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La constitution autochtone du Canada
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La constitution autochtone du Canada
Livre électronique802 pages11 heures

La constitution autochtone du Canada

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À propos de ce livre électronique

La Constitution autochtone du Canada propose une réflexion sur la nature et les sources du droit au Canada. Si Borrows reconnaît que le système juridique canadien a contribué à engendrer un niveau appréciable de richesse et de sécurité dont bénéficient les citoyens à travers le pays, les conflits de longue date portant sur les origines, la légitimité et l’applicabilité de certains aspects de ce système l’ont conduit à soutenir que la constitution canadienne ne saurait être achevée tant que les traditions juridiques autochtones n’auront pas fait l’objet d’une acceptation plus large.

Borrows nous convie ici à une exploration féconde des traditions juridiques canadiennes, du rôle des gouvernements et des tribunaux, et de la perspective d’une culture multijuridique, dans le but de comprendre et d’améliorer les processus juridiques au Canada. Il discute de la place des individus, des familles et des communautés dans le rétablissement et l’épanouissement du rôle du droit autochtone à la fois dans les communautés autochtones et dans la société canadienne en général. Cette œuvre majeure, écrite par l’un des spécialistes du droit les plus éminents au Canada, s’adresse à toutes les personnes qui s’intéressent aux traditions juridiques autochtones au Canada et à leur place dans ce pays.

« Un ajout original et important à l’étude du droit autochtone, La constitution autochtone du Canada contribuera à dissiper les mythes coloniaux encore enseignés dans les facultés de droit partout au pays ».

Larry Chartrand, Faculté de droit, Université d’Ottawa

« La Constitution autochtone du Canada est un ouvrage riche et approfondi qui met au défi tant les Canadiens non autochtones qu’autochtones d’intégrer les traditions et pratiques juridiques des peuples autochtones du Canada dans le système du droit canadien. Une analyse lucide de la façon dont les lois canadiennes et autochtones sont en relation les unes avec les autres, l’œuvre éclairante de John Borrows est un tour de force ».

Peter Russell, Département de science politique, Université de Toronto

John Borrows est professeur et titulaire de la Chaire de recherche du Canada en droit autochtone à la Faculté de Droit de l’Université de Victoria.
LangueFrançais
Date de sortie2 déc. 2020
ISBN9782760553132
La constitution autochtone du Canada
Auteur

John Borrows

John Borrows est professeur et titulaire de la Chaire de recherche du Canada en droit autochtone à la Faculté de Droit de l’Université de Victoria.

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    Aperçu du livre

    La constitution autochtone du Canada - John Borrows

    droit…

    CHAPITRE 1

    DES TRADITIONS JURIDIQUES VIVANTES

    [L]e monde est rempli de droit. Chaque comportement humain est assujetti à une norme juridique… Partout où vivent des êtres humains, on trouve le droit. Il n’y a pas de domaine de la vie qui soit hors du droit.

    AHARON BARAK, « JUDICIAL PHILOSOPHY AND JUDICIAL ACTIVISM¹ »

    Ce livre se propose d’étudier les critères que nous considérons comme faisant autorité lorsque nous portons des jugements sur le droit au Canada. Il examine les standards que nous utilisons pour évaluer la régulation des activités et guider la résolution des conflits. Dans leur compréhension de ces enjeux, il est clair que les Canadiens ont bien des raisons d’être reconnaissants de ce qui résulte de leur système juridique. Il a contribué à établir un niveau de prospérité qui, pour bien des gens, est quasi inégalé à travers le monde. La paix et la prospérité qu’il a produites doivent être préservées, étendues et renforcées. Cependant, si les Canadiens ont raison d’être heureux de leur droit, nous continuons en même temps de souffrir de différends enracinés dans des conflits anciens quant à la légitimité de ses origines et la justice de son application contemporaine. La situation des peuples autochtones illustre l’une de ces tensions. Pour le dire simplement, les premiers habitants du continent n’ont jamais été convaincus que la primauté du droit se trouve au cœur de leurs expériences avec les autres habitants de ce pays. De ce point de vue, le système juridique canadien est incomplet. De nombreux peuples autochtones croient que leurs lois constituent un arrière-plan significatif pour juger de nos relations avec le pays et de nos relations les uns avec les autres. Pourtant, les lois autochtones sont souvent ignorées, diminuées ou considérées comme n’étant pas pertinentes ou ne faisant pas autorité pour faire face à ces enjeux. Cela a conduit à des interrogations importantes quant aux sources du droit canadien, de même qu’à ses engagements en matière culturelle, ainsi qu’à la capacité de ses institutions à s’ouvrir à la différence et à accueillir différentes interprétations.

    Des questions aussi fondamentales peuvent être déconcertantes pour un pays si elles conduisent à rejeter le rôle du droit pour encadrer nos relations de manière probante. Je crois que nous ne devrions pas être forcés de vivre avec de telles réserves quant au potentiel du droit². Le droit aspire à la certitude, à l’ordre, à la persuasion, à la raison et à la justice, et cela devrait être considéré comme l’une des forces essentielles de notre société. C’est de loin préférable à l’option de rechange, qui consisterait à construire nos relations sur la base du doute, du désordre, de la coercition, de la confusion et de la manipulation grossière, par le recours au pouvoir direct de la force personnelle ou institutionnelle. Ainsi, même si poser des questions graves sur les soutènements du système juridique du Canada peut constituer un défi important, nous ne devrions pas considérer ces interrogations comme étant dénuées de valeur. En réalité, de telles questions de recherche peuvent être cruciales pour nos sociétés si elles révèlent des manières de nous organiser susceptibles de nous rapprocher de nos aspirations collectives. Ce livre suggère que nous pouvons faire mieux pour construire notre pays en fonction de nos idéaux les plus nobles. Nous pouvons respecter et renforcer la primauté du droit, tout en déterminant des domaines dans lesquels nous pouvons nous améliorer. Ce travail tente de suivre une telle piste³. Il soutient que le Canada doit être construit sur un socle élargi, en reconnaissant les traditions juridiques autochtones comme y donnant lieu à des droits et à des obligations effectifs.

    1. LE DROIT COMME TRADITION

    Le droit est un important principe organisateur dans la société canadienne. Cependant, il existe plusieurs définitions et désaccords quant à ce qui constitue le droit⁴. Sa signification peut faire l’objet d’importantes dissensions. Le droit peut produire à la fois la paix et le chaos ; cela dépend des personnes au nom desquelles il est administré et du point de vue selon lequel il est traité. Le droit inclut à la fois des éléments formels et des éléments informels⁵. Il tourne autour d’idées et de pratiques explicites et implicites, profondément complexes, relatives au respect, à l’ordre et à l’autorité⁶. Les lois émergent chaque fois que des interactions interpersonnelles créent des attentes et des obligations quant à un comportement approprié⁷. Nous analysons souvent différents systèmes juridiques en les situant dans des regroupements ou traditions plus larges pour mieux les comprendre⁸. Comme on l’a dit,

    [u]ne tradition juridique […] est un ensemble d’attitudes historiquement conditionnées et profondément enracinées relatives à la nature du droit, au rôle du droit dans la société et la communauté politique, à l’organisation et au fonctionnement appropriés d’un régime juridique, et aux manières dont le droit est ou doit être produit, appliqué, étudié, perfectionné, et enseigné⁹.

    Une tradition juridique constitue une dimension de la culture générale ; elle peut être différenciée du régime juridique d’un État si celui-ci ne reconnaît pas explicitement sa validité¹⁰. Les traditions juridiques sont des phénomènes culturels ; elles fournissent des catégories dans lesquelles cette « entreprise désordonnée qu’est la vie » peut être organisée et par lesquelles les différends peuvent être résolus¹¹. Il arrive que des traditions différentes puissent opérer à l’intérieur d’un seul État ou recouper plusieurs États¹². On parle alors de pluralisme juridique : « l’existence simultanée dans un seul ordre juridique de règles différentes s’appliquant à des situations identiques¹³ ».

    Si nous appliquons ces réflexions à notre pays, nous pourrions dire que le Canada est un État pluraliste sur le plan juridique : les traditions civiliste, de common law et autochtone encadrent la résolution des différends. Bien qu’il y ait des ressemblances entre ces traditions, chacune possède ses propres méthodes particulières de développement et d’application. La vitalité de chaque tradition juridique ne repose pas seulement sur son acceptation historique ou sur la manière dont elle est reçue par les autres traditions¹⁴. « La force d’une tradition ne dépend pas du fait qu’elle respecte sa forme d’origine mais de la manière dont elle se développe et reste pertinente dans des circonstances changeantes¹⁵. » Quand elle est reconnue, qu’on la dote de ressources et qu’on lui donne un espace juridictionnel, chaque tradition juridique peut s’appliquer dans un contexte moderne. La marque d’une tradition authentique et vivante c’est d’ouvrir au-delà d’elle-même¹⁶. Chacune des trois grandes traditions juridiques du Canada est pertinente de ce point de vue, et chacune continue de se développer dans des « circonstances changeantes ».

    D’une part, les traditions peuvent constituer des forces positives dans nos communautés si elles existent comme des systèmes vivants, contemporains, qui sont revus à mesure que nous en apprenons plus sur la manière dont nous devrions vivre les uns avec les autres¹⁷. D’autre part, les traditions peuvent être destructrices si elles deviennent statiques et figées dans leur orientation, leur interprétation et leur application¹⁸. Elles deviennent des forces négatives si elles sont indûment romancées, essentialisées et fossilisées dans un cadre inflexible. Pour éviter ces écueils, la tradition ne doit pas seulement être vue comme aidant à établir les paramètres de nos existences, elle doit aussi « nous donner les moyens de remettre en cause et de développer ces paramètres » de manière à être efficace¹⁹. Les gardiens des traditions juridiques du Canada doivent se prémunir contre les idées et les pratiques fondamentalistes, oppressives et inflexibles²⁰. Une interprétation exagérément statique de la common law, du droit civil ou du droit des peuples autochtones pourrait anéantir des droits et libertés précieux. Par exemple, si les praticiens de common law développent une interprétation fermée ou abusivement étroite de leur tradition, cela peut nuire à une croissance et un développement sains. De plus, s’ils entretiennent une intolérance dogmatique à l’endroit du droit civil ou des traditions juridiques autochtones, cela peut aussi miner ces traditions. On pourrait dire la même chose du droit civil ou des lois des peuples autochtones. Nous avons souvent tendance à voir les autres traditions comme potentiellement menaçantes, despotiques ou rigides, alors que notre propre ethnocentrisme nous empêche de voir les problèmes qui se posent dans les systèmes qui sont les nôtres. Nous devons nous assurer de poser un regard critique sur chaque tradition juridique, incluant la nôtre, pour nous assurer qu’elle promeut le respect et la dignité de ceux qui en dépendent.

    Les études empiriques concernant l’influence des traditions juridiques peuvent constituer des outils importants pour comprendre leur effet sur la vie des gens²¹. Les sciences sociales peuvent vérifier l’influence des différentes traditions juridiques sur nos cultures, nos économies, nos réalisations éducatives, notre conscience éthique, notre utilisation de l’environnement, les relations de genres, les histoires, les systèmes politiques, la santé psychologique et physique, les relations raciales, le développement sociologique et l’état de la technologie. Ces indicateurs semi-externes de la relation du droit avec la société peuvent être des indicateurs importants de la mesure dans laquelle nos traditions juridiques nous servent bien. Au cours des dernières décennies, un nombre accru de chercheurs de différentes disciplines ont consacré une attention considérable à l’étude systématique du droit et des institutions juridiques²². Alors qu’il y a eu de nombreuses études sur les traditions de droit civil et de common law selon une perspective de sciences sociales, y compris des études portant sur les effets de ces traditions sur les peuples autochtones²³, il y a eu relativement peu d’études sur les traditions juridiques autochtones canadiennes elles-mêmes, exception faite de celles menées en anthropologie²⁴. Ceci révèle, pour une part, des déséquilibres entre traditions juridiques dans la vie publique canadienne. Cela dévoile aussi le manque de considération historique, d’intérêt et de connaissance des universitaires, ainsi que leur attitude, à l’égard de la contemporanéité du droit autochtone au cours du dernier siècle. Cela peut également refléter la défiance de certaines communautés autochtones face à la recherche et aux relations avec la société dans son ensemble, dans la foulée de siècles de colonialisme²⁵. Certains peuples autochtones ont refusé aux chercheurs l’accès à leurs communautés à cause de mauvaises expériences. La représentation erronée et l’appropriation à tort sont souvent citées comme motivant ces portes closes. L’absence relative de travaux en sciences sociales sur les traditions juridiques autochtones contemporaines signifie que de la recherche quantitative et qualitative plus vaste et plus respectueuse est nécessaire pour évaluer leurs effets positifs et négatifs ainsi que leur potentiel. Cette analyse est nécessaire afin d’assurer qu’aucune de nos traditions ne glisse vers un fondamentalisme archaïque et oppressif.

    Une autre manière importante de nous assurer que nos traditions juridiques demeurent ouvertes à des influences nouvelles et saines est de les voir comme situées dans des communautés d’interprétation dans lesquelles ceux qui sont touchés par ces traditions peuvent participer à leur construction continue²⁶. Au contraire de ce qui se passe dans la recherche en sciences sociales sur les traditions juridiques autochtones, on voit émerger des travaux d’analyse du droit qui explorent ces traditions dans une perspective normative²⁷. Ce livre s’inscrit dans ce dernier courant. Il explore l’étendue potentielle des communautés d’interprétation au Canada par rapport à ses diverses traditions juridiques. Il table sur des travaux antérieurs que j’ai réalisés dans ce domaine²⁸. Il répond aux invitations lancées par les communautés autochtones et l’ancienne Commission du droit du Canada à mieux comprendre la place du droit autochtone dans notre pays²⁹. J’espère que cet ouvrage constituera une invitation de plus à ceux que ce sujet intéresse à se joindre à moi et à d’autres universitaires, praticiens, politologues, analystes des politiques, Aînés, chefs et dirigeants de bonne volonté pour repérer, reconnaître, interroger et développer plus avant nos traditions juridiques³⁰. Le droit est, entre autres choses, une expérience sociale qui exige que nous nous associions les uns aux autres et que nous échangions sur la meilleure façon de mener nos affaires. Nous devrions toujours nous rappeler que le droit est une pratique, pas seulement une idée³¹. C’est à travers « un processus permanent de discussion […] des compromis, des négociations et des délibérations » que nos arrangements constitutionnels sont le mieux élaborés, comme l’a affirmé la Cour suprême³². Quand plus de gens participent à la compréhension et à l’application des normes autochtones, il existe un potentiel pour élargir nos communautés d’interprétation juridique et améliorer chaque tradition juridique³³.

    Conformément à cette approche, ce livre suggère que les lois des peuples autochtones ont une pertinence actuelle pour eux-mêmes et pour les autres, et qu’elles peuvent être développées par des pratiques contemporaines. Bien que les traditions juridiques autochtones aient des racines anciennes, elles peuvent aussi concerner les besoins actuels et futurs de tous les Canadiens³⁴. Elles ne devraient pas porter seulement, ou même d’abord, sur le passé. Elles peuvent nous guider quant à la manière de vivre en paix dans le monde actuel. Elles peuvent être sans cesse reformulées pour nous montrer comment créer un ordre plus solide, et constamment remaniées pour nous apprendre à canaliser et gérer le conflit³⁵. Mais si les traditions juridiques autochtones présentent un grand potentiel pour l’avenir du Canada, elles ont aussi leurs limites. Comme toutes les traditions juridiques, elles restent imparfaites. Les lois autochtones se sont développées parce que le conflit a toujours été présent dans les cultures autochtones³⁶. Les peuples autochtones sont tout aussi sujets que les autres sociétés du monde aux querelles mesquines et aux grandes controverses³⁷. Il n’y a pas d’époque romantique ayant précédé le contact et lors de laquelle les sociétés autochtones auraient connu une existence idyllique, du moins pas sur de longues périodes. La violence, les tensions, la création, la destruction, l’harmonie et une paix ténue nous ont toujours accompagnés à des degrés divers. Le colonialisme a complexifié les défis auxquels les peuples autochtones ont toujours fait face³⁸. Ainsi, les lois autochtones comportent des faiblesses liées aux imperfections de leurs sociétés, comme c’est le cas pour le droit civil et la common law pris dans leurs contextes. Par conséquent, nous ne devrions pas idéaliser les lois autochtones dans nos tentatives d’appliquer leurs préceptes de manière constructive. Le droit autochtone demeure pertinent aussi longtemps qu’il y a de la discorde et de la dissension dans le monde, et que nous voulons faire face à leurs conséquences. Les peuples autochtones contribuent à cette discorde. Ils participent aussi à la recherche de l’harmonie. Par conséquent, en gérant la mésentente, les lois autochtones peuvent contenir des conseils pour limiter nos pires excès. De telles lois sont particulièrement pertinentes quand les peuples autochtones sont impliqués dans des différends. Les différends dans les communautés autochtones et avec les autres sociétés pourraient possiblement être atténués si ces lois étaient appliquées plus largement.

    La Cour suprême du Canada a reconnu que les peuples autochtones possédaient des traditions juridiques et les possèdent toujours. Si les conséquences de cette reconnaissance ont été largement ignorées, on constate l’émergence d’un cadre pour en étendre la portée. Dans R c Van der Peet, la Cour a soutenu que « [l]es coutumes traditionnelles et les lois traditionnelles sont ces choses qui sont transmises de génération en génération et qui émanent de la culture et des coutumes préexistantes des peuples autochtones³⁹ ». Elle a jugé que les droits autochtones sont fondés sur les coutumes et traditions juridiques autochtones⁴⁰ et concernent la protection des lois coutumières⁴¹. Dans Mitchell c MRN, la Cour suprême a confirmé la survie du droit autochtone et écrit que

    l’établissement des Européens n’a pas mis fin aux intérêts des peuples autochtones qui découlaient de leur occupation et de leur utilisation historiques du territoire. Au contraire, les intérêts et les lois coutumières autochtones étaient présumés survivre à l’affirmation de souveraineté […]⁴².

    Ce livre soutient que les traditions juridiques autochtones continuent d’exister. Même si elles ont été transformées et limitées, elles n’ont pas été éteintes de façon générale⁴³. Bien que les actions canadiennes passées aient eu un impact négatif sur les peuples autochtones, ces derniers continuent de faire l’expérience du fonctionnement de leurs traditions juridiques dans des domaines aussi divers que la vie familiale, la propriété foncière, les relations aux ressources de la terre, l’échange et le commerce ainsi que l’organisation politique, entre autres⁴⁴. Les traditions juridiques autochtones sont inextricablement entremêlées avec les coutumes, pratiques et traditions autochtones actuelles qui sont maintenant reconnues et confirmées au paragraphe 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982⁴⁵. De ce point de vue, elles font aussi partie du droit canadien.

    2. LE DROIT COMME HIÉRARCHIE

    Malgré le fait qu’elles permettent d’apporter des réponses à certaines questions urgentes, les lois autochtones ont un statut incertain dans le système juridique formel du Canada. Il existe un débat sur ce qui constitue le « droit » et sur la question de savoir si les peuples autochtones du Canada pratiquaient le droit avant l’arrivée des Européens… Certains commentateurs contemporains ont affirmé que les peuples autochtones d’Amérique du Nord étaient « préjuridiques »⁴⁶. Ceux qui adhèrent à ce point de vue croient que les sociétés ne possèdent des lois que si ces dernières sont proclamées par un pouvoir reconnu capable de mettre en œuvre une telle proclamation. Ils soutiennent que la tradition autochtone est strictement coutumière, et par conséquent qu’elle n’est pas dotée de la légalité. Le philosophe John Austin a exprimé l’idée que la coutume n’est pas loi lorsqu’il a écrit :

    À l’origine, une coutume est une règle de conduite que les gouvernés respectent spontanément ou pas en vertu d’une loi établie par un supérieur politique. La coutume se transforme en droit positif lorsqu’elle est adoptée par les tribunaux, et quand les décisions judiciaires qu’elle inspire sont imposées par le pouvoir de l’État. Mais avant qu’elle soit adoptée par les tribunaux et revêtue de la sanction juridique, elle est une simple règle de moralité positive : une règle généralement observée par les citoyens ou les sujets mais tirant la seule force dont elle peut être dite détentrice de la désapprobation générale qui retombe sur ceux qui la transgressent⁴⁷.

    Pour les positivistes juridiques qui se rangent du côté d’Austin, l’autorité centralisée et le commandement explicite sont nécessaires pour qu’un système juridique existe. Ceux qui contestent cette conclusion soutiennent que la conception d’Austin repose sur des postulats inexacts sur le droit⁴⁸, et que le droit ne provient pas entièrement d’une autorité souveraine ou d’un commandement explicite⁴⁹. Quand les idées d’Austin sur le droit coutumier sont appliquées aux peuples autochtones, elles sont susceptibles de reproduire des stéréotypes troublants sur ces sociétés⁵⁰. Alors qu’une partie du droit autochtone est coutumier, ce droit peut aussi être positif, délibératif, ou fondé sur des théories du droit divin ou naturel (comme l’explique le prochain chapitre). De plus, même si une société autochtone pratique exclusivement le droit coutumier, il est trompeur de voir les lois coutumières comme n’ayant qu’une force morale⁵¹. Parfois, les coutumes sont dénigrées par les juristes comme Austin parce que les sociétés qui les appliquent ont été à tort qualifiées d’inférieures ou même de « sauvages⁵² ». Les peuples autochtones ont été décrits comme « vivant sans sujétion » à cause de l’« ignorance » et de la « stupidité » inhérentes au fait de ne pas se soumettre à un gouvernement politique hiérarchique⁵³.

    De telles conceptions m’ont causé de profondes préoccupations tout au long de ma carrière. J’y ai d’abord été confronté lorsque j’étais étudiant en droit à l’Université de Toronto. On faisait des présupposés sur les peuples et le droit autochtones qui semblaient les priver de ce qui leur confère leur autorité, ou subordonner cette dernière. À l’époque, je ne savais pas comment remettre en cause de manière efficace ce que j’apprenais parce que je ne disposais pas de la confiance et du langage conceptuel nécessaires pour présenter ma perspective sur le matériel à l’étude. Une idée que je voulais explorer plus profondément concernait la hiérarchie des droits que l’on disait exister au Canada. La plupart des étudiants en droit apprennent que certaines sources juridiques se situent au-dessus des autres, et que celles qui sont plus bas sur l’échelle d’autorité doivent céder devant celles qui se situent plus haut. Je me rappelle mon professeur de droit des biens me dire que toutes les lois devaient se conformer aux lois constitutionnelles pour être valides. Nous nous sommes ensuite fait dire que sous la Constitution se trouvaient les décisions parlementaires ou législatives, qui disposaient d’une plus grande autorité que les décisions de common law prises par les juges. En dessous de ces sources se trouvaient les origines subsidiaires du droit, comme le privilège parlementaire, la prérogative royale, des commentaires publiés particulièrement persuasifs, suivis finalement des coutumes et des conventions⁵⁴. Ce modèle d’organisation des sources du droit canadien est manifeste dans la plupart des manuels juridiques actuels⁵⁵. Je ne pouvais m’empêcher de remarquer que la coutume se trouvait au bas de la structure juridique du Canada, et que la coutume était le type de droit que les peuples autochtones étaient présumés avoir, lorsqu’ils étaient vus comme ayant même un droit.

    La hiérarchie formelle des sources du droit est soutenue par les théories portant sur ce qu’on appelle la réception du droit au Canada. Dans la littérature juridique, le Canada est généralement vu comme un territoire colonisé, ce qui signifie que juridiquement, il était considéré comme vide lors de sa fondation⁵⁶. Alors que les peuples autochtones vivaient sur le territoire avant sa colonisation, on a dit que « leurs droits et coutumes étaient soit trop peu familiers soit trop primitifs pour justifier que l’on contraigne les sujets britanniques à leur obéir⁵⁷ ». Ces qualificatifs constituent une insulte pour moi et beaucoup d’autres parce qu’ils présument de l’infériorité juridique des peuples autochtones⁵⁸. Pourtant, la plupart des parlementaires, avocats et juges n’ont pas remis en cause cette présomption comme ils l’auraient dû. Partout, sauf au Québec, ils ont généralement agi comme si seul le droit anglais s’appliquait au pays dès lors que les colons ou les gouverneurs anglais avaient créé des colonies dans le soidisant Nouveau Monde⁵⁹. La réception du droit anglais a formé des hiérarchies fictives qui ont rendu certaines lois plus exécutoires que d’autres.

    Le professeur Peter Hogg, un de mes anciens collègues à la Faculté de droit Osgoode Hall, a écrit sur les règles de réception et s’est demandé : « Comment le Canada a-t-il acquis ses systèmes juridiques ? » En guise de réponse, il a écrit : « La réponse est qu’ils ont été reçus au Canada de l’ancienne puissance impériale, le Royaume-Uni, et, dans une moindre mesure, de la France, pendant la période coloniale⁶⁰. » Il a ajouté ceci : « En l’absence de tout système juridique rival, le droit anglais suivit les sujets britanniques et remplit le vide juridique dans le nouveau territoire⁶¹. » La professeure McCallum de la Faculté de droit de l’Université du Nouveau-Brunswick exprima un sentiment similaire, mais cette fois sous la forme d’une critique, lorsqu’elle écrivit : « Une colonie gouvernée par la loi de l’Angleterre commence sa vie dotée de la sagesse et du savoir exprimés dans les décisions judiciaires et la législation de l’Angleterre, ou du moins pour autant que la législation était adaptée aux circonstances de la colonie⁶². » La doctrine de la réception soutient que « nous cherchons les règles fondamentales » des sources du droit au Canada « dans la common law anglaise de la colonisation⁶³ ». De ce point de vue, la doctrine de la réception n’incorpore pas la sagesse et le savoir des peuples autochtones pour formuler les règles fondamentales de notre système juridique.

    Malheureusement, la doctrine de la réception s’est imposée clairement dans ma formation juridique. Nous nous concentrions presque exclusivement sur l’Angleterre pour les sources fondamentales du droit canadien. L’avènement du colonialisme était présenté comme le fait fondateur du développement du droit dans ce pays. Pourtant, je savais qu’il y avait davantage quant à la réception du droit au Canada que les affirmations distantes d’une couronne impériale. Il me semblait que la « réception », pour être un processus pacifique, exigeait aussi une forme d’interaction avec les peuples autochtones⁶⁴. Je comprenais grâce à l’histoire de ma propre famille que la Couronne avait souvent cherché l’accord des Autochtones avant de coloniser et de commencer à gouverner son propre peuple sur nos territoires traditionnels⁶⁵. Dans les régions du pays où des accords n’étaient pas intervenus, je voyais la réception comme incomplète, requérant donc une intervention future. Malgré la nature complexe de la réception de la common law au Canada, la plupart des textes juridiques faisaient comme si le droit était arrivé au pays seulement avec les premières législatures coloniales ou les premiers gouverneurs coloniaux. Ce mythe présente des problèmes pratiques et théoriques. La colonisation n’est pas une base solide pour assoir la fondation des lois du Canada. Elle crée une fiction qui continue d’effacer les systèmes juridiques autochtones comme source du droit au Canada.

    Cette fiction constitue la source du conflit entre les peuples autochtones et la Couronne. En regard de la formulation actuelle du droit, la doctrine de la réception est indéfendablement européocentrique⁶⁶. Elle ignore la présence et les lois antérieures des peuples autochtones au Canada et ne les respecte pas comme source potentielle du droit aujourd’hui dans le pays. Le professeur Hogg s’est aussi montré critique de ce point de vue. Il a écrit que les lois dites reçues

    ont souvent été appliquées au mépris de l’existence des peuples autochtones, qui possédaient la vaste majorité de l’Amérique du Nord avant l’arrivée des Européens. Il est évident que l’ensemble du droit coutumier autochtone n’a pas disparu au moment de la colonisation européenne, comme le laisse entendre la règle de la réception pour une colonie britannique établie⁶⁷.

    En fait, comme la juge McLachlin l’a affirmé dans sa dissidence dans l’arrêt Van der Peet (alors qu’elle était simple juge),

    [l]’histoire des rapports entre les Européens et la common law, d’une part, et les peuples autochtones, d’autre part, s’étale sur une longue période. Comme on peut s’y attendre, les principes régissant ces rapports n’ont pas toujours été appliqués uniformément durant cette longue histoire. Et pourtant, cette histoire, depuis les tout débuts jusqu’à nos jours, est illuminée par un fil d’or – la reconnaissance par la common law des lois et coutumes ancestrales des peuples autochtones qui occupaient le territoire avant la colonisation européenne⁶⁸.

    Les descriptions dominantes des sources du droit n’ont pas suivi les sages remarques de la juge en chef McLachlin quant au droit autochtone. Cette absence de reconnaissance a créé une hiérarchie juridique qui a engendré une vision erronée et appauvrie du droit canadien. Comme je l’ai souligné, ce livre tente de remédier à cette lacune. Ma thèse est que le Canada ne peut pas actuellement, historiquement, juridiquement ou moralement, prétendre être construit uniquement sur un droit dérivé du droit européen. Dans cet ouvrage, je tente de développer un langage conceptuel permettant de renforcer le fondement et le statut actuel du droit dans ce pays. J’adopte cette approche parce que ce projet n’a pas reçu assez d’attention. En réalité, même le professeur Hogg, qui reconnaît les problèmes sous-tendant l’ethnocentrisme du droit par rapport aux peuples autochtones, commence son très influent Constitutional Law of Canada comme si les traditions juridiques autochtones pouvaient être ignorées. Dans cet ouvrage par ailleurs excellent, le professeur Hogg construit une hiérarchie juridique qui remplace le droit autochtone par la réception des lois européennes. Il écrit : « La description qui suit n’aborde pas l’enjeu complexe de la survie du droit coutumier autochtone mais tente simplement de retracer la réception du droit anglais et français en Amérique du Nord britannique⁶⁹. » C’est une erreur d’écrire sur les fondements constitutionnels du Canada sans tenir compte du droit autochtone. On ne peut pas proposer une description exacte du fondement du droit au Canada en présentant seulement une facette de son histoire juridique coloniale. Quand on construit une structure sur une base instable, on risque de causer du tort à tous ceux qui en dépendent pour leur sécurité et leur protection⁷⁰. Ce livre veut fournir un fondement plus solide au droit canadien. Prendre acte de la place traditionnelle et contemporaine du droit autochtone dans ce pays – aux côtés de la common law et du droit civil – est une étape nécessaire dans ce processus. Il est crucial de créer une conception plus saine et plus exacte de l’ordre constitutionnel plus large du Canada.

    Si les lois autochtones ne sont pas reconnues, nous risquons de construire le droit canadien sur une prémisse erronée qui situe les peuples autochtones plus bas sur « l’échelle de la civilisation » parce qu’ils ne sont pas organisés comme les Européens. Les opinions judiciaires fondées sur la supposée « infériorité culturelle » des peuples autochtones n’ont pas résisté à l’analyse. Au siècle dernier, le Comité judiciaire du Conseil privé a proposé « qu’une grande prudence s’impose » lorsqu’on interprète « les différents systèmes de jurisprudence autochtone à travers l’Empire⁷¹ ». Ses membres ont noté qu’une telle prudence est essentielle parce que les juges sont susceptibles de ne reconnaître le droit dans les sociétés autochtones que s’ils trouvent des analogies avec les concepts propres au droit anglais. La Cour affirma que « cette tendance doit être contenue » parce qu’elle empêcherait la reconnaissance de droits bénéficiaires développés dans les systèmes autochtones⁷². Des juristes ont aussi écarté le fait de situer les formes de droit autochtones à un niveau inférieur⁷³. Par exemple, le renommé théoricien du droit Lon Fuller a résumé ainsi les conceptions déformées du droit coutumier :

    Si, dans une tentative de comprendre ce qu’est le droit coutumier et ce qui lui confère sa force morale, nous consultons les traités de jurisprudence, nous sommes susceptibles de rencontrer des explications qui ressemblent à la suivante… Le droit coutumier exprime la force de l’habitude qui prévaut si fortement dans l’histoire primitive de la race. Un individu se déplace dans une région auparavant inexplorée, suivant un schéma accidentel ou une intention momentanée, d’autres suivent ensuite ce chemin jusqu’à ce qu’il soit balisé. Cela constitue, je crois, une caricature grotesque de ce que représente véritablement le droit coutumier dans la vie de ceux qui sont gouvernés par un tel droit⁷⁴.

    Dans Calder et al. c Procureur général de la Colombie-Britannique, la Cour suprême du Canada a aussi condamné une approche qui rabaisse les coutumes autochtones. Elle a fait ce commentaire :

    Il faut aborder la question de l’appréciation et de l’interprétation des documents historiques et des textes législatifs versés au dossier en se fondant sur les recherches et connaissances actuelles sans tenir compte des anciens concepts formulés à une époque où la compréhension des coutumes et de la culture des aborigènes de notre pays était rudimentaire et incomplète et où l’on pensait qu’ils étaient sans cohésion, lois ou culture et constituaient de fait une espèce inférieure⁷⁵.

    Nonobstant les énoncés philosophiques et juridiques rejetant les idéologies qui affirment l’infériorité des peuples autochtones, la soi-disant découverte européenne du Canada continue de fournir une justification troublante à la dépréciation des traditions juridiques autochtones⁷⁶. Elle perpétue le mythe de l’infériorité. La Cour suprême du Canada a appliqué cette doctrine troublante dans Guerin c La Reine, et a écrit :

    Selon le principe de la découverte, sur lequel reposaient ces revendications, les terres situées dans une région donnée appartenaient en dernière analyse à la nation qui en avait fait la découverte et qui en avait réclamé la possession. Sous ce rapport du moins, les droits des Indiens sur leurs terres ont été manifestement diminués⁷⁷.

    L’insulte que fait la Cour à la nature des sociétés autochtones d’avant le contact a été confortée dans la décision majeure sur les droits autochtones, R c Sparrow, dans laquelle la Cour a écrit que « dès le départ, on n’a jamais douté que la souveraineté et la compétence législative, et même le titre sous-jacent, à l’égard de ces terres revenaient à Sa Majesté⁷⁸ ». Elle a tiré cette conclusion malgré des doutes substantiels quant aux revendications de la Couronne relatives aux terres et gouvernements des peuples autochtones au « début » de leur relation⁷⁹.

    Malgré ces décisions, il est évident en regard des faits qu’à la formation du Canada il n’y a pas eu de première découverte de la part de la Couronne qui pourrait justifier d’écarter le droit autochtone⁸⁰. Les peuples autochtones avaient déjà découvert la majeure partie de leurs territoires et y exerçaient leur compétence avant l’arrivée des Européens⁸¹. Si tant est que la « doctrine de la découverte » entraîne des conséquences de nature juridique, son application non discriminatoire devrait favoriser les peuples autochtones plutôt que la Couronne⁸². La doctrine de la découverte devrait seulement donner à la Couronne la capacité de revendiquer une autorité juridique sur les régions qui étaient terra nullius, littéralement « stériles et désertes⁸³ ». Bien entendu, lorsque la Couronne est arrivée en Amérique du Nord les territoires des peuples autochtones n’étaient pas stériles et déserts⁸⁴. La Cour suprême du Canada a écrit : « Au moment de l’affirmation de la souveraineté britannique, la Couronne ne considérait pas l’Amérique du Nord comme res nullius⁸⁵. » La Commission royale sur les peuples autochtones a recommandé que les gouvernements reconnaissent que la doctrine de la découverte était erronée « dans les faits, en droit et en morale⁸⁶ ». La découverte ne constitue pas un fondement acceptable pour déprécier le droit autochtone.

    Une justification apparentée, utilisée pour écarter ou rabaisser les traditions juridiques autochtones et qui devrait être rejetée, est liée aux idées sur l’occupation. L’occupation par un regroupement politique sur une base territoriale constitue une raison de reconnaître des droits juridiques importants sur un territoire⁸⁷. Pourtant, si la doctrine de l’occupation était appliquée sans partialité, la plupart des gens conviendraient probablement qu’à la formation du Canada la Couronne n’a pas effectivement occupé les terres autochtones d’une manière qui puisse justifier la mise à l’écart des lois des Autochtones⁸⁸. En réalité, la Cour suprême du Canada l’a reconnu quand elle a écrit : « lorsque les colons sont arrivés, les Indiens étaient déjà là, ils étaient organisés en sociétés et occupaient les terres comme leurs ancêtres l’avaient fait depuis des siècles⁸⁹ ». Malheureusement, le concept d’occupation est souvent appliqué d’une manière ethnocentrique pour nier l’occupation par les Autochtones⁹⁰. C’est ce qui semble être le cas dans les arrêts R c Marshall ; R c Bernard de la Cour suprême, dans lesquels les Mi’kmaq étaient considérés comme trop nomades au moment de l’affirmation de la souveraineté britannique pour remplir le critère de l’occupation suffisante⁹¹. La Cour faisait ce constat malgré le commerce entretenu par les Mi’kmaq avec les Acadiens et d’autres Européens pendant plus de 150 ans, et malgré les guerres causées par les incursions britanniques sur leurs territoires pendant plus d’un demi-siècle⁹². En n’accordant pas suffisamment de poids à ces faits, la Cour a négligé le lien entre les aspects juridictionnel et territorial de l’occupation Mi’kmaq. Les juges dans cette cause n’ont pas suivi correctement la mise en garde émise précédemment par le Conseil privé parce qu’ils n’ont pas su reconnaître les droits et intérêts des Autochtones lorsqu’il n’y avait pas d’analogies entre la common law et l’ordre juridique autochtone.

    La décision Marshall/Bernard s’inscrit dans une longue tradition européenne de déplacement préjudiciable des peuples perçus de manière ethnocentrique comme étant plus bas sur la soi-disant échelle de la civilisation en raison d’une organisation sociale différente⁹³. Par exemple, John Locke a écrit que la terre est seulement effectivement occupée et donc sujette à être une possession légale quand une personne « mêle son Travail à tout ce qu’il fait sortir de l’état dans lequel la nature l’a fourni et laissé, et il y joint quelque chose qui est sien ; par là il en fait sa Propriété⁹⁴ ». Certains croient que les peuples autochtones n’ont pas investi assez de leur travail dans la terre pour assurer leur occupation⁹⁵, une généralisation manifestement fausse⁹⁶. En plus, certains ont interprété Blackstone comme l’autorité en ce qui concerne l’énoncé selon lequel les peuples autochtones étaient insuffisamment organisés pour revendiquer la souveraineté découlant de l’occupation de groupe⁹⁷. D’autres théoriciens, politologues, avocats et tribunaux sont tombés dans le même piège et ont considéré l’occupation autochtone comme insuffisante pour investir ces groupes de la capacité d’adopter leurs propres lois⁹⁸. Les critères ethnocentriques se rapportant à l’occupation qui établissent une discrimination a priori devraient pourtant être écartés comme fondement servant à déprécier le droit autochtone.

    Malgré cette injonction, certains pourraient essayer de justifier la rétrogradation des traditions juridiques autochtones en invoquant le passage du temps et la croissance de la common law et du droit civil par rapport à ces traditions. Ils pourraient même prétendre que le renforcement des traditions européennes transplantées ici a éclipsé ou éteint les lois autochtones. Sous certains angles cet argument est analogue à ceux qui découlent de l’application des règles se rapportant à la prescription en droit des biens⁹⁹. Ce corpus de règles permet à un demandeur ultérieur d’acquérir des droits s’il occupe publiquement un espace pendant un certain temps et que le véritable propriétaire a connaissance de cette occupation. En droit privé, cette manière de faire est parfois appelée prescription acquisitive¹⁰⁰. Elle requiert un exercice de facto de la souveraineté qui est pacifique et qui n’est pas remis en cause¹⁰¹. Alors que d’un côté cette doctrine peut être attrayante parce qu’elle justifie le transfert (de droits et de souverainetés) d’une manière apparemment pacifique, d’un autre côté l’appliquer pour écarter les traditions juridiques autochtones pose problème. Les peuples autochtones n’ont généralement pas consenti au supposé remplacement de leurs lois par la common law. Historiquement, la relation de la common law et du droit civil avec les traditions juridiques autochtones n’a été ni pacifique ni incontestée. Les peuples autochtones se sont fréquemment opposés aux présomptions de la common law quant à l’évacuation complète de leurs lois. En termes contemporains, l’application de doctrines du type de celle de la prescription acquisitive fait surgir l’hostilité plutôt que la paix parmi les peuples autochtones auxquels elles sont dites s’appliquer. Ces faits rendent difficile la construction d’arguments semblables à ceux invoqués pour plaider la prescription acquisitive afin de repousser les traditions juridiques autochtones plus bas dans la hiérarchie juridique du pays. Le militantisme et les prises de position autochtones se sont résolument opposés à l’évacuation de leurs cultures, lois, et traditions¹⁰².

    La notion de conquête est étroitement liée à l’idée que les traditions juridiques autochtones ont été limitées par l’application défavorable de la common law et du droit civil. De nouveau, l’idée est que les lois autochtones se sont effacées devant une force et un pouvoir écrasants. La plupart des gens au Canada pensent probablement que les lois autochtones ont été écartées par la conquête. Mais ce n’est pas ce que prescrit le droit. Malgré le conflit entre les peuples autochtones et la Couronne au Canada, le cadre juridique du pays ne considère pas les peuples autochtones comme des peuples conquis. La Cour suprême du Canada a écrit : « En bref, les Autochtones du Canada étaient déjà ici à l’arrivée des Européens ; ils n’ont jamais été conquis¹⁰³. » De plus, le Canada aurait difficilement pu déclarer des droits issus de la conquête puisque la conquête ne peut être justifiée que pour une « juste cause », comme lorsque la sécurité ou les droits d’une nation sont menacés¹⁰⁴. En outre, la doctrine de la conquête ne s’applique que si le territoire conquis est annexé, formellement possédé par le conquérant, et si les droits subséquents sont décrits dans un traité de paix mettant fin à une guerre¹⁰⁵. Ces critères n’ont généralement pas été remplis dans ce pays. De plus, même si les conditions d’une conquête avaient été satisfaites, les lois autochtones seraient demeurées en vigueur jusqu’à ce qu’elles soient éteintes clairement et manifestement par une législature coloniale¹⁰⁶. La Cour suprême a écrit : « La condition relative à l’intention claire et expresse d’éteindre un droit est […] très exigeante¹⁰⁷. » Étant donné ces multiples difficultés, la doctrine de la conquête ne peut pas être invoquée de manière convaincante pour soutenir que les traditions juridiques autochtones ne sont plus en vigueur au Canada.

    Mis à part ces défis juridiques, la doctrine de la conquête n’est pas un concept moralement fondé sur lequel construire notre système juridique. Si la conquête constituait le cadre opératoire de la création du Canada, cela placerait les peuples autochtones en perpétuelle opposition à l’État. Certains, qui dans un tel paradigme se sentiraient vaincus, pourraient entretenir du ressentiment envers le pays. La richesse, le privilège, le succès et l’honneur d’Autochtones dans la société plus large pourraient ne pas compenser ces sentiments de dépossession. De plus, la pauvreté, la subordination, l’échec et le préjugé risqueraient de continuellement raviver une vision hostile de l’État. Ces sentiments d’hostilité pourraient se transmettre aux amis et à la famille à travers les générations. Ils pourraient couver jusqu’à ce que l’occasion se présente de renverser la situation contre les « oppresseurs » et jusqu’à ce qu’ils tentent de reconquérir l’État vu comme l’« ennemi ». Il est aisé de cultiver ces sentiments dans les pays où la conquête constitue le cadre opératoire. L’application de la doctrine de la conquête aux relations entre la Couronne et les Autochtones serait le cadre le plus susceptible de créer un conflit continuel et un affrontement futur.

    Par conséquent, les théories de la découverte, de l’occupation, de la prescription et de la conquête posent problème lorsqu’on considère la place des traditions juridiques autochtones dans la hiérarchie juridique du Canada. Heureusement, il existe une autre possibilité. Nous n’avons pas besoin d’abandonner le droit pour remédier aux injustices passées. Pour placer notre pays sur des bases plus solides, nous avons seulement besoin d’abandonner les interprétations du droit qui sont discriminatoires. On peut écarter ces doctrines préjudiciables en développant davantage au moins un courant du droit canadien. Clarifier l’ensemble des implications des traités entre les peuples autochtones et la Couronne est une manière de sortir de l’impasse créée par le rejet des autres théories juridiques. Les traités peuvent permettre de construire le Canada sur des bases plus solides¹⁰⁸. Puisque les traditions juridiques des Premières Nations ont été les premières lois de nos pays et n’ont pas été éteintes par la découverte, l’occupation, la prescription, ou la conquête, on peut penser qu’elles sont toujours valides. De plus, quand des traités sont conclus, ils peuvent être vus comme créant un cadre intersociétal dans lequel les premières lois se combinent aux lois impériales pour promouvoir la paix et l’ordre dans les communautés.

    Là où des traités ont été conclus, ils pourraient permettre la réception pacifique des traditions de common law et de droit civil au Canada¹⁰⁹. Sur ce plan, les traités font en sorte qu’il est possible de dire : les Lois constitutionnelles et d’autres éléments de la législation impériale ont partiellement créé le Canada, mais les Premières Nations ont aussi créé le pays. Les lois constitutionnelles ont transplanté les institutions britanniques au nord du territoire nord-américain, alors qu’avec les traités, les lois des Premières Nations ont modifié de manière importante le fonctionnement et la validité de ces institutions. Les Lois constitutionnelles et les lois des Premières Nations continuent de construire nos pays au fur et à mesure qu’ils se développent dans le temps ; mais les traités continuent aussi de les construire alors que de nouveaux accords sont signés et que les traités historiques sont interprétés. Sans traités, la soi-disant réception de la common law demeure un acte de dépossession forcée. La seule doctrine de la réception, sans participation autochtone, est contraire à la paix, à l’amitié et au respect. L’impérialisme décroît quand les Lois constitutionnelles sont vues comme cohérentes avec la préservation des traditions juridiques autochtones et la création de normes intersociétales dans leur relation avec la common law et le droit civil¹¹⁰. Alors que certaines Premières Nations considéreraient leurs traités comme les séparant des traditions de common law et de droit civil, d’autres les voient comme des moyens de reconnaître leurs traditions à côté d’autres traditions. Quand les instruments constitutionnels sont vus comme reposant sur les traités, le droit canadien se trouve résolument engagé sur la voie de devenir véritablement autochtone – comme ayant été créé là où il s’applique¹¹¹.

    Comme je l’ai souligné plus tôt, ce livre soutiendra l’idée qu’il y a de solides arguments en faveur de la reconnaissance des traditions juridiques autochtones au Canada. Cela exige de nourrir continuellement la solidarité à l’intérieur des cultures juridiques du pays, entre elles et au travers d’elles. La common law, le droit civil et les traditions juridiques autochtones doivent se développer au-delà de leurs racines tribales, même lorsque ces racines continuent de nourrir la constitution évolutive de notre pays. Nous devons prendre conscience du fait que nous sommes libres de nous transformer nous-mêmes et de transformer la manière dont nous sommes constitués¹¹². Notre société n’est pas isolée, unidimensionnelle, monoculturelle, ou achevée. Les relations peuvent être renforcées lorsque nous affirmons la nature imbriquée, interactive et négociée de nos traditions à travers le temps¹¹³. Un constitutionnalisme fécond implique de cultiver et de raffiner les lois qui mettent en œuvre les aspirations et les perspectives propres aux peuples autochtones, à côté de la common law et du droit civil et en harmonie avec les critères internationaux des droits de la personne. Affirmer les traditions juridiques autochtones du Canada de cette manière permettrait d’étendre et d’améliorer le système juridique canadien et profiterait aux peuples autochtones ainsi qu’à l’ensemble de notre société.

    NOTES

    1. Aharon Barak, « Judicial philosophy and judicial activism », (1992) 17 Tel Aviv UL Rev 483.

    2. En ce qui concerne l’opinion voulant au contraire que nous ne devrions pas interroger les racines d’un ordre juridique, voir Immanuel Kant, Métaphysique des mœurs. Première partie : doctrine du droit, traduit par A. Philonenko, Paris, Librairie philosophique J. Vrin, 1986, à la p. 201 :

    L’origine du pouvoir suprême est pour le peuple, qui y est soumis, insondable au point de vue pratique, c’est-à-dire que le sujet ne doit pas discuter activement de cette origine comme d’un droit contestable (ius controversum) relativement à l’obéissance qu’il lui doit. En effet comme pour avoir le droit de juger le pouvoir suprême (summum imperium) légalement, le peuple doit déjà être uni sous une volonté universelle législatrice, il ne peut et ne doit juger autrement qu’en la façon voulue par le souverain actuel de l’État (summum imperans). Un contrat réel de soumission au pouvoir (pactum subjectionis civilis) a-t-il originairement été premier comme fait, ou bien est-ce le pouvoir qui a précédé et la loi n’est-elle paru qu’en suite, ou devraient-ils se suivre en cet ordre : ce sont pour le peuple, déjà soumis à la loi civile, des ratiocinations tout à fait vides et cependant dangereuses pour l’État.

    Cependant, notre ordre juridique exige la rationalité et la production de raisons, dans le cadre de son fonctionnement ; l’approche de Kant ne concorde pas avec cette exigence. Comme l’a écrit la Cour suprême dans le Renvoi relatif à la sécession du Québec, (1998) 2 RCS 217 au paragr. 68, « le bon fonctionnement d’une démocratie exige un processus permanent de discussion ».

    3. La méthodologie de ce livre ne consiste pas à rechercher une idée abstraite et universelle de la justice, mais plutôt une meilleure compréhension de sa signification et de son développement, et ce, en remettant en cause ce qui peut sembler aller de soi aux yeux des avocats, juges, étudiants en droit, journalistes, chefs et législateurs relativement aux sources et aux structures des lois du Canada. La description de mon approche doit beaucoup aux idées de mon collègue James Tully. En se fondant sur l’œuvre de Michel Foucault, le professeur Tully a en partie décrit ce que j’ai le sentiment d’essayer de faire, c’est-à-dire de développer une analyse historique des limites qui nous sont imposées (en droit canadien) tout en tentant de faire l’expérience de les dépasser. Voir James Tully, Public Philosophy in a New Key, vol. 1 : Democracy and Civic Freedom, Cambridge, Cambridge University Press, 2008, aux p. 71-131. Je ne me vois pas comme essayant de dissoudre les relations de pouvoir « dans l’utopie d’une communication parfaitement transparente » ; j’espère plutôt proposer une autre conception qui proposerait « les règles de droit, techniques de gestions et aussi la morale, l’ethos, la pratique de soi, qui permettrait, dans les jeux de pouvoir [en rapport avec les peuples autochtones au Canada] de jouer avec le minimum possible de domination » (Michel Foucault, « L’éthique de soi comme pratique de la liberté » dans Michel Foucault, Dits Écrits, t IV, texte 356). J’espère que ce livre nous permettra

    de considérer notre île de dispute et de négociation pour ce qu’elle est, dans la mer, dure et agonistique, des relations de pouvoir, plutôt que du point de vue d’une utopie libre de pouvoir. Avec cette boîte à outils en main, nous serons en mesure non seulement de penser différemment mais aussi d’entreprendre d’agir différemment, dans des expériences prudentes, en transformant les règles de nos interactions et les pratiques de formation de nous-mêmes d’une manière telle que le jeu précis en question puisse dorénavant être joué avec « le minimum possible de domination ». Ce faisant, nous pourrions apercevoir quelque chose d’universel en dessous de ce que nous pensons et faisons, et nous découvrirons toujours que nous devons recommencer. C’est le risque que Foucault recommande que nous prenions en échange de ce « labeur patient » sur les limites qui existent dans le présent par le biais d’une approche qui donne « forme à l’impatience de la liberté » (Tully, supra note 3, aux p. 130-131, citant Michel Foucault, « Qu’est-ce que les Lumières ? » dans Foucault, supra note 3, texte 339).

    4. H.W. Arthurs, Without the Law : Administrative Justice and Legal Pluralism in Nineteenth-Century England, Toronto, University of Toronto Press, 1985 ; Ronald Dworkin, Une question de principe, Paris, PUF, 1996 ; Lon Fuller, La moralité du droit, Bruxelles, Facultés Universitaires Saint-Louis, 2017 ; Lon Fuller, The Anatomy of Law, New York, Praeger, 1968 ; H.L.A. Hart, Le concept de droit, Bruxelles, Facultés Universitaires Saint-Louis, 2006 ; L. Nader et H. Todd, The Disputing Process : Law in Ten Societies, New York, Columbia University Press, 1978 ; G. Postema, Bentham and the Common Law Tradition, Oxford, Clarendon, 1983 ; F. Shaer, Playing By the Rules : A Philosophical Examination of Rule Based Decision-Making in Life and Law, Oxford, Clarendon Press, 1991 ; J. Shklar, Legalism : Law, Morals and Political Trials, Cambridge, Cambridge University Press, 1983 ; Michael Walzer, Sphères de justice : une défense du pluralisme et de l’égalité, Paris, Seuil, 2013 ; A. Watson, The Making of the Civil Law, Cambridge, Cambridge University Press, 1981 ; J.B. White, Acts of Hope : Creating Authority in Literature, Law and Politics, Chicago, University of Chicago Press, 1994.

    5. Roderick Alexander Macdonald, Lessons of Everyday Law, Montréal, McGill-Queen’s University Press, Law Commission of Canada, School of Policy Studies, Queen’s University, 2002.

    6. Bronislaw Manilowski, « Introduction » à H.L. Hogbin, Law and Order in Polynesia, New York, Harcourt, 1934, à la p. xiii ; Lon Fuller, « Human interaction and the law », (1969) 14 Am J of Juris 1.

    7. Le droit est l’une des manières d’encourager une prévisibilité bénéfique par des principes, des pratiques, et des schémas de régulation et de résolution des différends (Gerold Postema, « Implicit law », [1994] 13 Law & Phil 361). Voir Jeremy Webber, « The grammar of customary law », (2009) 54 RD McGill 579.

    8. H. Patrick Glenn, Legal Traditions of the World : Sustainable Diversity in Law, Oxford, Oxford University Press, 2004 ; Martin Krygier, « Law as tradition », (1986) 5 Law & Phil 237.

    9. J.H. Merryman, The Civil Law Tradition : An Introduction to the Legal Systems of Western Europe and Latin America, 2e éd., Stanford, Stanford University Press, 1985, à la p. 1.

    10. M.B. Hooker, Legal Pluralism, Oxford, Clarendon Press, 1975.

    11. A.W.B. Simpson, Leading Cases in the Common Law, Oxford, Oxford University Press, 1996, à la p. 11.

    12. A.W.B. Simpson, Invitation to Law, Londres, Blackwell, 1988, au chap. 3 « Legal systems and legal traditions ». La tradition juridique relie le régime juridique à la culture dont il constitue une expression partielle. Elle place le régime juridique dans une perspective culturelle. Les systèmes de pensée du droit ne correspondent pas nécessairement aux frontières de l’État-nation et peuvent être divisés en groupes ou familles.

    13. André-Jean Arnaud, « Legal pluralism and the building of Europe » dans Hanne Petersen et Henrik Zahle (dir.), Legal Polycentricity. Consequences of Pluralism in Law, Dartmouth, Aldershot, 1995, à la p. 149. Pour une discussion du « tribalisme » et du pluralisme juridique, voir Leon Shaskolsky, The Future of Tradition : Customary Law, Common Law and Legal Pluralism, New York, Routledge, 2000. Pour une critique du pluralisme juridique, voir Brian Tamanhana, « The folly of the social science concept of legal pluralism », (1993) JL & Soc’y 192.

    14. Voir Robert Cover, « Nomos and narrative », (1983) 97 Harv L Rev 4, à la p. 9 :

    Une tradition juridique […] inclut non seulement un corpus iuris mais aussi un langage et un mythos – des récits dans lesquels ceux qui agissent sur la base du corpus iuris situent ce dernier. Ces mythes établissent les paradigmes de la conduite. Ils établissent des relations entre les univers normatif et matériel, entre les contraintes de la réalité et les demandes d’une éthique. Ces mythes établissent un répertoire de manières d’agir – un lexique de l’action normative – qui peuvent être combinées dans des schémas signifiants extraits des schémas signifiants du passé.

    15. Voir Katherine T. Bartlett, « Tradition, change and the idea of progress in feminist legal thought », (1995) Wis L Rev 303, à la p. 331.

    16. Voir aussi Jaroslav Pelikan, The Vindication of Tradition, New Haven, Yale University Press, 1984, à la p. 54.

    17. Martin Krygier, « Law as tradition », (1986) 5 Law & Phil 237.

    18. Andrew Halpin, « Glenn’s legal traditions of the world : Some broader philosophical implications », (2006) 1 J of Comparative L 116.

    19. Ibid., à la p. 118, sur la base du travail de Stanley Fish, Doing What Comes Naturally : Change, Rhetoric and the Practice of Theory in Literary and Legal Studies, Oxford, Clarendon Press, 1989.

    20. Comme l’a écrit Michel Foucault, « l’ontologie critique de nous-mêmes, il faut la considérer non certes comme une théorie, une doctrine, ni même un corps permanent de savoir qui s’accumule ; il faut la concevoir comme une attitude, un ethos, une vie philosophique où la critique de ce que nous sommes est à la fois analyse historique des limites qui nous sont posées et épreuve de leur franchissement possible » (Foucault, « Qu’est-ce que les Lumières ? » supra note 3).

    21. Pour une discussion de la manière dont le droit peut être étudié en examinant l’intérieur d’une perspective extérieure, voir Jeremy Webber, « The past and foreign countries », (2006) 10 Leg History 1, à la p. 2.

    22. Pour un excellent résumé des compréhensions et approches du champ du droit et de la société, voir John Monahan et Laurens Walker, Social Science in Law : Cases and Materials, 5e éd., Westbury, Foundation Press, 2002. Il y a aussi plusieurs excellentes revues qui s’intéressent au droit à partir de perspectives de sciences sociales ; voir Law and Society Review, Canadian Journal of Law and Society, Law and Human Behavior, Political and Legal Anthropology Review, Law and History Review, Journal of Law and Economics, Canadian Journal of Criminology and Criminal Justice, Canadian Journal of Women and the Law, et Social and Legal Studies. Pour une critique, voir Brian Z. Tamanaha, « The folly of the social scientific concept of legal pluralism », (1993) 20 JL & Soc’y 192.

    23. Les différentes études sur les peuples autochtones dans le système de justice pénale ont largement puisé dans les connaissances des sciences sociales. Voir Nouvelle-Écosse, Royal Commission on the Donald Marshall Jr. Prosecution, Halifax, Gouvernement de la Nouvelle-Écosse, 1989 ; Conseil tribal de Osnaburgh-Windigo, Report of the Osnaburgh/ Windigo Tribal Council Review Committee, Ontario, 1990 ; Canada, Commission de réforme du droit du Canada, Les peuples autochtones et la justice pénale : égalité, respect et justice à l’horizon, rapport no 34, Ottawa, Commission de réforme du droit du Canada, 1991 ; Manitoba, Aboriginal Justice Inquiry, Report of the Aboriginal Justice Inquiry of Manitoba, vol. 1 : The Justice System and Aboriginal People, Winnipeg, Province of Manitoba, 1991 ; Alberta, Justice on Trial : Report of the Task Force on the Criminal Justice System and Its Impact on the Indian and Metis People of Alberta, Edmonton, Attorney General and Solicitor General, 1991 ; Saskatchewan, Juge Patricia Linn et des représentants de la FSIN, Report of the Saskatchewan Indian Justice Review Committee, Regina, Saskatchewan Justice, 1992 ; Colombie-Britannique, Juge Anthony Sarich, Report on the Cariboo-Chilcotin Justice Inquiry, Victoria, Attorney General of British Columbia, 1993 ; Canada, Commission royale sur les peuples autochtones, Par-delà les divisions culturelles : un rapport sur les autochtones et la justice pénale au Canada, Ottawa, Approvisionnements et Services Canada, 1996 ; Saskatchewan, Commission on First Nations and Metis Peoples and Justice Reform, Final Report, vol. 1 : Legacy of Hope, and Agenda for Change, Saskatoon, Saskatchewan Justice, 2003 ; Canada, Larry Chartrand et Celeste McKay, Revue de la recherche sur la victimisation criminelle et les membres des Premières Nations, les Métis et les Inuits, 1990 à 2001, Ottawa, Ministère de la Justice Canada, 2006 ; Québec, Cour du Québec et al., La justice en milieu autochtone : vers une plus grande synergie, Québec, Ministère de la Justice, 2008.

    24. Pour un échantillon représentatif de ce type d’études dans d’autres pays, voir Sally Falk Moore, Law As Process : An Anthropological Approach, New York, Routledge, 1978 ; Laura Nader, Harmony Ideology : Justice and Control in a Zapotec Mountain Village, Stanford, Stanford University Press, 1990 ; Roy Rappaport, Pigs for Ancestors : Ritual in the Ecology of a New Guinea People, New Haven, Yale University Press, 1968.

    25. Pour une discussion des préoccupations que les peuples autochtones peuvent avoir par rapport à la recherche portant sur leurs traditions, voir Linda Tuhiwai Smith, Decolonizing Methodologies : Research and Indigenous Peoples, Londres, Zed Books, 1999.

    26. William Twining, « Law and anthropology : A case in inter-disciplinary collaboration », (1972-3) 7 Law & Soc’y Rev 561. Pour une discussion générale de la manière dont les communautés peuvent fonctionner comme instances d’interprétation, voir Clifford Geertz, Local Knowledge : Further Essays in Interpretive Anthropology, New York, Basic Books, 1983.

    27. Commission du droit du Canada (dir.), Indigenous Legal Traditions in Canada, Vancouver, UBC Press, 2008. Pour des discussions des traditions juridiques autochtones, voir les articles choisis dans le Indigenous Law Journal, publié par des professeurs et des étudiants de l’Université de Toronto. En Nouvelle-Zélande, on note un phénomène similaire ; voir le travail du Te Matahauariki Research Institute et les textes importants sur la réforme du droit : (consulté le 4 février 2020).

    28. John Borrows, Recovering Canada : The Resurgence of Indigenous Law, Toronto, University of Toronto Press, 2002 ; John Borrows (Kegedonce), Drawing Out Law, Toronto, University of Toronto Press, 2010.

    29. Ce livre découle de la recherche entreprise quand j’étais « virtual scholar in residence » à la Commission du droit du Canada en 2005-2006.

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