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La metropole contre la nation: La politique montréalaise d'intégration des personnes immigrantes
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La metropole contre la nation: La politique montréalaise d'intégration des personnes immigrantes
Livre électronique344 pages4 heures

La metropole contre la nation: La politique montréalaise d'intégration des personnes immigrantes

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À propos de ce livre électronique

Observons-nous un écart entre Québec et sa métropole ? Autrement dit, assistons-nous à la mise en cause par la Ville de Montréal de l’appartenance à la nation telle qu’elle fut imaginée par l’État québécois ? Le présent ouvrage offre une réponse à cette question en proposant un examen approfondi de la politique montréalaise d’intégration des personnes immigrantes et de son arrimage à la politique publique québécoise dans ce domaine, de 2006 à aujourd’hui.

S’adressant autant au milieu universitaire qu’aux citoyens engagés, ce livre analyse les différentes fonctions assumées par les acteurs de la politique municipale d’intégration et les idées qu’ils défendent à son sujet. Il met en lumière les dynamiques qui ont mené la métropole à contourner le discours et les pratiques s’inspirant de l’interculturalisme tel qu’il est promu par l’État québécois pour embrasser tacitement le multiculturalisme canadien.

L’auteur soutient ainsi l’argument que la concurrence entre les modèles nationaux d’intégration associés aux sociétés d’accueil canadienne et québécoise est centrale pour comprendre la politique publique montréalaise. Par ailleurs, il explore le lien entre la trajectoire singulière empruntée par la métropole et le refus des gouvernements québécois successifs de formaliser leur propre modèle d’intégration des personnes immigrantes et d’aménagement de la diversité ethnoculturelle.
LangueFrançais
Date de sortie19 oct. 2022
ISBN9782760557789
La metropole contre la nation: La politique montréalaise d'intégration des personnes immigrantes
Auteur

David Carpentier

David Carpentier est candidat au doctorat à l’École d’études politiques de l’Université d’Ottawa.

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    Aperçu du livre

    La metropole contre la nation - David Carpentier

    INTRODUCTION

    Au cours des dernières décennies, l’importante diversification des flux migratoires à destination de l’Amérique du Nord et de l’Europe de l’Ouest a largement contribué à la recomposition de leurs grandes métropoles. Celles-ci se définissent pour la plupart aujourd’hui par leur caractère cosmopolite et pluriculturel. En réponse à cette nouvelle réalité, mais pas seulement, plusieurs villes ont élaboré et mis en œuvre un ensemble de programmes et de mesures destinés à faciliter l’intégration des nouveaux arrivants sur leur territoire. Certaines d’entre elles en sont même venues à poursuivre des objectifs tout à fait originaux en la matière (Caponio, Scholten et Zapata-Barrero, 2018).

    Paradoxalement, ces changements se sont opérés en parallèle à un phénomène d’une tout autre nature. Il s’agit de la réaffirmation par plusieurs États de leur souveraineté nationale, notamment dans le domaine de l’immigration, de l’intégration et de la citoyenneté. Pensons, par exemple, au rejet par les principaux dirigeants européens du multiculturalisme au profit d’une approche dite néo-assimilationniste (Joppke, 2017) misant sur l’identité des majorités culturelles, ou encore, plus près de nous au Québec, aux âpres débats sur l’aménagement de la diversité religieuse dans les institutions publiques. Ainsi, on peut se demander si l’intervention de certaines villes en matière d’intégration et le recentrage effectué par de nombreux États sur leur identité nationale constituent des mouvements contradictoires. Plus fondamentalement, on peut même se demander si l’appartenance à la nation telle qu’elle est généralement conçue est mise en cause par ces métropoles¹.

    Dans ce livre, j’entends contribuer à cette réflexion en explorant la congruence d’une politique municipale d’intégration avec une politique nationale dans ce domaine². Plus spécifiquement, je me penche sur l’arrimage de la politique d’intégration de la Ville de Montréal avec la politique québécoise en la matière. Il est important de rappeler que sur le plan institutionnel, le Québec s’inscrit dans un système politique de nature fédérale, où l’autorité est partagée entre deux ordres de gouvernement et les municipalités sont des organismes relevant des provinces³. La littérature en science politique constate en général l’existence d’un écart entre les politiques élaborées aux échelles municipales et nationales (Dekker et al., 2015; Poppelaars et Scholten, 2008). Cependant, rares sont les études qui ont été produites sur les métropoles sur le territoire desquelles rivalisent plusieurs sociétés d’accueil et leur projet de construction nationale respectif. C’est le cas de Montréal, où s’entrechoquent les modèles nationaux d’intégration du Canada et du Québec, nommément l’interculturalisme et le multiculturalisme (Karmis et Rocher, 2012; Labelle et Rocher, 2011)⁴. Malgré leurs ressemblances, ces deux modèles sociopolitiques suggèrent des représentations différentes de la communauté politique et nationale au regard de la diversité ethnoculturelle (Rocher, à paraître). Leurs principales différences tiennent surtout aux enjeux particuliers qui caractérisent les processus d’intégration au Québec et au Canada d’expression anglaise. Par exemple, il y a le fait que le premier se conçoit comme une société d’accueil, alors qu’il n’est pas nécessaire pour le deuxième de le faire étant donné le statut hégémonique de la tradition anglo-saxonne et sa réalité démographique majoritaire.

    Le débat sur l’interculturalisme dans le contexte québécois peut être compris à partir de l’importante distinction proposée par François Boucher (2016, p. 64-65) entre ses variantes interactionniste et majoritariste. La première repose sur la promotion des échanges et du dialogue entre les groupes ethnoculturels qui composent la société. Elle met l’accent sur le dépassement des préjugés par le biais des rapprochements interculturels. Pour sa part, la seconde variante prévoit que les personnes issues de l’immigration «ont le devoir de s’intégrer à la société d’accueil et qu’il est légitime, pour le gouvernement d’une telle société, de prendre des mesures afin de créer une identité et une culture communes qui accordent une place prioritaire à la culture et aux valeurs du groupe culturel majoritaire» (Boucher, 2016, p. 64). Cet interculturalisme majoritariste est aussi appelé intégrationniste par Danielle Gratton (2017, p. 178). De manière moins péjorative, Gérard Bouchard (2011, p. 411) le qualifie plutôt d’intégrateur.

    Comme dans de nombreux pays, les ressortissants de l’immigration se sont surtout établis au Canada dans ses principaux centres urbains. À ce titre, Montréal a accueilli dans son histoire la très grande majorité des personnes immigrantes ayant choisi de s’installer au Québec⁵. Elle est aussi active dans les domaines de l’intégration des personnes immigrantes et des relations interculturelles depuis la fin des années 1980. Néanmoins, la métropole a fait jusqu’à ce jour l’économie de l’élaboration d’une politique officielle dans ces matières. Cultivant l’ambiguïté, les décideurs municipaux ont même affiché ouvertement leur inconfort ou leur malaise à l’endroit des termes de la politique québécoise d’intégration. Ils se sont montrés critiques des conditions de l’appartenance à la communauté politique telles que définies par cette politique publique, comme les enjeux associés à la langue française, à la laïcité de l’État et, plus récemment, à la lutte contre le racisme et les discriminations systémiques.

    Afin de mettre en lumière les tenants et aboutissants de la politique montréalaise d’intégration et d’évaluer ses rapports avec la politique publique québécoise dans ce domaine, j’étudie dans ce livre le sous-système de la politique montréalaise d’intégration⁶. Je réponds plus directement à deux questions. Premièrement, qui sont les principaux acteurs du sous-système de la politique montréalaise d’intégration des personnes immigrantes, quelles fonctions assument-ils et quelles idées véhiculent-ils à son sujet? Deuxièmement, quelle est la valeur des modèles nationaux d’intégration qui prévalent au Québec et au Canada, soit l’interculturalisme et le multiculturalisme, pour comprendre les dynamiques politiques à l’œuvre dans le sous-système de la politique montréalaise d’intégration? J’offre une réponse à ces questions en mobilisant sur le plan théorique une approche centrée sur le rôle des acteurs et des idées en analyse des politiques publiques. Pour ce faire, j’emprunte des outils conceptuels au modèle de coalition plaidante de Paul A. Sabatier (voir le chapitre 1). Je défends comme argument général que la concurrence entre l’interculturalisme québécois et le multiculturalisme canadien est centrale pour comprendre la politique montréalaise d’intégration des personnes immigrantes.

    En ce sens, je montre que si plusieurs acteurs municipaux adhèrent, du moins sur le plan discursif, aux principes associés à l’interculturalisme, jamais ces derniers n’ont véritablement été officialisés ni institutionnalisés par la Ville de Montréal. Cette situation est liée à l’influence sur la politique publique d’une coalition d’acteurs qui lui préfère le multiculturalisme, malgré les stratégies renouvelées d’une autre coalition favorable à l’interculturalisme afin d’y faire valoir sa propre vision.

    Dans cette démonstration, je porterai mon attention sur la période allant de 2006 à 2019, ce qui coïncide avec le dénouement des réorganisations municipales lancées par le gouvernement québécois au tournant des années 2000. Ces réorganisations ont transformé substantiellement le système politique montréalais et ont contribué à modifier l’intervention de la métropole dans le domaine de l’intégration. Peu de publications et d’études ont traité de ce sujet depuis l’élection de Denis Coderre à la mairie de Montréal en 2013⁷. La période analysée couvre les mandats des administrations dirigées par ce dernier (2013-2017), mais aussi par Gérald Tremblay (2002-2012) – tout comme les intérims assurés par Michael Applebaum et Laurent Blanchard entre 2012 et 2013 – et par Valérie Plante (2017-2019) (voir le tableau I.1).

    TABLEAU I.1.

    Les maires de la Ville de Montréal pour la période étudiée (2006-2019)

    La réflexion proposée dans ce livre prend deux points de départ, l’un scientifique et l’autre plus personnel, liés à mes connaissances du terrain. Sur le plan scientifique, elle trouve d’abord son inspiration dans un article publié en 1995 par Micheline Labelle, François Rocher et Guy Rocher⁸, dans lequel les auteurs étudient les obstacles à l’intégration des personnes immigrantes dans le contexte québécois⁹. Dans leur étude, ils s’interrogent sur les dynamiques politiques à l’œuvre dans le cadre du fédéralisme canadien et se penchent sur les effets générés par la concurrence entre deux projets de construction nationale sur l’intégration des minorités ethnoculturelles. Ils défendent l’argument que cette rivalité produit une ambiguïté référentielle (Labelle, Rocher et Rocher, 1995, p. 226), soit que les tensions entre les deux ensembles de repères et de marqueurs identitaires mineraient finalement l’appartenance à la communauté politique québécoise.

    L’analyse que je présente évalue concrètement la prégnance de cette adversité dans le cas de la politique d’intégration de la Ville de Montréal. Elle le fait à la lumière du travail, réalisé en sociologie de l’action publique et en études migratoires, de chercheurs en Europe et au Canada, dont Peter Scholten (2012), Tiziana Caponio (2018), Christian Poirier (2006a) et Liviana S. Tossuti (2012). Ceux-ci ont documenté la congruence entre les politiques municipales d’intégration et les politiques élaborées à l’échelle nationale. Selon la logique propre à l’avancement des connaissances, la recherche que je présente s’appuie aussi sur les études qui ont déjà été faites sur l’action publique municipale en immigration et en intégration à Montréal. Entre autres, j’insiste sur les travaux d’Annick Germain (Germain et al., 2003; Germain et Martin, 2006) en sociologie urbaine et, surtout, de Fourot (2013) en science politique et de Marta Massana Macià (2018) en anthropologie¹⁰.

    Ensuite, la présente réflexion trouve également son origine dans la mise en discussion de deux expériences personnelles. La première est associée à mon incursion, en tant que militant, dans l’univers partisan des formations politiques représentées à l’Assemblée nationale, à travers mes participations à leurs conseils généraux et nationaux. J’y ai découvert une manière particulière d’aborder les enjeux liés à la citoyenneté¹¹, l’identité et l’intégration des nouveaux arrivants à la société québécoise. Une intégration qui est souvent teintée, nonobstant le parti politique, par l’impératif de cohésion sociale et une préoccupation pour la continuité d’une nation francophone en Amérique du Nord dont l’État québécois serait le principal fiduciaire.

    Ma seconde expérience est de nature professionnelle. Elle tient à un contrat de huit mois comme assistant de recherche que j’ai réalisé au Conseil interculturel de Montréal, une instance consultative de la Ville. J’ai pu y développer une connaissance intime du fonctionnement de l’appareil municipal de l’intérieur. Ce fut aussi l’occasion de me familiariser avec la façon, pour le moins différente, dont ses acteurs traitaient des questions liées à la citoyenneté, l’identité et l’intégration des personnes immigrantes à la collectivité montréalaise. C’est l’incongruence manifeste entre ce que véhiculaient les intervenants aux échelles nationale et municipale qui m’a motivé à vouloir explorer plus en détail cette problématique de recherche. Celle-ci m’est apparue d’autant plus intéressante en raison du discours politique et médiatique ambiant sur la perception d’une rupture grandissante sur le plan identitaire entre Montréal et le reste du Québec. Aussi, sur la menace que ferait peser la première sur l’appartenance à la nation québécoise, dans un contexte où le rôle de la métropole au chapitre de l’accueil et de l’intégration a été reconnu en 2018 par le gouvernement provincial dans l’entente-cadre Réflexe Montréal¹².

    Ce livre poursuit deux objectifs fondamentaux. D’abord, il aspire à identifier les principaux acteurs de la politique montréalaise d’intégration et analyser leurs fonctions et les idées qu’ils défendent. Ensuite, il veut évaluer empiriquement la valeur des modèles d’intégration québécois et canadien pour comprendre la politique montréalaise d’intégration. Il s’agit de vérifier concrètement si l’interculturalisme et le multiculturalisme jouent un rôle structurant ou non à l’échelle municipale.

    Ce livre est composé de sept chapitres. Alors que les chapitres 1 à 3 et 7 s’appuient sur la littérature existante, les chapitres 4 à 6 sont de nature empirique et reposent en partie sur les entretiens réalisés avec les acteurs de la politique montréalaise d’intégration des personnes immigrantes que j’ai rencontrés. En conclusion, je reviens sur les principaux résultats qui se dégagent de cet ouvrage et dessine les contours d’une réflexion sur le dilemme démocratique qu’ils révèlent. J’expose aussi la manière dont cette recherche contribue à l’avancement des connaissances et à une meilleure compréhension de la société québécoise.

    Dans le premier chapitre, je propose une manière d’étudier les politiques municipales d’intégration des personnes immigrantes. J’apporte un certain nombre de précisions conceptuelles et détaille la synthèse d’une perspective théorique centrée sur les idées et les acteurs. Je me penche d’abord sur la notion d’intégration et partage une réflexion sur la distinction entre ses dimensions sociologique et politique. Les nuances qui y sont faites militent pour le maintien de cet outil conceptuel. Ensuite, je propose une grille d’analyse afin de saisir l’objet d’étude que constituent les politiques municipales d’intégration. Aussi, je présente le modèle théorique des coalitions plaidantes de Sabatier et le concept de coalition de discours suggéré par Maarten A. Hajer. J’évalue aussi la pertinence de cette approche pour l’examen des politiques municipales d’intégration. Enfin, je rapporte les principales considérations méthodologiques sur lesquelles s’appuie cet ouvrage.

    Le deuxième chapitre porte un regard critique sur les écrits savants traitant des politiques municipales d’intégration des personnes immigrantes. D’abord, je décris de quelle manière la science politique a étudié les enjeux soulevés par la diversification croissante de l’immigration dans les pays occidentaux et l’hétérogénéité que celle-ci a générée sur le plan ethnoculturel. Ensuite, je réponds à la question suivante: comment les auteurs en science politique et en sociologie de l’action publique comprennent-ils l’élaboration des politiques publiques municipales visant l’intégration des personnes immigrantes dans les démocraties libérales? Il est alors possible de dégager au moins trois thèses concurrentes: la thèse des modèles nationaux d’intégration, la thèse de la dimension locale et la thèse contextualiste. Je les présente, ainsi que leurs forces et leurs limites, et mets en lumière les principaux angles morts de la production scientifique sur le sujet.

    Le troisième chapitre analyse la politique québécoise d’intégration des personnes immigrantes et le développement d’une action publique municipale dans ce domaine. D’abord, je montre de quelles manières l’enjeu de l’intégration a été mis à l’ordre du jour politique au Québec depuis la Révolution tranquille. J’explore aussi le rôle de certains événements déclencheurs, tels que la formalisation du multiculturalisme canadien et les controverses identitaires liées à la langue et à la religion. Ensuite, j’aborde la structuration de la politique québécoise d’intégration des personnes immigrantes dans la seconde moitié du XXe siècle. Je discute de l’adoption officielle et de l’institutionnalisation partielle par le gouvernement provincial de l’interculturalisme en tant que modèle d’intégration et d’aménagement de la diversité ethnoculturelle. Finalement, j’examine l’organisation municipale québécoise et le développement graduel dans les 20 dernières années d’une action publique locale en intégration. Je montre que celle-ci est le résultat à la fois des réformes instaurées par le gouvernement du Québec pour une plus grande décentralisation vers les villes et de l’initiative de certaines d’entre elles.

    Le quatrième chapitre traite en détail du sous-système de la politique montréalaise d’intégration des personnes immigrantes. Selon une perspective historique, je mets d’abord en lumière les principales transformations de la métropole québécoise sur le plan ethnodémographique. J’aborde la façon dont l’alternance au pouvoir à la fin des années 1980 a permis le développement d’une politique publique municipale dans le domaine de l’intégration. Ensuite, j’analyse les orientations normatives et les objectifs stratégiques de la politique montréalaise d’intégration ainsi que leur concrétisation à travers cinq axes d’intervention. Enfin, je complète l’étude du sous-système de la politique publique montréalaise en montrant le caractère structurant d’une série de changements politiques et organisationnels.

    Le cinquième chapitre identifie les principaux acteurs de la politique publique étudiée et analyse les fonctions qu’ils assument et les idées qu’ils véhiculent à son sujet. Je présente d’abord une typologie des acteurs de la politique selon la position qu’ils occupent, soit à l’intérieur ou à l’extérieur de l’organisation municipale. J’aborde également les relations qu’ils entretiennent entre eux et leur rôle quant à la politique montréalaise d’intégration. Ensuite, je discute des idées que ces protagonistes portent et défendent en insistant sur deux enjeux prioritaires. Je dégage des points de dissension sur les moyens et les objectifs que la Ville devrait privilégier pour favoriser l’intégration des personnes immigrantes.

    Le sixième chapitre montre la façon dont les modèles nationaux d’intégration du Québec et du Canada sont pertinents pour l’étude de la politique montréalaise dans ce domaine. Je mets en lumière la présence au sein du sous-système de la politique publique municipale de deux regroupements d’acteurs aux idées concurrentes, soit une coalition plaidante pour l’interculturalisme et une coalition de discours favorable au multiculturalisme. J’illustre les stratégies auxquelles la première a eu recours afin d’influencer la politique publique municipale. Je dégage également trois tendances témoignant d’un approfondissement du multiculturalisme à Montréal, alors que le second regroupement compte sur un rapport de force qui l’avantage dans le sous-système.

    Le septième chapitre aborde les développements récents dans le sous-système de la politique montréalaise d’intégration et les questions de société qu’ils soulèvent. Je m’interroge d’abord sur la potentielle actualisation de l’interculturalisme à partir de la mise en branle de deux nouveaux chantiers par la Ville de Montréal: la valorisation de la langue française et la lutte contre le racisme et les discriminations systémiques. J’explore le paradoxe entre l’idée d’une intégration au cadre national québécois et l’approche décoloniale que la métropole préconise dorénavant. Ensuite, à partir des résultats présentés dans les chapitres précédents, je développe la proposition normative voulant que le gouvernement du Québec gagne à formaliser éventuellement son propre modèle en matière de vivre-ensemble: l’interculturalisme.

    1.Voir: Gérard Bouchard, «Un multiculturalisme montréalais?», Le Devoir, 25 septembre 2021.

    2.Le débat sur le concept d’intégration est abordé dans le chapitre 1, tout comme la justification d’y recourir dans cet ouvrage.

    3.Contrairement à ce qui est véhiculé dans plusieurs médias et contributions scientifiques, l’échelle nationale renvoie dans cet ouvrage à la sphère québécoise et non pas canadienne. Afin d’éviter les répétitions, le terme province est également employé comme un synonyme de Québec. Les termes local et municipal sont aussi utilisés de manière interchangeable.

    4.L’usage qui est fait du concept de modèle national d’intégration est détaillé dans le chapitre 2.

    5.Entre 2000 et 2018, environ 33 000 nouveaux arrivants ont choisi annuellement de s’établir dans l’agglomération de Montréal. En 2016, la population de la métropole se composait à près de 34% de membres de minorités visibles (Ville de Montréal, 2019a, p. 10).

    6.Elle se définit par les pratiques et les discours des décideurs montréalais à l’égard des personnes immigrantes. Ce public cible renvoie, selon la Ville de Montréal, aux «personnes immigrantes et personnes nées au Canada et dont au moins un des deux parents est né à l’étranger (1re et 2e générations)» (Ville de Montréal, 2019a, p. 10).

    7.L’ouvrage publié en 2013 par Aude-Claire-Fourot, L’intégration des immigrants. Cinquante ans d’action publique locale, constitue une excellente référence pour la période qui précède.

    8.À moins d’indication contraire, Rocher référera à François Rocher dans les prochaines occurrences.

    9.L’article s’intitule «Pluriethnicité, citoyenneté et intégration: de la souveraineté pour lever les obstacles et les ambiguïtés» (Labelle, Rocher et Rocher, 1995).

    10.Voir la thèse de doctorat intitulée «L’agir institutionnel» en matière d’immigration et de relations interculturelles à la Ville de Montréal: une approche ethnographique (Massana Macià, 2018). Il s’agit d’une recherche incontournable sur le sujet.

    11.Dans cet ouvrage, je me réfère au sens sociologique et non juridique du terme. La citoyenneté est ainsi conçue du point de vue du sentiment d’appartenance des individus à la communauté politique.

    12.Conclue entre la Ville de Montréal et le gouvernement du Québec en 2016, l’entente-cadre Réflexe Montréal reconnaît un statut particulier à la métropole. Elle prévoit aussi l’augmentation du montant de plusieurs subventions gouvernementales, notamment dans le domaine de l’intégration des personnes immigrantes.

    CHAPITRE 1

    COMMENT ÉTUDIER LES POLITIQUES MUNICIPALES D’INTÉGRATION?

    Les politiques publiques peuvent être étudiées de plusieurs manières. En effet, une grande variété d’approches théoriques a été développée pour les appréhender. Le processus par lequel elles sont élaborées a d’abord été pensé de façon linéaire et ordonnée. Selon le modèle séquentiel d’Harold D. Lasswell (1956), plusieurs étapes se succèdent, telles que la mise à l’ordre du jour d’un problème public, la formulation d’une politique publique, son adoption par les décideurs, sa mise en œuvre et son évaluation ultérieure. Des chercheurs s’en sont éloignés dans les dernières décennies pour mieux rendre compte du processus complexe, souvent chaotique et difficile à saisir dans son entièreté que représente l’élaboration des politiques publiques.

    Ils se sont penchés sur la façon dont l’étude de divers ensembles de variables pouvait améliorer notre compréhension de ce processus en en offrant un éclairage particulier, même si celui-ci est inévitablement partiel. C’est le cas de Bruno Palier et d’Yves Surel (2005) lorsqu’ils se réfèrent aux célèbres «trois I» afin d’insister sur le rôle que peuvent y jouer les institutions, les idées et les intérêts (qui renvoient aux acteurs). Sur le plan théorique, ces variables constituent différentes paires de lunettes à partir desquelles il est possible d’analyser la production des politiques publiques. Dans nos sociétés

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