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La réforme du mode de scrutin au Québec: Trajectoires gouvernementales et pistes de réflexion
La réforme du mode de scrutin au Québec: Trajectoires gouvernementales et pistes de réflexion
La réforme du mode de scrutin au Québec: Trajectoires gouvernementales et pistes de réflexion
Livre électronique503 pages7 heures

La réforme du mode de scrutin au Québec: Trajectoires gouvernementales et pistes de réflexion

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À propos de ce livre électronique

Au Québec, le mode de scrutin employé est le scrutin majoritaire uninominal à un tour. Il s’agit de l’un des modes de scrutin reconnu comme le moins désirable puisqu’il produit de fortes distorsions électorales et cause à l’occasion des anomalies dans les résultats électoraux. Depuis 1970, le Parti québécois et le Parti libéral du Québec se sont engagés à plusieurs reprises à réformer le mode de scrutin. S’alternant au pouvoir sans partage depuis plus de 40 ans, ces deux partis ont eu quelques occasions de mettre en place les réformes électorales promises, mais n’ont pas agi sur cette question. En 2018, une page s’est tournée dans le système partisan québécois et un nouveau gouvernement de la Coalition Avenir Québec fut élu. Le premier ministre, François Legault, a lui aussi promis de réformer le mode de scrutin ; un engagement réitéré à maintes occasions.

Le débat sur la question est bien relancé et le présent ouvrage arrive à point pour participer à la discussion collective. Proposant une analyse théorique, empirique et normative, ce livre veut expliquer pourquoi les gouvernements québécois n’ont pas réformé le mode de scrutin jusqu’à maintenant et souhaite mettre en lumière les obstacles auxquels risque de faire face cette réforme au sein du gouvernement. Présentant plusieurs données qui n’avaient pas été publiées à ce jour, cet ouvrage s’appuie entre autres sur des entretiens avec des responsables politiques et sur les délibérations du Conseil des ministres.

Pour plusieurs citoyens, le mode de scrutin demeure une institution invisible, dont ils connaissent peu les mécanismes. Toutefois, il importe de s’y intéresser puisqu’il joue un rôle politique central dans une démocratie représentative en permettant de relier les préférences de la population aux choix politiques des gouvernements. En lisant cet ouvrage, tous pourront comprendre les aboutissants de cette réforme s’ils veulent la voir se concrétiser au Québec.

Julien Verville est professeur de science politique au collégial. Son mémoire de maîtrise sur la réforme du mode de scrutin au Québec s’est retrouvé parmi les gagnants de l’édition 2019 des Prix du livre politique de l’Assemblée nationale. Ses principaux champs d’intérêt sont la réforme électorale et la politique québécoise.
LangueFrançais
Date de sortie4 nov. 2020
ISBN9782760553910
La réforme du mode de scrutin au Québec: Trajectoires gouvernementales et pistes de réflexion
Auteur

Julien Verville

Julien Verville est professeur de science politique au collégial. Son mémoire de maîtrise sur la réforme du mode de scrutin au Québec s’est retrouvé parmi les gagnants de l’édition 2019 des Prix du livre politique de l’Assemblée nationale. Ses principaux champs d’intérêt sont la réforme électorale et la politique québécoise.

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    Aperçu du livre

    La réforme du mode de scrutin au Québec - Julien Verville

    INTRODUCTION

    Le mode de scrutin est une institution politique centrale dans une démocratie représentative puisqu’il permet de relier les préférences des citoyens aux choix politiques des gouvernements. Le mode de scrutin est la partie de la Loi électorale qui précise les règles d’élection à partir du vote des électeurs. En d’autres termes, il s’agit du mécanisme utilisé pour traduire les voix en sièges aux élections, tandis que le système électoral se compose du mode de scrutin et de toutes les règles qui régissent les élections. On peut penser entre autres aux règles de candidature, de financement de campagne et à celles qui concernent l’inscription des électeurs. De façon large, on peut classer de différentes manières les modes de scrutin : selon leur caractère plus ou moins proportionnel (les types classiques sont majoritaires, mixtes et proportionnels) ; selon qu’ils sont à un ou plusieurs tours ; selon qu’il est question de scrutins de liste ou de candidatures individuelles ; ou selon la plus ou moins grande latitude qu’ils donnent aux électeurs d’influencer la distribution des sièges entre les candidats d’une même formation politique (Martin, 2001, p. 654). Au Québec, le mode de scrutin employé est le scrutin majoritaire uninominal à un tour (SMUT). Il s’agit d’un des modes de scrutin que les experts universitaires évaluent comme étant le moins désirable puisqu’il produit de fortes distorsions électorales et cause à l’occasion des anomalies dans les résultats électoraux (Bowler et Farrell, 2006).

    Parce qu’ils constituent l’une des règles du jeu politique, les modes de scrutin participent à l’organisation de l’activité politique, car ils ont une influence certaine sur la stratégie des acteurs et peut-être sur le vote des électeurs (Martin, 2006, p. 10). Il faut savoir qu’une réforme du mode de scrutin a le potentiel de changer la compétition entre les partis dans le système partisan, la composition du gouvernement (majoritaire ou minoritaire) et l’équilibre des pouvoirs entre les branches exécutive et législative (Lijphart, 2012). Dans un cadre institutionnel bien établi, le parti politique qui remporte l’élection saisit très bien les avantages que lui confère le scrutin majoritaire uninominal à un tour. Il peut sembler n’y avoir aucune raison pour un gouvernement de changer les règles du mode de scrutin qui lui ont permis d’accéder au pouvoir. Malgré cela, des réformes électorales se produisent et des modes de scrutin pluralitaires, comme le SMUT, ont été remplacés dans différents États comme la Suède, le Danemark, l’Australie, la Norvège et la Nouvelle-Zélande.

    Dès 1970, le Parti québécois (PQ) et le Parti libéral du Québec (PLQ) ont promis à plusieurs reprises qu’ils allaient réformer le mode de scrutin. Alternant au pouvoir sans partage, ces deux partis ont eu quelques occasions de mettre en place des réformes électorales, mais n’ont pas agi sur cette question. Le 1er octobre 2018, une page s’est tournée dans le système partisan québécois avec l’élection d’un gouvernement majoritaire de la Coalition avenir Québec (CAQ). Le nouveau premier ministre François Legault s’est engagé à réformer le scrutin majoritaire uninominal à un tour et à déposer un projet de loi dans la première année gouvernementale ; un engagement réitéré à maintes occasions. Le débat est bien relancé.

    Ce livre arrive donc à point nommé pour participer à la discussion collective qui s’accentuera d’ici le 3 octobre 2022, date normalement prévue du référendum québécois sur la réforme du mode de scrutin. Voici quelques objectifs visés ici. Cet ouvrage veut essentiellement expliquer pourquoi les gouvernements québécois n’ont pas réformé le mode de scrutin jusqu’à ce jour. Notre analyse porte principalement sur le parti au pouvoir parce que les gouvernements qui ont enclenché des processus de réforme étaient toujours en position de majorité à l’Assemblée nationale et parce que la réforme du mode de scrutin au Québec est toujours demeurée sous le contrôle des parlementaires. Par ailleurs, nous savons que les réflexions et les stratégies des partis sont souvent tenues secrètes. Une distance temporelle nous séparant de ces évènements nous permet aujourd’hui d’ajouter des éléments de compréhension eu égard à cette question. Ce livre présente plusieurs données qui n’avaient pas été publiées à ce jour et qui permettent de mieux comprendre l’échec de la réforme du mode de scrutin au Québec. Notre recherche s’appuie entre autres sur des entretiens avec des responsables politiques et sur les délibérations du Conseil des ministres durant les gouvernements de René Lévesque (1976-1985)¹. Les entrevues avec les élites ont le potentiel de fournir des informations qui ne peuvent être extraites des documents officiels ou des récits des médias, outre d’offrir des preuves des stratégies adoptées par les acteurs politiques. Ces nouvelles informations favoriseront l’avancement des connaissances et contribueront à expliquer l’absence de réforme du SMUT au Québec. De plus, en vertu d’une demande d’accès à l’information auprès du Directeur général des élections du Québec (DGEQ), nous présentons de nouvelles informations concernant le processus de réforme du gouvernement Legault. Enfin, puisque le passé peut jeter un éclairage sur le débat en cours et que la volonté gouvernementale peut vaciller sur cet enjeu critique, ce livre veut montrer les obstacles auxquels risque de se heurter cette réforme au sein du gouvernement de François Legault.

    Cet ouvrage veut aussi contribuer à faire œuvre de pédagogie sur cette question auprès du public. Pour plusieurs Canadiens, le mode de scrutin demeure une institution invisible, dont ils connaissent peu les rouages (Pilon, 2016). Les élites présument habituellement que la majorité des citoyens ont des connaissances limitées sur le fonctionnement et les conséquences des réformes électorales. Cela est généralement vrai, car les modes de scrutin ne figurent pas toujours à l’avant-plan dans l’esprit du public. Néanmoins, les citoyens peuvent jouer un rôle important et participer à différents moments et à travers plusieurs mécanismes dans un processus de réforme électorale. Pour amorcer le processus de réforme, des études ont révélé que le mécontentement des citoyens à l’endroit du système électoral fut l’élément catalyseur, entre autres lors des réformes électorales en Italie, au Japon et en Nouvelle-Zélande au cours des années 1990 (Shugart et Wattenberg, 2001). Certaines publications ont relevé l’érosion de la confiance du public à l’égard du système politique comme l’un des trois facteurs de long terme favorisant la réforme électorale (Norris, 1995) tandis que d’autres ont souligné l’importance de l’indignation du public pour expliquer la présence de réformes contraires aux intérêts des partis au pouvoir (Katz, 2005). Un public motivé peut garder la question de la réforme à l’ordre du jour. Ainsi, c’est l’attention du public et son intérêt pour la question qui ont obligé les politiciens à agir en Nouvelle-Zélande et en Italie (Pilon, 2007).

    Par ailleurs, pour expliquer l’absence de réforme électorale au Canada, on mentionne que le débat sur cette réforme aurait principalement eu cours entre élites tandis que l’intérêt du public et sa connaissance des modes de scrutin seraient demeurés faibles. Étant donné que les derniers sondages sur la question évaluaient les appuis des Québécois entre 64 % et 70 % à l’adoption d’un mode de scrutin proportionnel (Boivin, 2015 ; Strategic Directions, 2017 ; Angus Reid Institute, 2018 ; Léger, 2019), les citoyens doivent saisir les aboutissants de cette réforme s’ils veulent la voir se concrétiser et s’ils veulent faire en sorte que les politiciens respectent leur engagement électoral sur cet enjeu.

    Dans cet ouvrage, le lecteur pourra comprendre le fonctionnement et les effets découlant du scrutin majoritaire uninominal à un tour. Il pourra aussi y retrouver une brève chronologie et étude des projets de réforme électorale ailleurs au Canada. Par la suite, nous exposons les prémices du débat au Québec et faisons un survol des éléments essentiels qui ont caractérisé la trajectoire de la réforme au sein du premier gouvernement libéral de Robert Bourassa (1970-1973). Dans le corps du livre, nous nous penchons sur les trajectoires de la réforme du mode de scrutin sous les deux gouvernements péquistes de René Lévesque (19761985), sous le gouvernement péquiste de Bernard Landry (20012003) et sous le premier gouvernement libéral de Jean Charest (2003-2007). Dans les trois derniers chapitres, nous offrons des pistes de réflexion. Nous faisons d’abord le point sur les trajectoires gouvernementales afin d’expliquer les échecs de la réforme et en faire ressortir les grandes tendances. Puis nous analysons la trajectoire empruntée, en date d’avril 2020, par le gouvernement Legault. Nous relatons comment la CAQ a traité de cet enjeu sur les banquettes de l’opposition jusqu’à sa prise du pouvoir et nous analysons les défis que devra relever ce gouvernement d’ici la fin de son mandat. Enfin, nous présentons les éléments techniques clés pour comprendre le fonctionnement et les effets attendus d’un mode de scrutin mixte compensatoire adapté au Québec, la formule retenue par le gouvernement Legault dans le projet de loi n° 39 et qui fait partie de la discussion collective. En conclusion, nous faisons le point sur les éléments à surveiller relativement à la trajectoire de la réforme du mode de scrutin au sein du gouvernement Legault d’ici octobre 2022.

    Par cet effort de vulgarisation, nous souhaitons sincèrement intéresser le lecteur à cette question. Nous faisons le pari que si les citoyens réalisent qu’il y a un problème avec ce mode de scrutin et que des solutions existent, ils seront mieux outillés pour inciter le gouvernement à honorer son engagement électoral.

    RÉFÉRENCES

    Angus Reid Institute (2018). Proportional Representation : BC residents split three ways over whether to change voting system, , consulté le 23 février 2019.

    Boivin, S. (2015). Un « appétit » pour le changement. Le Soleil, 8 avril, 16.

    Bowler, S. et Farrell, D.M. (2006). We know which one we prefer but we don’t really know why : The curious case of mixed member electoral systems. British Journal of Politics and International Relations, 8(3), 445-460.

    Katz, R.S. (2005). Why are there so many (or so few) electoral reforms ? Dans M. Gallagher et P. Mitchell (dir.), The Politics of Electoral Systems, 57-77. Oxford : Oxford University Press.

    Léger (2019). Réforme du mode de scrutin : sondage auprès des Québécoises et Québécois : Rapport. Montréal : Léger.

    Lijphart, A. (2012). Patterns of Democracy : Government Forms and Performance in Thirty-Six Countries (2e éd.). New Haven : Yale University Press.

    Martin, P. (2001). Modes de scrutin. Dans P. Perrineau et D. Reynié (dir.), Dictionnaire du vote, 654-659. Paris : Presses universitaires de France.

    Martin, P. (2006). Les systèmes électoraux et les modes de scrutin (3e éd.). Paris : Montchrestien.

    Norris, P. (1995). Introduction : The politics of electoral reform. International Political Science Review/Revue internationale de science politique, 16(1), 3-8.

    Pilon, D. (2007). The Politics of Voting : Reforming Canada’s Electoral System. Toronto : Emond Montgomery Publications Limited.

    Pilon, D. (2016). Party politics and voting systems in Canada. Dans A.-G. Gagnon et A.B. Tanguay (dir.), Canadian Parties in Transition (4e éd.), 217-249. Toronto : University of Toronto Press.

    Shugart, M.S. et Wattenberg, M.P. (2001). Mixed-Member Electoral Systems : The Best of Both Worlds ? Oxford : Oxford University Press.

    Strategic Directions (2017). Fair Vote Canada : National Survey : IVR Report. (s.l.) : Strategic Directions.

    1. En principe, les débats au Conseil des ministres sont secrets, mais ces informations sont colligées dans les Mémoires des délibérations du Conseil exécutif. Ces documents deviennent accessibles, en partie, après l’expiration d’un délai de 25 ans. Les mémoires des 18 derniers mois sont publiés sur le site Web du ministère du Conseil exécutif, tandis que les mémoires antérieurs doivent être consultés au Centre d’archives de la Bibliothèque et Archives nationales du Québec à la Ville de Québec (sur le campus de l’Université Laval).

    CHAPITRE 1

    LE SCRUTIN MAJORITAIRE UNINOMINAL À UN TOUR

    Le scrutin majoritaire uninominal à un tour (SMUT) est employé au Canada, et ce, tant aux élections législatives fédérales que provinciales. Il est aussi appelé first-past-the-post, qu’on peut traduire par « le gagnant est celui qui arrive en tête ». Aujourd’hui, selon le Réseau du savoir électoral ACE, 64 États emploient le SMUT, ce qui en fait le deuxième mode de scrutin le plus répandu après les systèmes de représentation proportionnelle à listes (86 États). Néanmoins, si l’on considère la population, c’est le mode de scrutin le plus répandu dans le monde parce qu’il est notamment utilisé par l’Inde (environ 900 millions d’électeurs appelés aux urnes) et les États-Unis (pour l’élection des membres du Congrès).

    Ce mode de scrutin est dit majoritaire puisque c’est le candidat qui arrive en tête dans une circonscription électorale qui gagne le siège de député. Pour être élu, il n’est pas nécessaire d’obtenir la majorité absolue des suffrages, soit plus de 50 % des voix. En effet, la pluralité suffit (ou majorité relative ou majorité simple de voix) ; il faut seulement être le candidat qui a obtenu le plus de votes dans la circonscription (un seul vote d’avance sur le candidat qui termine deuxième suffit). C’est pourquoi plusieurs politologues le qualifient de scrutin pluralitaire. Il faut savoir que cette situation est la norme puisque la plupart des députés remporte leur élection à la pluralité. Il est dit uninominal, parce qu’il n’y a qu’un seul élu par circonscription, et à un tour, parce que les électeurs ne votent qu’une fois. Le territoire est divisé en plusieurs circonscriptions, à peu près égales en termes de population. Puis, lorsque ce mode de scrutin est employé dans un régime parlementaire comme celui qui est en vigueur au Canada, le parti ayant le plus d’élus forme le gouvernement et obtient une majorité absolue s’il a plus de députés que la moitié de tous les sièges disponibles au parlement (plus de 50 % des sièges). Il importe de noter que le parti qui prendra le pouvoir n’a pas l’obligation d’être celui qui a obtenu le plus de votes : il doit simplement être celui qui a fait élire le plus de députés¹, soit avoir remporté le plus de circonscriptions électorales. De façon générale, le parti qui arrive deuxième, en nombre d’élus, forme l’opposition officielle.

    Introduit par l’Acte constitutionnel de 1791, le scrutin majoritaire uninominal à un tour fut utilisé au Québec en 1792 dès les premières élections québécoises. À l’origine, le mode de scrutin était binominal (deux députés) dans certaines circonscriptions ; il est devenu seulement uninominal à partir de 1861. De plus, jusqu’en 1952, il était possible d’être candidat simultanément dans deux circonscriptions lors d’une même élection provinciale. Si un candidat se retrouvait doublement victorieux, il devait choisir la circonscription qu’il voulait représenter au Parlement. Aujourd’hui, il y a 125 sièges à l’Assemblée nationale du Québec et autant de circonscriptions électorales représentées par un député. Puisque tout mode de scrutin possède ses propres caractéristiques, il convient de préciser ce que l’on considère comme les avantages et les inconvénients du SMUT, ainsi que ses effets dans le contexte québécois.

    1. LES AVANTAGES DU SCRUTIN MAJORITAIRE UNINOMINAL À UN TOUR

    Comme point positif, on considère que le SMUT est le mode de scrutin le plus simple à employer et à comprendre et qu’il permet un dépouillement efficace du scrutin pour les administrateurs électoraux. Il serait entré dans les habitudes des électeurs québécois, ceux-ci comprenant bien les étapes d’une élection. Avec le SMUT, un seul député est élu dans chacune des circonscriptions, il y a donc un lien géographique direct qui se crée entre l’électeur et son représentant. Ce mode de scrutin fonde sa légitimité sur la représentation territoriale ; chaque élu représente un territoire bien délimité, respectant une relative homogénéité démographique, socioéconomique et géographique. Théoriquement, les députés ont ainsi des liens beaucoup plus étroits avec leurs électeurs sous ce mode de scrutin. De plus, il produit habituellement des gouvernements majoritaires à un seul parti, conférant alors une plus grande stabilité et durabilité aux dirigeants politiques. En effet, le SMUT donne presque systématiquement une prime au parti vainqueur de l’élection générale ; le parti ministériel bénéficie en moyenne d’une surreprésentation variant entre 15 % et 25 % en pourcentage de sièges, en comparaison du pourcentage de votes obtenus. Cet écart notable entre la proportion de sièges remportés par chaque parti et la proportion de votes lors d’une élection est appelé une distorsion électorale. On dit alors qu’un parti politique est surreprésenté lorsqu’il obtient un pourcentage de sièges supérieur au pourcentage de votes qu’il a recueilli, tandis que dans la situation inverse, on dira que cette formation politique est sous-représentée. Pour comprendre ce phénomène, observons les résultats de l’élection générale québécoise du 1er octobre 2018 (tableau 1.1)².

    TABLEAU 1.1.

    Résultats des élections générales provinciales de 2018

    Source : Directeur général des élections du Québec, 2020, <https ://www.electionsquebec.qc.ca/français/provincial/resultats-electoraux/elections-generales.php?e=83&s=2#s>.

    Comme nous le constatons, la Coalition avenir Québec (CAQ) a profité d’une surreprésentation de 21,8 %, lui permettant de former un gouvernement majoritaire à l’Assemblée nationale du Québec. Il est ainsi possible d’affirmer que le mode de scrutin a fabriqué une majorité parlementaire, et ce, avec seulement 37,4 % des votes à l’échelle du Québec. Il s’agit du plus faible appui en pourcentage³ qu’un parti a obtenu pour former un gouvernement majoritaire dans l’histoire du Québec. Il va alors sans dire que cette majorité parlementaire fabriquée réduit les chances que le gouvernement soit renversé en Chambre, lui accordant une grande stabilité pour mettre en œuvre son programme gouvernemental. Signalons qu’il s’agit d’un phénomène récurrent au Québec puisque depuis 1966, 11 des 15 élections générales ont produit des majorités fabriquées. Cet argument de la stabilité gouvernementale est avancé de façon récurrente comme étant un grand avantage de ce mode de scrutin. Certains considèrent que cela est un atout pour une société qui est minoritaire comme le Québec. Toutefois, des experts ont souligné que cet argument n’était pas vraiment convaincant parce qu’il est possible d’avoir une grande stabilité gouvernementale avec des modes de scrutin proportionnels et mixtes. À ce sujet, les gouvernements durent en moyenne aussi longtemps en Allemagne et dans les pays scandinaves qu’au Canada.

    De plus, le scrutin majoritaire uninominal à un tour permet de reconnaître aisément la responsabilité gouvernementale puisqu’un seul parti gouverne. Au moment du scrutin, l’électeur pourra rendre son verdict sur le bilan du parti au pouvoir en lui accordant son vote ou en appuyant un autre parti. Au Québec, les grands partis profitent de l’alternance ; comme le parti au pouvoir, l’opposition court la chance que le système joue en sa faveur lors du prochain scrutin. Par conséquent, il est admis que le SMUT avantage les grands partis et qu’il a historiquement tendance à favoriser le développement de deux partis forts.

    2. LES INCONVÉNIENTS DU SCRUTIN MAJORITAIRE UNINOMINAL À UN TOUR

    À l’inverse, le SMUT comporte certains inconvénients, dont celui de tendre à convertir les votes en sièges d’une façon qui semble souvent inéquitable et arbitraire. Trois principaux facteurs appuient cette affirmation dans le contexte des systèmes partisans à plus de deux partis, comme il est possible de l’observer au Québec. (Il y a toujours une troisième formation politique reconnue à l’Assemblée nationale depuis les élections provinciales de 2007.) Premièrement, le parti qui forme un gouvernement majoritaire est rarement élu avec la majorité absolue du vote à l’échelle de tout le territoire. Sur 42 élections générales au Québec, le parti gouvernemental a été élu avec la majorité absolue des votes (50 % + 1) à 25 occasions et cela ne s’est plus produit depuis 1989. Deuxièmement, un parti peut former le gouvernement en ayant obtenu moins de votes tout en réussissant à faire élire plus de députés que son principal adversaire. Ce phénomène est appelé une inversion de rang (ou faux gagnant) et il est souvent perçu comme une anomalie indésirable de ce mode de scrutin. Au Québec, des inversions de rang se sont produites à cinq reprises : en 1886, 1890, 1944, 1966 et 1998. Examinons le résultat de l’élection générale québécoise du 30 novembre 1998 pour comprendre ce phénomène (tableau 1.2).

    Nous remarquons que le Parti québécois (PQ) a terminé en deuxième position pour le nombre de votes à l’échelle du Québec, mais qu’il a remporté beaucoup plus de sièges que le Parti libéral du Québec (PLQ). Le mode de scrutin a ainsi permis au PQ de profiter d’une inversion de rang et de former un gouvernement majoritaire de 1998 à 2003. Ce phénomène n’est pas exclusif au Québec et peut se produire dans toutes les démocraties employant le scrutin majoritaire uninominal à un tour⁴ ou tout autre mode de scrutin où les citoyens élisent indirectement le chef du gouvernement⁵. Nous pouvons rappeler, à ce propos, la dernière élection générale canadienne du 21 octobre 2019 qui a permis au Parti libéral du Canada (PLC) de former le gouvernement même s’il avait terminé en seconde position pour le nombre de votes à l’échelle du pays (tableau 1.3).

    TABLEAU 1.2

    Résultats des élections générales provinciales de 1998

    Source : Directeur général des élections du Québec, 2020, <https ://www.electionsquebec.qc.ca/français/provincial/resultats-electoraux/elections-generales.php?e=18&s=2#s>.

    Troisièmement, une formation politique peut recueillir autant sinon plus de votes qu’un autre parti, mais se retrouver avec beaucoup moins de sièges au parlement ; le cas de l’élection générale québécoise du 29 avril 1970 est assez frappant à cet égard (tableau 1.4).

    Malgré ses 23,1 % d’appuis et une deuxième position pour le nombre de votes, le PQ n’a obtenu que 7 élus, ce qui lui a valu une quatrième position sur le plan parlementaire. Même si le PQ a obtenu plus de votes que l’Union nationale et le Ralliement créditiste du Québec, il s’est retrouvé avec beaucoup moins de sièges à l’Assemblée nationale que ces formations politiques. Ce phénomène est possible puisque le SMUT tend à récompenser les partis bien implantés régionalement. Un autre exemple notable est l’élection générale canadienne du 25 octobre 1993 (tableau 1.5).

    Pour cette élection générale canadienne, l’ordre dans lequel un parti est arrivé dans les suffrages populaires (à l’échelle du Canada) ne détermine pas son rang pour le nombre de sièges au parlement. Ainsi, malgré le fait que le Bloc québécois n’avait présenté que des candidatures au Québec (soit 75), sa forte concentration du vote dans la province lui a permis de faire élire 54 députés et de former l’opposition officielle, et ce, même si le parti avait terminé au 4e rang pour le nombre de votes à l’échelle canadienne. À l’inverse, le Parti réformiste du Canada s’est classé en 2e position pour le nombre de votes et en 3e à la Chambre des communes, tandis que le Nouveau Parti démocratique s’est positionné en 5e place pour le nombre de votes et en 4e à la Chambre des communes. Enfin, le Parti progressiste-conservateur du Canada fut largement sous-représenté en obtenant la 3e position pour les appuis électoraux, mais en terminant au 5e rang au Parlement avec seulement deux candidats élus. Ainsi, un parti ayant son vote fortement concentré dans certaines régions aura plus de facilité à gagner des sièges qu’une formation politique dont les appuis sont dispersés à l’échelle du territoire. Le nombre de sièges gagnés par un parti et les lieux où ils l’ont été ne donnent pas toujours une image fidèle de l’appui réel à une formation politique.

    TABLEAU 1.3.

    Résultats de l’élection fédérale canadienne de 2019

    Source : University of British Columbia, 1997, <http ://esm.ubc.ca/CA93/results.html>.

    TABLEAU 1.4.

    Résultats des élections générales provinciales de 1970

    Source : Assemblée nationale du Québec, 2009, <http ://www.assnat.qc.ca/fr/patrimoine/sieges.html> ; .

    TABLEAU 1.5.

    Résultats de l’élection fédérale canadienne de 1993

    Source : University of British Columbia, 1997, <http ://esm.ubc.ca/CA93/results.html>.

    Préalablement, nous avons vu que le scrutin majoritaire uninominal à un tour accordait presque systématiquement au parti ministériel une surreprésentation de sièges, ce qui lui permettait de former habituellement un gouvernement majoritaire. Cette surreprésentation de sièges peut entraîner une autre anomalie indésirable avec ce mode de scrutin. En effet, le SMUT crée à l’occasion des majorités écrasantes, soit une situation qui se produit lorsqu’un parti gouverne avec un très grand nombre de députés et que l’opposition se retrouve décimée eu égard au nombre de sièges malgré des appuis électoraux importants. Au Québec, les élections provinciales de 1900, 1916, 1948 et 1973 ont ainsi résulté en des majorités écrasantes. Pour mieux comprendre, examinons le cas de l’élection générale québécoise du 29 octobre 1973 (tableau 1.6).

    Ainsi, avec 54,7 % du vote, le PLQ a raflé presque tous les sièges de l’Assemblée nationale, soit 102 des 110 sièges. À l’inverse, malgré ses 30,2 % d’appuis, le PQ n’a obtenu qu’une maigre récolte de six sièges. De toute évidence, le mode de scrutin a engendré une représentation parlementaire qui s’éloignait considérablement de l’appui réel de chaque formation politique.

    Un autre désavantage est que les électeurs qui appuient un candidat défait dans leur circonscription peuvent avoir le sentiment, après l’élection, qu’ils ne sont pas représentés ou que leur vote est perdu (ou gaspillé). Une élection générale au Québec est composée de 125 élections locales simultanées. Le vote d’un électeur pour un candidat défait peut sembler perdu puisqu’il n’a aucune incidence sur le résultat final à l’échelle du Québec. Lors des élections générales de 2018, 54,5 % des électeurs québécois ont voté pour des candidats qui ont été défaits dans leur circonscription, ce qui fait que l’ensemble des 125 députés fut élu par 45,5 % des votes valides. Du côté de la Coalition avenir Québec, une partie de ses 37,4 % d’appuis est allée à des candidats défaits ; par conséquent, ce n’est que 28,9 % des votes valides qui ont permis d’élire la députation caquiste. Si nous considérons cet appui par rapport à tous les électeurs inscrits (en prenant en compte la faible participation électorale de 66,5 %), c’est seulement 19,2 % des citoyens québécois en âge de voter qui ont permis d’élire les 74 députés caquistes qui pourront exercer 100 % du pouvoir législatif et exécutif pendant quatre ans. Il semble alors évident que le SMUT « crée des inégalités entre les électeurs selon le lieu où ils habitent et produit des assemblées où beaucoup de citoyens n’ont aucun représentant » (Derriennic, 2019). Le scrutin majoritaire uninominal à un tour ne favorise pas une équité du résultat, puisque chaque vote ne compte pas de manière égale. Cet aspect décourage les gens d’aller voter. Plusieurs des citoyens ont le sentiment que leur vote ne sert à rien, ce qui peut diminuer la participation électorale. Ce phénomène s’observe principalement dans les châteaux forts des partis, soit des circonscriptions qui élisent un député de la même formation politique avec de fortes majorités à chaque élection. Observons à cet effet le cas de la circonscription de Westmount-Saint-Louis, située dans l’ouest de l’île de Montréal, qui a fait élire presque sans interruption un candidat du PLQ depuis 1939⁶. L’anticipation de l’élection d’un candidat libéral à chaque scrutin explique en bonne partie pourquoi cette circonscription enregistre régulièrement un taux de participation parmi les plus bas au Québec, et ce, surtout en milieu urbain⁷. Par conséquent, le SMUT ne représente pas fidèlement la volonté des électeurs, et ce, tant au regard des circonscriptions électorales que de celui de la répartition des sièges à l’Assemblée nationale du Québec.

    TABLEAU 1.6.

    Résultats des élections générales provinciales de 1973

    Source : Directeur général des élections du Québec, 2020, <https ://www.electionsquebec.qc.ca/français/provincial/resultats-electoraux/elections-generales.php?e=54&s=2#s>.

    De plus, certains électeurs sont incités à voter stratégiquement pour éviter d’appuyer un candidat qui a de fortes probabilités de perdre l’élection. Le vote stratégique se produit lorsque les électeurs votent pour l’un des deux partis plus importants, habituellement pour appuyer leur deuxième choix qui risque de vaincre un candidat considéré comme le pire choix. Cette réalité affecte plus les partisans des petits partis. Le vote stratégique fait aujourd’hui partie de la rhétorique des formations politiques puisque ceux-ci dénoncent régulièrement la division du vote. Malgré tout, ce phénomène demeure relativement peu fréquent puisque 8,4 % de l’électorat aurait voté stratégiquement lors de l’élection générale québécoise de 2012 (Daoust, 2015). Il faut cependant relever que des électeurs font des choix stratégiques (dans leur circonscription électorale) qu’ils ne reproduiraient pas nécessairement si nous passions à un autre mode de scrutin.

    Il est aussi reconnu que le scrutin majoritaire uninominal à un tour défavorise l’expression de courants idéologiques variés au sein de l’Assemblée nationale et qu’il rend difficile l’élection d’une assemblée dont la composition ressemble à celle de la population. Pour mesurer l’accès de tous les citoyens aux postes de pouvoir, il est possible d’employer ce que Hanna Pitkin (1972) appelle la représentation descriptive (ou miroir). Il est question d’une représentation descriptive lorsque les représentants ressemblent à la diversité observée dans la société ; une assemblée représentative serait alors composée d’élus provenant des divers groupes sociodémographiques, identitaires et idéologiques, correspondant globalement à leurs proportions dans la société. Cela explique pourquoi plusieurs groupes importants de la société ont été historiquement sousreprésentés, comme les femmes, les Autochtones et d’autres minorités. Néanmoins, certaines études ont exposé le rôle prépondérant, quoique non déterminant, du mode de scrutin sur la proportion de femmes dans les Parlements. Au Québec, la représentation des femmes a évolué favorablement lors des élections générales de 2018. Grâce à des initiatives du Groupe Femmes, Politique et Démocratie, du Conseil du statut de la femme, du Comité des femmes de l’Amicale des anciens parlementaires et du journal Le Devoir (qui publiait régulièrement l’évolution des candidatures des partis), les quatre principaux partis politiques (CAQ, PLQ, PQ et QS) ont été amenés à respecter leur engagement de présenter au moins 40 % de femmes parmi toutes leurs candidatures, pour se situer dans une zone paritaire. Ce taux élevé de candidatures féminines (une moyenne de 47,4 % pour l’ensemble des quatre partis) a permis de faire élire un nombre record de 52 femmes le 1er octobre 2018, soit 41,6 % de tous les sièges de l’Assemblée nationale. À titre informatif, 34 femmes avaient été élues aux élections de 2014, et le précédent record était de 41 députées lors des élections de 2012. En consultant les données de l’Union interparlementaire (2019), qui classe 193 pays selon le pourcentage de femmes élues dans la Chambre unique ou la Chambre basse, cette forte proportion d’élues classerait avantageusement le Québec au 12e rang (en date du 1er février 2019). Cette avancée demeure toutefois fragile puisqu’elle ne concerne qu’une seule élection.

    En outre, une barrière importante pour les petits partis avec les modes de scrutin pluralitaires est le seuil effectif. Ce concept provient de l’idée que tous les systèmes électoraux imposent une forme de seuil qu’un parti doit atteindre pour obtenir une représentation au Parlement. Parfois, ce seuil est explicite, comme c’est le cas dans les systèmes incluant une composante de représentation proportionnelle qui imposent un seuil légal. Un seuil électoral légal est une règle imposée sur le plan national (ou de la circonscription) qui constitue une barrière d’entrée explicite que les partis doivent respecter pour obtenir leur juste proportion de sièges. Par exemple, en Allemagne, pour se qualifier pour la compensation proportionnelle, les partis doivent recueillir 5 % des votes de liste ou remporter trois sièges dans les circonscriptions uninominales. En Nouvelle-Zélande, le seuil de représentation est atteint lorsqu’un parti obtient 5 % des votes de liste ou fait élire un candidat dans une circonscription. Dans la majorité des cas, le seuil légal requis (du vote national) pour obtenir sa part de sièges est de 5 %. Toutefois, le seuil peut ne pas être spécifié ; il est alors implicite et cela correspond au seuil effectif. Les systèmes électoraux non proportionnels n’ont habituellement pas de règles établissant un seuil légal. Malgré tout, il existe toujours un seuil effectif (implicite) qui empêche en fait les partis, qui arrivent en dessous d’une certaine proportion du vote, de remporter un siège. Dans les systèmes pluralitaires (comme le SMUT), le seuil que doit atteindre un parti politique pour obtenir une représentation est très élevé. À ce sujet, Michael Gallagher et Paul Mitchell (2005, p. 14, traduction libre) ont noté que « le seuil effectif imposé par des circonscriptions de petite taille est habituellement encore plus mortel pour les petits partis qu’un seuil légal dans un système de représentation proportionnelle ».

    Dans le contexte québécois, un autre reproche adressé au SMUT est qu’il n’affecte pas de façon identique les différents partis. Le SMUT induit une forme de biais qui entrave le Parti libéral du Québec dans sa capacité à prendre le pouvoir (Massicotte, 2004). Pour bien le comprendre, il faut savoir que les Québécois anglophones et allophones votent massivement pour le PLQ dans ses fiefs électoraux que sont les circonscriptions électorales situées dans l’ouest de l’île de Montréal. Cette concentration du vote dans certaines circonscriptions permet l’élection d’un nombre de députés assez important au PLQ, et ce, avec des majorités souvent énormes, ce qui permet au parti d’avoir une bonne représentation politique à chaque scrutin. En revanche, cette concentration du vote devient un handicap dans la prise du pouvoir lorsque le résultat de l’élection est serré entre le PLQ et l’autre grand parti. On dit ainsi que le scrutin majoritaire uninominal à un tour fonctionne de façon asymétrique puisqu’il traite différemment, à performance électorale égale, le PLQ et son principal opposant⁸. En d’autres termes, lorsque le Parti libéral du Québec et son principal adversaire obtiennent le même pourcentage de votes, le PLQ fait toujours élire moins de députés que cet autre parti. Louis Massicotte, un spécialiste des modes de scrutin, appelle ce phénomène un gerrymander linguistique et il a constaté cet effet déformant pénalisant le PLQ à plusieurs occasions⁹. Signalons que ce désavantage pour le PLQ est très prononcé lorsque son principal concurrent capture l’essentiel du vote francophone, mais l’est beaucoup moins lorsqu’il existe une plus forte compétition pour recueillir ce vote francophone. Tant que les anglophones et allophones appuieront massivement le PLQ dans ses fiefs électoraux, ce phénomène risque de se reproduire si la CAQ, ou un autre parti, récolte la majorité du vote des francophones lors d’une élection générale.

    Par ailleurs, les modes de scrutin comportent des éléments d’incitation qui font que les partis politiques vont adapter leurs stratégies électorales en fonction des incitatifs perçus pour maximiser leur vote. Le SMUT comporte ainsi des incitations pour les partis dans leurs choix stratégiques des lieux où ils vont mener campagne lors des élections. En analysant les fortes majorités obtenues lors du scrutin précédent et les projections de sondages pour l’élection en cours, les partis vont essentiellement investir du temps et de l’argent dans les circonscriptions dites « prenables ». Ainsi, même si sur l’île de Montréal, on retrouve le quart de la population québécoise, François Legault n’y a consacré que 6 % de ses déplacements lors de la campagne électorale de 2018 (Normandin, 2018). À l’inverse, le chef de la CAQ a visité 60 circonscriptions différentes, dont justement des circonscriptions francophones où le parti espérait réaliser de forts gains. Avec un mode de scrutin proportionnel, les incitations auraient été différentes et les partis auraient cherché à mobiliser et à obtenir des appuis partout et non essentiellement dans les circonscriptions qu’ils jugeaient prenables. Avec un mode de scrutin proportionnel, la CAQ aurait certainement investi plus de temps et d’argent sur l’île de Montréal puisque chaque vote aurait compté dans le résultat final.

    Toutefois, rappelons que les principaux inconvénients du SMUT concernent son manque de représentativité et les distorsions électorales qu’il engendre. Des études ont démontré que les distorsions tendent historiquement à être plus prononcées au Québec et que les majorités gouvernementales y sont aussi plus énormes qu’ailleurs (Massicotte, 2004, 2007). Pour évaluer le degré global des distorsions électorales lors d’une élection, on peut employer « l’indice de disproportion¹⁰ » de Gallagher. Plus l’indice de disproportion est bas, plus le mode de scrutin est proportionnel ; un indice de 0 signifierait qu’il n’y a pas de distorsions. À l’inverse, un indice élevé signale que les résultats électoraux présentent d’importantes distorsions. Cet indice permet de comparer le degré de proportionnalité entre plusieurs systèmes électoraux. En comparant le degré moyen de distorsion à chaque élection tenue de 1945 à 1996 dans 36 démocraties,

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