Découvrez des millions d'e-books, de livres audio et bien plus encore avec un essai gratuit

Seulement $11.99/mois après la période d'essai. Annulez à tout moment.

La politique territoriale au Québec: 50 ans d'audace, d'hésitations et d'impuissance
La politique territoriale au Québec: 50 ans d'audace, d'hésitations et d'impuissance
La politique territoriale au Québec: 50 ans d'audace, d'hésitations et d'impuissance
Livre électronique709 pages7 heures

La politique territoriale au Québec: 50 ans d'audace, d'hésitations et d'impuissance

Évaluation : 0 sur 5 étoiles

()

Lire l'aperçu

À propos de ce livre électronique

Le Québec est un territoire composé d’une diversité d’espaces urbains, ruraux, régionaux, métropolitains, côtiers et nordiques. Il est en mouvance : polarisation des lieux à différents degrés, érosion de zones rurales et urbaines, extension des lisières périurbaines, densification de nouvelles formes territoriales. La politique publique québécoise tente de saisir et de comprendre globalement les contextes territoriaux particuliers et évolutifs afin d’y appliquer des mesures en ce qui a trait à l’aménagement d’infrastructures et d’équipements, à la gestion de biens et de services collectifs et au soutien aux initiatives économiques, sociales et culturelles.

Les textes rassemblés dans le présent ouvrage jettent une nouvelle lumière sur la politique territoriale du Québec, sur son évolution autant que sur ses limites. Des experts universitaires y modélisent les tenants et aboutissants du chemin parcouru dans ce domaine au cours des dernières décennies. Ils proposent de solides perspectives d’analyse ainsi que des options concrètes pour l’amélioration des actions et des interventions publiques territorialisées.
LangueFrançais
Date de sortie27 mars 2020
ISBN9782760551176
La politique territoriale au Québec: 50 ans d'audace, d'hésitations et d'impuissance
Auteur

Marc-Urbain Proulx

Marc-Urbain Proulx est professeur en économie régionale à l’Université du Québec à Chicoutimi et directeur scientifique du Centre de recherche sur le développement territorial. Il a été sous-ministre associé aux Régions du gouvernement du Québec de 2012 à 2014.

En savoir plus sur Marc Urbain Proulx

Auteurs associés

Lié à La politique territoriale au Québec

Livres électroniques liés

Gestion pour vous

Voir plus

Articles associés

Avis sur La politique territoriale au Québec

Évaluation : 0 sur 5 étoiles
0 évaluation

0 notation0 avis

Qu'avez-vous pensé ?

Appuyer pour évaluer

L'avis doit comporter au moins 10 mots

    Aperçu du livre

    La politique territoriale au Québec - Marc-Urbain Proulx

    Introduction

    Marc-Urbain Proulx

    1.

    La politique territoriale au Québec

    Dans la littérature scientifique, les territoires sont généralement considérés comme des morceaux d’espace occupés, exploités, qu’on s’est appropriés, voire des morceaux aménagés, habités, industrialisés. Ils sont associés à un collectif organisé sur un territoire souvent immense qui devient nation, fédération et même empire. Les -stan d’Asie centrale et les -land des peuples germaniques représentent parfaitement le concept.

    Or, dans cet ouvrage collectif, notre analyse de la politique publique porte sur les territoires infranationaux, soit les découpages intérieurs, généralement antérieurs, de la nation. Les -pour en Inde, les -zhoo en Chine, les -polis en Grèce antique, les «pays» en France, les «districts» anglo-saxons en offrent d’excellentes représentations. Ces territoires de nature communautaire définissent leur identité et leur territorialité par la densité de l’interaction que permet la proximité (Storey, 2001; Brunet, 2004). On en retrouve deux formes principales, qui peuvent se décliner en plusieurs catégories. Il s’agit des lieux (point; pôle) et des milieux (aire; zone). Les contenus territoriaux se définissent par les éléments de la nature, bien sûr, mais aussi par la culture associée à la présence humaine (Beaudet, Dugas).

    En matière de territorialisation, chaque lieu ou milieu possède ses propres acquis et son propre potentiel. La dotation géographique initiale telle que rivières, montagnes, plaines, déserts, delta, etc., génère d’emblée de la différenciation et des inégalités spatiales. Inégalités qui s’accentuent avec l’attractivité territoriale variable des places centrales, des carrefours de transport, des réserves de ressources, des bassins de main-d’œuvre, des effets d’agglomération, des capitaux cumulés, des initiatives individuelles, des projets communautaires, des capacités d’innovation.

    Bref, l’espace n’est aucunement neutre dans la structuration sociale, culturelle et économique. Les différences de tailles des villes et de richesses des régions illustrent notamment fort bien cette influence que les sciences sociales cherchent à saisir et à modéliser.

    Au Québec, le fleuve Saint-Laurent (et ses affluents) représente un substrat naturel déterminant pour l’occupation de l’espace en le transformant en territoires distincts, de Kamouraska à Montréal en passant par les vallées du Richelieu, de la Saint-François, de la Chaudière ainsi que par les lacs Témiscamingue, Saint-Jean, Témiscouata. Il en est de même avec les bassins de ressources forestières, minières, maritimes qui font émerger des territoires avec les toponymes évocateurs tels que Forestville, Fermont, Asbestos, Val-d’Or, Rivière-au-Renard. Aussi, certains substrats importants s’avèrent plutôt construits en influençant la dynamique des territoires. C’est le cas notamment des grands marchés américains de consommation qui favorisent la localisation des activités économiques au sud du Québec, près de la frontière américaine.

    Il va sans dire que le Québec n’est pas la Pennsylvanie, le Sichuan ou la Bavière. Sa localisation bien périphérique au nord-est de l’Amérique lui offre des caractéristiques spatiales tout à fait particulières (Tellier). En conséquence, la mise en valeur de cet espace ne peut s’effectuer que d’une manière particulièrement adaptée à sa réalité. À cet effet, au Québec, la concession de vastes réserves de ressources naturelles à des intérêts privés a toujours été une stratégie privilégiée par les gouvernants afin de promouvoir le développement. Les entreprises comme la Compagnie de la Baie d’Hudson dans la fourrure, Hyman dans la pêche, Price dans le bois, Alcoa dans l’hydroélectricité, entre autres, ont relevé ce défi de l’extraction de matières premières. Aussi, les seigneurs ont reçu d’importantes concessions territoriales qu’ils divisèrent en parcelles pour attirer et établir des colons. Historiquement, l’octroi de bassins et de gisements se faisait sur la base des pouvoirs discrétionnaires du gouvernement, qui furent ensuite de plus en plus encadrés par des régimes structurés par secteurs: forêts, mines, hydroélectricité, pêcheries, terres publiques. Pour l’exploitation de ces réserves de ressources, on fit surtout appel aux initiatives privées et collectives (coopératives) pour occuper, exploiter et développer les territoires du Québec.

    Pour faciliter l’extraction des ressources naturelles, la politique publique a misé sur l’accessibilité aux territoires bien dotés. Des quais et des ports furent aménagés. On a aussi creusé des canaux et des rivières dès le XVIIIe siècle. Des chemins et routes ont ensuite été tracés. Dans la deuxième moitié du XIXe siècle, la construction de chemins de fer a bouleversé les conditions d’accès aux territoires, notamment avec le désenclavement du Lac-Saint-Jean, de l’Abitibi et de la Gaspésie. À partir de 1912, une nouvelle stratégie d’accessibilité routière fut conçue et appliquée, conduisant à la création d’un véritable ministère consacré au transport en 1923. Le Québec fut en réalité quadrillé de routes, de ports, de chemins de fer, d’aéroports pour intégrer et développer ses territoires. La logique de localisation des activités et de la population en fut totalement bouleversée. De 1945 à 1960, pas moins de 2 700 ponts furent construits au Québec tandis que du bitume fut étendu sur près de 15 000 kilomètres de routes (Proulx, 1998). La nouvelle mobilité des facteurs et des acteurs favorisa certains lieux et milieux plutôt que d’autres.

    La politique territoriale – et ce n’est pas sans importance – s’est également préoccupée de gouvernance. Aux systèmes seigneurial et paroissial conçus pour gérer certains services collectifs essentiels furent ajoutés, à partir du milieu du XIXe siècle, deux régimes distincts: le régime municipal et le régime scolaire. L’objectif était de faire assumer et gérer le plus de responsabilités possible à l’échelon local (Gow, 1986). Ces régimes gagnèrent rapidement en popularité à la faveur de l’urbanisation accélérée qui nécessitait des tribunes démocratiques formelles et des systèmes d’impôts locaux pour assurer la desserte publique de biens et services collectifs sur des aires bien découpées (Baccigalupo, 1984). Plus de 2 000 commissions scolaires et 1 748 municipalités couvraient le Québec habité au début des années 1960.

    2.

    L’espace mouvant

    Le recul historique permet d’observer que la territorialisation s’est produite un peu partout en fonction des substrats, bien sûr, mais aussi de grandes forces spatiales qui se sont déployées en occasionnant des ruptures, des repositionnements, des explosions soudaines, voire des renversements spatiaux (Proulx, 2008a). Non seulement l’espace n’est-il pas économiquement neutre, mais son influence se modifie au fil du temps ne serait-ce que par les moyens de transport. Signalons ici quelques mouvements importants.

    Après une occupation très extensive par la Nouvelle-France d’une partie de l’Amérique grâce à la création d’avant-postes (comptoirs) au sein d’une vaste superficie qui s’étendait jusqu’aux montagnes Rocheuses, à l’océan Arctique et au golfe du Mexique, on assista ensuite à un mouvement inverse de repli par l’intensification de la colonisation dans la vallée laurentienne. En 1760, la rupture avec ces forces centrifuges fut brutale. Le mouvement centripète radical a ensuite pris de l’expansion centrifuge au fil du temps pour coloniser toute la vallée du Saint-Laurent, poussant même plus loin au Témiscouata, dans la Matapédia, au Saguenay et au Témiscamingue dans la deuxième moitié du XIXe siècle.

    L’espace Québec a ensuite vécu une accélération paradoxale et contradictoire de sa mouvance. Alimentée par des forces centrifuges associées à l’éloignement de réserves de ressources naturelles, l’occupation extensive s’est poursuivie en force par la création de nombreux petits lieux et milieux généralement dispersés et distants en périphérie, soit en Abitibi, sur la Côte-Nord et dans la deuxième couronne du Lac-Saint-Jean, au nord du Québec. Pendant cette période, les forces centripètes, aussi à l’œuvre par le commerce, l’industrie et les services, ont favorisé une urbanisation relativement intense qui a fait passer le Québec, rural à 85% en1850, à un Québec urbain à 80% en 1967. À travers ce croisement de tendances spatiales fortes et opposées, un important exode rural s’est fait sentir sur des territoires jadis colonisés qui ont subi les effets de la modernisation de l’agriculture à partir de 1945. Les effets d’agglomération se sont en outre déplacés en amont du fleuve Saint-Laurent, avec des renversements gravitaires d’abord de Québec vers Montréal (1850), et ensuite de Montréal au profit de Toronto (1960), fort bien localisée.

    Cette mouvance spatiale considérable pour un Québec encore relativement jeune en matière d’occupation territoriale a créé un bon nombre de tensions entre les forces centripètes et centrifuges, notamment sur l’immense périphérie initiale drainée par la ville de Québec. Cette périphérie truffée de ressources à extraire a réellement marqué l’imaginaire québécois. On l’a encore constaté récemment avec la popularité du Plan Nord de Jean Charest, qui s’est inscrit dans l’esprit centrifuge du Plan Labelle (1888-1890) et du Plan Vautrin (1934-1935).

    3.

    La territorialisation

    Dans la première moitié du XXe siècle, les territoires qui composent le Québec devinrent un réel objet d’intérêt pour des études précises. Arpenteurs, géologues, hydrologues, agronomes et ingénieurs contribuèrent de leurs techniques pour effectuer des inventaires, des analyses et aussi des interventions. Des travaux scientifiques précurseurs ont marqué cette période initiale de la science des territoires. Signalons en particulier les études de Léon Gérin sur les dimensions humaines et sociales des collectivités territoriales et aussi Esdras Minville, qui a effectué une série d’études territoriales pour saisir les potentiels économiques selon l’approche méthodologique (observatoire) de Patrick Geddes. Stimulés par l’initiative de cartographie de Raoul Blanchard, les géographes ont par ailleurs effectué une contribution importante en utilisant le concept de région. Des écrivains ont aussi proposé des analyses territoriales pertinentes. Bref, les connaissances cumulées sur l’état de la situation des territoires québécois progressèrent. Des avancées méthodologiques furent également au rendez-vous, tant et si bien que le nouveau Conseil économique et social créé au Québec en 1961 pouvait alimenter son analyse globale d’une dimension territoriale embryonnaire mais réelle (Parenteau, 1964; Hirsch, 1967) pouvant servir d’assise concrète à une réflexion en matière de politique publique. Fut notamment mis en évidence le manque général d’initiatives endogènes sur les territoires, insuffisance qui obligeait Québec à intervenir régulièrement, de manière exogène, par des incitations, des interventions et des obligations (Proulx, 2019).

    Au fil de diverses études territorialisées, quatre apports majeurs ont marqué, selon notre lecture, la décisive décennie 1960 au cours de laquelle l’État du Québec renouvelait ses missions avec vigueur. D’abord, le rapport La Haye (1968) a bien diagnostiqué plusieurs problèmes dans l’usage du sol. Il a clairement recommandé de mettre de l’ordre dans l’environnement québécois. Signalons les travaux du Bureau d’aménagement de l’Est du Québec (BAEQ), qui ont certes marqué les esprits par leur volontarisme au regard du développement de cette région péninsulaire, mais aussi en engendrant des controverses avec des recommandations audacieuses, sinon radicales. Plus ou moins dotées en ressources, les régions sont considérées, par ce BAEQ, tels des milieux de vie légitimés pour bénéficier des mesures correctives des disparités économiques et sociales publiques. En 1966, sur la base de la nouvelle théorie de la polarisation, le ministère québécois de l’Économie proposa un cadre d’analyse du Québec basé sur la hiérarchie des centres urbains primaires, secondaires, tertiaires et quaternaires. L’espace Québec est ainsi apparu polycentrique avec des pôles calibrés, différenciés et diffuseurs du développement sous ses diverses formes (MIC, 1966). À cet effet, le gouvernement fédéral commanda une importante étude (Higgins, Martin et Raynauld, 1970) qui recommanda fortement de cibler la politique publique sur le pôle principal du Québec, soit Montréal. Une telle concentration des moyens pour chauffer l’économie montréalaise devait permettre de diffuser sa chaleur en matière de développement sur tout l’espace québécois. Les méga-événements (Expo 67; Jeux olympiques de 1976), ainsi que la construction de grandes infrastructures et d’équipements (transport, éducation, santé, loisirs, culture, etc.), ont participé à cette stratégie de polarisation sur Montréal.

    De perspectives différentes et bien argumentées, ces analyses scientifiques n’ont pas permis au gouvernement de clairement trancher sur les cibles de la politique territoriale, ni entre les divers centres urbains et leur aire de rayonnement, pas plus qu’entre une approche mono ou polycentrique. Si l’Office de planification et de développement du Québec (OPDQ), mis sur pied en 1968, fut très pertinent pour saisir et comprendre les conditions endogènes des divers territoires selon une vision québécoise globale, il fut fort difficile de doter le Québec d’un véritable modèle général d’organisation de l’espace (Beaudet, Tellier, Dugas). Néanmoins, la hiérarchie des centres urbains polarisateurs a offert une puissante logique pour guider et ordonnancer la localisation des infrastructures de transport et des équipements publics qui se sont multipliés au Québec pendant les dernières décennies du XXe siècle. Le renforcement des pôles sous l’inspiration du modèle de la cité, notamment par des fusions et regroupements municipaux, fut une composante importante de la politique territoriale (Prémont) qui consacra une approche par réseaux nationaux dans le transport, la santé, l’éducation, les sports, etc. Les réseaux de collèges et d’universités qui desservent même les territoires éloignés représentent un impératif pour le Québec en intégration dans la société du savoir (Vigneault; Proulx et Maltais).

    Par ailleurs, Québec misa sur le découpage de l’espace en nouvelles aires de gestion publique en utilisant des concepts territoriaux opératoires (Beaudet, Dion, Joyal). Trois découpages se sont ainsi imposés. Il y eut d’abord des régions administratives institutionnalisées en 1968 et redécoupées en 1987. Elles devaient surtout servir d’assises à la déconcentration d’agences publiques et à la modulation des activités, programmes et mesures des gouvernements supérieurs désireux d’inciter et de soutenir des actions territoriales jugées nécessaires (Morin, 2006). Les communautés territoriales MRC (municipalités régionales de comté) furent ensuite créées en 1979 et ont été redécoupées depuis. Elles étaient davantage associées à l’appropriation de fonctions publiques, notamment l’aménagement du territoire, la gestion publique de certains biens et de services collectifs et le soutien aux initiatives culturelles, sociales et économiques (Proulx, 2014a). Une stratégie de développement local y fut appliquée par diverses mesures, notamment la mise en œuvre des Sociétés d’aide au développement des collectivités (SADC) à la fin de la décennie 1980 et des centres locaux de développement (CLD) en 1998 (Polèse, Tellier). Enfin, Québec a établi des aires précises (zones) pour cibler ses interventions dans les loisirs en forêt, l’industrie, l’agriculture, le tourisme, les métropoles, le Nord et le maritime (Ruiz, Decelles, Dumont, Joncoux, Lewis et Mundler). On cherchait aussi à faire émerger des actions endogènes structurantes (Klein) sur ces territoires institutionnalisés.

    Ancrée largement, mais non exclusivement, dans ces quatre composantes territoriales du Québec, la politique publique s’est inscrite par diverses mesures dans l’environnement, la culture, l’agriculture, le tourisme, le patrimoine et le communautaire. On a beaucoup misé sur l’appropriation de responsabilités par les milieux dotés de mécanismes démocratiques de concertation (conseils, commissions, comités, tables) pour mobiliser les acteurs, y compris la société civile organisée. La planification territoriale est devenue une pratique courante de gouvernance (Proulx, 1996, 2008b). Des fonds de développement furent aussi déployés pour soutenir les initiatives territorialisées. Les agents et animateurs du développement se sont multipliés. On misa sur les partenariats, le réseautage, les maillages, etc. Le «-isme» du communautarisme était en expérimentation sur tous les territoires (Beaudet, Joyal).

    Plus récemment, le gouvernement du Québec a semblé se refroidir et se retirer face aux actions endogènes tant recherchées jadis sur les territoires-laboratoires (Tremblay). Certains programmes furent abolis, notamment ceux touchant la ruralité en dévitalisation. La planification territoriale globale n’est plus une priorité, sauf pour la périphérie nordique et les deux principales régions métropolitaines. Les régions administratives ont ainsi perdu leur mécanisme de concertation élargie, soit les Conseils régionaux de développement (CRD). Les territoires MRC sont moins ciblés pour l’ajout de mesures incitatives à l’organisation et au développement. Les interventions régionales au sein de zones économiques spécialisées (grappes/créneaux) épousent désormais de plus en plus l’échelle nationale. De fait, la politique publique semble à l’évidence miser davantage sur le pilotage direct d’interventions et d’actions de l’État sur de grands secteurs par cibles territorialisées telles que le maritime, l’aérospatiale, l’hydroélectricité, le pétrole. Aussi, les régimes de concession de bassins de ressources furent renouvelés dans la forêt, les mines, la pêche, entre autres, sans vraiment offrir de moyens supplémentaires aux territoires en exploitation.

    4.

    Des résultats mitigés

    Il va sans dire que depuis 50 ans, en matière d’exploitation des ressources naturelles, les territoires du Québec furent davantage mis en valeur dans l’agriculture et l’élevage, la forêt, les mines, l’hydroélectricité, les niches du terroir, etc. De nouvelles zones nordiques furent intégrées sous l’angle du développement, notamment le Moyen-Nord – incluant la Jamésie, la Côte du fleuve, Manic, Fermont, Natashquan, les monts Otish. Des activités commerciales et des services privés se sont installés partout où des marchés se sont affirmés, généralement dans des pôles de tailles diverses. Le secteur manufacturier et l’industrie ont aussi largement profité de la nouvelle politique territoriale – notamment en Beauce, en Montérégie, en Estrie et dans les Bois-Francs –, mais fort peu hors de la plaine laurentienne, sauf en Beauce. Bref, la politique publique a soutenu une meilleure exploitation des territoires québécois dotés d’avantages comparatifs.

    Selon notre estimation, cette politique n’a que partiellement atteint ses objectifs généralement trop ambitieux. Les décollages économiques jadis explosifs en Abitibi, sur la Côte-Nord, au Saguenay–Lac-Saint-Jean et dans des poches ici et là en Gaspésie, dans le nord, à Asbestos, Sorel, Lachute, Maniwaki, La Tuque, etc., ont très rarement franchi l’étape classique de la diversification (Proulx, 2011). Cette diversification économique est pourtant bien présente au sud du fleuve, notamment dans la grande plaine laurentienne, beaucoup plus avantagée en matière de coûts de production (transport; main d’œuvre; services spécialisés) que la périphérie. Notons à cet effet que certains lieux miniers investis, comme Raglan, sont demeurés enclavés et très contraints dans leur développement par une pure logique de simple extraction des ressources comme c’est le cas pour les camps forestiers, la pêche dans le golfe et la production hydroélectrique et éolienne.

    Ainsi, tous les territoires ont contribué au produit intérieur brut (PIB) du Québec (Dugas). La forte croissance des volumes de matière première extraits totaux a fait de la périphérie un véritable moteur économique jusqu’à l’atteinte de la limite des réserves forestières, terriennes et maritimes, notamment sur la Côte-Nord, en Gaspésie et au Saguenay–Lac-Saint-Jean. Et ce, même si les retombées générées sur les lieux et dans les milieux d’extraction furent moins nombreuses à la faveur de l’intensification technologique qui fit décroître le ratio d’emplois par volumes de production (Proulx, 2014b). Ainsi, non seulement le nombre d’acres de terres consacrées à la prospère agriculture s’avère-t-il désormais en recul, mais le nombre d’exploitations l’est encore davantage. Par contre, elles sont de taille plus imposante. Les régions ressources du Québec s’avèrent donc des moteurs moins importants de l’économie du Québec et elles sont en léger recul démographique, et ce, même si leur exploitation poursuit sa croissance.

    Par ailleurs, dans le contexte de la politique publique, les territoires du Québec ont expérimenté divers mécanismes d’organisation collective au fil des dernières décennies, notamment plusieurs exercices de planification (Proulx, 2014a). Bien que des avancées importantes furent effectuées en matière d’aménagement plus cohérent et de gestion publique rationalisée, les territoires peinent à se doter de projets globaux de développement autour d’une vocation ou d’une ambition communautaire. Malgré de nombreuses expériences collectives fort intéressantes ici et là, notamment les fructueux sommets socioéconomiques de la décennie 1980, la fragmentation des actions et des interventions par petites pièces détachées demeure la règle par rapport à l’exception des importantes actions territoriales globales. Malgré les gains évidents en efficacité administrative, on remarque néanmoins un manque général d’initiatives territoriales innovatrices, qui est bien perçu par les divers fonds réservés aux territoires. Ceci illustre parfaitement la difficulté de planifier le développement territorial.

    5.

    La coordination

    Déployée de manière éclatée par fonctions dans plusieurs secteurs ainsi qu’à différentes échelles, la politique territoriale nécessite clairement des mécanismes de coordination des interventions publiques effectuées par plusieurs ministères et agences du Québec et du Canada (Ruiz, Decelles, Dumont, Joncoux, Lewis et Mundler). Municipalités, conseils locaux et régionaux, directions, bureaux, commissions, coopératives, unions, groupes, comités, etc., une panoplie d’acteurs publics et collectifs, auxquels il faut ajouter le secteur privé, notamment les grandes entreprises, régissent les territoires qui structurent le Québec. Dans le Québec des dernières décennies, l’approche par la concertation fut largement préconisée par diverses tribunes afin d’asseoir les décideurs autour des enjeux collectifs. Malgré les difficultés largement reliées aux différences de poids entre les divers acteurs indépendants, des résultats fort intéressants en matière de cohérence et de synergies furent atteints.

    Précisons tout de suite que la coordination globale dispose d’une base territoriale naturelle avec les agglomérations urbaines qui, en principe, génèrent des effets cumulatifs spécifiques grâce à la contiguïté facilitante des acteurs. Multifonctionnelles, les municipalités jouent inévitablement un rôle d’animateur de ces effets cumulatifs des agglomérations bien connus pour leur capacité à dynamiser le développement urbain (Shearmur et Polèse, 2009). À cet effet, la stratégie québécoise de polarisation est demeurée inachevée dans ses moyens. Malgré les réformes basées sur les fusions municipales et les regroupements fonctionnels, notamment la réforme de 2002, le secteur public présent dans ces pôles est demeuré fragmenté entre diverses agences monofonctionnelles indépendantes et autocentrées (santé, éducation, transport, emploi, etc.) que l’autorité municipale ne réussit guère à coordonner dans un esprit de synergie. Mis à part les plans d’urbanisme, les villes ne possèdent pas ou peu de mécanismes interactifs formels pour le visionnement global, l’encadrement stratégique et la mise en œuvre d’actions collectives. Les plans métropolitains d’aménagement et de développement (PMAD) de Montréal et Québec ont certes fait progresser en ce sens. Mais de manière générale, dans les pôles urbains de plus en plus étalés, on manque de moyens pour coordonner les multiples interventions publiques dans un esprit de cohérence et de synergie.

    En matière de coordination, chaque région administrative fut dotée, à la fin des années 1960, de deux mécanismes distincts: la Conférence administrative régionale (CAR) pour coordonner les directions régionales des ministères, et le CRD pour concerter la société civile organisée à cette échelle. La planification régionale fut successivement utilisée selon différentes procédures (Proulx, 2008b) et sous des médiations variées: délégués régionaux; présidents cooptés; maires des capitales régionales; députés délégués; sous-ministres adjoints; ministres responsables. En 2003, les CRD furent transformés en Conférences régionales des élus (CRÉ) municipaux, ce qui a réduit considérablement la présence des groupes de la société civile sur cette instance. On assista en conséquence à un clair ralentissement de l’élan régionaliste. À la lumière de toutes ces expérimentations de médiation au fil du temps, les régions administratives ont à l’évidence beaucoup de difficulté à se doter d’une réelle ambition communautaire et d’un véritable projet global de collectivité territoriale. Les acteurs de la gouvernance et du développement régional demeurent fragmentés et divisés, y compris le gouvernement fédéral qui possède par ailleurs en régions des moyens considérables non attachés par les plans (Proulx, 2015). Avec l’abolition des CRÉ en 2015, l’échelon régional se retrouve désormais sans capacité de projection collective et globale du territoire commun.

    De tels projets territoriaux globaux s’avèrent par contre beaucoup plus présents à l’échelle des MRC et de certaines villes-MRC. Plus de 50% de la centaine de ces territoires supralocaux possèdent une bonne capacité intégratrice des actions et des interventions grâce à l’identité communautaire, à la proximité des acteurs, au visionnement global et à l’apprentissage collectif (Proulx, 2014b). Grâce à leur statut légal, les schémas d’aménagement opposables aux tiers représentent un instrument de planification inégalé, bien qu’encore très imparfait. Encouragés par Québec, les progrès institutionnels, certes réels, demeurent néanmoins trop lents. L’autonomie et l’indépendance des divers acteurs, l’affirmation de plus d’un pôle urbain important sur le territoire et la présence d’une autorité élue au suffrage dans moins du tiers des territoires (14 préfets MRC et 14 maires d’agglomérations fusionnées) limitent la coordination et les synergies.

    Pour la stratégie des grappes d’activités sectorielles, il faut savoir qu’au départ, le Québec ne possède pas de districts industriels spécialisés tels que ceux de l’Italie, de la France ou des États-Unis pour établir une base concrète pour la coordination des acteurs. Généralement, au Québec, les concentrations d’activités sont plutôt diversifiées au sein de zones industrielles localisées en couronnes périurbaines, le long des grands boulevards, près des voies de contournement, autour des mégacarrefours. De plus, les grands extracteurs de ressources naturelles imposent largement leur système relationnel hiérarchique selon des impératifs de contrôle plutôt que de coordination. Partout dans lesdites grappes, les moyens concrets de mise en interaction et en coordination manquent d’efficacité. Ceci ne discrédite pas les efforts consentis par les gouvernements supérieurs pour favoriser le regroupement (clustering) dans les créneaux d’excellence territorialisés. Cela explique néanmoins les résultats limités sous l’angle de la structuration économique et de l’innovation par la désignation de spécialisations territorialisées.

    6.

    La mouvance contemporaine

    Que ce soit dans le cas des pôles de croissance, des régions administratives, des territoires MRC ou des zones ciblées, on constate des résultats passés assez limités sous l’angle des ambitions communautaires porteuses de cohérence globale et de synergies de développement entre les divers acteurs territorialisés. Signalons néanmoins le technopôle de Sherbrooke, l’ambition culturelle de Baie-Saint-Paul, la «terre de créativité» de la MRC de l’Érable et bien d’autres territoires, généralement de taille réduite, qui se dotent d’une vision globale intégratrice. Néanmoins, les véritables projets globaux de collectivités territoriales sont relativement rares par rapport aux efforts publics consentis à la coordination des multiples acteurs territorialisés (Proulx, 2019). C’est ce qui explique en partie le hiatus très actuel en matière de politique publique territoriale. Québec ne sait plus vraiment comment agir sur les territoires.

    En réalité, une lecture géoéconomique du Québec contemporain fait apparaître une grande variété de territoires que l’on peut saisir et analyser en utilisant le cadre conceptuel classique de l’analyse spatiale. Le principal centre localisé tout à fait au sud et l’immense périphérie peu habitée offrent une configuration tout à fait particulière qui évolue lentement selon les forces en présence, notamment la mobilité croissante des facteurs et des acteurs.

    Dans la vaste vallée laurentienne, on constate un véritable phénomène de «métapole». En regard de la définition de métapolisation proposée par Ascher (1995), l’espace Québec présente un cas fort intéressant qui le distingue des phénomènes comparables en Asie, en Europe, en Afrique et en Amérique. Il s’agit d’une vaste zone polycentrique d’urbanisation diffuse en couronnes périurbaines successives autour d’un ensemble de villes de tailles différentes, y compris les métropoles Montréal, Québec et Gatineau, ainsi que Trois-Rivières, Sherbrooke et Drummondville, dans une moindre mesure. Si des parcs industriels et technologiques, des mégacarrefours ainsi que des complexes spécialisés s’imposent dans la structuration de cette zone centrale multipolaire, il demeure que de vastes zones agricoles, forestières et écologiques demeurent protégées.

    S’affirment aussi actuellement des corridors linéaires relativement larges (figure I.1) grâce à la densification des activités et de la population autour de certains axes de transport, notamment celui de la Beauce, qui se structure par les lieux et milieux en croissance le long de la rivière Chaudière, celui des Laurentides, qui pointe vers le Mont-Tremblant, ainsi que celui de la Basse-Mauricie, en densification entre Trois-Rivières et Shawinigan. D’autres corridors de moindre intensité émergent aussi, ici et là, le long de certains axes routiers, notamment dans l’est de Montréal, vers Joliette. Par contre, le fleuve ne joue plus le même rôle qu’auparavant en matière de localisation, comme on le constate à Bécancour, à Sorel, à Québec, à Cacouna et à Trois-Rivières. Le transport routier a supplanté le transport maritime en pourcentage de volumes.

    Figure I.1.

    Géographie économique du Québec contemporain

    Source: Réalisation par Carl Brisson, UQAC (2015), à partir des données de Statistique Canada.

    Au sein de cette métapole québécoise, les forces centripètes et centrifuges à l’œuvre dessinent de nouvelles formes territoriales encore mal comprises. Des zones se densifient grâce à l’attractivité du secteur manufacturier, tandis que d’autres demeurent enclavées. L’un des phénomènes récents réside dans la zone sud-est comprise à l’intérieur de l’anneau qui relie Victoriaville, Drummondville, Saint-Hyacinthe, Granby, Magog et Sherbrooke, en se refermant sur Victoriaville (voir la figure I.1). Ce nouveau territoire émergent bénéficie d’une localisation exceptionnelle, hors du marché de Montréal qui lui est néanmoins bien accessible, près de la frontière américaine et ayant aussi accès facilement non seulement à l’Ontario limitrophe, mais à tout le Québec grâce aux réseaux de transport. Cet anneau de développement sud-est où on constate une concentration d’activités s’avère doté d’un bassin de main-d’œuvre à coûts compétitifs qui trouve en ces lieux un milieu de vie de qualité.

    Hors de cette grande zone centrale métapolitaine maintenant en diffusion jusqu’à Rivière-du-Loup, la périphérie du Québec s’avère structurée autour d’avant-postes de pénétration territoriale. Localisés en des points de rupture spatiale, ces avant-postes polarisent les activités largement reliées à l’extraction des ressources naturelles par de grandes entreprises localisées en fonction des réserves. Ce sont des carrefours qui servent largement au transbordement, à l’entreposage et quelquefois à la première transformation des matières. Des corridors de transport routier et ferroviaire se dirigent vers l’intérieur pour atteindre les bassins de ressources. Ces pôles de services publics et privés jouent un certain rôle de rétention de la richesse créée en périphérie. Ils résistent au drainage en captant au passage une rente sur les matières premières, notamment en offrant leurs habiletés dans la construction, la conception d’équipements, les services spécifiques, etc.

    7.

    L’innovation

    En mouvance et en désir de développement économique, social et culturel dans un esprit de durabilité, les divers territoires qui composent le Québec nécessitent toujours des initiatives nouvelles, voire innovatrices. Même si le contexte de l’intelligence collective a beaucoup changé au cours des cinq dernières décennies, avec notamment un taux de diplomation universitaire qui s’est multiplié considérablement (Proulx et Maltais), ces initiatives innovatrices sont encore aussi insuffisantes que pendant les années 1960, notamment en périphérie (Proulx, 2007, 2019). L’innovation, sous ses différentes formes sociale, culturelle, politique, économique et institutionnelle, s’avère essentielle pour l’intégration des divers territoires dans la dynamique nord-américaine et mondiale.

    À propos de la capacité territoriale de soutien à l’innovation, plusieurs modèles très actuels de districts, de milieux, de technopoles, de systèmes et de communautés apprenantes, entre autres, peuvent inspirer les divers contextes territoriaux afin de mettre en place les conditions appropriées. Retenons ici le concept d’«écosystème d’innovation», qui est largement utilisé actuellement par la politique publique universelle. Il évoque un ensemble d’acteurs qui tissent des relations cognitives conduisant à la créativité et à l’innovation autour d’enjeux stratégiques (problèmes; forces; faiblesses; occasions; menaces; contraintes) afin de générer des actions nouvelles territorialisées.

    La modélisation générale des acteurs de l’innovation les regroupe en quatre catégories distinctes illustrées par le texte de Proulx et Maltais: 1) les entreprises et les organisations publiques et collectives, y compris la société civile organisée, qui détiennent du savoir-faire varié; 2) les collèges et universités accompagnés de leurs centres de recherche, qui produisent et diffusent du savoir; 3) les services spécialisés privés et publics, qui génèrent de nouveaux savoir-faire; 4) les intermédiaires (divers agents de développement, de transfert, de liaison et d’animation sociale, économique, communautaire), qui multiplient les fertilisations croisées. Toute chose étant égale par ailleurs, la capacité territoriale d’innovation réside largement dans la mise en interactions cognitives de ces acteurs. La multiplication des interfaces bien ciblées et animées méthodiquement représente le modus operandi.

    8.

    La planification

    À cet effet, toutes les politiques territoriales élaborées et mises en œuvre au Québec au cours des cinq dernières décennies furent appliquées sur le terrain par différents exercices de planification territoriale afin de mobiliser les acteurs dans un esprit classique de liaison entre connaissance et actions. Dans les années 1960 et 1970, à titre d’exemple, les planificateurs territoriaux ont beaucoup misé sur le visionnement détaillé des territoires en utilisant des procédures de planification rationnelle globale pour effectuer lesdites missions de planification (1969-1972) ainsi que pour la préparation de schémas régionaux (1974-1977) et de schémas MRC (1979-1985). La mobilisation élargie et la concertation furent largement utilisées au cours de la décennie 1980 par l’organisation de conférences socioéconomiques territoriales se clôturant par des sommets afin d’engager les acteurs concernés. Largement induites des schémas MRC, les nombreuses initiatives territoriales novatrices lancées lors des sommets régionaux représentent le zénith du régionalisme au Québec. La décennie suivante fut celle de l’utilisation systématique de la planification stratégique à l’échelle régionale, en permettant de renforcer en particulier des secteurs tels que le tourisme, le maritime, la culture, le meuble, les mines, le commerce, l’aluminium, la forêt, l’environnement, entre autres, par des actions structurantes à ficeler avec Québec par des ententes spécifiques. Les plans d’actions territoriales se multiplient tous azimuts depuis les années 2000, notamment grâce aux CLD, aux SADC et autres mécanismes de soutien aux initiatives locales qui misent sur le montage de la faisabilité multicritère de projets afin de respecter les conditions de l’acceptabilité sociale, devenue impérative.

    En regard du modèle d’analyse de la planification (Proulx, 2008b, 2014c), les territoires aux échelles régionales et MRC ont, d’une manière générale, cheminé de la volonté initiale de visionnement global vers des impératifs croissants de faisabilité décisionnelle, en passant par la phase effervescente, au cours la décennie 1980, qui généra beaucoup d’initiatives innovatrices (figure I.2).

    Figure I.2.

    Renversement procédural de la planification territoriale 1968-2018

    Quatre éléments d’un constat général très actuel nous incitent à présenter une proposition pour une nouvelle procédure de planification territoriale qui nous apparaît éminemment nécessaire sous l’angle de l’innovation. D’abord, le grand exercice bien médiatisé de la planification du nord (2011-2017) s’avère maintenant être au ralenti, sinon en recul. N’était-ce qu’un ballon politique mobilisant l’appareil d’État à des fins électorales? Ensuite, les exercices PMAD, si pertinents, furent limités à Montréal et Québec, sans être appliqués aux autres pôles importants du Québec, notamment Gatineau, Sherbrooke, Saguenay, etc. Le gouvernement du Québec a-t-il à cet effet manqué d’ambition dans la poursuite de la réforme municipale progressive qui a franchi une étape importante de fusions et de consolidations en 2002? Aussi, la confection d’une troisième génération de schémas d’aménagement-développement des territoires MRC est en attente d’une impulsion gouvernementale, notamment la révision de la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme. Enfin, en 2014, le démantèlement des CRÉ qui œuvraient depuis 1969 (CRD) à la planification de leur territoire respectif libère la politique publique des fortes pressions traditionnelles à cette échelle, tout en sollicitant une nouvelle attitude de l’État à l’égard des multiples et divers territoires qui correspondent davantage aux critères de la proximité (Proulx, 2014b).

    En conséquence de ce constat, la situation actuelle se prête fort bien à un renouvellement de la politique territoriale. Cette politique pourrait être appliquée, comme par le passé, par la planification afin de mobiliser et d’engager les acteurs territorialisés. Nul doute à cet effet qu’il serait pertinent de revenir à une procédure mobilisatrice de nature rotative et continue capable d’interpeller à part entière chacune des quatre dimensions de la planification soit l’interaction, le visionnement global, le cadre stratégique et l’établissement de la faisabilité multicritère des actions désirées innovatrices.

    Conclusion

    L’enjeu de l’innovation économique, sociale, culturelle, politique et institutionnelle s’inscrit actuellement au cœur de la politique territoriale universelle, sans exclusivité cependant. Clairement concernée par l’aspect opératoire de cet enjeu bien pointé, la planification peut assister les territoires dans leur soutien collectif aux initiatives innovatrices. Au Québec, cette planification territoriale fut beaucoup expérimentée au cours des cinq dernières décennies. On peut en tirer des leçons conséquentes pour alimenter la réflexion dans le cadre de la prochaine politique publique territoriale (Proulx, 2014a), autant quant à la forme et au contenu qu’aux aires d’application des exercices à mettre en œuvre. Une vision globale de la dynamique des territoires qui composent le Québec contemporain devient essentielle. À cet effet, tous les textes rassemblés dans cet ouvrage collectif participent au visionnement général en jetant des lumières pertinentes.

    Ce texte introductif nous a permis de constater à nouveau (Proulx, 2008a) que, dans le contexte d’un espace Québec mouvant et tiré par la croissante mobilité des facteurs et des acteurs, les découpages territoriaux institutionnalisés (municipalités/communautés MRC/régions/zones économiques désignées) sont débordés hors frontières par les activités et la population. Fut constaté aussi que le diptyque centre et périphérie demeurait une modélisation spatiale très valable à l’analyse. C’est un modèle qui illustre le phénomène de «métapolisation» qui se diffuse dans la vallée laurentienne tout en rayonnant plus loin au sein d’une vaste périphérie pénétrée à partir d’avant-postes. Les forces centrifuges cohabitent avec de puissantes forces centripètes. La planification appliquée aux territoires doit s’adapter constamment à cette territorialisation. Ce fut certes le cas avec les deux PMAD de Montréal et Québec, mais pas avec le Plan Nord cependant, dont l’aire d’application ne correspond aucunement à la réalité de la périphérie nordique.

    Reste à poursuivre notre saisie et notre modélisation de la territorialisation de l’espace Québec, dans un esprit d’équilibre général, bien sûr, afin d’alimenter de lumières nouvelles la politique publique sur des enjeux tels que l’étalement urbain excessif, les effets structurants des petits centres ruraux, le grand nombre de petites municipalités, la dévitalisation de zones rurales et aussi urbaines, la durabilité de la mobilité, la protection de l’agriculture, la gestion publique efficace de biens et services collectifs, la cohérence administrative, l’aménagement forestier, l’impérative innovation territoriale tous azimuts, etc.

    Bibliographie

    Ascher, F. (1995). Métapolis ou l’avenir des villes, Paris, Éditions Odile Jacob.

    Baccigalupo, A. (1984). Les administrations municipales québécoises des origines à nos jours, tomes I et II, Montréal, Éditions d’Agence d’Arc.

    Blanchard, R. (1935). L’est du Canada français, tomes I et II, Montréal, Éditions Beauchemin.

    Brunet, R. (2004). Le développement des territoires, La Tour-d’Aigues, Éditions de l’Aube.

    Bureau d’aménagement de l’Est du Québec (BAEQ) (1966). Esquisse du plan, Rimouski, BAEQ.

    Geddes, P. (1925). «Talks from the Oullook Tower», Survey Graphic, février, p. 47-64.

    Gérin, L. (1938). Le type économique et social des Canadiens: milieux agricoles de tradition française, Montréal, Éditions de l’A.C.F.

    Gow, I. (1986). Histoire de l’administration publique québécoise 1867-1970, Montréal, Presses de l’Université de Montréal.

    Higgins, B., F. Martin et A. Raynauld (1970). «Les orientations du développement économique régional dans la province de Québec», Rapport HMR, Ottawa, Ministère de l’Expansion économique régionale.

    Hirsch, R. (1967). «Les origines et la nature des déséquilibres régionaux au Québec», Conseil d’orientation économique du Québec. La planification du développement régional, série II, cahier no 2.

    La Haye, J.-C. (1968). Rapport de la Commission provinciale d’urbanisme, Québec, Gouvernement du Québec.

    Ministère de l’Industrie et du Commerce (MIC) (1966). Division du Québec en 10 régions administratives et 25 sous-régions administratives, Québec, Bureau de recherches économiques, MIC.

    Minville, E. (1979). L’économie du Québec et la science économique, Montréal, Fides.

    Morin, R. (2006). La régionalisation au Québec, Montréal, Éditions Saint-Martin.

    Parenteau, R. (1964). «Les régions riches et les régions pauvres du Québec», Cité Libre, vol. XV, no 70, p. 6-12.

    Proulx, M.-U. (1996). «Trois décennies de planification régionale au Québec», dans M.-U. Proulx (dir.), Le phénomène régional au Québec, Québec, Presses de l’Université du Québec, p. 269-291.

    Proulx, M.-U. (1998). «L’organisation des territoires au Québec», L’Action nationale, vol. LXXXVIII, nos 2-3.

    Proulx, M.-U. (2007). Vision 2025: le Saguenay–Lac-Saint-Jean face à son avenir, Québec, Presses de l’Université du Québec.

    Proulx, M.-U. (2008a). «Territoires de gestion et territoires d’émergence», dans G. Massicotte (dir.), Sciences du territoire: perspectives québécoises, Québec, Presses de l’Université du Québec, p. 1-23.

    Proulx, M.-U. (2008b) «40 ans de planification territoriale au Québec», dans M. Gauthier, M. Gariépy et M.-O. Trépanier (dir.), Renouveler l’aménagement et l’urbanisme, Montréal, Presses de l’Université de Montréal, p. 23-54.

    Proulx, M.-U. (2011). Territoires et développement: la richesse du Québec, Québec, Presses de l’Université du Québec.

    Proulx, M.-U. (2014a). «Territoires MRC du Québec: planification et gouvernance d’État», Économie et Solidarité, vol. 44, nos 1-2.

    Proulx, M.-U. (2014b). «Nouveau cycle économique en périphérie nordique», L’Actualité économique, vol. 90, no 2, p. 121-141.

    Proulx, M.-U. (2014c). «Saisir la pratique québécoise de

    Vous aimez cet aperçu ?
    Page 1 sur 1