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Splendeurs, misères et ressorts des régions: Vers un nouveau cycle de développement régional
Splendeurs, misères et ressorts des régions: Vers un nouveau cycle de développement régional
Splendeurs, misères et ressorts des régions: Vers un nouveau cycle de développement régional
Livre électronique420 pages4 heures

Splendeurs, misères et ressorts des régions: Vers un nouveau cycle de développement régional

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À propos de ce livre électronique

Si plusieurs décollages économiques locaux, souvent fulgurants, ont permis aux régions de constituer 17 % de la population du Québec en 1960, celles-ci n’en représentent plus que 10 % aujourd’hui. La périphérie est demeurée économiquement immature, avec peu de diversification industrielle, et ce, malgré une extraction massive de matières premières livrées sur le marché mondial ainsi qu’une politique publique vigoureuse qui a contribué à la tertiarisation de l’économie tout en construisant un cadre de vie de qualité. Depuis quelques décennies, les régions vivent une véritable transition alimentée par l’intensification technologique, l’épuisement de certaines ressources naturelles, la hausse du niveau d’éducation, la sensibilisation environnementale, l’éveil des populations autochtones, la mobilité croissante des travailleurs, la montée en importance du secteur tertiaire supérieur et l’affirmation de l’acceptabilité sociale des grands projets. Ces avancées régionales doivent aboutir à un nouveau grand cycle de développement au sein de la « société du savoir ».

Le présent ouvrage dresse le tableau des efforts consentis par les pouvoirs publics pour occuper, aménager, gouverner et développer les régions du Québec. À partir de perspectives théorique, historique et comparative, l’auteur étudie une douzaine de leviers, activés par cinq décennies de politiques publiques. Quels sont les résultats de ces actions ? Quels ressorts sont encore disponibles ? Quelles sont les options d’avenir pour les régions ?

Cet examen attentif permet à l’auteur de dégager de nombreux constats en ce qui concerne, entre autres, la polarisation, la décentralisation, la prise en main, l’innovation, les partenariats autochtones, la planification et la gouvernance. Au fil de son analyse, il propose des solutions en faveur des nouvelles interventions publiques qu’il juge nécessaires.

Marc-Urbain Proulx est professeur en économie régionale à l’Université du Québec à Chicoutimi et directeur scientifique du Centre de recherche sur le développement territorial. Il a été sous-ministre associé aux Régions du gouvernement du Québec de 2012 à 2014.

Avec la collaboration de Simon Gauthier.
LangueFrançais
Date de sortie28 août 2019
ISBN9782760551909
Splendeurs, misères et ressorts des régions: Vers un nouveau cycle de développement régional
Auteur

Marc-Urbain Proulx

Marc-Urbain Proulx est professeur en économie régionale à l’Université du Québec à Chicoutimi et directeur scientifique du Centre de recherche sur le développement territorial. Il a été sous-ministre associé aux Régions du gouvernement du Québec de 2012 à 2014.

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    Aperçu du livre

    Splendeurs, misères et ressorts des régions - Marc-Urbain Proulx

    Introduction

    Le terme région évoque plusieurs réalités territoriales différentes. Ce concept¹ polysémique désigne des territoires de formes diverses ayant une certaine homogénéité de contenus. La région est traditionnellement associée aux aires de rayonnement des centres urbains petits et grands, elles-mêmes largement découpées par l’environnement naturel. Elle peut viser des zones immenses comme celles des Grands Lacs en Afrique, du Midwest américain, de l’Amazonie, de l’Asie centrale. La Méditerranée s’inscrit telle une région historique bien reconnue² qui s’avère comparable à des zones similaires³ localisées ailleurs sur la planète. La région peut encore désigner des formes territoriales particulières comme des arcs côtiers, des ceintures d’activités spécialisées, des corridors en densification, des couronnes autour de centres urbains. Plus simplement, on utilise ce concept pour identifier des découpages administratifs de certains États. Au sens de territoire, la région peut être floue, si elle est métropolitaine, ou définie, lorsqu’on lui attribue des frontières bien délimitées par une vallée, un plateau ou une montagne. Elle peut également être découpée et qualifiée en fonction de son contenu (minier, manufacturier, technologique, etc.), de certains indicateurs (chômage, revenu, industries, etc.), d’un diagnostic général (retardée, gagnante, émergente, etc.) ou encore d’une impression dégagée (naturelle, historique, patrimoniale, etc.).

    Les régions étudiées dans ce livre représentent les territoires qui composent la vaste périphérie québécoise, hors de la zone centrale de la vallée du fleuve Saint-Laurent, soit ce qui correspond à l’idée générale qu’ont les Québécois du concept de «région». Pour concrétiser notre découpage régional, nous utilisons les limites administratives officielles des six régions suivantes: Bas-Saint-Laurent, Gaspésie–Îles-de-la-Madeleine, Côte-Nord, Nord-du-Québec, Abitibi-Témiscamingue et Saguenay–Lac-Saint-Jean. Bien que la périphérie du Québec comprenne également Charlevoix, certaines parties de l’Outaouais, de la Mauricie, des Laurentides et de Lanaudière, nous limitons ici notre analyse à cette grande aire qui peut être cernée grâce aux statistiques disponibles. Certains phénomènes saisis débordent néanmoins cette périphérie qui évoque déjà un important imaginaire⁴ dans l’esprit des gens. Les régions sont effectivement synonymes de paysages, de liberté, d’authenticité, de beauté, de rusticité, de parfums, de forces sauvages, de franc-parler, de ressources naturelles, d’air pur; en un mot, elles sont exotiques. Et si les grands centres urbains sont souvent associés à une certaine intensité de la vie quotidienne, les régions symbolisent généralement une meilleure qualité de vie avec un rythme mieux contrôlé.

    Au Québec, nous associons d’emblée les régions avec la création de richesses⁵, et ce, depuis la traite des fourrures de nos ancêtres jusqu’à l’installation de nouvelles turbines activées au complexe hydroélectrique de La Romaine en Basse-Côte-Nord. Au fil du temps, la quantité de matières premières extraites et livrées sur le marché s’avère phénoménale. Et, à l’évidence, les retombées locales ne sont pas à l’avenant. Mais le mode de vie régional inspire un certain optimisme. Les salaires y sont traditionnellement élevés, ce qui attire la main-d’œuvre nécessaire dans les activités du secteur primaire, mais repousse les manufacturiers⁶. L’émergence explosive de villages et de villes y est courante, souvent en des lieux éloignés au milieu de nulle part. Mais des fermetures tout aussi subites et douloureuses s’y sont produites, notamment à Val-Jalbert et autres Gagnonville, tandis que la stagnation et même le déclin ont pris des airs de normalité chez ce type de booming towns. Si la distance avec les grands centres urbains s’avère désormais beaucoup mieux maîtrisée, elle demeure une réalité contraignante pour la poursuite d’activités sociales, culturelles, politiques et économiques en régions. Des coûts inhérents aux déplacements, parfois sur de longues distances, doivent ainsi être assumés par les populations qui souhaitent s’affranchir de l’éloignement et de la dispersion des établissements humains⁷.

    Les sciences sociales s’intéressent de près aux régions et proposent plusieurs théories⁸ sur la localisation des activités, les forces centrifuges et centripètes, l’organisation communautaire, l’économie publique locale, les avantages comparatifs, les places centrales, la démocratie participative, la polarisation, les services collectifs, la rente foncière, les armatures urbaines et autres. Elles proposent également des instruments méthodo-logiques⁹ pour poursuivre la modélisation des régions tout en se posant de nombreuses questions concernant, entre autres, les formes périurbaines, les effets de proximité, la gouvernance territoriale, la fertilisation de l’innovation, la durabilité du développement régional, etc. L’analyse régionale se renouvelle constamment¹⁰. Selon les recherches les plus récentes¹¹, l’extractivismo s’impose en tant que concept pour modéliser le renouvellement de l’approche «centre/périphérie» et de la théorie de la «croissance induite par les ressources» (staple-led growth). Appliqué aux régions, ce cadre théorique permet de dégager des explications, des anticipations, des stratégies et des actions.

    Avant l’émergence, dans les années 1950, de la science régionale¹² comme discipline universitaire reconnue à part entière, des précurseurs québécois comme l’économiste Esdras Minville, le sociologue Léon Gérin et le géographe Raoul Blanchard avaient jeté les bases empiriques requises pour adapter les concepts jusqu’alors disponibles à l’étude concrète des régions. Ce progrès scientifique a mené à une prise de conscience générale plus éclairée à l’égard des régions, qui a poussé les gouvernements provincial et fédéral à s’y intéresser davantage et, à partir des années 1960, à multiplier les interventions publiques les concernant. Infrastructures de transport, équipements en santé, éducation, culture et environnement, ainsi que des usines et des agences publiques ont été implantées pour structurer le cadre de vie en région, le rendant comparable au Québec central de la vallée laurentienne. En bref, la situation régionale a été clarifiée et la politique publique orientée pour mieux intégrer les régions dans les dynamiques nationale, continentale, voire mondiale.

    Cet essai scientifique livre un aperçu relativement détaillé des efforts consentis par les pouvoirs publics pour occuper, aménager, gouverner et développer les régions du Québec. Les interventions publiques dont les régions bénéficiaient implicitement depuis le début de leur existence ont pris un caractère explicite avec l’avènement de la Révolution tranquille et l’application de la doctrine keynésienne aux politiques gouvernementales, manifestant une volonté de faciliter le développement des régions au sein de l’économie du Québec. C’est ainsi que les régions ont reçu beaucoup d’attention, peut-être même trop si l’on considère que d’immenses bassins de ressources naturelles furent généreusement octroyés à des intérêts privés à certains endroits. Quels en sont les résultats? Quels ressorts sont encore disponibles? Quelles sont les perspectives d’avenir des régions?

    Nous vous proposons notre lecture régionale, bien que certains chapitres traitent de tous les territoires qui composent le Québec en faisant ressortir la périphérie. Les quatre premiers chapitres permettent de préciser l’objet du livre en offrant une analyse de l’évolution historique des régions périphériques. Ils révèlent notamment une période de véritable splendeur régionale caractérisée par une explosion démographique générale illustrant, à l’analyse, différents types de trajectoires locales. Ils nous renseignent aussi sur les principales composantes de la prise de conscience de l’espace québécois différencié en divers territoires au cours des années 1960. À cette époque, l’État désirait prendre explicitement ses responsabilités à travers le soutien au développement régional, et il l’a fait judicieusement sans toutefois atteindre les résultats escomptés, bien que les gains fussent réels en matière de cadre de vie de qualité en régions. La misère de la périphérie réside essentiellement dans la trop faible industrialisation en dépit des décollages économiques locaux souvent fulgurants stimulés par des immobilisations majeures reliées à l’extraction de ressources naturelles. Dans leurs forces, faiblesses et potentiels, nous analysons une douzaine de leviers qui furent activés par Québec en régions. L’exercice nous conduit non seulement à mettre en exergue les ressorts qui subsistent encore en périphérie, mais aussi à distiller les modalités de leur mise en valeur optimale dans le cadre de la transition multidimensionnelle en cours dans ces lieux. L’espoir régional se situe dans l’enclenchement d’un grand cycle de développement grâce à l’intégration pleine et entière de ces territoires périphériques au sein d’une société du savoir en plein essor. Et il ne manque pas d’outils pour ce faire.

    1.Claval, P. (2006). La nouvelle géographie régionale: des régions aux territoires, Paris, Armand Colin.

    2.Braudel, F. (1949). La Méditerranée et le Monde méditerranéen à l’époque de Philippe II, Paris, Armand Colin.

    3.Gipouloux, F. (2009). La Méditerranée asiatique, Paris, CNRS Éditions.

    4., consulté le 23 avril 2019.

    5.Lacour, C. et Proulx, M.-U. (2012). «La belle province de la science régionale québécoise», Revue d’économie régionale et urbaine, n° 4, p. 471-490.

    6.Polese, M. et Shearmur, R. (2002). La périphérie face à l’économie du savoir, Montréal, Institut national de recherche scientifique, Urbanisation, Culture et Société (INRS-UCS).

    7.Dugas, C. (1981). Un pays de distance et de dispersion, Québec, Presses de l’Université du Québec; Dugas, C. (1983). Régions périphériques: défi au développement du Québec, Québec, Presses de l’Université du Québec.

    8.Proulx, M.-U. (2011). Territoires et développement, la richesse du Québec, Québec, Presses de l’Université du Québec.

    9.Isard, W. (1972). Méthodes d’analyse régionale, tomes 1 et 2, Paris, Éditions Dunod; Robitaille, M. et Proulx, M.-U. (dir.) (2014). Sciences du territoire: défis méthodologiques, tome 2, Québec, Presses de l’Université du Québec.

    10.Torre, A. et Wallet, F. (2014). Regional Development and Proximity Relations, Cheltenham, UK, Edward Elgar; Breau, S. (dir.) (2014). Nouvelles perspectives en développement régional, Québec, Presses de l’Université du Québec; Scott, A.J. (2012). A World in Emergence, Cheltenham, UK, Edward Elgar. Voir aussi le numéro spécial «La science régionale au Québec» de la Revue d’économie régionale et urbaine, 2012, n° 4.

    11.Abraham, Y.-M. et Mury, D. (dir.) (2015). Creuser jusqu’où?, Montréal, Éditions Écosociété.

    12.Isard, W. (2003). History of Regional Science, New York, Springer; Benko, G. (1998). La science régionale, Paris, Presses universitaires de France.

    CHAPITRE

    1

    La territorialisation du Québec

    Jadis, principalement nomades, les populations amérindiennes ont territorialisé l’espace appelé aujourd’hui le «Québec». Les territoires de rayonnement des différentes tribus et bandes étaient assez bien délimités et souvent désignés en fonction de la géographie. Les Français qui ont remonté le fleuve Saint-Laurent pour y établir des comptoirs et occuper la Nouvelle-France ont d’abord épousé cette composition territoriale pour ensuite opter pour une dynamique de structuration de l’espace liée aux impératifs économiques et politiques. La recomposition territoriale en cours depuis Samuel de Champlain a été soumise à des mouvements centrifuge et centripète qu’il nous apparaît important d’expliquer afin de mieux comprendre la mouvance spatiale¹ très actuelle du Québec.

    La localisation particulière de cette province sur son continent et sur la planète est loin d’être neutre; elle influence considérablement le comportement social de ses habitants et sa performance économique. Le Québec n’est pas la Bavière, ni le Rajasthan, ni l’Oregon. Il n’est pas un espace central comme la Hongrie ou la Pennsylvanie. Alors qu’au XIXe siècle le Québec avait accès aux marchés limitrophes en affirmation sur la côte Est américaine et à ceux du Midwest en forte émergence à la fin de ce siècle, il s’est depuis retrouvé beaucoup plus éloigné des grands marchés actuellement en explosion dans l’Ouest continental et en Asie. Conséquemment, les produits agricoles, les minerais, le bois, les métaux, et autres ressources du Québec doivent franchir à forts coûts de longues distances pour accéder à ces marchés, un désavantage certain comparativement à la Colombie-Britannique, au Chili et au Pérou. C’est le cas notamment d’Hydro-Québec dont la production hydroélectrique se trouve relativement éloignée de la forte demande des marchés de la Californie et du Centre-Sud américain. Le Québec doit donc tenir compte de caractéristiques géoéconomiques, maîtrisables en partie mais totalement inéluctables.

    1.

    Périphérie sur son continent

    L’histoire de l’Amérique représente une odyssée faite d’exploration, d’occupation, d’aménagement et de développement territorial. La conquête et l’appropriation de cet espace par les premiers immigrants sont conformes à une modélisation géoéconomique bien connue depuis les pratiques commerciales et l’impérialisme des Phéniciens, des Perses, des Indiens, des Chinois. Tout d’abord, ils ont établi des comptoirs sur la côte (Tadoussac, Québec et Trois-Rivières) pour ensuite installer des avant-postes pour permettre une pénétration plus en amont vers l’intérieur des terres². Si la colonisation a été la principale stratégie d’occupation territoriale intensive au sein des États anglo-américains, il en fut tout autrement pour la Nouvelle-France.

    En effet, le projet territorial de Québec reposait principalement sur une occupation extensive du territoire qui a mené à l’établissement d’un vaste réseau de comptoirs destiné à extraire les ressources rapidement disponibles sur cet immense espace, conquis par le drapeau et la croix. C’est ainsi qu’ont été établis Métabetchouan, Fort Charles, Niagara, Fort Bourbon, Nemiscau, Sault-Sainte-Marie, Saint-Louis, et bien d’autres. Ces postes de traite étaient généralement situés à des carrefours de transport ou à des points de rupture de charge habituellement fréquentés par les populations amérindiennes depuis des temps immémoriaux. Ces sites donnaient accès à de vastes territoires sauvages, permettaient le transbordement de marchandises et l’évangélisation. Sur chacun de ces sites étaient aménagés un quai, une fortification, une garnison, une place de culte, un entrepôt, des services de ravitaillement, etc. Ces établissements d’échanges et de négoces favorisaient, bien sûr, la cohabitation des cultures, mais ils étaient surtout utilisés pour acheminer les ressources extraites vers Québec, le principal avant-poste.

    Cette stratégie géoéconomique d’occupation extensive a fait que, bien avant d’être rural, le Québec s’est développé selon un mode urbain, avec des villes interreliées, rayonnant souvent sur de longues distances dans la vaste périphérie. Seulement un siècle après les premières explorations de Samuel de Champlain, la contrée de Québec s’étendait déjà à l’intérieur du continent jusqu’aux montagnes Rocheuses et au golfe du Mexique, en passant par les Grands Lacs et le fleuve Mississippi. C’est ce modèle fondé sur la traite des fourrures qui a engendré l’essentiel de la richesse créée en Nouvelle-France.

    2.

    Centralité de la périphérie

    Entre le début du XVIIe siècle et la fin du XVIIIe siècle, l’économie de cette vaste zone a été dominée par la traite entre les Français et les Autochtones. Au fil des explorations continues, de nouveaux bassins de fourrures ont progressivement été intégrés au circuit d’exploitation en place, permettant ainsi à l’offre globale de se maintenir. Différentes nations autochtones avaient été désignées par les commerçants français pour agir comme intermédiaires privilégiés auprès des peuples établis plus en amont du réseau hydrographique³. Les chasseurs amérindiens étaient responsables du trappage des animaux, de la préparation des peaux et de leur transport vers les postes de traite⁴. Une fois sa valeur négociée, la ressource était acheminée vers le port de Québec puis exportée vers l’Europe, où les chapeliers procédaient à sa transformation finale.

    À l’époque, l’occupation territoriale intensive de la colonisation se concentrait le long des rives du Saint-Laurent et de quelques affluents afin d’approvisionner en vivres les villes de Québec, Trois-Rivières et Montréal ainsi que les différents comptoirs dispersés. Pour les nouveaux arrivants en quête de richesses et d’aventures dans le Nouveau Monde, le nomadisme au cœur de l’arrière-pays, riche en fourrures, était toutefois plus attrayant que la sédentarité du colon. C’est ainsi que, faute de recrutement, la colonisation n’a progressé que fort lentement.

    Puis, un vent contraire s’est mis à souffler. Confrontés à l’insatiable économie européenne, les écosystèmes naturels de fourrures se sont progressivement épuisés, certaines populations animales frôlant même l’extinction. Parallèlement, en Europe, la demande en fourrures s’est peu à peu effondrée lorsque la mode des chapeaux de soie a pris le pas sur celle des chapeaux de feutre⁵. C’est pourquoi, après deux siècles d’effervescence, le commerce des fourrures a périclité et cédé sa place à d’autres modes de subsistance.

    La baisse de rentabilité de la traite des fourrures, conjuguée à la perte de l’immense périphérie de Québec cédée par la France lors de la ratification des traités d’Utrecht (1713) et, surtout, de Paris (1763), a transformé la colonisation des terres de la vallée du Saint-Laurent en une stratégie réellement opérationnelle. Le rétrécissement de la Nouvelle-France telle une peau de chagrin a constitué le premier renversement géoéconomique du Québec, entraînant avec lui une occupation territoriale fondée sur l’intensification plutôt que sur l’ancien modèle exclusivement extensif. Il était temps de mettre en œuvre les modalités concrètes déjà en place. De fait, même si plusieurs «coureurs des bois» unis aux populations autochtones sont demeurés dispersés sur le territoire, les nouvelles frontières politiques en Amérique du Nord ont restreint la mobilité spatiale des traders et provoqué un véritable repli territorial des occupants français dans la vallée laurentienne bordée de belles terres agricoles. Cette zone exiguë est ainsi devenue le cœur de la jeune nation québécoise.

    Cette nouvelle sédentarité a vu croître l’espérance de vie des populations et bondir la démographie. Des paroisses agricoles se sont rapidement multipliées au cœur des territoires déjà colonisés forçant progressivement l’étirement de l’écoumène (figure 1.1). Au Québec, le règne de la ruralité⁶ s’est imposé au nomadisme à partir de Québec, Montréal et Trois-Rivières qui, grâce aux activités commerciales et aux services, sont tout de même devenues de véritables villes alors que c’est dans les campagnes que la majorité de la population croissait.

    Figure 1.1.

    Occupation intensive en marge de la région centrale

    Source: Carl Brisson, Laboratoire d’expertise et de recherche en géographie appliquée (LERGA), UQAC.

    Des villages ont émergé partout dans la vallée laurentienne, autour des églises, des meuneries, des quais et des ports, des places de marché et des scieries. Après la Déclaration d’indépendance des États-Unis, en 1776, des loyalistes américains sont venus s’établir dans des cantons encore peu occupés à l’est de Montréal, aux abords de la frontière. De plus, l’industrialisation, déjà existante avec les forges du Saint-Maurice et la construction navale, a connu un essor au début du XIXe siècle, avec notamment la multiplication des fabriques à Québec, Montréal, Trois-Rivières, Sorel, Sainte-Marie, Saint-François. En 1851, la population québécoise était néanmoins rurale à 85%.

    C’est à cette période que le deuxième renversement géoéconomique du Québec a eu lieu dans la foulée de la canalisation du fleuve Saint-Laurent. À ce moment-là, l’industrialisation déjà amorcée autour de la ville de Québec s’est tournée vers Montréal, soudainement mieux positionnée pour le transbordement de marchandises et aussi mieux pourvue en capitaux, grâce à la présence d’une nouvelle élite marchande canadienne-anglaise. En outre, plusieurs villages ont évolué en de petites villes prospères avec l’établissement de commerces, de manufactures, d’institutions religieuses et de services publics et privés à la population. C’est dans ce contexte que Québec a instauré, en 1855, son régime municipal et un régime scolaire parallèle.

    Le Québec central s’est ainsi affirmé progressivement autour de l’axe du fleuve Saint-Laurent et de ses affluents, entre la chaîne de montagnes des Laurentides et la frontière américaine. Les limites territoriales de cette zone centrale ne sont pas toujours simples à établir clairement, notamment en Outaouais et dans le Bas-Saint-Laurent, mais la densité de la population pourrait servir de critère si nous disposions de données démographiques à petites échelles.

    En plus de la période historique de la Nouvelle-France, notre analyse de la territorialisation du Québec nous a permis de relever différentes phases d’occupation territoriale. Des fronts successifs de natures diverses ont peu à peu étendu l’écoumène québécois en dehors de la vallée du Saint-Laurent, dans la nouvelle périphérie progressivement reconnue par les autorités britanniques et canadiennes. Directement liés aux cycles structurels traversés par l’économie mondiale au cours des deux derniers siècles⁷, ces fronts de territorialisation nous montrent comment s’est opérée la structuration économique et sociale de la périphérie. Notre analyse propose trois vagues distinctes.

    2.1.Premier front régional

    Le premier grand front d’occupation de la périphérie a débuté timidement avec les activités de pêche dans le golfe du Saint-Laurent (Bonaventure, 1760; Rivière-au-Renard, 1790; et Matane, 1815), impulsées par la demande anglaise en poissons. Toutefois, l’économie a pris un tournant au début du XIXe siècle. C’est en effet à cette époque que, pour contourner le blocus de son approvisionnement en bois importé des pays autour de la mer Baltique, la Grande-Bretagne s’est tout naturellement tournée vers ses colonies nord-américaines pour satisfaire ses besoins en bois pour la construction navale. Le travail en forêt est ainsi devenu lucratif au Québec, permettant d’accompagner l’agriculture de subsistance dans le grand cycle pionnier en cours (figure 1.1). Ce tournant a eu pour effet de ralentir l’émigration de milliers de jeunes gens vers les États-Unis, où les manufactures cherchaient de la main-d’œuvre, et ce, à la grande satisfaction des autorités cléricales qui établissaient de nouvelles paroisses.

    Sous l’impulsion de ce nouveau modèle agroforestier introduit par les capitaux anglais, l’essor régional a établi un précédent historique. À partir d’environ 9000 chargements de billots effectués entre 1802 et 1805, l’industrie forestière est passée à 27 000 chargements en 1807, puis à 90 000 en 1809, pour atteindre plus de 500 000 chargements en 1840⁸. Tandis que les pinières de la vallée laurentienne, de la Mauricie et de l’Outaouais étaient en exploitation depuis plusieurs années⁹, d’autres plus éloignées, comme celles du Saguenay et du Lac-Saint-Jean, restaient vierges de toute exploitation industrielle.

    Dans un premier temps, la colonisation a été orientée vers les régions en friche situées à proximité des territoires déjà occupés, soit vers les Laurentides, la Mauricie, Charlevoix, l’Outaouais, les Appalaches, la Matapédia, le Témiscouata. Cette stratégie s’est toutefois rapidement révélée insuffisante. L’arrivée à échéance du bail de la Compagnie de la Baie d’Hudson sur une immense zone nordique offre tout à coup la possibilité d’ouvrir davantage la périphérie au peuplement. Souhaitant freiner l’exode de la population par la mise en valeur des territoires non occupés mais à fort potentiel économique, l’État a tôt fait d’affermer les vastes forêts nordiques¹⁰. Des vagues de colons commencent alors à déferler sur les territoires les plus facilement accessibles: le Saguenay, le Lac-Saint-Jean, la Haute-Côte-Nord, certains secteurs de la Gaspésie,

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