne qui s’intéresse de façon plus particulière à la violence sexuelle exercée à l’endroit des enfants trouvera dans cet ouvrage une riche source d’information.

    Outre l’appui de l’Équipe Violence sexuelle et santé (ÉVISSA), la publication de cet ouvrage a été rendue possible grâce à l’aide financière du Réseau de recherche en santé des populations du Québec, qui, dans le cadre, de sa mission générale, soutient des initiatives visant à documenter et à diffuser des recherches en santé. Nous désirons également souligner la contribution de la Fondation Marie-Vincent par le biais du financement des activités de la Chaire interuniversitaire Marie-Vincent sur les agressions sexuelles et la contribution du CRIPCAS.

    Nous tenons également à offrir nos sincères remerciements à Mélanie St-Hilaire et Manon Robichaud qui ont collaboré de près, et cela avec beaucoup de persévérance, aux diverses étapes de la réalisation de ce livre. Cet ouvrage n’aurait pu voir le jour sans l’appui de l’équipe des Presses de l’Université du Québec, qui a cru en ce projet et qui a su démontrer un professionnalisme exemplaire tout au long du processus. De plus, nous soulignons la participation de tous les collaborateurs à cet ouvrage qui ont accepté de partager leur expertise et ainsi en bonifier le contenu.

    Finalement, sur une note plus personnelle, MH tient à remercier Richard qui l’accompagne jour après jour dans les projets les plus fous et qui a su offrir son soutien inconditionnel tout au long de ce projet. À ma belle Roxanne, je te souhaite de réaliser tous tes rêves et n’oublie pas que je serai toujours là pour toi! MC tient à remercier son conjoint, Marc, et ses deux belles filles, Fanny et Marie-Ève, qui ont compris et accepté que le travail occupe une place importante dans sa vie.

    CHAPITRE 1

    LES AGRESSIONS SEXUELLES DURANT L’ENFANCE

    Ampleur et facteurs de risque

    Marc TOURIGNY, Ph. D.

    Karine BARIL, candidate au doctorat en éducation

    RÉSUMÉ

    Un grand nombre d’enfants subiront une agression sexuelle au cours de leur enfance ou de leur adolescence. Malgré des limites méthodologiques, les études de prévalence permettent d’estimer qu’au moins une femme sur cinq et un homme sur dix rapportent avoir vécu une agression sexuelle durant l’enfance. Les agressions sexuelles sont souvent accompagnées d’autres formes de mauvais traitements (occurrence), soit dans près d’un cas sur trois selon les études de prévalence, et jusqu’à un cas sur deux dans certaines études d’incidence.

    Les études des facteurs de risque associés à une agression sexuelle contre un enfant suggèrent que les agresseurs sexuels d’enfants présentent un certain nombre de caractéristiques qui les distinguent des hommes de la population générale ou des hommes ayant commis des crimes non sexuels. Ainsi, les agresseurs sexuels d’enfants ont vécu davantage d’adversité familiale dans l’enfance (dont une histoire d’agression sexuelle ou physique et un milieu familial dysfonctionnel), plus de comportements extériorisés (comme l’abus de substances), plus de comportements intériorisés (dont une estime de soi plus faible et des troubles de l’humeur), davantage de déficits sociaux et de troubles de la personnalité, et plus de problèmes sexuels et de cognitions erronées quant à l’agression sexuelle d’enfants. De plus, les agresseurs sexuels d’enfants présentent des différences plus marquées en ce qui concerne une histoire d’agression sexuelle dans l’enfance, la personnalité antisociale, les difficultés dans les relations intimes, la discipline coercitive subie pendant l’enfance et l’isolement social comparativement aux hommes de la population générale ou ceux ayant commis des crimes non sexuels.

    Enfin, en ce qui concerne le risque qu’un enfant soit victime d’agression sexuelle, peu de facteurs ont été clairement définis à ce jour. Parmi ceux-ci figurent plusieurs caractéristiques, liées à la famille et aux figures parentales, qui semblent influencer la capacité des parents à bien exercer une supervision optimale de leurs enfants tout en augmentant la vulnérabilité de ceux-ci en présence d’un agresseur sexuel.

    Depuis une trentaine d’années, nous avons pris conscience en tant que société de l’ampleur des agressions sexuelles commises contre les enfants. Ce phénomène représente un enjeu social majeur puisque ses conséquences à court et à long terme sur les victimes et leur famille sont importantes (Heflin, & Deblinger, 2007; Jumper, 1995; Kendall-Tackett, Meyer-Williams, & Finkelhor, 1993; Wolfe, 2007). De plus, les agressions sexuelles contre les enfants canadiens coûtent plus de trois milliards de dollars annuellement en soins de santé ainsi qu’en services sociaux, éducatifs et judiciaires (Hankivsky, & Draker, 2003). Comme plusieurs pays et États américains, le Québec s’est doté de lois et d’un système de protection de l’enfance afin de protéger les enfants victimes de mauvais traitements. Les pratiques en matière d’intervention sociale auprès des enfants agressés sexuellement ont sensiblement changé, parfois en fonction des nouvelles connaissances scientifiques sur les agressions sexuelles, parfois en fonction de changements législatifs ou administratifs. De même, les connaissances scientifiques concernant l’ampleur des agressions sexuelles contre des enfants et les facteurs de risque qui y sont associés ont évolué durant cette période. Le but de ce chapitre est de faire état des connaissances scientifiques entourant ces deux derniers aspects. Nous aborderons en premier lieu les différentes définitions de l’agression sexuelle. Par la suite, nous traiterons de l’ampleur du phénomène en terme d’incidence et de prévalence, puis des facteurs de risque associés à l’agression sexuelle.

    1. PRINCIPALES DÉFINITIONS DES AGRESSIONS SEXUELLES CONTRE LES ENFANTS

    Dans la littérature, il existe un consensus relatif à la difficulté de définir la notion d’agression sexuelle contre un enfant (0-17 ans) (Trickett, 2006). Outre les aspects légaux, qui varient selon les régions et les cultures, il n’existe pas de critères unanimes pour la définir (Putnam, 2003). Nous proposons une définition qui englobe les principaux éléments que l’on peut retrouver dans les littératures scientifique et légale, dans lesquelles l’agression sexuelle contre un enfant est définie comme tout acte ou jeu sexuel, hétérosexuel ou homosexuel, entre une ou des personnes en situation de pouvoir, d’autorité ou de contrôle, et un enfant mineur (de moins de 18 ans). Ces actes sexuels ont pour but de stimuler sexuellement l’enfant ou de l’utiliser pour se stimuler soi-même sexuellement ou pour stimuler une autre personne. Lorsqu’il s’agit d’un adulte ou d’une personne ayant de trois à cinq ans de plus que la victime, les lois de plusieurs pays prévoient qu’il y a automatiquement une situation de pouvoir et qu’il s’agit donc d’agression sexuelle. Lorsqu’il n’y a pas de situation de pouvoir ou de contrôle, il y a agression sexuelle si la victime ne consent pas à l’activité sexuelle. Selon les lois et les situations, l’âge auquel la victime peut consentir à des activités sexuelles non exploitantes peut varier. Il s’agit là d’une définition large de l’agression sexuelle qui inclut les agressions sexuelles avec contact physique ou non ainsi que les actes commis par un agresseur mineur considéré comme étant en situation de pouvoir par rapport à l’enfant victime ou agissant sans le consentement de l’enfant. On distingue généralement deux types d’agression sexuelle: l’agression sexuelle intrafamiliale, qui se définit comme une agression commise par un agresseur ayant un lien de parenté avec la victime (le lien de parenté est généralement pris dans son sens large, c’est-à-dire les liens légaux, de sang ou de faits)¹, et l’agression sexuelle extrafamiliale, définie comme toute agression commise par un agresseur sans aucun lien de parenté avec la victime.

    Pour sa part, le Comité québécois sur les orientations gouvernementales en matière d’agression sexuelle définit l’agression sexuelle comme

    un geste à caractère sexuel, avec ou sans contact physique, commis par un individu sans le consentement de la personne visée, ou dans certains cas, notamment dans celui des enfants, par une manipulation affective ou par du chantage. Selon cette définition, l’abus de pouvoir visant à assujettir une autre personne à ses propres désirs peut se produire par l’utilisation de la force ou de la contrainte, ou sous la menace implicite ou explicite, ce qui porte atteinte aux droits fondamentaux, notamment à l’intégrité physique et psychologique et à la sécurité de la personne. (Gouvernement du Québec, 2001, p. 22.)

    Cette définition est donc celle utilisée dans les travaux gouvernementaux québécois; elle est toutefois moins détaillée que la précédente, surtout en ce qui concerne les agressions sexuelles contre un enfant et entre enfants.

    Toujours au Québec, tel que décrit à l’article 38 de la Loi sur la protection de la jeunesse (LPJ), on considère que la sécurité ou le développement d’un enfant est compromis quand celui-ci se retrouve dans une situation d’abus sexuel². Par abus sexuel d’un enfant, on entend les gestes à caractère sexuel, avec ou sans contact physique, de la part de ses parents ou d’une autre personne. Le Guide d’intervention lors d’allégations d’abus sexuels envers les enfants (Association des centres jeunesse du Québec [ACJQ], 2000) précise davantage cette définition. L’agression sexuelle se définit comme

    tout geste posé [sic] par une personne donnant ou recherchant une stimulation sexuelle non appropriée quant à l’âge et au niveau de développement de l’enfant ou de l’adolescent, portant ainsi atteinte à son intégrité corporelle ou psychique, alors que l’abuseur a un lien de consanguinité avec la victime ou qu’il est en position de responsabilité, d’autorité ou de domination avec elle. (ACJQ, 2000, p. 15.)

    Enfin, soulignons que le Code criminel canadien prévoit un ensemble d’infractions d’ordre sexuel, dont trois niveaux de sévérité d’agression sexuelle (simple, armée et grave), ainsi que plusieurs types d’agression sexuelle contre les enfants (inceste, contacts sexuels, incitation à des contacts sexuels, exploitation sexuelle) (Gouvernement du Canada, 2009a). En ce qui concerne l’agression sexuelle contre des enfants, le projet de loi C-22 adopté en 2007 a fait passer l’âge de consentement légal de 14 à 16 ans, ce qui correspond à l’âge requis pour consentir légalement à des activités sexuelles de nature non exploitante (Gouvernement du Canada, 2009b). La loi prévoit une exception en permettant à toute personne de se livrer à des activités sexuelles avec un adolescent de 14 ans ou de 15 ans si elle a moins de cinq ans de plus, et avec un adolescent de 12 ans ou de 13 ans si elle a moins de deux ans de plus. Toutefois, l’âge de consentement légal demeure 18 ans pour toute situation d’exploitation ou d’abus de confiance, c’est-à-dire quand intervient la prostitution, la pornographie ou toute relation de confiance, d’autorité ou de dépendance.

    La difficulté de définir les agressions sexuelles se reflète nécessairement dans les études sur ce phénomène; les définitions employées sont souvent vagues et diffèrent entre les études (Trickett, 2006). Ces variations sont en quelque sorte inévitables, puisque les différentes définitions sont souvent basées sur les lois qui, elles, diffèrent en fonction du temps et des régions. Selon Hilarski (2008), cette variation a engendré de la confusion et de l’inconsistance dans les résultats de recherche sur la problématique des agressions sexuelles contre les enfants, puisque l’agression sexuelle est la variable dépendante dans toutes les études qui s’intéressent aux conséquences et aux facteurs de risque relatifs à cette problématique. La même difficulté se présente dans les études de prévalence, où la définition du phénomène dont on tente de mesurer l’ampleur varie d’une étude à l’autre, ce qui rend les comparaisons plus difficiles. Même s’il n’existe pas de définition unanimement reconnue des agressions sexuelles contre les enfants dans les littératures scientifique et légale, on décrit souvent ces agressions en détaillant les actes sexuels commis, l’âge de la victime et de l’agresseur, le lien entre la victime et l’agresseur ainsi que les conditions «abusives³» (Alaggia, 2004; Finkelhor, 1994; Trickett, 2006). De plus, il faut noter que la majorité des recherches ne font aucune distinction entre les agressions sexuelles intrafamiliale et extrafamiliale. Pour cette raison, les prochaines sections concernent les agressions sexuelles tant intrafamiliales qu’extrafamiliales, sauf dans quelques exceptions où le type d’agression sexuelle dont il est question sera précisé.

    2. AMPLEUR DES AGRESSIONS SEXUELLES CONTRE LES ENFANTS

    Cette section précisera l’ampleur du problème des agressions sexuelles commises contre des enfants de moins de 18 ans. Deux indices sont généralement utilisés pour évaluer cette ampleur; il s’agit de l’incidence et de la prévalence. L’incidence des agressions sexuelles contre les enfants est définie comme le nombre de nouveaux cas d’enfants ayant été agressés sexuellement au cours d’une période donnée, habituellement une année (ces cas sont généralement reconnus ou identifiés par les services de protection de la jeunesse ou les services policiers.) L’incidence s’exprime soit comme un nombre d’enfants agressés sexuellement durant une année (p. ex., 348 enfants ont été agressés sexuellement pour la première fois en 2009), soit comme un taux annuel (p. ex., un enfant québécois sur 1000 a été agressé sexuellement pour la première fois en 2009). Il n’existe toutefois pas d’études permettant de documenter le nombre réel de nouveaux cas d’enfants victimes d’agressions sexuelles chaque année, que ce soit au Québec ou dans le reste de l’Amérique du Nord. Quant à la prévalence des agressions sexuelles contre les enfants, elle est définie comme la proportion de personnes d’une population donnée ayant été agressées sexuellement au moins une fois durant une période donnée (généralement durant l’enfance, c’est-à-dire avant l’âge de 18 ans). La prévalence est habituellement exprimée en pourcentage par rapport à une population donnée et à une période donnée (p. ex., 15 % des Québécois ont été agressés sexuellement avant d’avoir 18 ans).

    2.1. INCIDENCE DES AGRESSIONS SEXUELLES SIGNALÉES À LA PROTECTION DE LA JEUNESSE

    Des études menées auprès des services de protection de l’enfance représentatifs de différents territoires permettent de connaître le nombre de signalements pour agression sexuelle contre un enfant considérés comme fondés au cours d’une année, sans toutefois préciser s’il s’agit ou non de nouveaux cas. Dans une recension d’une vingtaine d’études d’incidence effectuées principalement en Amérique du Nord, Lavergne et Tourigny (2000) concluent que les enfants agressés sexuellement constituent de 10 à 12 % des enfants maltraités signalés aux services de protection de l’enfance et que les taux d’incidence varient selon les études, soit de 0,7 à 4,5 cas d’enfants agressés sexuellement pour 1000 enfants.

    Aux États-Unis, les données les plus récentes indiquent qu’en 2006, les cas d’agression sexuelle constituaient près de 9 % de tous les cas de mauvais traitements fondés signalés aux services de protection de l’enfance américains, avec 80 000 cas (U. S. Department of Health and Human Services, 2008). Une première augmentation importante des taux d’incidence des cas de violence sexuelle a eu lieu au début des années 1980 aux États-Unis (Jones, & Finkelhor, 2001), mais les données provenant des différentes agences de protection de l’enfance américaines montrent toutefois que l’incidence des cas d’agression sexuelle jugés fondés aurait diminué au cours des 20 dernières années, avec une baisse moyenne de 53 % entre 1992 et 2006 (Finkelhor, & Jones, 2008). Au Canada, les études d’incidence relatives aux mauvais traitements contre les enfants établissent également une diminution des cas d’agression sexuelle jugés fondés dans la dernière décennie. Selon l’Étude canadienne d’incidence des signalements d’abus et de négligence contre les enfants de 2003 et celle de 2008 (Trocmé, Fallon, MacLaurin, Daciuk et al., 2005; Trocmé, Fallon, MacLaurin, Sinha et al., 2010), les cas d’agression sexuelle signalés et jugés fondés par les services de protection de l’enfance canadiens représentaient environ 3 % et 2 % de tous les cas en 2003 et 2008, respectivement, et comportaient un taux d’incidence de 0,6 cas fondé d’agression sexuelle par 1000 enfants canadiens en 2003 et de 0,34 cas fondé d’agression sexuelle par 1000 enfants en 2008. Par rapport à 1998, ces taux représentent une diminution de 30 % pour 2003 et de près de 60 % pour 2008 (Trocmé, Fallon, MacLaurin, & Neves, 2003).

    Finkelhor et Jones (2008) rapportent certains facteurs pour expliquer cette diminution significative des taux d’incidence d’agression sexuelle aux États-Unis; cependant, selon eux, ces facteurs ne font pas nécessairement l’unanimité. Ils soutiennent que le début du déclin des taux d’incidence coïncide avec une amélioration soutenue de l’économie, une augmentation des effectifs policiers et du personnel travaillant pour la protection de l’enfance, des politiques criminelles plus persuasives, une conscientisation plus grande de la société à cette problématique, une diffusion plus grande d’options de traitements et, finalement, l’adoption de lois permettant l’établissement de registres de délinquants dangereux. Cependant, il est difficile de se baser sur ces taux pour prétendre que le nombre de victimes d’agression sexuelle dans l’enfance a réellement diminué, car ces statistiques ne représentent que le nombre de victimes connues des autorités (Collin-Vézina, Hélie, & Roy, 2009).

    L’évolution de l’incidence des cas d’agression sexuelle contre les enfants semble néanmoins différente au Québec par rapport au Canada et aux États-Unis. Tout comme chez nos voisins du Sud, un premier accroissement des taux d’incidence de la violence sexuelle a eu lieu au début des années 1980 au Québec (Wright, Tourigny, Trocmé, & Mayer, 2000). En effet, au cours des 20 premières années suivant la mise en vigueur de la LPJ en 1979, les statistiques du ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec montrent que le nombre annuel d’enfants victimes d’agression sexuelle et signalés à la DPJ a augmenté de manière importante, passant d’une centaine d’enfants à la fin des années 1970 à plus de 1500 enfants à la fin des années 1990 (Lavergne, & Tourigny, 2000; Tourigny, 1991). Toutefois, selon l’analyse de l’Observatoire sur les mauvais traitements contre les enfants, le taux d’incidence des agressions sexuelles au Québec jugées fondées par les services de protection de la jeunesse a plutôt connu une hausse d’environ 11 % entre 1998 et 2005, pour se situer cette dernière année à 0,87 cas d’agression sexuelle par 1000 enfants (Collin-Vézina et al., 2009).

    Une étude d’incidence québécoise (ÉIQ) ayant documenté près de 10 000 situations signalées à la DPJ en 1998-1999 permet de décrire les caractéristiques des agressions sexuelles vécues par les enfants (Tourigny et al., 2002). Pour les 1500 enfants dont l’agression sexuelle a été jugée fondée par la DPJ, les résultats de l’ÉIQ indiquent que, dans 65 % des cas, il s’agit d’attouchements et de caresses, suivis de relations sexuelles complètes dans 14 % des cas, de tentatives de relations sexuelles complètes (9 %) et de situations d’exhibitionnisme-voyeurisme (6 %). Un peu plus de quatre enfants sur 10, soit 43 % d’entre eux, subissaient ces agressions depuis plus de six mois au moment de leur signalement, alors que 31 % d’entre eux avaient été agressés une seule fois. Huit pour cent (8 %) des enfants avaient des blessures ou des atteintes physiques lors de l’évaluation qui a suivi le signalement. Parmi eux, 33 % ont eu besoin d’un traitement médical. Les blessures décelées étaient le plus souvent des ecchymoses, des coupures et des éraflures.

    Ces données ne donnent toutefois qu’une image partielle de l’ampleur du phénomène des agressions sexuelles contre les enfants. En effet, ces taux d’incidence ne concernent que les cas d’agressions sexuelles connus et jugés fondés par les services de protection de l’enfance, ce qui ne représenterait qu’une faible proportion des agressions sexuelles contre les enfants (Wolfe, 2007). En effet, certaines études montrent clairement que la majorité des agressions sexuelles dont sont victimes les enfants ne seront pas dévoilées à leur entourage ou aux autorités (c’est-à-dire aux services de protection, aux hôpitaux, aux policiers, etc.) avant que ceux-ci atteignent l’âge adulte ou ne seront jamais dévoilées ou rapportées. Dans une recension des études de prévalence internationales rétrospectives effectuées auprès d’échantillons d’adultes, London, Bruck, Wright, & Ceci (2008) soutiennent qu’en dépit de variations méthodologiques entre les études recensées, une proportion importante des adultes ayant été victimes d’agression sexuelle dans l’enfance rapportent n’avoir jamais dévoilé leurs agressions sexuelles, et que seulement une minorité de ces adultes les ont rapportées aux autorités. Ces auteurs estiment que de 10 à 46 % des victimes n’avaient jamais dévoilé les agressions sexuelles; de 5 à 18 % d’entre elles avaient rapporté les agressions sexuelles aux autorités au moment de l’étude. Deux enquêtes québécoises récentes réalisées auprès d’échantillons représentatifs d’adultes québécois montrent également que 31 % des hommes n’ont jamais dévoilé les agressions sexuelles dont ils ont été victimes dans l’enfance, alors que ce taux varie de 16 à 26 % chez les femmes québécoises (Baril, & Tourigny, 2010; Hébert, Tourigny, Cyr, McDuff, & Joly, 2009). Enfin, une enquête ontarienne réalisée auprès d’un large échantillon de la population montrait que moins de 9 % des victimes d’agressions sexuelles avaient rapporté l’événement aux services de protection de l’enfance (MacMillan, Jamieson, & Walsh, 2003). En somme, ces données démontrent que, malgré le grand nombre d’enfants agressés sexuellement, peu d’entre eux seront repérés par les services susceptibles de les aider ou de les protéger; une proportion non négligeable de ces enfants ne parleront à personne des agressions dont ils ont été victimes.

    2.2. PRÉVALENCE DES AGRESSIONS SEXUELLES DANS LA POPULATION

    L’examen des études de prévalence montre que les taux de prévalence des agressions sexuelles durant l’enfance varient considérablement d’une étude à l’autre. Plusieurs recensions des écrits scientifiques portant sur la prévalence des agressions sexuelles rapportent des écarts relatifs aux taux de prévalence, avec des taux variant de 2 à 71 % chez les femmes et de 3 à 76 % chez les hommes (Finkelhor, 1994; Holmes, & Slap, 1998; Hunter, 2006; Peters, Wyatt, & Finkelhor, 1986; Wolfe, 2007). Selon plusieurs auteurs, des différences importantes dans la définition des agressions sexuelles (âge de la victime, lien avec l’agresseur, inclusion des contacts non physiques, etc.), les caractéristiques particulières des populations étudiées (ethnicité, statut socioéconomique, âge des répondants, etc.) et les méthodologies (échantillonnage, mode de collecte, type de question, etc.) expliqueraient en grande partie ces écarts (Finkelhor, 1994; Gorey, & Leslie, 1997; Haugaard, & Emery, 1989; Holmes, & Slap, 1998).

    Gorey et Leslie (1997) ont effectué une recension de 16 études nord-américaines de prévalence de l’agression sexuelle durant l’enfance auprès d’échantillons d’adultes (âgés de 18 ans et plus), dont 75 % étaient aléatoires et représentaient diverses populations. En regroupant les échantillons et en contrôlant certaines de leurs caractéristiques, les auteurs estiment que le taux de prévalence des agressions sexuelles durant l’enfance est de 22,3 % pour les femmes et de 8,5 % pour les hommes. Une analyse de régression a été réalisée afin de déterminer les caractéristiques associées au taux de prévalence. Les résultats ont démontré que seuls le taux de réponse des participants et la définition des agressions sexuelles sont associés au taux de prévalence, alors que l’année de l’étude, le pays (Canada ou États-Unis), la taille de l’échantillon, le type d’échantillon (aléatoire ou de convenance), la population (générale ou collégiale), la méthode de collecte des données (entrevue en personne ou au téléphone, ou questionnaire envoyé par la poste) n’y sont pas associés. Ces résultats montrent donc que plus le taux de réponse est faible, plus les taux de prévalence sont élevés, alors que plus la définition de l’agression sexuelle est large plutôt que restrictive, plus les taux de prévalence augmentent.

    Plus récemment, Pereda, Guilera, Forns et Gòmez-Benito (2009) ont réalisé une méta-analyse à partir de 65 articles scientifiques regroupant 63 échantillons de femmes et 37 échantillons d’hommes provenant de 22 pays différents, et ce, afin de déterminer la prévalence internationale des agressions sexuelles contre les enfants et aussi d’examiner les variables modératrices pouvant influencer le taux de prévalence. Le taux moyen de la prévalence des agressions sexuelles durant l’enfance est de 7,9 % chez les hommes, alors que celui des femmes est de 19,7 %.

    L’exploration de l’influence des caractéristiques méthodologiques des études sur le taux de prévalence à partir de l’analyse de régression montre que seules deux caractéristiques sont associées au taux de prévalence, soit le sexe des répondants et le territoire où a été réalisée l’étude. Les taux de prévalence rapportés sont en effet plus élevés chez les femmes que chez les hommes. De même, les taux varient selon le territoire couvert par l’étude (régional ou national); les études représentant des populations plus régionales ont des taux de prévalence plus élevés que celles relatives à des populations nationales. Les caractéristiques suivantes n’ont pas été retenues dans le modèle, bien que certaines aient une relation statistiquement significative avec le taux de prévalence dans les analyses univariées. Ces variables sont le niveau de développement économique du pays (développé ou en voie de développement), le continent, la population à l’étude (générale ou étudiante), le type d’échantillonnage (aléatoire ou de convenance), le mode de collecte des données (questionnaire ou entrevue), la définition de l’agression sexuelle (restrictive ou large), la période considérée dans le calcul du taux de prévalence (agression sexuelle ayant eu lieu quand la victime avait entre 12 et 18 ans) et l’âge des répondants au moment de l’étude. Ce dernier résultat suggère que les taux de prévalence n’augmentent pas avec le temps, puisque l’âge des répondants et le taux de prévalence ne semblent pas associés.

    Plus près de nous, deux études québécoises de prévalence des mauvais traitements contre les enfants auprès d’échantillons représentatifs de la population montrent qu’environ un homme sur dix rapporte avoir été agressé sexuellement durant l’enfance, alors qu’une femme sur cinq le rapporte (Tourigny, Gagné, Joly, & Chartrand, 2006; Tourigny, Hébert, Joly, Cyr, & Baril, 2008). Dans les deux études, le taux de prévalence n’est pas associé à l’âge des répondants, ce qui suggère également que le taux ne varie pas en fonction du temps.

    En somme, les études de prévalence (principalement nord-américaines) tendent à confirmer qu’environ un homme sur dix et qu’une femme sur cinq déclarent avoir été agressée sexuellement au cours de leur enfance. Les recensions des écrits les plus rigoureuses sur le plan de la méthodologie n’ont toutefois pas pu confirmer que divers aspects expliquent la grande variation des taux. Par contre, le sexe des répondants, le taux de réponse, la définition des agressions sexuelles et la région géographique couverte par l’étude semblent influencer le taux de prévalence. Ces résultats montrent que ces aspects méthodologiques sont à considérer dans l’interprétation des taux de prévalence de victimisation sexuelle dans l’enfance. Enfin, il faut noter que la recension ayant exploré le lien entre le taux de prévalence et l’âge des répondants n’a trouvé aucun lien statistiquement significatif, ce qui suggère que la prévalence des agressions sexuelles ne varierait pas avec le temps (Pereda et al., 2009), contrairement à ce que nous observons en ce qui concerne les taux d’incidence. En effet, l’incidence de l’agression sexuelle, qui constitue davantage une mesure de la tendance des signalements d’agression sexuelle aux autorités, tend à varier en fonction du temps et des régions. La variation observée dans les taux d’incidence semblerait alors davantage liée à différents facteurs – comme des changements relatifs aux pratiques des services de protection ou aux facteurs facilitant ou non le signalement d’une situation d’agression sexuelle – plutôt qu’à des changements réels du phénomène.

    2.3. COOCCURRENCE DES AUTRES FORMES DE MAUVAIS TRAITEMENTS

    L’agression sexuelle n’est pas toujours seule à troubler l’enfance des victimes. En effet, une proportion importante des enfants qui en sont victimes semblent aussi vivre d’autres formes de mauvais traitements. On définit habituellement la cooccurrence des différentes formes de mauvais traitements comme une situation dans laquelle l’enfant subit plus d’une forme de mauvais traitement au cours de son enfance, en même temps ou l’une après l’autre, qu’il y ait une relation ou non entre elles. Dans une recension des écrits, Higgins et McCabe (2001) ont repéré 29 études rétrospectives menées auprès de populations adultes et ayant mesuré plus d’une forme de mauvais traitements vécus dans l’enfance. Les formes de mauvais traitements examinées dans ces études sont l’agression sexuelle, l’abus physique, l’abus psychologique, la négligence et le fait d’être témoin de violence conjugale. En dépit des limites de ce champ d’études, soulevées par les auteurs de cette recension (dont la non-représentativité des échantillons utilisés), Higgins et McCabe établissent la prévalence moyenne de cooccurrence double avec l’agression sexuelle, soit les cas où une victime rapporte avoir vécu de la violence sexuelle et une autre forme de mauvais traitement durant l’enfance, à 16 % des échantillons recensés. Ils situent entre 5 et 17 % la prévalence de cooccurrence triple qui inclut l’agression sexuelle (Higgins, & McCabe, 2001).

    Au Québec, selon l’enquête de 2002 de Tourigny et al. (2006), 19 % des Québécoises et Québécois qui rapportaient avoir été agressés sexuellement durant leur enfance mentionnaient avoir également vécu de la violence physique et 14 %, de la violence psychologique. La négligence n’a pas été pris en compte dans cette étude. Enfin, en ce qui concerne les services de protection de l’enfance, on constate qu’entre 25 et 49 % des enfants québécois et canadiens dont les agressions sexuelles ont été jugées fondées ont vécu une autre forme de mauvais traitement, incluant l’abus physique, l’abus psychologique, la négligence et l’exposition à la violence conjugale, et ce, entre 1998 et 2003 (Tourigny, Hébert, Daigneault, Jacob, & Wright, 2005; Trocmé et al., 2003, 2005).

    Depuis une dizaine d’années, on constate un intérêt grandissant concernant la cooccurrence des mauvais traitements vécus par les enfants, étant donné les considérations scientifiques et cliniques qu’implique cette réalité. Comme le soulignent Higgins et McCabe (2001), en dépit des taux de cooccurrence rapportés considérables, les chercheurs ont tendance à orienter leur étude sur une seule forme de mauvais traitement, comme l’agression sexuelle, et tiennent rarement compte des autres formes de mauvais traitements qui ont pu être subies par un même enfant. Ainsi, ces chercheurs qui n’évaluent pas les autres formes de mauvais traitements possiblement vécues par l’enfant victime d’agression sexuelle ne peuvent prétendre que leurs résultats sont associés uniquement à ce phénomène. La cooccurrence des mauvais traitements doit donc être considérée dans l’interprétation des études relatives aux agressions sexuelles contre les enfants, puisque celles-ci sont fréquemment accompagnées d’autres formes de mauvais traitements.

    3. FACTEURS DE RISQUE ASSOCIÉS AUX AGRESSIONS SEXUELLES

    Deux champs d’études distincts se sont développés dans le but de comprendre l’étiologie de l’agression sexuelle contre les enfants. D’un côté, de nombreuses études ont tenté de comprendre les facteurs de risque associés à l’agression sexuelle d’un enfant, en plus de proposer différentes théories explicatives des comportements sexuels déviants envers les enfants. De l’autre, certaines études ont exploré les facteurs augmentant les risques qu’un enfant soit victime d’agression sexuelle (Whitaker et al., 2008; Wolfe, 2007). Les connaissances scientifiques issues de ce deuxième champ d’études sont basées sur un nombre limité d’études qui s’avèrent peu récentes et qui ont des faiblesses méthodologiques dont on doit tenir compte. Parmi les limites méthodologiques importantes dans ce domaine, il faut noter que les études actuelles sont principalement rétrospectives ou transversales, ce qui rend difficile l’établissement d’une séquence, c’est-à-dire les facteurs qui précèdent la violence sexuelle vécue par les enfants et, par conséquent, qui contribuent réellement à en augmenter les risques.

    3.1. MODÈLES EXPLICATIFS

    Les modèles théoriques explicatifs de l’agression sexuelle d’enfants ont principalement porté sur les facteurs liés à l’agresseur. Ces travaux ont surtout tenté de concevoir des classifications d’agresseurs sexuels d’enfants (p. ex., Knight, & Prentky, 1990) ou d’expliquer le risque de récidive des agresseurs à la suite d’un traitement (p. ex., Beech, & Ward, 2004). Mais dans une perspective de prévention primaire, il devient essentiel de comprendre les facteurs qui poussent initialement une personne à agresser sexuellement un enfant (Whitaker et al., 2008).

    Finkelhor (1984) a été l’un des premiers à proposer un modèle explicatif de l’agression sexuelle d’enfants, dans lequel l’agresseur est l’acteur central, faisant suite aux premières théories proposées, dans lesquelles la victime (féminine) était vue comme ayant un rôle actif dans l’agression et où la complicité de la mère était davantage mise en cause (p. ex., Vander May, & Neff, 1982). Le modèle de Finkelhor (1984) suggère que quatre préconditions doivent être présentes successivement pour qu’un agresseur parvienne à agresser sexuellement un enfant. Premièrement, une personne doit avoir de la motivation ou de l’intérêt pour l’agression sexuelle d’un enfant. Trois sources de motivation possibles peuvent être présentes: la congruence émotionnelle entre les besoins d’un agresseur et les caractéristiques d’un enfant, rendant ainsi plus satisfaisante la relation avec un enfant; l’excitation sexuelle liée à un enfant; ou encore l’incapacité de satisfaire ses besoins émotionnels ou sexuels lors de relations privilégiées avec des adultes. Or, même avec une motivation suffisante pour l’agression sexuelle d’un enfant, l’agresseur potentiel doit passer outre à ses inhibitions internes concernant l’agression sexuelle d’un enfant, ce qui constitue la deuxième précondition du modèle. Les distorsions cognitives, un désordre affectif ou l’abus de drogues ou d’alcool peuvent faciliter le dépassement de ces inhibitions internes et favoriser le passage à l’acte. Par la suite, l’agresseur potentiel doit pouvoir avoir accès à un enfant; il doit alors passer outre aux inhibiteurs et aux obstacles externes comme les lois, tout en cherchant à isoler l’enfant. Le manque de supervision parentale, l’isolement social de l’enfant et les situations familiales de promiscuité sont alors des contextes environnementaux qui rendent l’enfant plus disponible pour un agresseur sexuel. Finalement, l’agresseur doit pouvoir vaincre la résistance de l’enfant vis-à-vis de l’agression sexuelle. Il le fait alors par différentes stratégies, soit par la désensibilisation de l’enfant, par l’établissement d’une dépendance émotionnelle ou d’une relation comportant des échanges de cadeaux, ou, dans certains cas, par l’utilisation de menaces ou l’emploi de la force.

    Le modèle de Finkelhor (1984), en incluant différents facteurs provenant de théories psychanalytiques, systémiques, féministes, comportementales et sociologiques, constitue un large cadre d’analyse pouvant contenir les avancées théoriques et les données empiriques récentes (Hébert, & Tremblay, 2000; Proulx, Perreault, Ouimet, & Guay, 2000). Ce modèle semble le seul à inclure, en plus des facteurs de risque liés à l’agresseur sexuel, les caractéristiques de l’environnement de l’enfant (obstacles externes) et les caractéristiques de l’enfant (capacité de résister à l’agression sexuelle).

    Hall et Hirschman (1992) ont également proposé un modèle de l’agression sexuelle d’un enfant résultant de l’interaction de quatre facteurs, qui sont: 1) une attirance sexuelle envers des enfants; 2) des distorsions cognitives soutenant des activités sexuelles impliquant des enfants; 3) des désordres affectifs; et 4) un trouble de la personnalité. Contrairement au modèle séquentiel de Finkelhor (1984), le modèle de Hall et Hirschman (1992) est basé sur une interaction synergique des composantes et sous-entend qu’un seul facteur puisse être le précurseur principal du délit; les autres facteurs s’y ajoutent pour augmenter les risques d’agression sexuelle. Pour leur part, Marshall et Barbaree (1990) proposent une théorie intégrative dans laquelle la propension à agresser sexuellement un enfant résulterait d’un nombre d’interactions entre des facteurs distaux et proximaux, dont les expériences d’adversité vécues dans l’enfance, des facteurs biologiques, soit neurologiques ou endocriniens, et l’aspect socioculturel. Ainsi, les expériences négatives dans l’enfance favorisent le développement de modèles opérationnels internes déformés des relations, plus spécifiquement en ce qui concerne la sexualité et l’agression, ce qui risque de rendre la transition vers l’adolescence, période des premières relations intimes et du développement de la sexualité, plus critique. Les auteurs proposent une base biologique au développement de comportements sexuels déviants en soutenant que l’augmentation importante d’hormones sexuelles à l’adolescence, chez les individus ayant vécu certaines difficultés durant l’enfance et ayant une pauvre estime de soi ainsi que de faibles habiletés sociales et de régulation émotionnelle, influence la différenciation entre agression et sexualité. «La sexualité qui se développe dans le contexte de déficits répandus sur le plan de l’intimité tend à être impersonnelle et égoïste, et même accusatoire.» (Hanson, & Morton-Bourgon, 2005, p. 2.) Jumelées à un manque d’inhibition et d’empathie dans une relation, ces conditions favorisent le passage à l’acte par une actualisation des pulsions sexuelles.

    Finalement, avec leur modèle de trajectoires (Pathways Model), Ward et Siegert (2002) suggèrent la présence d’avenues multiples qui conduisent à l’agression sexuelle d’enfants; chacune de ces avenues rassemble des influences développementales, un ensemble de mécanismes dysfonctionnels et la possibilité de commettre une agression sexuelle. Comme dans les modèles conçus précédemment, les auteurs de ce modèle définissent quatre mécanismes psychologiques dysfonctionnels augmentant le risque d’agresser sexuellement un enfant, soit: le déficit des habiletés sociales et d’intimité, les scénarios sexuels déviants, la régulation émotionnelle déficiente et les distorsions cognitives. Selon ces auteurs, chacun de ces mécanismes constitue un facteur de risque central associé au développement de comportements d’agression sexuelle, lesquels sont le résultat d’autres facteurs, dont les facteurs biologiques, sociaux et environnementaux ou encore les facteurs liés à des événements (p. ex., un attachement anxieux-évitant résultant de mauvais traitements dans l’enfance peut rendre difficile le développement des habiletés sociales nécessaires à l’établissement d’une relation intime satisfaisante). Chaque mécanisme dysfonctionnel entraîne des profils comportementaux et psychologiques variables qui peuvent mener à un comportement d’agression sexuelle. Contrairement au modèle de Hall et Hirschman (1992), le modèle de Ward et Siegert (2002) soutient que toutes les agressions sexuelles nécessitent la présence des quatre mécanismes psychologiques.

    En somme, les théories explicatives de l’agression sexuelle contre les enfants intègrent des facteurs tant biologiques et psychologiques que sociaux, et certaines d’entre elles considèrent également les aspects développementaux et contextuels qui mènent un individu à agresser sexuellement un enfant (Whitaker et al., 2008). Dans l’ensemble de ces théories, il appert que l’agression sexuelle d’enfants est un phénomène dont le développement est multifactoriel et qui peut emprunter différentes trajectoires. Le fait qu’il existe plusieurs types d’agression sexuelle commise sur un large éventail d’enfants, perpétrées par des individus ayant des caractéristiques très variées, et ce, dans des circonstances également très diverses, est une explication plausible de cette situation. Les analyses typologiques tendent à soutenir une telle diversité (Knight, & Prentky 1993). Les prochaines sections présentent les résultats de recherches concernant différents facteurs de risque qui peuvent permettre de valider ou non les théories qui viennent d’être énoncées.

    3.2. CARACTÉRISTIQUES DES AGRESSEURS

    Qui sont ces personnes qui agressent sexuellement des enfants? Une première façon de définir les personnes qui risquent le plus de commettre des agressions sexuelles contre un enfant est d’établir les caractéristiques des agresseurs connus. Tant les études d’incidence que celles de prévalence montrent que l’agresseur est très majoritairement de sexe masculin (Badgley et al., 1984; Holmes, & Slap, 1998; Knutson, 1995; Tourigny, 1991; Wolfe, 2007). Selon les études, les hommes représentent de 85 à 100 % des agresseurs sexuels (Finkelhor, Hotaling, Lewis, & Smith, 1990; Knutson, 1995; Wolfe, 2007). La proportion d’hommes parmi les agresseurs sexuels semble toutefois plus grande lorsque la victime est une fille que lorsqu’il s’agit d’un garçon. Selon les données de Dube et al. (2005), la grande majorité des victimes de sexe féminin sont agressées par des hommes (92 %), 2 % le sont par des femmes et 4 % sont agressées à la fois par des hommes et des femmes. La proportion d’agresseurs sexuels masculins chute à 51 % pour les garçons victimes d’agression sexuelle, alors que ceux-ci seraient agressés par des femmes dans 21 % des cas et à la fois par des hommes et des femmes dans 18 % des cas. Selon une recension exhaustive de Holmes et Slap (1998), les études ayant un large échantillon et réalisées auprès d’hommes ou d’adolescents victimes d’agressions sexuelles démontrent que de 53 à 94 % des agresseurs sexuels de garçons sont des hommes.

    La majorité des agresseurs ont entre 30 et 40 ans, mais une proportion importante a moins de 18 ans (Hamel, & Cadrin, 1991; Russell, 1983; Wolfe, 2007). Dans leur recension des écrits, Pithers et Gray (1998) estiment qu’environ 40 % de la violence sexuelle est perpétrée par des personnes âgées de moins de 20 ans et que de 13 à 18 % des victimes d’agression sexuelle sont agressées par d’autres enfants de moins de 13 ans.

    L’agresseur sexuel d’enfants est très fréquemment connu de sa victime, soit dans 75 à 90 % des cas (Badgley et al., 1984; Finkelhor et al., 1990; Knutson, 1995); cependant, dans la majorité des cas, il n’y a pas de lien de parenté avec cette dernière (Badgley et al., 1984; Black, Heyman, & Slep, 2001; Finkelhor et al., 1990; Wolfe, 2007). La figure parentale constitue environ le quart des agresseurs sexuels d’enfants (Sedlak, & Broadhust, 1996). Plusieurs recherches ont également montré que les filles sont davantage à risque que les garçons d’agression sexuelle intrafamiliale (Finkelhor et al., 1990; Tourigny, 1991; Wolfe, 2007) et que les garçons sont plus souvent que les filles victimes d’un agresseur inconnu (Badgley et al., 1984; Budin, & Johnson, 1989; Finkelhor et al., 1990; Gordon, 1990). Spécifiquement chez les garçons, Holmes et Slap (1998) soulignent que les études ayant de grands échantillons rapportent que les proportions d’agresseurs extrafamiliaux varient de 54 à 89 % et que 21 à 40 % de ces agresseurs ne sont pas connus des victimes.

    En ce qui concerne les agressions sexuelles intrafamiliales, près du quart des victimes interrogées dans le cadre d’une enquête populationnelle québécoise rapportait avoir été agressées par un membre de leur famille immédiate, soit un parent, soit ou un membre de la fratrie (Tourigny et al., 2008). Plus spécifiquement, selon les plus récentes études québécoise (ÉIQ-1998) et canadienne (ÉCI-2003) d’incidence des mauvais traitements dans l’enfance, dans tous les signalements pour agression sexuelle jugés fondés au Québec en 1998 et au Canada en 2003⁴ , le père biologique était l’agresseur dans respectivement 14 et 9 % des cas, et le beau-père dans 17 et 13 % des cas, alors que la mère était l’agresseur dans moins de 5 % des cas (Tourigny et al., 2002; Trocmé et al., 2005). Il s’avère que la présence d’un beau-père, incluant l’ami ou le conjoint de la mère, d’un parent adoptif ou d’un parent d’accueil serait un facteur de risque associé à l’agression sexuelle des filles (Finkelhor, & Baron, 1986; H. Parker, & S. Parker, 1986; Wolfe, 2007).

    Même si ces études d’incidence n’établissaient pas spécifiquement que les membres de la fratrie pouvaient être responsables de l’agression sexuelle de l’enfant, respectivement 28 et 35 % des agresseurs y étaient considérés comme d’autres membres de la famille immédiate (excluant les parents biologiques, les beaux-parents, les parents adoptifs et la famille élargie), ce qui suggère que les membres de la fratrie puissent représenter une proportion non négligeable des agresseurs de l’enfant. Même si peu d’études ont porté sur l’inceste commis par un membre de la fratrie, certains auteurs rapportent que l’agression sexuelle est plus souvent commise par un membre de la fratrie que par une figure paternelle (Cyr, Wright, McDuff, & Perron, 2002; Salazar, Camp, DiClemente, & Wingood, 2005), voire qu’elle l’est de trois à cinq fois plus souvent que l’est l’inceste père-fille (Grant et al., 2009; Wolfe, 2007). Salazar et al. (2005) avancent même que la présence d’études dans lesquelles le taux d’agression sexuelle par un membre de la fratrie est plus faible s’expliquerait par le fait que ce type d’agression est sous-rapporté en raison du tabou plus grand dont il ferait l’objet. Enfin, dans les cas d’agression sexuelle par la fratrie, il s’avère que l’inceste frère-sœur serait le plus fréquent, suivi de l’inceste entre frères; ces deux agressions représenteraient ensemble près de 90 % des cas d’inceste commis par la fratrie, ce qui montre que le frère demeure l’agresseur dans la grande majorité des cas (Caffaro, & Conn-Caffaro, 1998).

    3.3. FACTEURS DE RISQUE ASSOCIÉS À L’AGRESSION SEXUELLE CONTRE UN ENFANT

    En 2001, Black et al. soulignaient que les recherches n’ont pas clairement démontré que la plupart des agresseurs sexuels d’enfants ont une personnalité ou une pathologie particulière. Cependant, dans le cadre d’une méta-analyse récente de 89 études portant sur les facteurs de risque associés à l’agression sexuelle contre un enfant, Whitaker et al. (2008) démontrent que les agresseurs sexuels d’enfants présentent plus de facteurs de risque (regroupés en six catégories, soit les facteurs familiaux, les comportements extériorisés, les comportements intériorisés, les déficits sociaux, les problèmes sexuels et les cognitions soutenant l’agression sexuelle) que des hommes de la population générale. Ainsi, par rapport aux hommes de la population générale, les agresseurs sexuels d’enfants ont fait face à davantage d’adversité familiale durant l’enfance, dont une histoire d’abus et un fonctionnement familial dysfonctionnel; ils ont plus de comportements extériorisés, comme l’abus de substances; ils ont plus de comportements intériorisés, dont une estime de soi plus faible et des troubles de l’humeur; ils souffrent davantage de déficits sociaux et de troubles de personnalité; ils ont plus de problèmes sexuels; et leurs cognitions relatives à l’agression sexuelle d’enfants sont plus souvent erronées. Les différences plus marquées entre les deux groupes concernent une histoire d’agression sexuelle dans l’enfance, la personnalité antisociale, les difficultés dans les relations intimes, la discipline coercitive subie pendant l’enfance et l’isolement social.

    Dans cette méta-analyse, des différences importantes ont également été établies entre les agresseurs sexuels d’enfants et des criminels non sexuels. Ces différences concernent les problèmes sexuels et les attitudes et cognitions à l’égard de l’agression sexuelle, alors qu’on constate des différences plus modestes relativement aux problèmes familiaux et aux déficits sociaux. Ces résultats laissent croire que les problèmes sexuels et les cognitions favorables à l’agression sexuelle sont plus spécifiques à une délinquance ou à une criminalité sexuelle. Les auteurs ont également comparé ces six catégories de facteurs de risque chez des agresseurs sexuels d’enfants et des agresseurs sexuels d’adultes; ils relèvent peu de différences significatives entre ces deux groupes, à l’exception de comportements extériorisés plus fréquemment rapportés par les agresseurs sexuels d’adultes. Les auteurs concluent que les données de cette recension concordent avec les modèles théoriques de l’agression sexuelle conçus dans les 20 dernières années. Les études recensées dans cette méta-analyse portaient sur des échantillons hétérogènes d’agresseurs sexuels, en ce qui concerne tant leurs caractéristiques personnelles que les caractéristiques des agressions qu’ils ont commises (p. ex., intrafamiliales ou extrafamiliales), ce qui doit être pris en compte dans l’interprétation des résultats. Aussi, les auteurs ne précisent pas le sexe des agresseurs dans les échantillons des études.

    D’ailleurs, considérant qu’une proportion de femmes peut aussi être à l’origine d’agressions sexuelles contre des enfants, particulièrement contre des garçons, il devient pertinent d’explorer les facteurs de risque qui pourraient leur être spécifiques. Or, les auteurs s’entendent sur le fait que la littérature portant sur les femmes qui commettent des agressions sexuelles est limitée, en raison du faible dévoilement et de la plus grande rareté du phénomène (Tardif, Auclair, Jacob, & Carpentier, 2005). Conséquemment, les connaissances scientifiques dépendent d’un nombre limité d’études, dont les échantillons sont petits et teintés d’un biais de sélection. La littérature actuelle permet surtout de conclure qu’il est difficile de dresser un portrait type des femmes qui agressent sexuellement en raison de l’hétérogénéité de leurs profils (Grayston, & De Luca, 1999; Saradjian, & Hanks, 1996). En dépit de cette hétérogénéité, les différentes études avancent que ces femmes ont été, dans une grande proportion, victimes d’agression sexuelle durant leur enfance; qu’elles tendent à dépendre davantage des hommes ou à être rejetées par eux; qu’elles proviennent souvent de familles chaotiques et abusives; que leur développement a présenté une accumulation de perturbations, incluant l’abandon parental, des relations parentales conflictuelles et de l’abus physique durant l’enfance; qu’elles rapportent des perturbations dans la relation avec leur mère; qu’elles ont une sexualité dysfonctionnelle; et qu’elles souffrent de problèmes psychologiques, dont la dépression, l’anxiété, la dissociation, les psychoses et le stress post-traumatique (Boroughs, 2004; Jennings, 1993; Johansson-Love, & Fremouw, 2006; Tardif et al., 2005).

    3.3.1. Rôle de la pornographie

    Seto, Maric et Barbaree (2001) ont réalisé une recension des écrits scientifiques afin de faire le point sur le rôle de l’utilisation de la pornographie comme facteur de risque associé à l’agression sexuelle, tant contre un adulte que contre un enfant. Ces auteurs concluent qu’actuellement, il existe peu de preuves d’un lien causal direct entre l’utilisation de la pornographie et le fait de commettre une agression sexuelle. Ils ajoutent que ce sont principalement les individus déjà à risque de commettre une agression sexuelle qui seraient influencés par l’exposition à de la pornographie, alors que les hommes non prédisposés à commettre une agression sexuelle seraient peu susceptibles d’être influencés par une exposition à du matériel pornographique. Leurs conclusions rejoignent certaines hypothèses explicatives, comme celle de Mosher (1988), qui suggère que les personnes pouvant être influencées par l’exposition à la pornographie seraient celles chez qui le contenu pornographique concorde avec des fantasmes déjà existants: ce contenu ne ferait alors que rendre plus concrets leurs scénarios sexuels.

    Si Seto et al. (2001) concluent qu’il existe peu de preuves d’un lien direct entre l’usage de la pornographie et l’agression sexuelle, certaines études démontrent plutôt que l’utilisation de la pornographie serait indirectement liée au fait de commettre une agression sexuelle (Allen, D’Alessio, & Brezgel, 1995; Allen, Emmers, Gebhardt, & Giery, 1995). Deux méta-analyses réalisées par Allen et ses collègues (Allen, D’Alessio, et al., 1995; Allen, Emmers et al., 1995) démontrent en effet qu’il existe un lien entre l’usage de la pornographie et l’acceptation des mythes liés au viol, de même qu’entre le visionnement de matériel pornographique et la propension à commettre une agression physique.

    3.3.2. Rôle de la victimisation sexuelle durant l’enfance

    L’idée qu’il existe un cycle victime-agresseur relatif à l’agression sexuelle, c’est-à-dire que le fait d’avoir été victime d’agression sexuelle durant l’enfance puisse faire en sorte que l’on devienne agresseur sexuel à l’âge adulte, est largement répandue (Salter et al., 2003). Avant l’essor du champ d’études des facteurs de risque associés à l’agression sexuelle, on a utilisé ce facteur pour tenter d’expliquer l’agression sexuelle. Les études ont principalement exploré le cycle victime-agresseur par

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