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Les apories des politiques autochtones au Canada
Les apories des politiques autochtones au Canada
Les apories des politiques autochtones au Canada
Livre électronique480 pages5 heures

Les apories des politiques autochtones au Canada

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À propos de ce livre électronique

Le présent ouvrage offre un regard critique sur les politiques autochtones du Canada qui nous permettra de constater les avancées politiques et sociales obtenues par les peuples autochtones depuis les dernières décennies, mais aussi les limites imposées par l’État canadien, qui constituent autant d’apories. Il y a ainsi une contradiction entre la reconnaissance du statut de «nation» et du droit à l’autonomie gouvernementale et la volonté du gouvernement fédéral et des provinces de baliser considérablement ce droit, ce qui laisse peu de marge de manœuvre à l’expression d’une souveraineté autochtone. Pour appréhender ces paradoxes, après une présentation de l’histoire des relations entre le Canada et les peuples autochtones et de l’état du droit autochtone, ce livre analyse les différentes politiques autochtones du Canada et des provinces ainsi que certaines expériences de mise en œuvre de l’autonomie politique. Finalement, une comparaison de ces politiques avec celles de trois pays de traditions coloniales et juridiques similaires, soit les États-Unis, la Nouvelle-Zélande et l’Australie, permet de les mettre en perspective.

Cet ouvrage donnera aux lecteurs l’occasion de se familiariser davantage avec les politiques autochtones et de mieux comprendre l’évolution de la relation des Canadiens avec les peuples autochtones qui ont été leurs premiers alliés et partenaires et qui, après plus de 150 ans de politiques de soumission, essaient de renouveler ces anciennes alliances mais demeurent souvent méconnus, créant ainsi non pas deux, mais de multiples solitudes au sein du Canada.

Thierry Rodon est professeur agrégé au Département de science politique de l’Université Laval et titulaire de la Chaire de recherche sur le développement durable du Nord. Il est également directeur du Centre interuniversitaire d’études et de recherche autochtones (CIÉRA), et il dirige MinErAL, un réseau international de recherche sur les relations entre les industries extractives et les communautés autochtones. Auteur de nombreuses publications sur les politiques autochtones, les traités et l’autonomie gouvernementale au Canada, il étudie les politiques autochtones et nordiques au Canada et dans le monde circumpolaire.
LangueFrançais
Date de sortie21 août 2019
ISBN9782760551589
Les apories des politiques autochtones au Canada
Auteur

Thierry Rodon

Thierry Rodon est professeur agrégé au Département de science politique de l’Université Laval et titulaire de la Chaire de recherche sur le développement durable du Nord. Il est également directeur du Centre interuniversitaire d’études et de recherche autochtones (CIÉRA), et il dirige MinErAL, un réseau international de recherche sur les relations entre les industries extractives et les communautés autochtones. Auteur de nombreuses publications sur les politiques autochtones, les traités et l’autonomie gouvernementale au Canada, il étudie les politiques autochtones et nordiques au Canada et dans le monde circumpolaire.

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    Aperçu du livre

    Les apories des politiques autochtones au Canada - Thierry Rodon

    INTRODUCTION

    Mis à la marge pendant des décennies, les Autochtones constituent aujourd’hui des acteurs incontournables de la politique canadienne. Cet état de fait n’est pas le fruit de la magnanimité des gouvernements. Tout au long de l’histoire, les Autochtones ont fait preuve d’une agentivité constante, qui a bousculé l’ordre colonial imposé par les nouveaux arrivants. Ils ont fait sentir leur présence en politique, en économie, dans les mouvements sociaux, dans les arts, au niveau national comme international. Certes, des avancées importantes ont été observées au cours des dernières décennies. Cependant, pour beaucoup, ces avancées sont toujours insuffisantes et l’ordre colonial établi lors de la création du Canada est toujours présent.

    En effet, même si depuis les cinquante dernières années on a vu de grands changements, les Autochtones sont passés d’un statut de tutelle à celui de citoyens. Ils ont signé, dans certains cas, des traités modernes leur permettant de jouir d’une certaine autonomie gouvernementale. Ils ont vu leurs droits ancestraux et issus de traités reconnus dans la Constitution. Ils ont porté et gagné de nombreuses causes devant les tribunaux qui leur ont permis de définir la portée de leurs droits ancestraux et titres. Ils ont vu fermer le dernier pensionnat indien, reçu des excuses officielles et vu les victimes obtenir des compensations financières.

    Malgré ces avancées, les Autochtones au Canada sont toujours confrontés à une situation coloniale. La Loi sur les Indiens, une loi votée par le Parlement canadien pour administrer une population particulière qui, jusque dans les années cinquante, n’avait pas le droit de vote et qui est toujours très peu représentée au sein du Parlement. On a ainsi tous les signes du colonialisme; le statut juridique des Premières Nations, que ce soit les individus ou les bandes, en est toujours un de tutelle; les conditions socio-économiques dans de nombreuses réserves et communautés inuites sont semblables à celles de pays du tiers-monde, avec des problèmes d’accès à l’eau potable et au logement, des problèmes de pauvreté, d’éducation, de santé, d’espérance de vie et de nombreux problèmes sociaux. Cette situation, inacceptable dans un pays comme le Canada, est d’ailleurs régulièrement dénoncée par des organismes internationaux, de l’observateur permanent de l’ONU pour les droits de l’homme en passant par la Croix-Rouge et le Rapporteur spécial des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones (Anaya, 2014).

    Il est toutefois impossible de tracer un portrait actuel de ces politiques, au demeurant toujours en évolution, sans comprendre le contexte historique qui a mené à l’adoption de politiques particulières pour les «premiers peuples». C’est pourquoi, tout au long de l’ouvrage, seront effectués de constants retours historiques, de façon à ce que le lecteur puisse appréhender la justification et la complexité de ce régime unique.

    Après un premier chapitre introductif qui présente les peuples et les communautés autochtones du Canada dans leur diversité et leur complexité et qui établit les enjeux les plus importants, cet ouvrage est divisé en trois parties. La première partie porte sur la relation entre les premiers peuples et les nouveaux arrivants, des premiers contacts jusqu’à la situation actuelle, la seconde partie analyse les principales politiques autochtones du Canada et la troisième partie examine trois études de cas.

    Dans la première partie, les chapitres 2 et 3 retracent l’histoire de la relation entre les premiers peuples et les nouveaux arrivants à travers trois grandes périodes: les alliances de la période préconfédérale; la soumission mise en place avec l’établissement de la Confédération; et la recherche d’une nouvelle relation dans la période contemporaine. Dans le chapitre 4, nous verrons le rôle crucial des tribunaux canadiens dans l’établissement de cette nouvelle relation, tout en analysant les limites de cette approche. Le chapitre 5 nous permettra de montrer que les Autochtones ne sont pas simplement des victimes de l’histoire, mais que même lors des périodes les plus noires, ils ont résisté à l’ordre colonial qu’on leur imposait. Finalement, le chapitre 6 analyse la relation complexe entre les communautés autochtones, le gouvernement et les provinces.

    La deuxième partie analyse trois politiques canadiennes qui ont été mises en place par le gouvernement fédéral pour répondre aux revendications des autochtones et aux décisions des tribunaux: la politique des revendications territoriales dans le chapitre 7; la politique d’autonomie politique dans le chapitre 8; et les multiples politiques de développement économique dans le chapitre 9.

    La troisième et dernière partie présente une série d’études de cas. Le chapitre 10 analyse la relation complexe entre le Québec et les premiers peuples, le chapitre 11 présente les expériences d’autonomie des Inuits et, enfin, le chapitre 12 propose une analyse des politiques autochtones dans des pays de traditions juridiques anglo-saxonnes semblables à celle du Canada, mais avec des contextes très différents: les États-Unis, l’Australie et la Nouvelle-Zélande.

    À la fin de chacun de ces chapitres, une section «Points clés» reprend les thèmes principaux à retenir, et finalement un glossaire définissant certains concepts, en gras dans le texte, est présenté à la fin de l’ouvrage.

    Tout au long de cet ouvrage, les lecteurs verront donc les avancées politiques et sociales obtenues par les Autochtones depuis les dernières décennies, mais aussi les limites posées par l’État canadien ainsi que le système international. Pour nous, cette interaction constitue autant d’apories dans la dynamique coloniale qui guide encore les relations. L’aporie est définie ici en tant que contradiction insoluble dans un raisonnement. C’est, au départ, ce qui caractérise les relations entre les nations autochtones et l’État, ou encore avec les autres nations non autochtones: la reconnaissance du statut de nation, d’un droit à l’autonomie gouvernementale, du droit à l’égalité, tout en balisant ces droits de façon serrée, laissant peu de marge de manœuvre à l’expression d’une souveraineté autochtone. Autant de paradoxes que nous soulignerons tout au long de notre ouvrage.

    Nous croyons que cet ouvrage permettra aux lecteurs de se familiariser davantage avec les politiques autochtones et, dans le cas des lecteurs non autochtones, de mieux comprendre la relation avec les premiers peuples qui ont été nos alliés et partenaires pendant plus de 150 ans et qui peuvent le redevenir, mais qui demeurent souvent méconnus, créant ainsi non pas deux, mais de multiples solitudes au sein du Canada.

    REMERCIEMENTS

    Cet ouvrage est tiré des notes de mon cours «Politiques autochtones au Canada», que je donne bon an mal an depuis plus 15 ans à l’Université Laval. Il a donc grandement bénéficié des échanges que j’ai eus avec les nombreux étudiants qui l’ont suivi. Je veux également souligner l’apport de Jean-Olivier Roy qui, dans les dernières années, a veillé à mettre à jour les informations du cours dans une période où les politiques et les discours changent rapidement, mais où certains fondements semblent persister. Sa collaboration a été essentielle dans la réalisation de cet ouvrage. Je veux aussi remercier les fonctionnaires fédéraux et provinciaux qui m’ont offert leurs perspectives sur la relation avec les peuples autochtones. Je veux enfin remercier tous les Inuits, Innus, Cris, Anicinape, Dènés, Haudenosaunee et Wendat, dont certains sont devenus des amis, et qui au fil des rencontres et des conversations m’ont permis de mieux comprendre les défis qu’ils relèvent et la complexité de leurs relations avec les gouvernements.

    CHAPITRE 1

    LA POPULATION AUTOCHTONE DU CANADA

    OBJECTIFS

    >Comprendre pourquoi il existe une politique autochtone au Canada

    >Définir sur les plans juridique et politique qui sont les Autochtones du Canada

    >Comprendre les distinctions de statuts légaux entre les différents individus et groupes autochtones du Canada

    >Décrire les caractéristiques socio-économiques de la population autochtone du Canada

    >Présenter les données statistiques sur la population autochtone

    Dans cet ouvrage, nous allons explorer et analyser les politiques autochtones du Canada. D’entrée de jeu, il convient de s’interroger sur la notion même de «politique autochtone». En effet, mettre en place des politiques qui ciblent une partie de la population sur une base ethnique va à l’encontre des principes d’universalité et d’égalité qui sont au cœur de l’État libéral. Les Autochtones du Canada, par exemple, sont soumis à des politiques particulières: ils sont, contrairement aux autres citoyens, sous la juridiction exclusive du Parlement fédéral et, pour une partie d’entre eux, les Premières Nations, ils sont régis par une loi qui leur est propre, la Loi sur les Indiens. Cette loi détermine leur statut, celui de leurs enfants et leur régime fiscal. Elle régit le régime matrimonial et la transmission d’héritage, détermine le statut des terres de réserve et les pouvoirs de leurs gouvernements: les conseils de bande. Jusqu’à tout récemment, un seul ministère fédéral particulier, Affaires autochtones et du Nord Canada (AANC), avant 2015 nommé Affaires autochtones et Développement du Nord Canada (AADNC), et par le passé le ministère des Affaires indiennes et du Nord Canada (MAINC) ou encore le ministère des Affaires autochtones et du Nord Canada (MAANC), s’occupait des questions touchant les Autochtones. Cependant, en août 2017, le premier ministre Justin Trudeau annonçait la scission d’AANC en deux ministères, soit Relations Couronne-Autochtones et Services aux Autochtones. Ce changement est présenté comme étant destiné à abolir la relation coloniale entre le Canada et les Autochtones. Si ce changement semble positif pour certains, remplissant ainsi une des recommandations de la Commission royale sur les peuples autochtones (Canada, 1996b, p. 411), pour d’autres, le Canada ne fait ainsi que doubler sa relation coloniale. Nous reviendrons sur ces changements au cours des prochains chapitres.

    Le statut légal des peuples autochtones du Canada est, en fait et en droit, un statut de tutelle. Lors de la fondation du Canada, les législateurs ont considéré les Autochtones comme des personnes mineures et les ont soumis à l’autorité législative directe du Parlement du Canada. Pourquoi cette différence? Pourquoi ne peut-on pas considérer les Autochtones comme les autres citoyens, abolir ces différences et enfin respecter les principes du libéralisme politique? En 1969, cette option fut proposée par le gouvernement de Pierre Elliott Trudeau, dans la Politique indienne du gouvernement du Canada, 1969, plus connue sous le nom de Livre blanc. Cette politique visait à intégrer les Autochtones au sein de la société «juste» préconisée par Trudeau. Le gouvernement cherchait alors à répondre aux inégalités sociales, bien réelles, entre les peuples autochtones et le reste de la population. Cela a conduit à une levée de boucliers des organisations autochtones comme nous le verrons plus loin.

    Pour comprendre la situation des Autochtones, il est essentiel d’introduire ici le concept de «colonialisme interne». Ce concept a vu le jour dans les années 1970, pour marquer la différence avec les colonies dites «externes», ou «classiques». La différence fondamentale se situe sur deux points. D’abord, contrairement aux colonies classiques, les populations européennes se sont installées et ont fondé des sociétés distinctes de leur métropole. Ces sociétés ont obtenu leur indépendance, mais elles ont maintenu la relation coloniale avec les premiers habitants du territoire. D’un point de vue autochtone, malgré le fait que le centre du pouvoir ait migré, au cours du XXe siècle, de Londres vers Ottawa, la situation des peuples autochtones ne s’est pas réellement transformée, le rapport en restant un de domination perçue comme étant étrangère. La seconde différence avec la colonie classique est que la colonie interne, résultat d’une politique de colonie de peuplement, a vu un afflux massif de colons qui y ont élu domicile, tant que le rapport démographique se trouve à l’avantage net des Euro-descendants. Il devient alors difficile, voire impossible, de réaliser une véritable décolonisation et indépendance telle qu’on l’a vu dans les colonies classiques, alors que les continents africain et asiatique ont accédé à l’indépendance en créant une multitude d’États souverains au cours des années 1960 et 1970 (Tully, 2007). Les Autochtones du Canada ne sont pas seuls dans cette situation: la totalité des Amériques, ainsi que l’Australie et la Nouvelle-Zélande, connaissent des réalités similaires. D’autres peuples autochtones, qui ont vu non pas l’arrivée de colons outre-mer, mais plutôt l’expansion territoriale d’un État, vivent des situations analogues. Les pays scandinaves, par exemple, ont incorporé les populations samies (anciennement appelées «Lapons»), tout comme la Russie qui, en s’étendant vers le nord et l’est, a incorporé de nombreux peuples autochtones.

    1.LES AUTOCHTONES: UNE DÉFINITION

    La question d’une définition claire quant au concept d’«Autochtone» est en apparence simple. Toutefois, elle demande une réponse complexe. Le mot autochtone vient du grec et signifie «qui est issu du sol même où il habite» (Petit Robert), par opposition aux populations issues de l’immigration. Pour distinguer ceux qui ne sont pas Autochtones, les termes Allochtones ou non-Autochtones sont employés ou, pour qualifier plus précisément ceux qui sont issus d’une immigration européenne plus ou moins ancienne, les termes Euro-descendants, Occidentaux, société dominante ou encore, inspiré du terme anglais «settlers», colons.

    À l’échelle internationale, après un premier effort de l’Organisation internationale du travail dans la convention 107 de 1957, c’est en 1971 que la Commission des droits de l’homme de l’ONU s’attaque au problème de la discrimination envers les peuples autochtones. Le Rapporteur spécial de l’ONU, José Martinez Cobo, dans son importante étude sur les populations autochtones, proposera, en 1982, une définition qui met l’accent sur les caractéristiques suivantes:

    •Antériorité: les peuples autochtones sont les descendants des peuples qui habitaient un territoire au moment où d’autres peuples venant d’autres régions du monde s’y sont installés, instaurant un rapport de domination;

    •Culture: ces peuples se distinguent de la culture dominante par leurs langues, leurs traditions et leurs coutumes;

    •Auto-identification: les Autochtones se définissent eux-mêmes comme des peuples à part entière, et souhaitent établir eux-mêmes les critères d’identification de leurs membres, ce qui implique un rejet des critères définis exclusivement par l’État (ONU, 1982).

    Cette définition insiste sur les particularités culturelles et la marginalisation sociale et économique des peuples autochtones, ce qui implique donc une certaine discrimination de la part de l’État et l’existence d’un statut particulier, reconnu par ce dernier. Cette définition convient bien aux peuples autochtones du Canada. Il existe d’autres définitions, notamment celle de l’Organisation internationale du travail, qui évite cependant de faire allusion directement à la notion de «colonialisme interne» (Organisation internationale du travail, 1989). Plus tard les Nations Unies, lors de l’acceptation de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, en 2007, par l’Assemblée générale, ont décidé de ne pas fournir de définition formelle de la notion de «peuple autochtone», considérant qu’aucune définition ne permet de prendre en compte la diversité des situations rencontrées dans le monde. En effet, bien que le concept d’«Autochtones» s’avère très utile pour définir des peuples qui partagent, à bien des égards, des traits culturels communs ainsi qu’une expérience similaire de la colonisation, ce concept demeure une construction théorique qui ne doit pas occulter les distinctions entre ces différents peuples.

    2.LA POLYSÉMIE DU TERME NATION

    Le sociologue Anthony D. Smith arrêtait ainsi sa définition de la nation: «une communauté identifiée dont les membres cultivent des mythes communs, une mémoire, des symboles et des valeurs, qui possèdent et diffusent une culture publique distinctive, qui résident sur un territoire historique et s’y identifient, et qui créent et diffusent des lois communes et des coutumes partagées» (cité dans Özkirimli, 2010, p. 155, traduction libre). Certains auteurs soulignent l’importance de la «communauté politique» (Anderson, 2002, p. 19; Seymour, 1999, p. 63), du fait de décider collectivement et démocratiquement des valeurs et des principes (Taylor, 2000, p. 37) ou encore du «vouloir-vivre collectif» (Seymour, 2008, p. 653) comme composantes de la nation.

    Dans le cas de la nation autochtone, nous avons affaire à un terme aux multiples composantes qui fait référence tantôt à la nation culturelle, tantôt au groupe politique, souvent issu des divisions et des constructions coloniales, par exemple les bandes. Si l’on s’attache à la vision culturelle de la nation, le Canada compterait, selon la Commission royale sur les peuples autochtones (Canada, 1996a), une soixantaine de nations autochtones. La plupart sont des regroupements culturels, et ne comportent pas nécessairement de structure politique unie (par exemple, la nation innue au Québec). Certaines ont eu, et parfois ont toujours, des structures politiques ancestrales regroupant la nation (l’exemple des nations iroquoiennes, comme les Mohawks, en sont un bon exemple). D’autres ont établi certaines structures politiques après la colonisation, comme les Cris du Québec ou, plus récemment et de façon moins formelle, les Atikamekw. Enfin, un dernier sens à considérer, beaucoup plus restreint, est le terme Premières Nations pour désigner ce que la Commission royale sur les peuples autochtones (CRPA) définit comme des collectivités, c’est-à-dire les villages autochtones ou les bandes, justement regroupés au sein de l’Assemblée des Premières Nations, qui constitue l’association des chefs de bande au Canada ou dans les provinces et les territoires.

    3.LES GROUPES AUTOCHTONES AU CANADA

    Au Canada, en 2016, 4,9% de la population a déclaré une identité autochtone (Statistique Canada, 2017a), soit environ 1,7 million d’individus. Les Autochtones représentaient 4,3% de la population en 2011, 3,8% de la population en 2006, 3,3% en 2001 et 2,8% en 1996. La population autochtone croit normalement d’environ 20% entre chaque recensement, contre 3 ou 4% pour la population non autochtone. Il s’agit donc d’une population en forte croissance. On distingue trois groupes qui sont reconnus par la Constitution depuis 1982: les Indiens (Premières Nations), les Inuits et les Métis.

    3.1.Les Premières Nations

    «Premières Nations» est la nouvelle appellation qui fait référence aux Indiens, ou Amérindiens. Ce sont les plus anciennes populations d’Amérique du Nord, car elles sont arrivées il y a 8 000 à 12 000 ans d’Asie, par le détroit de Béring. Cette appellation couvre une grande diversité culturelle et matérielle qui va des chasseurs-cueilleurs algonquiens semi-nomades aux agriculteurs iroquoiens en passant par les chasseurs de bison des plaines et les groupes côtiers sédentaires de la Colombie-Britannique. On dénombre également une grande variété de langues avec de 53 à 70 langues réparties en 11 grandes familles linguistiques, dont les familles algonquiennes (ou algique) et athabascanes sont les plus importantes.

    FIGURE 1.1.

    Familles de langues autochtones et isolats en Amérique du Nord

    Source: Wikimedia Commons, <https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Langs_N.Amer_fr.png>; .

    À l’heure actuelle, les Premières Nations sont presque toutes rattachées à des terres de réserve¹. Au Canada, on compte 634 bandes, qui sont regroupées au sein de l’Assemblée des Premières Nations ou APN (APN, 2018). La taille des bandes varie également beaucoup, les plus populeuses, comme la réserve Six Nations en Ontario, ayant plus de 20 000 membres alors que certaines, comme la communauté innue d’Essipit, ont à peine quelques centaines de membres (Statistique Canada, 2016). Les Indiens inscrits ne paient pas d’impôts ni de taxes à la condition qu’ils résident et travaillent sur une réserve. S’ils travaillent ou résident en dehors d’une réserve, ils sont alors imposés comme les autres Canadiens. Les dernières statistiques démontrent que plus de la moitié des Indiens inscrits demeurent dorénavant hors d’une réserve et en général dans des milieux urbains (Statistique Canada, 2016).

    Les Premières Nations sont regroupées au sein de l’Assemblée des Premières Nations qui représente et défend leurs intérêts auprès des autorités canadiennes. L’assemblée possède un chef national ainsi que des chefs régionaux associés à leurs provinces respectives. Chaque association régionale possède des commissions s’occupant de la gestion de divers enjeux et services, notamment la santé, l’éducation, les services sociaux, l’emploi et l’environnement.

    Tous les «Indiens» ne sont pas inscrits de façon formelle au registre du gouvernement fédéral. Certains d’entre eux sont dits «Indiens non inscrits». Les Indiens non inscrits n’ont pas d’existence légale particulière, pas de statut particulier et ne sont pas reconnus comme Indiens par le gouvernement fédéral. En fait, ce sont des individus ou des groupes qui se considèrent comme Indiens et qui ont perdu leur statut (chapitre 2). Au recensement de 2016, 232 375 personnes s’identifiant comme membres des Premières Nations n’étaient pas des Indiens inscrits (Statistique Canada, 2017a). Ils vivent quelquefois à la périphérie des réserves, mais le plus souvent on les trouve dans les régions urbaines.

    3.2.Les Inuits

    Les Inuits ont commencé leur migration à partir de la Sibérie il y a 4000 ans et, contrairement aux Premières Nations, ils ont suivi les voies maritimes de l’océan Arctique. Ce sont historiquement des chasseurs de mammifères marins et leur lente migration les a menés, vers le XIIe siècle, sur les côtes sud du Groenland et du Labrador, atteignant aussi la Basse-Côte-Nord au Québec, où ils sont entrés en contact avec les Innus et les Européens au XVIe siècle.

    FIGURE 1.2.

    Histoire des cultures arctiques (900-1500). Expansion territoriale de différentes cultures dans l’Arctique

    Source:Wikimedia Commons, <https://en.wikipedia.org/wiki/File:Arctic_cultures_900-1500.png>.

    Aujourd’hui, les Inuits occupent l’ensemble de l’Arctique canadien, du Yukon au Labrador. En 2016, 3,6% de la population autochtone était composée d’Inuits (Statistique Canada, 2017a), et des populations importantes d’Inuits sont aussi présentes au Groenland (50 000), en Alaska (54 000) et en Sibérie (1700), d’où ils sont originaires. Au Canada, il existe cinq dialectes principaux et deux alphabets (romain et syllabique).

    Au Canada, les Inuits sont de compétence fédérale. Ils sont considérés comme des Indiens selon la Loi constitutionnelle de 1867 à la suite du renvoi Eskimo (1939) dans lequel la Cour suprême du Canada a établi qu’au sens du paragraphe 91(24) de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique (AANB), les Eskimos (Inuits) étaient des Indiens. Le gouvernement fédéral de l’époque a toutefois choisi de ne pas les soumettre à la Loi sur les Indiens qui, déjà à l’époque, était perçue comme un échec (Tester et Kulchyski, 1994). Ils ne vivent donc pas dans des réserves et ne disposent pas d’une situation fiscale particulière. Pour faciliter leur administration, en 1941, le gouvernement fédéral leur avait donné des numéros personnels qu’ils devaient porter autour du cou. En 1968, à la demande d’un membre inuit du conseil législatif des Territoires du Nord-Ouest (T. N.-O.), le gouvernement territorial décida de remplacer les numéros par des noms et mit en place le Project Surname. Au cours de ce projet, Abe Okpik, un Inuvialuit, voyagea dans toutes les communautés inuites et attribua, en consultation avec les familles, des noms officiels à tous les Inuits du Canada (Robbe, 1981; McComber 2016).

    Les Inuits ont réussi à négocier la mise en place de deux gouvernements régionaux: Nunavut et Nunatsiavut. Deux projets de gouvernement sont alors en négociation: Nunavik et le projet d’autonomie politique des Inuvialuit. Les Inuits sont représentés par une association nationale, Inuit Tapiriit Kanatami et des organisations régionales.

    3.3.Les Métis

    Les Métis, contrairement aux autres peuples autochtones, ne peuvent pas plaider l’antécédence, puisque les Métis sont nés du contact entre Autochtones et Européens. Les Métis sont en fait un cas d’ethnogenèse, c’est-à-dire littéralement la création d’un nouveau peuple. Au départ, le terme Métis faisait surtout référence aux Métis historiques de la rivière Rouge au Manitoba, qui avaient créé leur propre culture en entremêlant des éléments des cultures amérindiennes et des cultures européennes. Ce «mélange des cultures» créa un peuple qui se distinguait des Amérindiens et des Européens par la langue, la culture et le mode de subsistance. On ne limite cependant plus la notion de «Métis» aux descendants des Métis de la rivière Rouge. Des travaux ont établi que le métissage culturel est un phénomène omniprésent. Des communautés métisses ont été reconnues en Ontario, notamment à la suite de l’arrêt Powley (2003), et des études sont menées sur les Métis d’Acadie, de l’Ontario, de la Basse-Côte-Nord au Québec et au Labrador (Malette et Marcotte, 2017), où la présence européenne est très ancienne. Cependant, selon Claude Gélinas, et malgré la présence de certains individus se représentant au cours de l’histoire, et ce, jusqu’à aujourd’hui, comme Métis, il n’y aurait pas, selon lui, de communautés métisses fermement établies dans le temps au Québec. Pour lui, comme pour la Cour suprême, se voir reconnaître une identité métisse signifie posséder un sentiment historique d’appartenance, ainsi que des traits communs au sein d’une communauté métisse, comme ce qu’on a pu voir dans les Prairies, par exemple. Ce qui ne signifie pas, selon l’auteur, que les récentes associations de défense des droits des Métis, mises sur pied au Québec et ailleurs, ne pourront pas satisfaire ces critères dans l’avenir (Gélinas, 2011).

    Les Métis bénéficient d’une reconnaissance constitutionnelle depuis leur inclusion dans la Loi constitutionnelle de 1982. Cette reconnaissance était au départ surtout symbolique, les Métis ne possédant pas de statut formel ni de programme particulier de la part du gouvernement fédéral, ce qui pourrait changer au regard des plus récentes décisions judiciaires. À noter qu’un nombre croissant d’individus s’auto-identifient comme Métis. À l’échelle canadienne, les Métis sont représentés par le Métis National Council. Il existe également des associations métisses provinciales. Le gouvernement de Justin Trudeau a d’ailleurs entrepris de renouveler la relation avec les Métis en signant, en 2017, un accord Canada-Métis qui prévoit des rencontres régulières entre les ministres fédéraux et les représentants de la Nation métisse. Le budget de 2018 prévoit également du financement pour le logement, l’éducation post-secondaire et la santé des Métis. On a ainsi une reconnaissance réelle de la relation fiduciaire du Canada envers les Métis.

    4.LES POPULATIONS AUTOCHTONES AU CANADA

    Nous allons maintenant nous pencher sur la distribution des populations autochtones au Canada. La figure 1.3 présente la concentration des Autochtones par provinces et territoires selon les données de 2011.

    FIGURE 1.3.

    Proportion des Autochtones par provinces et territoires selon les données de 2011

    Source:AANC (2013a), Gouvernement du Canada.

    Nous voyons donc que les Autochtones représentent la majorité de la population dans les zones nordiques. Cependant, la plus grande partie des Autochtones au Canada, en chiffres absolus, réside au sud, comme le montre la figure 1.4.

    FIGURE

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